mercredi 19 avril 2023

L'étranger

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère
décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures
et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours
de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air
content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais
pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses
condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est
un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée
et tout aura revêtu une allure plus officielle.

Début de L’Étranger, d'Albert Camus.  

2 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

Il fut un temps où je connaissais par coeur ce début !

Calyste a dit…

Chroum : un des incipits les plus connus de la littérature française, avec "Longtemps, je me suis couché de bonne heure."