jeudi 1 octobre 2020

Sentinelles

Enfant, j'ai toujours eu avec les arbres un rapport complexe. Je les trouvais beaux, particulièrement les solitaires, ceux qui s'élèvent sur l'horizon d'un pré ou d'une colline,  mais en même temps ils m'impressionnaient : je n'ai jamais réussi à y grimper, contrairement à mon petit frère qui filait comme un singe entre leurs branches. Pour me consoler, ma mère me disait parfois : "C'est que tu as le derrière plus lourd que la tête", ce que ma vie entière a totalement démenti. 

Mon préféré n'était pas le plus beau  mais le plus accessible : tout au fond du jardin, un prunier à reines-claudes adossé au muret de clôture par où je pouvais facilement accéder aux branches les plus basses. Le moment venu, nous allions  manger les prunes sur l'arbre, gorgées de sucre et de soleil, les disputant aux guêpes attirées par leur nectar. 

Des fruitiers, il y en avait d'autres : dans le jardin, un petit cerisier dont l'écorce m'intriguait et un vieux cognassier aux fruits velus. Et, dans le pré "d'en haut" (tiens, un point commun avec Colette), trois poiriers, tout en haut, alignés comme des gardiens de la propriété et fournissant trois variétés de poires différentes, dont deux seulement étaient mangeables à la main. 

Tous ceux-là ne m'impressionnaient pas : pas de mystère avec eux, je savais exactement quand et quoi ils allaient nous fournir et les plaisirs que je pouvais en tirer. Les autres, ils auraient fallu les apprivoiser. 

Le grand noyer dans le pré "d'en bas" dont on ne nous a jamais fait accroire que l'ombre était dangereuse et où mon père avait fixé une balançoire, véritable lieu de supplice pour une de mes sœurs que nous nous amusions à pousser trop fort.   

L'acacia, au bord de la route que je me réservais malgré ses épines blessantes parce que j'aimais lire cerné par le parfum de ses fleurs. Jusqu'au jour où ma mère me vit revenir totalement enivré et m'interdit ce refuge. J'avais dû lire trop longtemps ...

La forêt vierge du "barrage", traversée par un petit ruisseau presque à sec en été. C'est là que nous construisons  nos cabanes et que nous retrouvâmes une nuit les pintades endormies. Officiellement, le lieu nous était interdit, ce qui le rendait encore plus mystérieux. 

Les châtaigniers centenaires face à la maison où nous allions, en automne, cueillir des champignons et fendre les bogues à coup de talon pour en extraire les fruits sans danger. La  vieille qui en était propriétaire, une femme acariâtre qui habitait au bourg, à quelques kilomètres, et ne ramassait jamais les châtaignes, fit un jour installer un parc électrique, sans doute avec la seule intention de nous enquiquiner. Fiasco complet  nous trouvions toujours un passage par où nous faufiler. 

Mais ceux que je respectais le plus, c'étaient les deux peupliers , juste au virage après la maison, virage si prononcé que quelques conducteurs du village un peu trop avinés les côtoyèrent de très près avant de finir leur course dans le pré "d'en bas", où parfois nous les retrouvions, le matin, ronflant comme des bienheureux. Ces arbres me plaisaient par leur taille, immense, leurs feuilles changeantes au vent et l'odeur de pourriture qui s'en dégageait une fois la pluie venue. La maison a été détruite,  le pré "d'en bas" a disparu, remplacé par un miteux terrain de sports, la route maintenant passe de chaque côté (seul sens unique du hameau  !) mais eux sont toujours là aujourd'hui. Quel âge ont-elles, ces sentinelles de mon enfance ?

7 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

Nous, pour la balançoire, on avait le cerisier de mon grand père.
Il y avait les cerises bien rouges et la glu qu'on récupérait pour faire de la colle.
Et quand la grand mère arrivait, on avait plaisir à traîner les pieds dans la terre sèche pour la faire enrager en faisant voler un maximum de poussières !
En face il y avait la cabane aux lapins.
Et dans un coin, un peu à l'ombre, de la rhubarbe qu'on grignotait crue avec un peu de sucre dans le fond d'un pot de yaourt sulfurisé.
Les dits pots de yaourt, reliés par une ficelle nous servaient aussi de téléphone ...

Cornus a dit…

Ah, c'est amusant, j'aurais pu écrire un truc du genre sur certains arbres qui m'ont marqué. D'ailleurs, je le ferais sans doute un jour.
L'histoire de la "toxicité" du noyer est encore assez vivace. Il y a un peu de vrai (phénomène d'allélopathie notamment), mais c'est bien entendu très exagéré.
Veux-tu dire que les peupliers dont tu parles sont des Peupliers d'Italie (qui n'ont rien d'italiens entre parenthèses) sont encore en place aujourd'hui ? Ils doivent être assez géants ? Je sais que le Peuplier noir (le vrai indigène des bords de Loire notamment) peut atteindre une longévité maximale de 180 ans.

plumequivole a dit…

Ah tiens, moi aussi c'était dans le prunier que je grimpais !

karagar a dit…

J'ai une vénération pour les arbres, aucun paysage ne me parait triste, ni même le temps le plus maussade, s'il y a des des arbres dans ma ligne de mire. Mais curieusement, contrairement à beaucoup de mes nombreuses passions dont je peux trouver facilement les racines dans mon enfance, je n'ai aucun souvenir liés à eux de cette époque. Mon amour des arbres est définitivement de l'âge adulte.

Calyste a dit…

Chroum : tiens, moi aussi j'ai connu les pots de yaourts transformés en téléphone !

Cornus : je pensais justement à toi en écrivant cet article ! Oui, ces deux peupliers sont immenses mais ne me demande pas s'ils sont d'Italie ou d'ailleurs.

Plume : là, je faisais un petit effort, à cause du goût des prunes !

Karagar : tiens ! Pourtant, un arbre, c'est marquant quand on est enfant.

Cornus a dit…

Calyste> Pourtant, un Peuplier d'Italie (Populus nigra subsp. nigra var. italica Duroi), c'est facile à reconnaître : port fastigié, fusiformjavascript:void(0)e, en flamme...

Calyste a dit…

Cornus : comme tu dis !