samedi 31 décembre 2011
vendredi 30 décembre 2011
Le vert paradis des amours enfantines
Ils étaient trois: Freddy, Henny et Nello, trois qui m'ont fait hurlé de rire quand j'étais gosse. Quel jour pouvais-je les voir à la télévision et dans quelle émission? Je ne m'en souviens pas, peut-être La Piste aux Étoiles. Ce dont je me souviens, c'est seulement des moments de plaisir qu'ils me firent passer avant que je ne grandisse et que je ne les oublie.
Freddy est mort en 88, Nello en 2000, et elle, Henny la plantureuse le 24 décembre 2011, le même jour que Cheetah à qui je dois aussi tant de fous rires. Trois clowns, des grands qui semblent bien oubliés aujourd'hui puisqu'aucune vidéo de leurs numéros n'est disponible sur Internet.
Leur nom: les Bario. Souvenez-vous.
Freddy est mort en 88, Nello en 2000, et elle, Henny la plantureuse le 24 décembre 2011, le même jour que Cheetah à qui je dois aussi tant de fous rires. Trois clowns, des grands qui semblent bien oubliés aujourd'hui puisqu'aucune vidéo de leurs numéros n'est disponible sur Internet.
Leur nom: les Bario. Souvenez-vous.
J - 2
Tiens, la fin de l'année! Comme d'habitude, je ne l'ai pas vu arriver celle-là. Heureusement que la "délicieuse" Catherine Laborde nous l'a rappelé fort à propos en présentant la météo aujourd'hui, entre deux gros nuages gris!
Le presque terme de la prochaine sonnera l'heure de ma soixantaine, que j'annonce déjà lorsqu'on me demande mon âge. J'aime bien prendre de l'avance et m'habituer à l'événement. Les autres dizaines ne m'ont pas particulièrement perturbé. Qu'en sera-t-il de celle-ci? Probablement la même chose, à moins que la proximité de la cessation d'activité ne vienne y fourrer son grain de sel.
Pas de bilan, pas de résolutions particulières. A quoi cela servirait-il? On se contente d'avancer, un pas, puis l'autre, parfois décidé, parfois hésitant, parfois sautillant, parfois lourd et empêtré. L'essentiel, c'est d'avancer en évitant de trop regarder en arrière et en privilégiant ce qui reste à parcourir.
Le presque terme de la prochaine sonnera l'heure de ma soixantaine, que j'annonce déjà lorsqu'on me demande mon âge. J'aime bien prendre de l'avance et m'habituer à l'événement. Les autres dizaines ne m'ont pas particulièrement perturbé. Qu'en sera-t-il de celle-ci? Probablement la même chose, à moins que la proximité de la cessation d'activité ne vienne y fourrer son grain de sel.
Pas de bilan, pas de résolutions particulières. A quoi cela servirait-il? On se contente d'avancer, un pas, puis l'autre, parfois décidé, parfois hésitant, parfois sautillant, parfois lourd et empêtré. L'essentiel, c'est d'avancer en évitant de trop regarder en arrière et en privilégiant ce qui reste à parcourir.
jeudi 29 décembre 2011
On connait leur nom
Mais retrouverez-vous les prénoms de ces célèbres dessinateurs français dont certains sont belges?
1- Sempé
2- Hergé
3- Serre
4- Franquin
5- Robida
6- Dubout
Et, beaucoup plus difficile, le vrai nom de ces quatre derniers?
7- Grandville
8- Morris
9- Plantu
10- Peyo
Et l'on ne triche pas, per favore!
1- Sempé
2- Hergé
3- Serre
4- Franquin
5- Robida
6- Dubout
Et, beaucoup plus difficile, le vrai nom de ces quatre derniers?
7- Grandville
8- Morris
9- Plantu
10- Peyo
Et l'on ne triche pas, per favore!
Les pets de la dame au cleps
J'aime toujours beaucoup jouer avec les mots. Bruno Mazure s'y essayait souvent lui aussi au JT de 20 heures: à propos d'une alliance des écolos allemands avec un autre parti germanique, il avait osé: "Aujourd'hui, en Allemagne, les verts ne sont plus solitaires"!
Mais les perles les plus drôles sont souvent dues à des gens qui ne le font pas exprès. Je citais en commentaire chez Caly ce journaliste qui avait déclaré un jour sur Inter: "La grève des marins pêcheurs constitue pour l'économie une perte sèche qu'il sera difficile d'éponger". J'avais parlé aussi de cette collègue qui voulait à tout prix qu'un élève un peu flemmard "prenne le cheval par les cornes".
Mais la plus belle, je l'ai entendu aujourd'hui: "Ils veulent jeter le bébé avec l'eau du boudin". Mignon, non ?
Mais les perles les plus drôles sont souvent dues à des gens qui ne le font pas exprès. Je citais en commentaire chez Caly ce journaliste qui avait déclaré un jour sur Inter: "La grève des marins pêcheurs constitue pour l'économie une perte sèche qu'il sera difficile d'éponger". J'avais parlé aussi de cette collègue qui voulait à tout prix qu'un élève un peu flemmard "prenne le cheval par les cornes".
Mais la plus belle, je l'ai entendu aujourd'hui: "Ils veulent jeter le bébé avec l'eau du boudin". Mignon, non ?
mercredi 28 décembre 2011
Et un peu de musique, ça vous dirait ? (66)
Georges Bizet, Carmen. Je dis que rien ne m'épouvante. (Micaëla: Andrea Guiot)
Quête incertaine
Elle était encore assise à sa table et, à ma question, répondit qu'elle allait mieux. Lorsque je sortis pour fumer une cigarette, elle ne me suivit pas. Pourtant, par la baie vitrée, je la vis bientôt fouiller avec difficulté les poches de sa grosse veste, à la recherche de son paquet. Elle m'apparaissait de dos, debout puis bientôt assise à nouveau sous la dureté de l'effort. Elle cherchait à l'aveuglette, jusque dans les manches qu'elle explora méticuleusement. Elle parut un moment abandonner puis reprit sa quête en étalant le vêtement sur la table, ses vieux doigts lissant le tissu molletonné. Elle ne trouvait rien. J'eus envie de l'aider, de lui offrir une de mes Dunhill, mais je ne le fis pas. On vient, sur ordre médical, de lui imposer une réduction de sa consommation. Lorsque je retraversai la pièce, elle me fit en silence un maigre sourire désolé.
Il avait du chien, ce singe !
La veille de Noël, Cheetah a rejoint Tarzan au paradis des vedettes défuntes. Je la croyait morte depuis longtemps, ou plus exactement je "le" croyait mort, car je viens d'apprendre seulement aujourd'hui que c'était un mâle. Lorsque j'étais enfant, j'adorais ce singe qui savait se tenir droit comme un homme et ne se privait pas de rire à l'occasion. Combien de fois l'ai-je imité pour faire se tordre mes frère et sœurs. Et même si l'on n'est pas sûr que ce soit le bon, je ferai comme si. Il avait du chien, ce chimpanzé!
Alors, j'espère qu'elle trouvera là haut autant de lianes à enlacer tandis que Johnny poussera son cri qui sut séduire Maureen.
Alors, j'espère qu'elle trouvera là haut autant de lianes à enlacer tandis que Johnny poussera son cri qui sut séduire Maureen.
mardi 27 décembre 2011
Les journées inutiles
De celles qui se traînent dans la grisaille d'un ciel qui ne connait plus la neige enfantine ni les émerveillements de Cosette devant la poupée de la vitrine. Des journées d'une année qui n'en finit pas de mourir comme un vieux dans un hospice alors que ses radotages n'intéressent plus personne. Des journées à mettre dans des boîtes hermétiquement fermées et à jeter, lestées, tout au fond de la Neva qui les prendra dans ses glaces. Des journées qui n'ont rien à offrir qu'un indicible ennui, où tous les visages se ressemblent comme des portes refermées, où le bouleau d'en face paraît encore plus triste sans ses feuilles à terre. Des journées où l'on voudrait dormir et où l'on ne le peut pas.
Et le téléphone qui sonne, et la vie qui reprend. Sous la couche de glace, l'eau coulait encore, en silence.
Et le téléphone qui sonne, et la vie qui reprend. Sous la couche de glace, l'eau coulait encore, en silence.
lundi 26 décembre 2011
Inconnu de père (8)
Ce fut Pierre qui me réconcilia avec mon père en même temps qu'il m'ouvrit un peu les yeux sur l'énorme possessivité de ma mère. Le courant passa tout de suite entre ces deux-là. Mon père appréciait la simplicité de Pierre et le fait qu'il s'agisse d'un intellectuel ne le rebuta jamais. J'appris ainsi qu'il s'intéressait à des tas de choses dont j'étais loin de supposer qu'elles lui soient connues. Si je venais seul rendre visite à mes parents, il s'étonnait de son absence, au point même que parfois sa question rituelle "Pierre n'est pas là ?" me rendit jaloux de cette proximité.
Peu à peu, je reconsidérai mon jugement sur cet homme que j'avais jugé plus frustre qu'il n'était en réalité. Cette remise en question de mes certitudes avait été précédé d'un événement qui m'avait troublé au point de me bouleverser. Lorsque l'on enterra Yvon, de retour à la maison, il ne prononça pas un mot, ça n'a jamais été son défaut de trop s'exprimer, mais il me tapota tendrement l'épaule. Tout était dit, dans son langage à lui mais que je sus pour la première fois décrypter.
