samedi 19 juillet 2008

Rencontre.

Ce soir, je dois rencontrer un blogueur. Première fois que cela arrive, le premier contact non virtuel s'étant déroulé au téléphone.

Cela me perturbe légèrement, en même temps j'en suis très heureux. Je ne peux pourtant m'empêcher d'être un peu nerveux. Je vais voir se matérialiser devant moi quelqu'un que je lis depuis un certain temps mais qui écrit peu et donc m'est encore passablement inconnu. Je l'imagine d'une certaine façon, il sera certainement d'une autre et c'est très bien. Tout à l'heure au téléphone, lorsque nous nous sommes fixé le rendez-vous, lui aussi avait l'air nerveux.

Pour moi, j'ai l'impression que je vais être nu devant un étranger: s'il a lu tout ce que j'ai écrit, il me connaît davantage que je ne le connais, je me suis confié, sans hésitation souvent, à cet écran. Je ne pensais pas qu'une rencontre se ferait aussi vite.

Étrangement, mais comme d'habitude, j'aurais beaucoup moins d'appréhension s'il s'agissait d'une femme. Je me fie à leur côté maternel, tendre et sans doute ai-je eu toujours plus de facilité à les "séduire" que les hommes. J'emploie "séduire" au sens d'établir rapidement un contact chaleureux et apaisé, empreint de confiance réciproque. Avec un homme, je suis plus tendu, plus bêtement sur la défensive, si c'est un hétéro pour me cacher, d'une certaine façon, si c'est un homo pour ne pas risquer le malentendu.

Une bonne occasion pour tenter d'être simple. Il fait chaud, je vais sans doute laisser la carapace à la maison.

Momentini.

Hier, en rentrant du lac, j'ai cueilli dans les friches avoisinantes un bouquet de fleurs champêtres. Je dirais du lilas sauvage s'il s'était agi d'un arbuste. Non, ce sont de grandes plantes à hampes très élancées et très peu résistantes qui produisent ces fleurs mauves apparentées, par leur forme et leur couleur, aux fleurs de lilas. L'odeur, elle, diffère. Aujourd'hui, mon appartement sent le miel et le pain d'épices.

Hier soir, longue conversation téléphonique avec Michel, l'ancien ami d'Amédé, qui vit maintenant depuis six ans à Paris. Au chômage depuis déjà longtemps, il a réussi un concours pour accéder à une formation poussée et sérieuse. Je suis surpris et heureux de sa fidélité. C'est toujours lui qui appelle, pourtant j'ai beaucoup de plaisir à ne pas le perdre de "vue". Parfois, je néglige certains de mes amis.

Sur le trottoir, tout à l'heure, deux femmes bavardent. Je les aperçois de loin. Devant elles, il y en a une troisième, dans un fauteuil roulant. L'une des valides appuie ses deux mains sur les épaules de l'infirme, sans doute pour la faire patienter. C'est le seul lien qui semble encore les relier. Sinon, l'infirme est solitaire, oubliée. Lorsque je m'approche, cette femme assise me paraît ressembler à ma mère: la même vieillesse, la même fragilité de corps, le même tassement contre le dossier, la même légère impudeur dans la robe un peu trop haut troussée. Les appuie-pieds relevés, elle a les deux pieds posés au sol, prête, dirait-on, à se lever. Les deux autres ne font pas attention à moi. Elle, elle me fixe et, au moment où je vais passer, me sourit d'un sourire édenté et me tend les bras, comme pour me dire: "Emmène-moi!". Je lui ai rendu comme j'ai pu son sourire mais de l'eau m'empêchait maintenant de la voir.

J'ai enfin rangé les chemises d'hiver dans des caisses en plastique et sorti les chemisettes d'été. J'en retrouve certaines, de Pierre, dans lesquelles je rentre maintenant. J'ai enlevé d'un cintre et plié la veste d'intérieur que Pierre a porté pendant toute sa maladie et dont je ne peux me défaire. Avant de la ranger, je l'ai essayée, bêtement, pour quoi faire? Je ne peux encore impunément m'égarer dans mes placards.

Toujours en rangeant ce placard, j'ai retrouvé un pantalon de ville dont les ourlets ont été marqués aux épingles de sûreté par Kikou et attendent encore d'être cousus. Je n'ai aucun souvenir de cet achat. Combien de choses mets-je ainsi entre parenthèses?

Je n'aime pas la mélancolie que je traîne depuis mon réveil et que la course autour du lac de Miribel n'a pas réussi à effacer ce matin.

vendredi 18 juillet 2008

Photos de Creuse.

