lundi 30 avril 2012
Un matin ordinaire
Tu hais les pigeons. Non, pas de cette haine ordinaire des bien-pensants qui trouvent qu'ils sont sales, qu'ils polluent le bord des fenêtres et s'envolent au dernier moment devant les voitures. Qu'est-ce que tu en as à faire de ces raisons? Qu'ils aillent à pied et mettent des fleurs sur leurs balcons! Ta haine n'est pas de ce type. Plus profonde, plus viscérale, incompréhensible pour les autres. Tu ne leur as jamais dit pourquoi. Ils ne te croiraient pas, ils se moqueraient: un doux dingue, pas méchant mais déjanté. Et pourtant...
Ils n'étaient pas là, eux, ce jour-là.
Un matin, comme les autres. Plutôt beau pour ce début de printemps. La nuit avait été lourde et tu n'en appréciais que davantage le rayon de soleil qui semblait vouloir s'installer. Une des premières fois que tu ouvrais la fenêtre pour déjeuner. Bientôt, il serait temps de ressortir les pots délicats. Il n'y aurait plus de gelée. Face à la cour, tu écoutais la radio sans vraiment l'entendre. Une guerre loin d'ici, quelques propos de politiques sûrs d'eux-mêmes, des résultats de foot et la météo, vite fait, parce que c'est comme les horoscopes dont on ne tient pas compte mais que l'on lit toujours. Savoir qu'il pleut à Perpignan alors qu'il fait beau ici, ça a quelque chose de jouissif, non? Tout cela, tu l'avais entendu cent fois, mille fois, chaque matin pendant que le café passait et que tu te disais qu'il serait temps de détartrer la cafetière. Mais ce bruit de tuyauterie irrégulière te plaisait, et l'odeur qui envahissait la cuisine. La première cigarette, avant le café, comme un plaisir interdit, quelque chose de râpeux qui finirait bien par te réveiller.
A l'immeuble d'en face, un store s'était décroché avec le vent de la veille. Tu entendais, mais d'où, quelqu'un s'exercer déjà à la clarinette. Un dimanche matin, petit réveil. Les autres dormaient encore. Tu imaginais les odeurs moites des chambres à coucher, ces corps séparés dans leurs rêves, ces bouches ouvertes qui ne disaient encore rien. Et tu te sentais bien seul. Juste encore un peu et tu renaîtrais au jour. C'est là qu'il est arrivé, tellement gros que ce devait être un mâle. Il s'est perché sur ta rambarde, au-dessus des géraniums qui n'étaient pas encore fleuris. Ton immobilité l'a rassuré. Rien à craindre de toi? Comment pouvais-tu savoir que c'était toi qui avais à craindre de lui?
Il a assuré sa position avec un petit pas de côté, de ses pâtes rongées par les parasites, et s'est mis à te fixer de son œil rond. Au début, tu n'y as pas prêté attention. Un pigeon, ce n'est pas original dans le décor. Mais lorsque tu as porté la tasse à tes lèvres, tu as saisi son regard. Il était expressif, plus que de coutume, un regard haineux, chaud, qui t'a fait frissonner. Allons, un reste des lourdeurs de la nuit. Ce n'était qu'un pigeon, et laid comme la maladie, un de ces spécimens qui échappent à tous les dangers et espèrent bien encore tirer profit de leur chienne de vie avant de se retrouver secs sur un trottoir. Même lorsque tu t'es levé, il ne s'est pas envolé. Il continuait à te fixer, sans bouger. Seule une petite brise faisait parfois frissonner ses plumes les plus légères.
Va au diable! as-tu penser en te dirigeant vers la salle de bains. Je ne vais pas passer le journée en tête à tête avec toi. Tu as voulu te raser, mais, lorsque tu as aperçu ton visage chiffonné dans le miroir, tu as compris que ce ne serait plus jamais comme avant. Ton œil était terne et globuleux. Pas d'expression de fatigue ou d'étonnement, pas de curiosité, pas de désir. Rien. Il n'y avait plus rien au fond de ta pupille. Le pigeon t'avait volé ton âme. Mais allez raconter ça!