Plusieurs années plus tard, alors que mes parents avaient l'intention d'acheter une maison de campagne (ce qu'ils ne firent finalement jamais), il m'emmena sur place et me demanda mon avis sur la bâtisse. J'existais, à mes yeux et aux siens. Je crois que ces deux simples faits ont plus contribué à nous rapprocher qu'un long discours ou de trop difficiles explications. Nous étions face à face, non plus comme deux ennemis mais comme deux hommes qui s'aimaient.
J'eus l'occasion de le vérifier au moment de sa maladie. Alors que j'allais lui rendre visite à l'hôpital, il me fit comprendre qu'il n'était pas dupe et qu'il n'attendait rien de son traitement. Il me parla également longuement de lui, évoquant quelques souvenirs d'enfance et, sous l'effet des médicaments, me prenant parfois pour son frère. Il me parla aussi de sa vie avec ma mère, qu'il chérissait mais qui l'étouffait. La nuit où il mourut, j'étais seul avec lui. Je continue à considérer que ce n'était pas un hasard. Il était la première personne que je voyais s'en aller et j'assistai calmement à ses derniers instants. Ce souvenir ne me traumatise pas, comme l'a fait celui de la mort de Pierre pendant longtemps. Je considère au contraire que cette ultime rencontre est un des plus beaux cadeaux que la vie m'ait faite.
J'ai éprouvé le besoin d'écrire ces textes, que certains trouveront sans doute impudiques, après une promenade, seul, un dimanche d'hiver, dans le village de mon enfance. J'ai eu ce jour-là l'impression qu'il m'accompagnait dans mon errance et que, dans la paix retrouvée, je lui devais bien ce témoignage d'amour.
Peu à peu, je reconsidérai mon jugement sur cet homme que j'avais jugé plus frustre qu'il n'était en réalité. Cette remise en question de mes certitudes avait été précédé d'un événement qui m'avait troublé au point de me bouleverser. Lorsque l'on enterra Yvon, de retour à la maison, il ne prononça pas un mot, ça n'a jamais été son défaut de trop s'exprimer, mais il me tapota tendrement l'épaule. Tout était dit, dans son langage à lui mais que je sus pour la première fois décrypter.
Plusieurs années plus tard, alors que mes parents avaient l'intention d'acheter une maison de campagne (ce qu'ils ne firent finalement jamais), il m'emmena sur place et me demanda mon avis sur la bâtisse. J'existais, à mes yeux et aux siens. Je crois que ces deux simples faits ont plus contribué à nous rapprocher qu'un long discours ou de trop difficiles explications. Nous étions face à face, non plus comme deux ennemis mais comme deux hommes qui s'aimaient.
J'eus l'occasion de le vérifier au moment de sa maladie. Alors que j'allais lui rendre visite à l'hôpital, il me fit comprendre qu'il n'était pas dupe et qu'il n'attendait rien de son traitement. Il me parla également longuement de lui, évoquant quelques souvenirs d'enfance et, sous l'effet des médicaments, me prenant parfois pour son frère. Il me parla aussi de sa vie avec ma mère, qu'il chérissait mais qui l'étouffait. La nuit où il mourut, j'étais seul avec lui. Je continue à considérer que ce n'était pas un hasard. Il était la première personne que je voyais s'en aller et j'assistai calmement à ses derniers instants. Ce souvenir ne me traumatise pas, comme l'a fait celui de la mort de Pierre pendant longtemps. Je considère au contraire que cette ultime rencontre est un des plus beaux cadeaux que la vie m'ait faite.
J'ai éprouvé le besoin d'écrire ces textes, que certains trouveront sans doute impudiques, après une promenade, seul, un dimanche d'hiver, dans le village de mon enfance. J'ai eu ce jour-là l'impression qu'il m'accompagnait dans mon errance et que, dans la paix retrouvée, je lui devais bien ce témoignage d'amour.
Cuisine romaine
Hier, je parlais de synesthésies ou de correspondances, pour employer un mot plus littéraire. Il en est une qui m'a toujours intrigué et que je n'ai jamais réussi à élucider, associant un geste quotidien et un souvenir insignifiant.
Pendant des années, chaque fois que je me lavais les mains dans ma cuisine, au contact de l'eau ce souvenir me revenait immanquablement. Il s'agissait d'une rencontre fortuite à Rome, il y a des années de cela. En séjour là-bas, nous venions avec Pierre de visiter les trois niveaux de la Basilique Saint-Clément, tout près du Colisée, et nous apprêtions à sortir par le cloître lorsque, par inadvertance, je frôlai le bras d'un homme qui voulait faire de même. En me retournant vers lui pour m'excuser, je reconnus notre voisin de l'époque, venu lui aussi visiter la Ville avec sa femme. S'ensuivit un moment de conversation anodine et sympathique, chacun étant surpris du hasard qui nous avait fait nous rencontrer dans une métropole aussi importante.
Aucun rapport avec l'eau donc, encore moins avec une cuisine. Alors pourquoi ce réflexe pavlovien et pourquoi aussi longtemps? Je ne le sais toujours pas. Lorsque j'ai entrepris des travaux dans mon appartement et rénové la cuisine, cette association a disparu. Ce n'est que cet après-midi qu'elle a ressurgi d'un coin ténébreux de mon inconscient. Allez comprendre!
Pendant des années, chaque fois que je me lavais les mains dans ma cuisine, au contact de l'eau ce souvenir me revenait immanquablement. Il s'agissait d'une rencontre fortuite à Rome, il y a des années de cela. En séjour là-bas, nous venions avec Pierre de visiter les trois niveaux de la Basilique Saint-Clément, tout près du Colisée, et nous apprêtions à sortir par le cloître lorsque, par inadvertance, je frôlai le bras d'un homme qui voulait faire de même. En me retournant vers lui pour m'excuser, je reconnus notre voisin de l'époque, venu lui aussi visiter la Ville avec sa femme. S'ensuivit un moment de conversation anodine et sympathique, chacun étant surpris du hasard qui nous avait fait nous rencontrer dans une métropole aussi importante.
Aucun rapport avec l'eau donc, encore moins avec une cuisine. Alors pourquoi ce réflexe pavlovien et pourquoi aussi longtemps? Je ne le sais toujours pas. Lorsque j'ai entrepris des travaux dans mon appartement et rénové la cuisine, cette association a disparu. Ce n'est que cet après-midi qu'elle a ressurgi d'un coin ténébreux de mon inconscient. Allez comprendre!
dimanche 25 décembre 2011
Pages marquantes (23)
Dans un village de la Manche, du nom duquel je ne me veux souvenir, demeurait, il n’y a pas longtemps, un gentilhomme de ceux qui ont lance au râtelier, targe antique, roussin maigre et lévrier bon coureur. Une marmite, avec un peu plus de bœuf que de mouton, un saupiquet la plupart du temps à souper, des œufs et du lard les samedis, des lentilles le vendredi et quelque pigeonneau de surcroît les dimanches, consommaient les trois parts de son bien. Le reste s’employait en une saie de fin drap et en des chausses de velours pour les fêtes, avec ses pantoufles de même, et les jours ouvriers il se parait de son gris de minime des plus fins. Il avait en sa maison une gouvernante qui passait quarante ans, une nièce qui n’en avait pas encore vingt, et un valet bon pour les champs et pour la place, lequel sellait aussi bien le roussin comme il prenait la serpe. L’âge de notre gentilhomme frisait la cinquantaine. Il était de forte complexion, sec de corps et maigre de visage, fort matineux et grand amateur de la chasse.
(Miguel de Cervantes, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Trad. de César Oudin (1614), premier traducteur.)
(Miguel de Cervantes, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Trad. de César Oudin (1614), premier traducteur.)
Enfantillages
Ça y est: j'ai encore craqué. Chaque année, ça me reprend à Noël. Je ne peux pas m'en empêcher. J'ai beau me dire: "Tu es adulte, tu es trop vieux maintenant", chaque fois je replonge. Il me faut ma dose d'enfantillages. Alors, ce soir, après une journée bien rude, allez hop! sur mon vieux canapé (dont j'aurai bien du mal à me débarrasser), sous le plaid, la tête sur un oreiller de vraies plumes, j'ai plongé dans un de mes vices favoris: j'ai regardé Mary Poppins à la télévision.
Décors de carton pâte, couleurs acidulées, musique sirupeuse, bons sentiments à la truelle, tout y est, comme dans un gâteau au chocolat que l'on apprécie si l'on n'en est pas totalement écœuré. Et je ne suis pas écœuré! Parce qu'il y a la musique, parce qu'il y a les couleurs, parce qu'il y a les incrustations des dessins animés, parce que je ne goûte plus beaucoup les films que tournent les studios Disney,mais celui-là si.
Et puis, pour quelqu'un qui aime les mots, supercalifragilisticexpialido-cious, ça demande que l'on s'y arrête, non? Je sais, c'est surprenant, mais je suis comme ça aussi.
Décors de carton pâte, couleurs acidulées, musique sirupeuse, bons sentiments à la truelle, tout y est, comme dans un gâteau au chocolat que l'on apprécie si l'on n'en est pas totalement écœuré. Et je ne suis pas écœuré! Parce qu'il y a la musique, parce qu'il y a les couleurs, parce qu'il y a les incrustations des dessins animés, parce que je ne goûte plus beaucoup les films que tournent les studios Disney,mais celui-là si.