Plutôt que de glisser maintenant les photos de Creuse dans les billets correspondants, les voici toutes réunies ici, avec les légendes nécessaires à la bonne compréhension.

Le "chalet": des nuits de onze heures!

L'église et son chapeau de pénitent.

La rue.

Une autre rue, au nom rare.

De la fenêtre du chalet, à l'est, soleil levant.

Les roses de Noëlle.

Bourganeuf. Qui peut me dire le rapport avec Jean Racine? (C'est une vraie question, un mini concours, si vous voulez, où l'on ne gagne rien.)

L'un de ses (ex)commerces.

Une des rares photos réussies du feu d'artifices.

Tantôt ça.

Tantôt ça.

Et parfois ça.

Mens sana in corpore sano.

Première journée à Lyon. Courses à Casino, déjeuner avec J., soleil à Miribel, visite à ma mère. Rien n'a changé.

Si, pourtant. J'ai découvert deux choses aujourd'hui:

- la première, en fait la deuxième dans l'ordre chronologique, c'est que ce n'est pas ma mère que je ne supporte pas, c'est son état.

- la deuxième concerne mon corps. Je n'ai pas trop l'habitude d'en parler mais, c'est une évidence, il a changé. Il y a trois ans, je pesais quatre-vingt trois kilos, je n'en étais qu'au début de la pratique de la course et j'avançais un sérieux petit ventre un peu trop proéminent à mon goût. Mes jambes étaient maigres et absolument pas musclées.

Aujourd'hui, la balance, dans les meilleurs jours, indique soixante-dix kilos (plus deux à ce retour de Creuse), tous ceux que je croise me disent que je suis trop maigre, que cela me vieillit et que ma fatigue s'en trouve accrue. Un autre changement de taille: je me découvre des muscles aux jambes, là où je n'imaginais même pas pouvoir en avoir un jour. Maintenant, j'ai des mollets, et c'est nouveau pour moi.

J'ai toujours dédaigné ce corps et paradoxalement je cherchais toujours, aux aguets, à déchiffrer le regard des autres sur moi. Longtemps, il s'est entretenu tout seul. Ensuite personne ne l'a plus entretenu.

Lorsque la maladie s'est attaquée à ceux qui m'entouraient, j'ai vu les ravages qu'elle pouvait faire en peu de temps, maigreur cadavérique pour certains, gonflement dû aux médicaments pour les autres, perte des cheveux, maladresse des mouvements. Et ce corps si malléable, si peu résistant, je l'ai méprisé encore davantage. C'est à cette époque que j'ai tondu mes cheveux, prétextant qu'ainsi je serais moins différent de moi-même le jour d'une chimio éventuelle. J'ai voulu lui faire mal aussi, dans l'effort extrême, je ne l'ai pas écouté quand il se plaignait. Ses plaintes masquaient les autres, celle du psychique qui commençait lui aussi à fatiguer. A partir de là, j'ai perdu tous les kilos superflus, et quelques autres.

Maintenant je pense avoir été bien orgueilleux de m'imaginer que le mental seul comptait et dirigeait l'être, lui en imposait. C'est faux, ne serait-ce que parce que ce que les autres voient de nous, c'est notre enveloppe extérieure et que d'elle, ils tirent des renseignements, même faux, sur notre identité profonde.
D'ailleurs comment le voit-on soi-même, son propre corps? Le voit-on réellement? Il a fallu ce miroir en pied, dans le chalet de Noëlle, pour qu'un soir, en me mettant au lit, je m'aperçoive, nu, entier. Et la fulgurance de l'apparition m'a montré pour quelques dixièmes de seconde mon corps sans doute comme les autres le voient et non comme j'ai l'habitude de l'interpréter.

Tout à l'heure, à la plage de Miribel, je regardais les autres hommes nus autour de moi. Des laids, des beaux à mes yeux, mais aux leurs? Le plus laid déambulait sans complexe aucun, fier sans doute de sa silhouette, alors que le plus beau n'avait peut-être pas conscience de sa beauté. Et moi, comment me voyaient-ils? Allaient-ils seulement au-delà de la barrière des cheveux blancs? A partir de ce corps qui commence à brunir, qu'imaginaient-ils que j'étais, alors que moi, profondément, je ne peux trouver mon identité que dans la peau blanche?

Nous ne sommes pas esprit et corps dissociés, nous ne sommes qu'un et le dépérissement de l'un entraîne inexorablement la chute de l'autre. Je crois qu'il faut aimer son corps aussi, ce que longtemps je n'ai pas su faire, la frénésie sexuelle ne constituant pas une preuve opposable, bien au contraire.

jeudi 17 juillet 2008

Chez moi.