Un matin, comme les autres. Plutôt beau pour ce début de printemps. La nuit avait été lourde et tu n'en appréciais que davantage le rayon de soleil qui semblait vouloir s'installer. Une des premières fois que tu ouvrais la fenêtre pour déjeuner. Bientôt, il serait temps de ressortir les pots délicats. Il n'y aurait plus de gelée. Face à la cour, tu écoutais la radio sans vraiment l'entendre. Une guerre loin d'ici, quelques propos de politiques sûrs d'eux-mêmes, des résultats de foot et la météo, vite fait, parce que c'est comme les horoscopes dont on ne tient pas compte mais que l'on lit toujours. Savoir qu'il pleut à Perpignan alors qu'il fait beau ici, ça a quelque chose de jouissif, non? Tout cela, tu l'avais entendu cent fois, mille fois, chaque matin pendant que le café passait et que tu te disais qu'il serait temps de détartrer la cafetière. Mais ce bruit de tuyauterie irrégulière te plaisait, et l'odeur qui envahissait la cuisine. La première cigarette, avant le café, comme un plaisir interdit, quelque chose de râpeux qui finirait bien par te réveiller.
A l'immeuble d'en face, un store s'était décroché avec le vent de la veille. Tu entendais, mais d'où, quelqu'un s'exercer déjà à la clarinette. Un dimanche matin, petit réveil. Les autres dormaient encore. Tu imaginais les odeurs moites des chambres à coucher, ces corps séparés dans leurs rêves, ces bouches ouvertes qui ne disaient encore rien. Et tu te sentais bien seul. Juste encore un peu et tu renaîtrais au jour. C'est là qu'il est arrivé, tellement gros que ce devait être un mâle. Il s'est perché sur ta rambarde, au-dessus des géraniums qui n'étaient pas encore fleuris. Ton immobilité l'a rassuré. Rien à craindre de toi? Comment pouvais-tu savoir que c'était toi qui avais à craindre de lui?
Il a assuré sa position avec un petit pas de côté, de ses pâtes rongées par les parasites, et s'est mis à te fixer de son œil rond. Au début, tu n'y as pas prêté attention. Un pigeon, ce n'est pas original dans le décor. Mais lorsque tu as porté la tasse à tes lèvres, tu as saisi son regard. Il était expressif, plus que de coutume, un regard haineux, chaud, qui t'a fait frissonner. Allons, un reste des lourdeurs de la nuit. Ce n'était qu'un pigeon, et laid comme la maladie, un de ces spécimens qui échappent à tous les dangers et espèrent bien encore tirer profit de leur chienne de vie avant de se retrouver secs sur un trottoir. Même lorsque tu t'es levé, il ne s'est pas envolé. Il continuait à te fixer, sans bouger. Seule une petite brise faisait parfois frissonner ses plumes les plus légères.
Va au diable! as-tu penser en te dirigeant vers la salle de bains. Je ne vais pas passer le journée en tête à tête avec toi. Tu as voulu te raser, mais, lorsque tu as aperçu ton visage chiffonné dans le miroir, tu as compris que ce ne serait plus jamais comme avant. Ton œil était terne et globuleux. Pas d'expression de fatigue ou d'étonnement, pas de curiosité, pas de désir. Rien. Il n'y avait plus rien au fond de ta pupille. Le pigeon t'avait volé ton âme. Mais allez raconter ça!
Momentini
- Vendredi: rendez-vous chez l'urologue reporté. Prévenu la veille à midi. "Ça fait trois jours que l'on essaie de vous joindre!". Et le portable, tu connais? Ce sera mercredi.
- Samedi: vide-grenier à côté de chez moi. C'est devenu une institution depuis deux ans. Des fonds de rebuts , aussi tristes qu'une maison en démolition dont les papiers peints jaunis ne savent plus que flotter au vent.
- Samedi: exposition au Musée des Moulages. Remise en forme de l'exposition Celebration of the body de l'artiste canadien Iain Baxter qui photographie des reproductions d'œuvres dans des livres d'histoire de l'art. Aucune inventivité dans la mise en espace. Les moulages antiques avaient l'air punis. Mais j'aime toujours autant cette ancienne usine reconvertie en salle d'exposition. Je voudrais voir toutes ces statues au clair de lune.
- Samedi: à pied au cimetière. L'herbe avait bien poussé et un lierre avait gelé. Acheté un géranium, rouge pétant. Il n'y a personne dans les cimetières à cette époque.
- Dimanche: le vent, pour change. Bourrasques dans la tête de ma sœur. Frédéric et Jean-Claude partent pour le midi. Il fait mauvais. Je ne les rejoindrai pas. Achète des anthuriums au marché. Le vent plie le bouquet. Il résistera jusqu'à mon salon.