Et puis, pour quelqu'un qui aime les mots, supercalifragilisticexpialido-cious, ça demande que l'on s'y arrête, non? Je sais, c'est surprenant, mais je suis comme ça aussi.
Synesthésies
Associer une lettre à une couleur, on en connait un exemple célèbre avec Rimbaud dans son poème Voyelles: "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu...". Evoquer un personnage par un instrument de musique, Prokofiev l'a fait avec Pierre et le loup: l'oiseau est la flute, le canard le hautbois, le chat la clarinette et le Grand-Père le basson; les instruments à cordes évoquent Pierre et les trois cors le grand loup gris.
Je fais souvent ce genre d'identifications involontaires: le vendredi est pour moi un jour jaune et le samedi un rouge, le mercredi m'apparaît translucide. Pour les mots, les mots entiers, c'est la même chose mais l'évocation est si fugace, tant la phrase se déroule vite, que je ne saisis que rarement l'impression ressentie. Il m'arrive d'oublier le sens de ce que je lis pour naviguer un instant dans un tourbillon de sensations. Le timbre d'une voix m'emmène aussi souvent loin de celui qui me parle. Souvenirs évoqués, rêves éveillés, frissons sur la peau, parfois mais rarement comme un goût dans la bouche, amer ou délectable.
Un de mes professeurs d'université m'avait dit un jour, d'un ton ressenti comme méprisant et qui l'était sans doute, que, pour lui, j'étais un "impressionniste". Aujourd'hui, je crois qu'il n'avait pas tord mais, loin de me gêner, cette façon de voir et de sentir me satisfait comme un plat savoureux dont on perçoit sous la langue les subtils ingrédients.
Je fais souvent ce genre d'identifications involontaires: le vendredi est pour moi un jour jaune et le samedi un rouge, le mercredi m'apparaît translucide. Pour les mots, les mots entiers, c'est la même chose mais l'évocation est si fugace, tant la phrase se déroule vite, que je ne saisis que rarement l'impression ressentie. Il m'arrive d'oublier le sens de ce que je lis pour naviguer un instant dans un tourbillon de sensations. Le timbre d'une voix m'emmène aussi souvent loin de celui qui me parle. Souvenirs évoqués, rêves éveillés, frissons sur la peau, parfois mais rarement comme un goût dans la bouche, amer ou délectable.
Un de mes professeurs d'université m'avait dit un jour, d'un ton ressenti comme méprisant et qui l'était sans doute, que, pour lui, j'étais un "impressionniste". Aujourd'hui, je crois qu'il n'avait pas tord mais, loin de me gêner, cette façon de voir et de sentir me satisfait comme un plat savoureux dont on perçoit sous la langue les subtils ingrédients.
samedi 24 décembre 2011
Films culte (10)
La Vie est belle, Frank Capra, 1946
"Rappelle-toi qu'aucun homme qui a des amis n'est un raté. Merci pour les ailes."
"Remember no man is a failure who has friends. Thanks for the wings."
Bon Noël à tous.
"Rappelle-toi qu'aucun homme qui a des amis n'est un raté. Merci pour les ailes."
"Remember no man is a failure who has friends. Thanks for the wings."
Bon Noël à tous.
vendredi 23 décembre 2011
Momentini de Noël (suite)
- Place Bellecour cet après-midi. Le café où le Goncourt de cette année a été en grande partie écrit. Tout près, la librairie où j'achète habituellement mes lectures. Près de la table à paquets cadeaux, en piles sur le sol, le roman primé début novembre. La culture ne bouillonne plus, elle s'entasse, comme les bourriches d'huîtres, avec la même espérance de vie.
- Un calendrier de l'Avent pour chien! Et ça se vend très bien, paraît-il.
- Librairies, parfumeries, bijouteries vides ou peu s'en faut. En revanche, les vendeurs de gadgets merdiques ont l'air de faire fortune.
- Le marché de Noël de la place Carnot. Quel rapport avec Noël, à part les chapeaux rouges clignotants?!!! Traversé sans encombre, alors que je n'avais pas pu y pénétrer il y a quelques années. Les gens ont-ils fini par comprendre?
- Un calendrier de l'Avent pour chien! Et ça se vend très bien, paraît-il.
- Librairies, parfumeries, bijouteries vides ou peu s'en faut. En revanche, les vendeurs de gadgets merdiques ont l'air de faire fortune.
- Le marché de Noël de la place Carnot. Quel rapport avec Noël, à part les chapeaux rouges clignotants?!!! Traversé sans encombre, alors que je n'avais pas pu y pénétrer il y a quelques années. Les gens ont-ils fini par comprendre?
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Voltaire et Casanova
Vu ce soir La Bibliothèque Médicis consacrée à Giacomo Casanova dont le manuscrit des Mémoires vient d'être acquis par la BNF. J'y apprends que le Vénitien, au cours de ses nombreux voyages, a rencontré Voltaire à Genève en 1760. Extrait de Histoire de ma vie (chap.III) sur cette entrevue:
- Voici, Monsieur de Voltaire, lui dis-je, le plus beau moment de ma vie. Il y a vingt ans que je suis votre élève, et mon cœur est plein de joie du bonheur que j'ai de voir mon maître.
- Monsieur, honorez-moi encore pendant vingt ans, et promettez-moi au bout de ce temps de m'apporter mes honoraires.
- Bien volontiers, pourvu que vous me promettiez de m'attendre.
Quand l'esprit soufflait sur les mots...
- Voici, Monsieur de Voltaire, lui dis-je, le plus beau moment de ma vie. Il y a vingt ans que je suis votre élève, et mon cœur est plein de joie du bonheur que j'ai de voir mon maître.
- Monsieur, honorez-moi encore pendant vingt ans, et promettez-moi au bout de ce temps de m'apporter mes honoraires.
- Bien volontiers, pourvu que vous me promettiez de m'attendre.
Quand l'esprit soufflait sur les mots...
jeudi 22 décembre 2011
Momentini de Noël
- Remplacer Il par Un ! En voilà bien de l'imagination! Ça fait toujours zéro! Bon Noël à tous les Coréens!
- Alerte à l'incendie cette nuit dans la clinique de ma mère. Tout le monde debout à cinq heures du matin. Non, ce n'était pas dû à la guirlande du sapin. Pompiers, police pour découvrir qu'une malade était allée fumer dans les toilettes et avait jeté son mégot dans la poubelle. Et je l'ai appris par hasard.
- Les Pères Noël grimpeurs ont fait leur apparition aux fenêtres de certains immeubles. En moins grand nombre que les années précédentes. La crise, vous dis-je. Alors, vive la crise!
- Autrefois, les parents buvaient, les enfants trinquaient. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Joyeux Noël et bon coma éthylique à notre jeunesse!
- Phrase de papillote: "Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder" (Oscar Wilde).
- Maintenant, on mange du daim à Noël. Non, pas Bambi, rassurez-vous, les enfants! Des daims élevés pour et que l'on abat sans les faire souffrir, il paraît. Et c'est moins cher au kilo que l'agneau et le bœuf! Voilà de quoi rassurer celui de ma crèche!
- Sur la trois, on invite les enfants aux jeux de dix-huit heures, Des Chiffres et des lettres et Questions pour un champion. Mais les pubs entre les deux sont toujours les mêmes: petites protections invisibles pour les incontinents, monte-escaliers électriques pour les flageolants (en cuir, si l'on a les moyens), préparation programmée des obsèques pour les prévoyants. Ben oui, quoi, c'est Noël pour tout le monde! Et puis, il faut bien que nos jeunes sachent ce qui les attend s'ils vivent. (C'est peut-être pour ça qu'ils boivent?)
- Alerte à l'incendie cette nuit dans la clinique de ma mère. Tout le monde debout à cinq heures du matin. Non, ce n'était pas dû à la guirlande du sapin. Pompiers, police pour découvrir qu'une malade était allée fumer dans les toilettes et avait jeté son mégot dans la poubelle. Et je l'ai appris par hasard.
- Les Pères Noël grimpeurs ont fait leur apparition aux fenêtres de certains immeubles. En moins grand nombre que les années précédentes. La crise, vous dis-je. Alors, vive la crise!
- Autrefois, les parents buvaient, les enfants trinquaient. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Joyeux Noël et bon coma éthylique à notre jeunesse!
- Phrase de papillote: "Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder" (Oscar Wilde).
- Maintenant, on mange du daim à Noël. Non, pas Bambi, rassurez-vous, les enfants! Des daims élevés pour et que l'on abat sans les faire souffrir, il paraît. Et c'est moins cher au kilo que l'agneau et le bœuf! Voilà de quoi rassurer celui de ma crèche!
- Sur la trois, on invite les enfants aux jeux de dix-huit heures, Des Chiffres et des lettres et Questions pour un champion. Mais les pubs entre les deux sont toujours les mêmes: petites protections invisibles pour les incontinents, monte-escaliers électriques pour les flageolants (en cuir, si l'on a les moyens), préparation programmée des obsèques pour les prévoyants. Ben oui, quoi, c'est Noël pour tout le monde! Et puis, il faut bien que nos jeunes sachent ce qui les attend s'ils vivent. (C'est peut-être pour ça qu'ils boivent?)