Voilà. La boucle est bouclée. Les textes écrits dans le train ou dans le chalet, le soir, ont été tapés. Il faudra que j'y ajoute quelques photos prises pendant mon séjour et qui sont maintenant sur mon ordinateur. Tout à l'heure sans doute, après mon tour chez les autres.

Je crois que, cette année, pendant cette semaine, j'ai plus pensé à Pierre qu'il y a deux ans, paradoxalement. Nous l'avons même évoqué avec Noëlle et Gérard, avec Dominique. Elle m'a montré ces paroles de chanson de sa main. C'était possible cette fois-ci, ça ne l'était pas deux ans en arrière. A l'époque, j'enfouissais pour vivre, pour ne pas sombrer. L'enveloppe extérieure était intacte, à l'intérieur il y avait eu un ouragan mais, comme le fait un régime dictatorial, j'interdisais par mon attitude la moindre velléité d'y pénétrer. Aujourd'hui, les portes sont ouvertes, j'ai retrouvé suffisamment de points d'amarrage pour risquer le courant d'air. Mais le chemin n'est pas achevé. Je voulais écrire sur Pierre, je ne l'ai pas fait, hormis deux versions de notre rencontre.

J'ai retrouvé mon bureau, mon désordre, mes livres, mes carnets, mes pense-bêtes, mes crayons et les reproductions accrochées au cadre d'une vieille carte italienne de la région Rhône-Alpes, ces cartes postales, photos ou publicités que je change régulièrement. Depuis quelque temps, le visage d'Hanna Schygulla (invitation du Goethe-Institut à une rétrospective Fassbinder en 2005) voisine avec une très belle photo en noir et blanc de pieds d'homme enchaînés (Reporters sans frontières), un "sans titre" coloré de Keith Haring et le fond d'écran d'un ami d'Amédé qui, devant mon enthousiasme, me l'a tiré sur papier: sous une lumière rasante, deux sphères posées sur un support plat, l'une translucide, l'autre grumeleuse d'où sort une branche que l'on dirait de monnaie-du-pape, le tout en nuances de gris éclairé par une aura brumeuse sur la droite et les pétales jaunes du végétal à gauche. Il s'en dégage une atmosphère japonaise.

Il a fait tout à l'heure un gros orage sur Lyon. La température est agréable. Amédé m'a téléphoné: il commence sa chimio le 30 juillet. Bon moral. Demain, J. viendra sans doute déjeuner. J'ai reçu mon emploi du temps pour l'année scolaire à venir. Combien de bisous faudra-t-il que je fasse à Stéphane (et à Gilles, pourquoi pas?) pour les remercier? Si rien ne change, j'aurai cette année encore trois après-midis que je pourrai entièrement consacrées à autre chose qu'à l'éducation de la jeunesse française. Ecriture, photo, sport, amour? Tout ça? Pourquoi pas, je suis gourmand. Un programme qui me tente bien!

Guéret-Lyon (2).

Gare de Lavaufranche. Le train ne s'arrête pas, ne fait même pas mine de freiner. J'ai à peine le temps de lire le nom sur la plaque. La maison la plus proche des voies est abandonnée, son toit effondré. Seules restent intacts les murs, les beaux murs de pierres égales.

Depuis la gare de Commentry, c'est le jeu des chaises musicales. Le groupe d'enfants n'a visiblement pas retenu ses places et les nouveaux voyageurs trouvent leur siège occupé. D'où déplacements, cris, rires. C'est la deuxième valise que je soulève. Décidément, les mamies ont confiance en mes petits bras musclés. Je préfère ça à l'aller, où l'on m'avait proposé le même service.

Est-ce que nous ressemblions à ces accompagnateurs, Evelyne et moi, quand nous organisions nos voyages? En fait, nous ne prenions pas le train, nous avions un bus à nous pour partir en Italie. Mais lorsque nous prenions l'avion pour Athènes? Il me semble que nous étions plus sévères. L'organisateur âgé a de plus en plus de mal à court-circuiter l'agitation, l'excitation d'un groupe de quatre.

A côté, la mamie bavarde a trouvé à qui parler. Les "deux valises" ont sympathisé rapidement. Elles parlent à tour de rôle. Sage précaution, il me semble. Le train secoue davantage qu'à l'aller, rendant mon écriture plus illisible encore. L'homme brun aux lunettes noires s'est réveillé mais je ne le vois pas mieux, au contraire. Malgré le ciel très nuageux, il garde ses lunettes.