- Dimanche: Charden est mort. Bon, ben ça arrive. On en parle plus que l'on a parlé de la mort de Mouloudji.
- Lundi: la rue pour moi tout seul ce matin. Pourtant tous les élèves sont là. Un père désemparé à midi. Que dire? Je ne suis pas psy quelque chose.
- Lundi: un ami dans le désarroi m'appelle. Plus d'une heure au téléphone. Je trouve des mots. Sont-ce les bons?
- Lundi: comment fait-on pour aller à la ligne avec ce putain de nouveau programme Blogger?
dimanche 29 avril 2012
Le retable d'Issenheim
Le retable d'Isenheim a cinq cents ans cette année. Conservé aujourd'hui au Musée d'Unterlinden à Colmar, il a été peint par Matthias Grünewald à partir de 1512 (les partie sculptées, de Nicolas de Haguenau sont antérieures: 1490) pour le couvent des Antonins à Isenheim, près de Colmar et est consacré à Saint Antoine. Mais le plus fascinant est la scène de Crucifixion qui apparaît lorsque les panneaux de ce polyptique sont refermés. Je l'ai découvert avec Pierre, il y a de nombreuses années, lors de notre voyage en Alsace. J'avais été totalement époustouflé par la beauté de cette œuvre. Sur un arrière-plan très sombre, le corps du Christ est celui d'un supplicié: pas de beauté angélique, pas de douceur saint-sulpicienne, de la douleur à l'état pur. Ce corps, distendu par son propre poids , n'a pas de repose-pieds salvateur, les clous dans ses pieds et ses mains les distordent atrocement, les traces de son supplice, stigmates et flagellation, ne sont pas cachés ni embellis.
Et la Vierge, que soutient Saint Jean, est une femme qui voit mourir son enfant. A demi pâmée, elle est livide, comme vidée de son sang. Le supplice de la croix était, dans l'empire Romain, réservé aux esclaves (les citoyens romains étaient, eux, décapités, comme le fut Saint Paul) et le crucifié mourait lentement, par étouffement, dans de terribles souffrances. Je n'ai jamais vu aucune autre œuvre picturale rendre à ce point réaliste cette scène tant de fois adoucie par les artistes au cours des siècles. Seul le Christ mort de Mantegna peut, par certains aspects, y faire songer. (Photos empruntées à Internet, sans indication de provenance.)
Et la Vierge, que soutient Saint Jean, est une femme qui voit mourir son enfant. A demi pâmée, elle est livide, comme vidée de son sang. Le supplice de la croix était, dans l'empire Romain, réservé aux esclaves (les citoyens romains étaient, eux, décapités, comme le fut Saint Paul) et le crucifié mourait lentement, par étouffement, dans de terribles souffrances. Je n'ai jamais vu aucune autre œuvre picturale rendre à ce point réaliste cette scène tant de fois adoucie par les artistes au cours des siècles. Seul le Christ mort de Mantegna peut, par certains aspects, y faire songer. (Photos empruntées à Internet, sans indication de provenance.)
samedi 28 avril 2012
Bonbon Palace
On prend un livre parce qu'on vous l'offre, pour l'achat de deux autres qui vous plaisent. On se dit que, probablement on ne le lira pas. On n'en connaît ni le titre ni l'auteur. Et puis, un soir, on se met à le parcourir. On se dit que ce n'est pas mal écrit, voire bien, on poursuit et l'on avale ainsi les six cents pages de cette histoire loufoque d'un immeuble à Istanbul en période contemporaine. Copieux, trop parfois, mais jamais indigeste.
Connaissez-vous les coiffeurs Djemal et Djelal, Su, la fillette curieuse, Sidar et son chien Gaba, Hadji Hadji, le grand-père qui effraie et ravit ses petits enfants par les contes qu'il leur récite, Mme Teyze, la vieille dame par qui tout arrive, et la belle Maîtresse bleue ? Ce sont tous les habitants de cet immeuble, le Bonbon Palace, à qui, à tour de rôle, un chapitre est consacré et qui tentent chacun à sa façon de se débarrasser de l'odeur de détritus qui leur pourrit la vie. Mais sont-ce réellement les poubelles qui encombrent l'espace qui sont responsables de ces miasmes?
Vous l'aurez compris, j'ai aimé, à ma grande surprise, et Elif Shafak, écrivain turque née à Strasbourg, mérite bien un détour.
(Elif Shafak, Bonbon Palace, Ed. Phébus.)
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