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Et un peu de musique, ça vous dirait ? (65)
Allez, c'est bientôt Noël. Soyons un peu suaves, comme dirait quelqu'un que je ne connais pas mais que je lis avec grand plaisir!
Inconnu de père (7)
Après l'obtention de mon baccalauréat, je quittai la Loire pour m'installer à Lyon où je m'inscrivis en fac de lettres. Je pris pour prétexte de ce départ le fait que l'équivalent n'existait pas à Saint-Étienne, ce qui était faux. Tout le monde fit semblant de me croire, tant la tension était devenu extrême en famille. La mort de ma petite sœur dans un accident stupide n'avait pas contribué à arranger les choses et une gifle reçue au cours d'un repas, parce que j'avais osé m'en prendre à mon autre sœur, la survivante, mit un point d'orgue à la rupture. Pendant six mois, je n'adressai pas la parole à mon père.
Le changement d'existence fut difficile. Je me retrouvais dans une grande ville, à l'étroit dans une chambre de cité universitaire, moi qui n'avais connu, à une exception près, que de vastes espaces de vie. Le lyonnais n'est pas très accueillant de prime abord et je connus de grands moments de solitude. Mais j'avais choisi de partir et, pour rien au monde, je n'aurais reconnu que j'en souffrais. Un retour en famille tous les quinze jours me semblait le maximum que je puisse supporter.
Cette solitude fut, au début, faussement compensée par les sorties nombreuses en boîtes de nuit et les rencontres faciles. Mais, bien vite, l'étourdissement que cela me procurait se dissipa, la vie nocturne ne m'apporta plus ce que je pensais qu'elle m'offrirait lorsque je la voyais de loin, de Saint-Étienne. Je passai ainsi un an, malheureux mais plus buté que jamais. Seul intermède à cette grisaille, les visites de mon ami d'enfance, Yvon, mais lui descendait la pente suicidaire qui le mènerait à la pendaison quelques temps plus tard et nos soirées ne consistaient bien souvent qu'à boire plus que de raison en refaisant un monde dont, inévitablement, nous aurions été le centre.
Je devins con, au point de gâcher même la seule amitié solide sur laquelle je pouvais m'appuyer: un homme rencontré avant mon départ de Saint-Étienne, un lyonnais plus âgé que moi dont les conseils m'avaient été d'un grand secours pour mettre fin, ou tenter d'y mettre fin, à ma culpabilisation récurrente. Les premières tentatives de suicide d'Yvon trouvèrent en moi un écho favorable et il n'est pas douteux que j'aurais suivi son exemple si je n'avais, alors que je ne croyais plus en grand chose, rencontré Pierre.
Pourtant, sans le savoir, j'avais, par mon départ, posé un acte définitif qui me permit par la suite de me reconstruire et, sur le moment, d'échapper à la morbidité du cercle familial dont l'existence avait été définitivement bouleversé par la mort de ma petite sœur. Alors que je prenais une autre voie, ils continuèrent, malgré eux, à vivre en fonction de ce drame qui, aujourd'hui encore, conditionne tous les gestes de la vie de mon autre sœur.
Le changement d'existence fut difficile. Je me retrouvais dans une grande ville, à l'étroit dans une chambre de cité universitaire, moi qui n'avais connu, à une exception près, que de vastes espaces de vie. Le lyonnais n'est pas très accueillant de prime abord et je connus de grands moments de solitude. Mais j'avais choisi de partir et, pour rien au monde, je n'aurais reconnu que j'en souffrais. Un retour en famille tous les quinze jours me semblait le maximum que je puisse supporter.
Cette solitude fut, au début, faussement compensée par les sorties nombreuses en boîtes de nuit et les rencontres faciles. Mais, bien vite, l'étourdissement que cela me procurait se dissipa, la vie nocturne ne m'apporta plus ce que je pensais qu'elle m'offrirait lorsque je la voyais de loin, de Saint-Étienne. Je passai ainsi un an, malheureux mais plus buté que jamais. Seul intermède à cette grisaille, les visites de mon ami d'enfance, Yvon, mais lui descendait la pente suicidaire qui le mènerait à la pendaison quelques temps plus tard et nos soirées ne consistaient bien souvent qu'à boire plus que de raison en refaisant un monde dont, inévitablement, nous aurions été le centre.
Je devins con, au point de gâcher même la seule amitié solide sur laquelle je pouvais m'appuyer: un homme rencontré avant mon départ de Saint-Étienne, un lyonnais plus âgé que moi dont les conseils m'avaient été d'un grand secours pour mettre fin, ou tenter d'y mettre fin, à ma culpabilisation récurrente. Les premières tentatives de suicide d'Yvon trouvèrent en moi un écho favorable et il n'est pas douteux que j'aurais suivi son exemple si je n'avais, alors que je ne croyais plus en grand chose, rencontré Pierre.
Pourtant, sans le savoir, j'avais, par mon départ, posé un acte définitif qui me permit par la suite de me reconstruire et, sur le moment, d'échapper à la morbidité du cercle familial dont l'existence avait été définitivement bouleversé par la mort de ma petite sœur. Alors que je prenais une autre voie, ils continuèrent, malgré eux, à vivre en fonction de ce drame qui, aujourd'hui encore, conditionne tous les gestes de la vie de mon autre sœur.
mercredi 21 décembre 2011
Lectures
Deux romans à mon actif pendant ce court séjour: La Fille du capitaine, de Pouchkine, et Acide, Arc-en-ciel, de Erri de Luca.
La Fille du capitaine est un roman de facture très attendue qui se lit vite et avec plaisir. Il est bon, de temps en temps, de se replonger dans les classiques. Plus serein que La Dame de pique, le récit retrace les amours contrariées puis triomphantes de deux jeunes gens pendant la révolte de Pougatchev en 1773. Une histoire avec un commencement, un milieu et une fin, ça a parfois du bon! Et j'avais constamment en arrière-plan, pendant que je lisais, ce palais de Saint-Pétersbourg, visité autrefois, où Pouchkine provoqua en duel un baron français, D'Anthès, qu'il soupçonnait de courtiser sa femme, duel qui lui valut de mourir bêtement à 38 ans.
Erri de Luca est un de mes auteurs de prédilection. Cet autodidacte italien, sec comme un pied de vigne (du moins est-ce l'impression que j'ai eue il y a deux ans lorsque je l'ai rencontré à Lyon), expose un univers qui me fascine. On ne peut parler de romans pour son œuvre, à une ou deux exceptions près. Plutôt d'essais, la plupart du temps ancrés dans un substrat fortement autobiographique et où affleurent sans cesse les questionnements métaphysiques de leur auteur et la source poétique. Acide, arc-en-ciel, est de cette veine-là, retrouvailles avec trois amis, un errant, un assassin et un missionnaire dans une maison dont le chant intime efface peu à peu les conversations. Mais dire ainsi, c'est trahir.
Abandonné Désert de Le Clézio, pour me lancer dans Le Docteur Jivago de Pasternak, après avoir un instant fleurté avec l'idée de lire Moby Dick. Les vacances seront donc à tendance slave!
La Fille du capitaine est un roman de facture très attendue qui se lit vite et avec plaisir. Il est bon, de temps en temps, de se replonger dans les classiques. Plus serein que La Dame de pique, le récit retrace les amours contrariées puis triomphantes de deux jeunes gens pendant la révolte de Pougatchev en 1773. Une histoire avec un commencement, un milieu et une fin, ça a parfois du bon! Et j'avais constamment en arrière-plan, pendant que je lisais, ce palais de Saint-Pétersbourg, visité autrefois, où Pouchkine provoqua en duel un baron français, D'Anthès, qu'il soupçonnait de courtiser sa femme, duel qui lui valut de mourir bêtement à 38 ans.
Erri de Luca est un de mes auteurs de prédilection. Cet autodidacte italien, sec comme un pied de vigne (du moins est-ce l'impression que j'ai eue il y a deux ans lorsque je l'ai rencontré à Lyon), expose un univers qui me fascine. On ne peut parler de romans pour son œuvre, à une ou deux exceptions près. Plutôt d'essais, la plupart du temps ancrés dans un substrat fortement autobiographique et où affleurent sans cesse les questionnements métaphysiques de leur auteur et la source poétique. Acide, arc-en-ciel, est de cette veine-là, retrouvailles avec trois amis, un errant, un assassin et un missionnaire dans une maison dont le chant intime efface peu à peu les conversations. Mais dire ainsi, c'est trahir.
Abandonné Désert de Le Clézio, pour me lancer dans Le Docteur Jivago de Pasternak, après avoir un instant fleurté avec l'idée de lire Moby Dick. Les vacances seront donc à tendance slave!
En deux mots
Neige. La première de l'année. Un peu à Lyon au départ, lundi matin. Beaucoup ensuite mardi, là-bas. Temps de repos, longues nuits, siestes, lectures, télévision. Une seule promenade à pied jusqu'au centre d'Aix-le-Bains, dans l'artère principale, la rue de Genève, où trois magasins sur quatre sont des boutiques de vêtements féminins. Cette ville est sinistre, encore davantage en hiver. Le décor des montagnes est splendide, mais je n'ai guère eu l'occasion de le voir, entre brume et brume. Étonnant comme l'on peut rêver, en s'assoupissant même cinq minutes. Heureux de retrouver Émile. Il aura bientôt soixante-dix ans. Il devient casanier et ne sort guère plus guère que dans son jardin. J'ai rapporté de belles salades avant que le gel ne les brûle ou que les rats, affamés, n'en fassent leur festin. Je n'aurais sans doute pas pu rester plus de deux jours.
dimanche 18 décembre 2011
Veuillez nous excuser de cet arrêt momentané de nos programmes.