Il y a bien un semblant de ville autour de Gannat. Je viens de me souvenir qu'un couple de mes amis y a vécu quelques années avant de prendre la direction du midi. Il me tarde d'être ce soir. Boulimie de l'ordinateur, dans mon bureau cette fois-ci. Et puis mon nouvel emploi du temps doit être arrivé. Tous ces repas à midi avec J. cette année! Je sais bien que cela n'est pas reproductible. Cette simple idée me donne chaud au visage. Des angoisses non encore expulsées. Cette nuit, je me suis réveillé à quatre heures. Je savais que je devais rentrer.

Noëlle doit être chez elle depuis longtemps maintenant, après ses courses. Dans la voiture, elle m'a dit que j'avais changé, pas seulement physiquement. Plus tranquille, plus serein qu'il y a deux ans. Et, en même temps, je lui donne l'impression de vivre une deuxième adolescence. J'ai donc l'air si gamin dans mes enthousiasmes et mes moments de flottement? Elle m'a dit cela en réponse à la question que je lui avais posée. Elle m'a posé la même et je lui ai répondu.

Roanne. Je retrouve un univers plus familier. Le film se déroule à l'envers: l'église rouge, la Loire, la station-essence abandonnée. J'ai le sensation d'entrer dans de vieux vêtements, à la fois coutumiers et formés au corps, et trop souvent portés, indécents d'habitudes et de compromis.

Gestes délicats de la toute jeune fille qui est ma voisine immédiate depuis Montluçon ou Commentry, je ne me souviens pas. Elle croque un biscuit en veillant à ne pas en répandre les miettes. Au moment où je regarde ses doigts si fins, elle surprend mon regard et me propose de partager son goûter. Non, pas de goûter. J'essaie, pour refuser, de mettre autant de délicatesse dans ma voix qu'elle en montre dans ses gestes.

Nous entrons dans la zone des collines rapprochées. De l'autre côté, c'est la Saône puis Lyon. Je m'arrête d'écrire.

Guéret-Lyon (1).

(Cet après-midi)

Je viens de quitter Noëlle sur le quai de la gare. Le wagon est rempli d'enfants revenant d'un camp ou d'un voyage. L'accompagnateur semble trop vieux pour goûter aux joies de la vie sous tente. Quelqu'un a un parfum que je n'aime pas, heureusement pas assez fort pour m'écoeurer totalement. Il me rappelle celui synthétique de la bombe que nous utilisions dans les toilettes quand mon père était malade: senteur agrumes. Depuis je ne peux plus le respirer sans que naisse la nausée.

En face de moi, une vieille dame, modèle enveloppée, cheveux tirant sur le violet, essaie par tous les moyens d'entrer en conversation avec moi ou l'un quelconque de ses voisins. J'ai hissé sa valise jusqu'au porte-bagages. Elle vient de me demander si j'étais creusois. Je fais tout pour éviter l'avalanche de paroles qui menace de m'engloutir. Devant mon relatif mutisme, elle sort , heureusement, un livre de son sac. Les enfants jouent à se raconter des énigmes. Une fille, un peu plus formée physiquement, essaie son pouvoir de séduction sur moi. Outre l'âge qui demande à mûrir, il faudrait, pour avoir la moindre chance, qu'elle arrête de ruminer son chewing-gum la bouche ouverte.

Hier soir, apéritif prolongé chez Francis et Dominique, comme autrefois. Nous avons ri, beaucoup parlé, littérature, politique, religion, infos locales. Dominique a ressorti une feuille de papier un peu jaunie, pliée en quatre, où Pierre, en Juillet 97, lui avait recopié les paroles de la "buona polenta" que nous chantions systématiquement à tue-tête à chacune de nos agapes. Il avait dû écrire cela en fin de soirée, après moult ti'punchs car il a dédicacé cette page aux "creuseoits". Cette double faute d'orthographe m'a ému plus que tout le reste.

Ce matin, personne au presbytère. J'ai laissé un mot sur la table, pour les remercier. Ils ont maintenant l'adresse de mon blog. Dominique y est venu faire un tour hier après-midi. Pourquoi pas? Maintenant, que des gens que je connais lisent ce que j'écris ne me gêne plus. Elle m'a dit qu'elle y reviendrait.

Tout au fond du wagon, un homme jeune, brun, légèrement frisé, semble dormir derrière ses lunettes de soleil. Je n'aperçois que le haut de son visage au-dessus des appuie-tête, mais le reste m'est révélé par le reflet dans la vitre extérieure. Il est beau. Pourquoi ces verres trop sombres qui empêchent de voir les yeux? Un homme sans regard.
( à suivre.)