La rose s'est fanée
J'ai revu ce soir Le Nom de la Rose, de Jean-Jacques Annaud (1986), d'après le roman éponyme d'Umberto Eco (1980). Le livre m'avait, malgré de nombreuses pages très pédantes, fortement intéressé et je m'étais laissé séduire par le film, sans doute à cause de la personnalité de son acteur principal, Sean Connery.
Ce soir, l'enthousiasme n'était plus au rendez-vous. Christian Slater, en moinillon apeuré, en fait des tonnes et les caractères des principaux protagonistes sont souvent caricaturaux. Seuls m'ont paru encore crédibles, et souvent beaux, les décors de cette abbaye du XIV° siècle et les paysages de montagne désolés. Et par dessus tout la bibliothèque du donjon dont le labyrinthe d'escaliers rappellent ceux d'Escher ou, mieux encore, de Piranese.
Ce soir, l'enthousiasme n'était plus au rendez-vous. Christian Slater, en moinillon apeuré, en fait des tonnes et les caractères des principaux protagonistes sont souvent caricaturaux. Seuls m'ont paru encore crédibles, et souvent beaux, les décors de cette abbaye du XIV° siècle et les paysages de montagne désolés. Et par dessus tout la bibliothèque du donjon dont le labyrinthe d'escaliers rappellent ceux d'Escher ou, mieux encore, de Piranese.
samedi 17 décembre 2011
Rêver d'Arles
J'ai fait, la nuit dernière, un rêve étrange, non par son contenu, assez banal et facilement interprétable, mais par le lieu où il se situait. J'étais avec un groupe de gens, des amis sans doute, il faisait très beau et l'ambiance était à la joie et à la plaisanterie. Nous parcourions les rues ou sirotions des boissons fraîches à la terrasse des cafés comme on le fait en été. Puis un de ces amis, celui auquel mon cœur était attaché, disparut et je me mis à le chercher seul, angoissé et haletant. Les venelles, accueillantes l'instant précédent, s'étaient mises à devenir pentues et désertes et le soleil qui y régnait encore ne faisait qu'accentuer mon inquiétude.
A un moment, je passais devant le porche d'une église et je la reconnus tout de suite: c'était la cathédrale Saint-Trophime d'Arles. Que faisais-je dans cette ville. Dans mon rêve même je me posais la question, conscient de l'incongruité de la chose. La vision était si nette que j'en distinguais la moindre des sculptures, le moindre des ornements d'architecture. C'est sans doute là que j'ai dû me réveiller, avec toujours la même interrogation en tête: que faisais-je à Arles?
Je ne suis pas retourné dans cette ville depuis quatre ou cinq ans. Ce fut une de mes dernières sorties avec Amédé, un an avant sa mort. Nous en avions profité ce jour-là pour pousser jusqu'à l'abbaye de Montmajour et les Baux de Provence, une journée magnifique dont j'avais le pressentiment qu'elle ne serait pas suivie de beaucoup d'autres. Pourtant l'ami que je recherchais dans mon rêve n'était pas Amédé.
Alors que, lorsqu'on se réveille, les images oniriques que l'on conserve sont bien souvent vagues et floues, celles du porche de Saint-Trophime étaient parfaitement nettes et précises, comme dans mon rêve. C'est là le plus surprenant.
Au moment de regagner mon lit, je me demande bien où je vais encore aller me balader cette nuit...
A un moment, je passais devant le porche d'une église et je la reconnus tout de suite: c'était la cathédrale Saint-Trophime d'Arles. Que faisais-je dans cette ville. Dans mon rêve même je me posais la question, conscient de l'incongruité de la chose. La vision était si nette que j'en distinguais la moindre des sculptures, le moindre des ornements d'architecture. C'est sans doute là que j'ai dû me réveiller, avec toujours la même interrogation en tête: que faisais-je à Arles?
Je ne suis pas retourné dans cette ville depuis quatre ou cinq ans. Ce fut une de mes dernières sorties avec Amédé, un an avant sa mort. Nous en avions profité ce jour-là pour pousser jusqu'à l'abbaye de Montmajour et les Baux de Provence, une journée magnifique dont j'avais le pressentiment qu'elle ne serait pas suivie de beaucoup d'autres. Pourtant l'ami que je recherchais dans mon rêve n'était pas Amédé.
Alors que, lorsqu'on se réveille, les images oniriques que l'on conserve sont bien souvent vagues et floues, celles du porche de Saint-Trophime étaient parfaitement nettes et précises, comme dans mon rêve. C'est là le plus surprenant.
Au moment de regagner mon lit, je me demande bien où je vais encore aller me balader cette nuit...
Un trou dans le mur
La mort aujourd'hui de Césaria Evora, voix chaude du Cap-vert, me remet en tête un souvenir déjà lointain mais qui aurait pu constituer un excellent point final aux billets sur mon père.
Pierre et moi, nous habitions encore dans notre ancien appartement et, après y avoir passé une dizaine d'années sans y engager de travaux de rénovation, par superstition sans doute d'y voir un engagement affectif définitif, nous avions enfin décidé que les vieux murs avaient bigrement besoin d'un rafraîchissement. Les travaux furent donc entrepris, par nos soins, mais Pierre, de par son travail, effectuait de fréquents voyages à l'étranger. Il dut, à ce moment-là, partir quelques jours pour cet archipel atlantique.
Sa chambre restait à faire. Je décidai d'abord de l'attendre pour poursuivre la rénovation. Qu'aurais-je fait, seul, moi qui, selon une légende familiale bien ancrée, ne savais rien réaliser de mes dix doigts? Mais cette verrue dans l'appartement me chagrinait un peu. Le reste étant propre et coquet, cette pièce n'en paraissait que plus dégradée. Un jour, je pris mon courage à deux mains: et si je lui faisais la surprise d'un retour agréable dans une chambre digne de ce nom!
Peinture, papier peint, colle, j'achetai tout cela sans grande difficulté. Vider les meubles ne me parut pas non plus au-dessus de mes forces. Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence; il était temps de commencer le travail véritable. L'arrachage de l'ancien papier peint ne s'avéra pas des plus simples. Combien d'anciens locataires s'étaient contentés de les coller les uns par dessus les autres sans décoller les précédents? J'en comptai au moins trois couches et lorsque la dernière rendit l'âme, un papier épais recouvert d'une sorte de pellicule plastifiée, elle emporta avec elle un petit pan de mur.
Je connus alors un moment de découragement: serais-je capable de boucher convenablement ce trou? Et puis l'amour-propre eut le dessus, et, bientôt, à l'endroit dégradé, le mur redevint aussi lisse que partout ailleurs dans la pièce. Ce ne fut pas pour moi un mince bonheur. Mes doigts m'avaient obéi mieux que je n'aurais espéré. La suite ne fut qu'un jeu d'enfant et, lorsque Pierre rentra, il n'eut plus qu'à poser ses valises sur un lit remis en place dans un décor flambant neuf.
Personne, sauf lui, ne sut que, sous la nouvelle tapisserie, hermétiquement enfoui sous une couche de plâtre, j'avais emprisonné un de mes plus vieux complexes enfantins.
Erratum
Dans mon dernier "Momentini", j'évoquais la chanson "Ne me quitte pas" que Jacques Brel aurait écrite pour Annie Fratellini. Un lecteur aussi attentif que F.D a justement relevé mon erreur. Il s'agit en fait, bien sûr, de Suzanne Gabriello. Merci à lui de sa vigilance. Quant à moi, il était vraiment temps que je prenne des vacances. Avec toutes mes excuses.
vendredi 16 décembre 2011
Et un peu de musique, ça vous dirait (64)
La muse, parfois, ferait mieux de s'abstenir!
Le silence qui suit du Grand Jojo est-il encore du Grand jojo?
Le silence qui suit du Grand Jojo est-il encore du Grand jojo?
Inconnu de père (6)
En 1969 ou 70, nous déménageâmes pour nous installer dans une banlieue populaire de Saint-Étienne. Mes parents reprirent un commerce. Je pense qu'ils ont toujours eu ça dans le sang. Il s'agissait d'une petite succursale d'un grand groupe qui les avait embauchés comme gérants et où, moi-même, j'avais fait mes premières armes en tant que magasinier l'année précédente. Ce changement tombait à point pour moi. La vie à la campagne commençait à me peser et je ne rêvais plus que de voir du monde pour m'épanouir et mieux gérer ma vie "sentimentale".
Nous avions, avant de trouver mieux, un minuscule appartement attenant au magasin, une cuisine au rez-de-chaussée et deux chambres en haut, l'une pour mes parents et mes sœurs, la deuxième pour mon frère et moi. Mon père avait acheté une camionnette avec laquelle il faisait des tournées dans les environs pendant que ma mère tenait la vente. Je fus alors beaucoup mis à contribution pour les aider dans leurs tâches et mes études en pâtirent sans doute un peu. Moi qui avais été un élève brillant, quoique rêveur et porté à la nonchalance si l'on ne me motivait pas, j'obtins le bac de justesse à la première cession. C'est une des clientes de mon père en tournée qui m'apprit combien il était fier de moi.
A ce moment-là, mes rapports avec lui se dégradèrent encore, bien que je ne le voie pas davantage. J'allais avoir dix-huit ans et je me prenais déjà pour un adulte. Je vivais ma sexualité sur un mode débridé qui faillit me coûter cher lorsque je contractai une maladie grave pour l'époque. Comme j'étais mineur, le médecin demanda une entrevue à mon père pour signer le protocole de soins. Bien sûr, il ne dit pas la véritable raison du traitement et mon père fit toujours semblant de croire à ce qu'on lui avait présenté ce jour-là: j'avais officiellement une infection du sang.
Cela me valut plusieurs années de traitement qui me fatiguèrent et ne contribuèrent pas à améliorer l'image que je me faisais de moi. Il y avait toujours aussi en arrière-fond l'éducation judéo-chrétienne que j'avais reçue de ma mère et, si mes frasques me comblaient de désir et de plaisir, elles prenaient, une fois assouvies, un goût bien amer de remords et de dégoût. Quant à mon père, je pris l'habitude de le considérer comme un naïf, un niais à qui l'on pouvait tout faire avaler. Je me rendis compte beaucoup plus tard qu'il n'avait guère été dupe de mes mensonges et que, s'il laissa les choses ainsi, c'est sans doute parce que, contrairement à ma mère, il me considérait déjà comme un être responsable et qu'il avait confiance en moi.
Ces années-là, je vécus enfin mon adolescence. Elle fut d'autant plus fougueuse et irréfléchie qu'elle avait été bridée auparavant. J'accumulais les rencontres d'un jour, d'un moment. Je n'étais jamais rassasié. Je tenais d'ailleurs le compte de mes conquêtes sur une feuille de cahier que je dissimulais adroitement aux yeux de tous, surtout à ceux de mon frère qui n'était pas dupe et soupçonnait que ma vie apparemment rangée n'était qu'une façade. Il tomba un jour, malgré ma prudence, sur une photo d'un de mes amants nu et me menaça de tout révéler si je continuais à l'ennuyer avec mes prérogatives d'aîné de la famille. Cette photo, je la détruisis immédiatement après: elle finit dans les toilettes d'un camping de Lourdes où nous avions pris nos premières véritables vacances en famille. Même en cette occasion, sexualité et religion restaient indissociablement liées!
Nous avions, avant de trouver mieux, un minuscule appartement attenant au magasin, une cuisine au rez-de-chaussée et deux chambres en haut, l'une pour mes parents et mes sœurs, la deuxième pour mon frère et moi. Mon père avait acheté une camionnette avec laquelle il faisait des tournées dans les environs pendant que ma mère tenait la vente. Je fus alors beaucoup mis à contribution pour les aider dans leurs tâches et mes études en pâtirent sans doute un peu. Moi qui avais été un élève brillant, quoique rêveur et porté à la nonchalance si l'on ne me motivait pas, j'obtins le bac de justesse à la première cession. C'est une des clientes de mon père en tournée qui m'apprit combien il était fier de moi.
A ce moment-là, mes rapports avec lui se dégradèrent encore, bien que je ne le voie pas davantage. J'allais avoir dix-huit ans et je me prenais déjà pour un adulte. Je vivais ma sexualité sur un mode débridé qui faillit me coûter cher lorsque je contractai une maladie grave pour l'époque. Comme j'étais mineur, le médecin demanda une entrevue à mon père pour signer le protocole de soins. Bien sûr, il ne dit pas la véritable raison du traitement et mon père fit toujours semblant de croire à ce qu'on lui avait présenté ce jour-là: j'avais officiellement une infection du sang.
Cela me valut plusieurs années de traitement qui me fatiguèrent et ne contribuèrent pas à améliorer l'image que je me faisais de moi. Il y avait toujours aussi en arrière-fond l'éducation judéo-chrétienne que j'avais reçue de ma mère et, si mes frasques me comblaient de désir et de plaisir, elles prenaient, une fois assouvies, un goût bien amer de remords et de dégoût. Quant à mon père, je pris l'habitude de le considérer comme un naïf, un niais à qui l'on pouvait tout faire avaler. Je me rendis compte beaucoup plus tard qu'il n'avait guère été dupe de mes mensonges et que, s'il laissa les choses ainsi, c'est sans doute parce que, contrairement à ma mère, il me considérait déjà comme un être responsable et qu'il avait confiance en moi.
Ces années-là, je vécus enfin mon adolescence. Elle fut d'autant plus fougueuse et irréfléchie qu'elle avait été bridée auparavant. J'accumulais les rencontres d'un jour, d'un moment. Je n'étais jamais rassasié. Je tenais d'ailleurs le compte de mes conquêtes sur une feuille de cahier que je dissimulais adroitement aux yeux de tous, surtout à ceux de mon frère qui n'était pas dupe et soupçonnait que ma vie apparemment rangée n'était qu'une façade. Il tomba un jour, malgré ma prudence, sur une photo d'un de mes amants nu et me menaça de tout révéler si je continuais à l'ennuyer avec mes prérogatives d'aîné de la famille. Cette photo, je la détruisis immédiatement après: elle finit dans les toilettes d'un camping de Lourdes où nous avions pris nos premières véritables vacances en famille. Même en cette occasion, sexualité et religion restaient indissociablement liées!
Momentini
- Voilà, nous y sommes: les vacances de Noël. Passé l'après-midi à corriger des copies. Il m'en reste un paquet, à qui je réglerai son compte le plus rapidement possible. Cours à trier aussi, et à ranger. Ensuite? Je ne sais pas encore. Repos prioritaire.
- Avant-hier soir, un documentaire d'Arte sur Alexandre le Grand. La voix "doctorale" des commentateurs m'a rappelé celle qu'avaient leurs collègues quand j'étais au lycée et que j'avais droit à des séances de "cinéma scolaire". De quoi éloigner quiconque n'est pas a priori intéressé (et ceux qui le sont y apprennent finalement peu de choses): on dirait toujours que ces gens-là assistent à un enterrement. J'imagine, si nous faisions nos cours sur ce ton! Un vrai somnifère! C'est d'ailleurs l'effet que cela a eu sur moi: j'ai bien dormi sous mon plaid.
- Hier, un film de Pierre Etaix, Le Grand Amour (1969), enfin visible et restauré. Annie Fratellini au générique. Envie de revoir celle pour qui Brel a écrit une de ses plus belles chansons: Ne me quitte pas.. Quelques moments amusants, de l'inventivité, mais que ce film a vieilli! Et puis trop de similitudes, à mon goût, avec ceux de Jacques Tati, et Tati m'a toujours considérablement ennuyé. Juste eu le temps de constater que Etaix ressemble étrangement parfois à Bohringer avant de succomber à mon vice favori ces derniers temps: dormir.
- J'essaie en ce moment de lire Désert, de Le Clezio, qui traîne dans ma bibliothèque depuis des années. Je dis bien: j'essaie. Pas facile en fin de trimestre!
- Avant-hier soir, un documentaire d'Arte sur Alexandre le Grand. La voix "doctorale" des commentateurs m'a rappelé celle qu'avaient leurs collègues quand j'étais au lycée et que j'avais droit à des séances de "cinéma scolaire". De quoi éloigner quiconque n'est pas a priori intéressé (et ceux qui le sont y apprennent finalement peu de choses): on dirait toujours que ces gens-là assistent à un enterrement. J'imagine, si nous faisions nos cours sur ce ton! Un vrai somnifère! C'est d'ailleurs l'effet que cela a eu sur moi: j'ai bien dormi sous mon plaid.
- Hier, un film de Pierre Etaix, Le Grand Amour (1969), enfin visible et restauré. Annie Fratellini au générique. Envie de revoir celle pour qui Brel a écrit une de ses plus belles chansons: Ne me quitte pas.. Quelques moments amusants, de l'inventivité, mais que ce film a vieilli! Et puis trop de similitudes, à mon goût, avec ceux de Jacques Tati, et Tati m'a toujours considérablement ennuyé. Juste eu le temps de constater que Etaix ressemble étrangement parfois à Bohringer avant de succomber à mon vice favori ces derniers temps: dormir.
- J'essaie en ce moment de lire Désert, de Le Clezio, qui traîne dans ma bibliothèque depuis des années. Je dis bien: j'essaie. Pas facile en fin de trimestre!
jeudi 15 décembre 2011
Les Rêves des autres
John Irving est un des rares auteurs dont, à part deux récits, j'ai lu toutes les œuvres publiées à ce jour en France. Je me souviens encore du choc ressenti à la découverte du Monde selon Garp et du plaisir de la lecture de L'Oeuvre de Dieu, la part du Diable. D'autres romans, parfois, rarement, m'ont laissé un souvenir plus mitigé. Ce sera sans doute le cas pour ce recueil de nouvelles: Les Rêves des autres.
John Irving est, pour moi, un auteur de souffle, qui a besoin d'espace pour que son univers se développe à sa juste mesure et que son talent de romancier éclate. Ces textes courts, pour la plupart, en manque cruellement. Seules deux de ces nouvelles sur sept ont vraiment accroché mon intérêt: Un Royaume de lassitude, plus longue que les autres et où l'originalité de l'auteur américain arrive à percer, et Faut-il sauver Piggy Sneed?, habile réflexion sur le métier d'écrivain, créateur et tueur à la fois.
Un Irving mineur donc, recueil de textes écrits entre 1968 et 1993. Il a fait mieux depuis.
(John Irving, Les Rêves des autres, Ed. du seuil, 1993. Trad. de Josée Kamoun.)
John Irving est, pour moi, un auteur de souffle, qui a besoin d'espace pour que son univers se développe à sa juste mesure et que son talent de romancier éclate. Ces textes courts, pour la plupart, en manque cruellement. Seules deux de ces nouvelles sur sept ont vraiment accroché mon intérêt: Un Royaume de lassitude, plus longue que les autres et où l'originalité de l'auteur américain arrive à percer, et Faut-il sauver Piggy Sneed?, habile réflexion sur le métier d'écrivain, créateur et tueur à la fois.
Un Irving mineur donc, recueil de textes écrits entre 1968 et 1993. Il a fait mieux depuis.
(John Irving, Les Rêves des autres, Ed. du seuil, 1993. Trad. de Josée Kamoun.)
mercredi 14 décembre 2011
Big Brother vous regarde
On parle, en haut lieu de confier le rôle de garant pédagogique, tenu jusque là par les inspecteurs d'académie, aux chefs d'établissement. D'où la grève de demain dans l'enseignement. Je ne participerai pas à cette grève (il y a longtemps que je me suis détourné de ce genre d'activité) mais je la comprends et l'approuve entièrement.
Le système actuel a beau comporter de nombreux défauts, en particulier celui de visites trop peu fréquentes (on parle d'une moyenne de sept ans entre deux inspections. J'ai dû, pour ma part, patienter plus de vingt ans), il n'en présente pas moins une certaine garantie d'objectivité et d'indépendance. On n'est bien sûr, pas à l'abri de quelques mouvements d'humeur le jour de la présence de l'inspecteur, certains de ces messieurs (ou dames) font preuve parfois de drôles de petites manies bien irritantes, la note obtenue progresse bien souvent en fonction de l'âge de l'enseignant et il est rarissime qu'elle soit baissée. Mais la plupart des inspecteurs sont des gens de qualité qui connaissent leur matière, savent de quoi ils parlent et donnent parfois de bons conseils à des enseignants débutants.
Au lieu de cela, que veut-on nous imposer? Le regard de chefs d'établissement qui non seulement n'ont pas tous, loin s'en faut, été professeurs auparavant et ont en revanche tous le regrettable inconvénient d'être à la fois juges et parties. Sur quels critères vont s'appuyer ces gens-là pour attribuer une note à tel ou tel? Il avait été question, il y a quelques années, de baser cette note sur le mérite mais le projet avait fait long feu: comment évaluer le mérite de chacun devant des types de classes aussi hétérogènes qu'elles le sont actuellement? Le pourcentage de réussite aux examens n'est en rien significatif de la valeur de l'enseignant. Enseigner à Louis-le-Grand ou dans un collège de banlieue ne peut être considéré comme le même métier et ces deux situations ne sont pas comparables et ne peuvent être comparées.
On imagine d'autre part très facilement l'ambiance que ce genre de rapport entre enseignants et chefs d'établissement créera immanquablement, installera dans les écoles. Une sorte de hiérarchisation contraignante et stérile comme elle existe bien souvent dans les entreprises. Peut-être d'ailleurs est-ce cela le véritable motif de la réforme annoncée: mettre les enseignants au pas et les faire rentrer tous dans un moule unique où pas un cheveu ne dépasse. Adieu, un peu partout, l'innovation, la créativité, l'originalité. Bonjour le népotisme et le copinage.
Les chefs d'établissement ont déjà actuellement un pouvoir de regard sur les enseignants: si la note d'une inspection est attribuée sur 60 points dans l'avancement de la carrière, celle du chef d'établissement l'est sur 40. Y sont pris en compte le rayonnement et la ponctualité entre autres, ce que je trouve parfaitement justifié. Mais être évalué en grec par exemple par quelqu'un qui n'en sait même pas lire l'alphabet, je m'y refuse catégoriquement.
J'ose espérer que cette réforme absurde ne verra jamais le jour. Au pire, si elle est mise en place, je plains mes collègues qui auront à en subir les méfaits et je doute qu'elle contribue à susciter de nouvelles vocations, vocations dont la source se tarit de jour en jour. Moi, j'ai fait mon temps.
Le système actuel a beau comporter de nombreux défauts, en particulier celui de visites trop peu fréquentes (on parle d'une moyenne de sept ans entre deux inspections. J'ai dû, pour ma part, patienter plus de vingt ans), il n'en présente pas moins une certaine garantie d'objectivité et d'indépendance. On n'est bien sûr, pas à l'abri de quelques mouvements d'humeur le jour de la présence de l'inspecteur, certains de ces messieurs (ou dames) font preuve parfois de drôles de petites manies bien irritantes, la note obtenue progresse bien souvent en fonction de l'âge de l'enseignant et il est rarissime qu'elle soit baissée. Mais la plupart des inspecteurs sont des gens de qualité qui connaissent leur matière, savent de quoi ils parlent et donnent parfois de bons conseils à des enseignants débutants.
Au lieu de cela, que veut-on nous imposer? Le regard de chefs d'établissement qui non seulement n'ont pas tous, loin s'en faut, été professeurs auparavant et ont en revanche tous le regrettable inconvénient d'être à la fois juges et parties. Sur quels critères vont s'appuyer ces gens-là pour attribuer une note à tel ou tel? Il avait été question, il y a quelques années, de baser cette note sur le mérite mais le projet avait fait long feu: comment évaluer le mérite de chacun devant des types de classes aussi hétérogènes qu'elles le sont actuellement? Le pourcentage de réussite aux examens n'est en rien significatif de la valeur de l'enseignant. Enseigner à Louis-le-Grand ou dans un collège de banlieue ne peut être considéré comme le même métier et ces deux situations ne sont pas comparables et ne peuvent être comparées.
On imagine d'autre part très facilement l'ambiance que ce genre de rapport entre enseignants et chefs d'établissement créera immanquablement, installera dans les écoles. Une sorte de hiérarchisation contraignante et stérile comme elle existe bien souvent dans les entreprises. Peut-être d'ailleurs est-ce cela le véritable motif de la réforme annoncée: mettre les enseignants au pas et les faire rentrer tous dans un moule unique où pas un cheveu ne dépasse. Adieu, un peu partout, l'innovation, la créativité, l'originalité. Bonjour le népotisme et le copinage.
Les chefs d'établissement ont déjà actuellement un pouvoir de regard sur les enseignants: si la note d'une inspection est attribuée sur 60 points dans l'avancement de la carrière, celle du chef d'établissement l'est sur 40. Y sont pris en compte le rayonnement et la ponctualité entre autres, ce que je trouve parfaitement justifié. Mais être évalué en grec par exemple par quelqu'un qui n'en sait même pas lire l'alphabet, je m'y refuse catégoriquement.
J'ose espérer que cette réforme absurde ne verra jamais le jour. Au pire, si elle est mise en place, je plains mes collègues qui auront à en subir les méfaits et je doute qu'elle contribue à susciter de nouvelles vocations, vocations dont la source se tarit de jour en jour. Moi, j'ai fait mon temps.
Inconnu de père (5)
A à peine onze ans, on m'envoya au lycée. Mon instituteur était venu voir mes parents pour leur expliquer que je valais mieux qu'un simple certificat d'études. Ma mère rechigna sans doute un peu; cela allait coûter cher. C'est mon père qui accepta, comme il le fit sans cesse par la suite lorsqu'il s'agit de continuer mes études. Personne ne savait au juste dans la famille en qui cela consistait et une seule réunion, un soir, leur suffit pour savoir que ce n'était pas leur monde.
Ce monde n'était pas le mien non plus. Je me retrouvai en présence d'enfants tous d'autres catégories sociales, pour qui cette orientation semblait toute naturelle et incontournable. Je me levai encore plus tôt pour prendre un vieux tacot poussif qui m'emmenait à Saint-Étienne chaque matin, un peu honteux en hiver de l'anorak que l'on m'avait acheté et qui, destiné à durer plusieurs années, m'était au début largement trop grand.
Qui m'avait inscrit dans une section classique, avec deux langues anciennes, le latin puis bientôt le grec? Je n'en sus jamais rien. Mais je découvris vite que ces deux langues feraient mon bonheur, alors que l'anglais me rebuta immédiatement, comme une langue destinée aux bourgeois qui m'entouraient. J'y excellai bien vite. Elles vinrent peu à peu remplacer l'imaginaire chrétien qui avait été le mien jusque là. La parabole fut oubliée pour le mythe et la statuaire antique enflamma mon imagination de toute autre manière que ne l'avaient fait les représentations saint-sulpiciennes de la petite église du village.
Mes premiers contacts avec mes condisciples furent rugueux et je compris rapidement que là où les autres pouvaient se contenter d'être médiocres, il me faudrait, à moi, être excellent. Je travaillais comme un fou, c'est-à-dire comme un paresseux consciencieux qui tient à se débarrasser de son travail pour passer à autre chose. Cet attitude face au travail intellectuel ne m'a jamais quitté depuis. Je découvris des mondes où je me sentais bien. Certains professeurs, d'origine modeste eux aussi, me prirent en affection et, malgré leur sévérité et leurs exigences ou grâce à elles, je leur dois beaucoup.
Mais cette fréquentation d'autres rivages creusa encore le fossé qui s'était installé entre mon père et moi. Je ne compris pas qu'il était fier de ce que je devenais. Il fallut, de longues années plus tard, que j'apprenne par une bouche extérieure à la famille, la façon dont il parlait de mes études, pour que je me rendes compte que la réalité était tout autre que celle que j'imaginais. Ainsi, dans mon esprit, d'étranger devint-il méprisable. Face aux lycéens, je défendais mes origines, en mon fond intérieur, je me mis parfois à les rejeter.
Je ne voyais pratiquement jamais mon père qui cumulait les travaux pour nous faire vivre tous les six. Et, lorsqu'il était là, ses préoccupations, ses goûts étaient à de telles lieues des miennes que je finis par ne plus supporter sa présence que comme un mal nécessaire. Le fait que je sache qu'il n'était pas mon géniteur ne fit qu'aggraver les choses. Je finis par le lui reprocher un jour de grande colère. Sans doute en souffrit-il mais il ne m'en parla jamais.
Ce monde n'était pas le mien non plus. Je me retrouvai en présence d'enfants tous d'autres catégories sociales, pour qui cette orientation semblait toute naturelle et incontournable. Je me levai encore plus tôt pour prendre un vieux tacot poussif qui m'emmenait à Saint-Étienne chaque matin, un peu honteux en hiver de l'anorak que l'on m'avait acheté et qui, destiné à durer plusieurs années, m'était au début largement trop grand.
Qui m'avait inscrit dans une section classique, avec deux langues anciennes, le latin puis bientôt le grec? Je n'en sus jamais rien. Mais je découvris vite que ces deux langues feraient mon bonheur, alors que l'anglais me rebuta immédiatement, comme une langue destinée aux bourgeois qui m'entouraient. J'y excellai bien vite. Elles vinrent peu à peu remplacer l'imaginaire chrétien qui avait été le mien jusque là. La parabole fut oubliée pour le mythe et la statuaire antique enflamma mon imagination de toute autre manière que ne l'avaient fait les représentations saint-sulpiciennes de la petite église du village.
Mes premiers contacts avec mes condisciples furent rugueux et je compris rapidement que là où les autres pouvaient se contenter d'être médiocres, il me faudrait, à moi, être excellent. Je travaillais comme un fou, c'est-à-dire comme un paresseux consciencieux qui tient à se débarrasser de son travail pour passer à autre chose. Cet attitude face au travail intellectuel ne m'a jamais quitté depuis. Je découvris des mondes où je me sentais bien. Certains professeurs, d'origine modeste eux aussi, me prirent en affection et, malgré leur sévérité et leurs exigences ou grâce à elles, je leur dois beaucoup.
Mais cette fréquentation d'autres rivages creusa encore le fossé qui s'était installé entre mon père et moi. Je ne compris pas qu'il était fier de ce que je devenais. Il fallut, de longues années plus tard, que j'apprenne par une bouche extérieure à la famille, la façon dont il parlait de mes études, pour que je me rendes compte que la réalité était tout autre que celle que j'imaginais. Ainsi, dans mon esprit, d'étranger devint-il méprisable. Face aux lycéens, je défendais mes origines, en mon fond intérieur, je me mis parfois à les rejeter.
Je ne voyais pratiquement jamais mon père qui cumulait les travaux pour nous faire vivre tous les six. Et, lorsqu'il était là, ses préoccupations, ses goûts étaient à de telles lieues des miennes que je finis par ne plus supporter sa présence que comme un mal nécessaire. Le fait que je sache qu'il n'était pas mon géniteur ne fit qu'aggraver les choses. Je finis par le lui reprocher un jour de grande colère. Sans doute en souffrit-il mais il ne m'en parla jamais.
mardi 13 décembre 2011
Bergotte et le mur jaune
Il mourut dans les circonstances suivantes : Une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer (prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu'il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu'il ne se rappelait pas) était si bien peint qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse oeuvre d'art chinoise,d'une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l'exposition. Dès les premières marches qu'il eut à gravir, il fut pris d'étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l'impression de la sécheresse et de l'inutilité d'un art si factice, et qui ne valait pas les courants d'air et de soleil d'un palazzo de Venise ou d'une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer, qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. " C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune".
Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné la première pour le second. "Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. "
Il se répétait : "Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune." Cependant il s'abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l'optimisme, se dit " C'est une simple indigestion que m'ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n'est rien. " Un nouveau coup l'abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort.
(Marcel Proust, La Prisonnière.)
Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné la première pour le second. "Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. "
Il se répétait : "Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune." Cependant il s'abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l'optimisme, se dit " C'est une simple indigestion que m'ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n'est rien. " Un nouveau coup l'abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort.
(Marcel Proust, La Prisonnière.)
Fiction et réalité
Années soixante-dix, peut-être quatre-vingts. Je lisais Sinouhé l'Egyptien de Mika Waltari. Un gros ouvrage que m'avait offert un ami perdu de vue depuis, un de ces volumineux romans qui pesait lourd le soir dans le lit mais que je ne lâchais pas. Parfois, la nuit, le bruit qu'il faisait en tombant sur le sol me réveillait en sursauts. J'avais lu jusqu'à ce que mes yeux se ferment, au bas d'une page, entre deux mots.
Quelques années plus tard, voyage aux Pays-Bas, seul. Pierre me rejoindrait plus tard. Un mois entier à sillonner les musées, à me nourrir de nourriture artistique à défaut de nourriture terrestre convenable. J'avais établi mon QG à Utrecht et, là-bas, rien n'est bien loin par le train: Amsterdam bien sûr et Rotterdam et La Haye où je fis connaissance avec le petit mur jaune. Pourtant, ce qu'il m'en reste est ailleurs. A Leyde, au Rijksmuseum van Oudheden, section égyptologie.
Ce musée possède une impressionnante et passionnante collection d'objets égyptiens qui pourrait presque rivaliser avec celle du Louvre. Une tombe devant moi. En me penchant pour lire le panneau qui l'identifiait, je crus rêver: il s'agissait de celle du général Horemheb, qui débuta sa carrière militaire sous le règne d'Akhenaton et la poursuivit sous celui de Toutankhamon. À la mort de Ay, il monta même sur le trône d'Égypte. Un peu auparavant, il s'était fait construire une tombe privée à Saqqara. Ce qui est exposé à Leyde en provient.
Une tombe d'un général égyptien dans un musée d'égyptologie, cela n'a rien de très insolite. Ce qui l'était davantage pour moi, c'est que, depuis ma lecture de Sinouhé, j'avais toujours cru que cet Horemheb était un être de fiction. Me retrouver à toucher des yeux la sépulture d'un personnage de roman me troubla beaucoup. Je dus passer un sacré temps devant ce trésor avant de me rendre à l'évidence: ce n'était pas moi qui étais tombé dans la fiction mais la fiction qui m'avait rejoint, à un moment où je m'y attendais le moins. Ce genre d'expérience fait perdre ses repères. Sans doute est-ce à cause de cet instant de flottement que je m'en souviens si bien.
Mais, en écrivant ce billet, je crois me souvenir que j'ai déjà parlé de tout cela. Que l'on veuille bien m'en excuser.
Quelques années plus tard, voyage aux Pays-Bas, seul. Pierre me rejoindrait plus tard. Un mois entier à sillonner les musées, à me nourrir de nourriture artistique à défaut de nourriture terrestre convenable. J'avais établi mon QG à Utrecht et, là-bas, rien n'est bien loin par le train: Amsterdam bien sûr et Rotterdam et La Haye où je fis connaissance avec le petit mur jaune. Pourtant, ce qu'il m'en reste est ailleurs. A Leyde, au Rijksmuseum van Oudheden, section égyptologie.
Ce musée possède une impressionnante et passionnante collection d'objets égyptiens qui pourrait presque rivaliser avec celle du Louvre. Une tombe devant moi. En me penchant pour lire le panneau qui l'identifiait, je crus rêver: il s'agissait de celle du général Horemheb, qui débuta sa carrière militaire sous le règne d'Akhenaton et la poursuivit sous celui de Toutankhamon. À la mort de Ay, il monta même sur le trône d'Égypte. Un peu auparavant, il s'était fait construire une tombe privée à Saqqara. Ce qui est exposé à Leyde en provient.
Une tombe d'un général égyptien dans un musée d'égyptologie, cela n'a rien de très insolite. Ce qui l'était davantage pour moi, c'est que, depuis ma lecture de Sinouhé, j'avais toujours cru que cet Horemheb était un être de fiction. Me retrouver à toucher des yeux la sépulture d'un personnage de roman me troubla beaucoup. Je dus passer un sacré temps devant ce trésor avant de me rendre à l'évidence: ce n'était pas moi qui étais tombé dans la fiction mais la fiction qui m'avait rejoint, à un moment où je m'y attendais le moins. Ce genre d'expérience fait perdre ses repères. Sans doute est-ce à cause de cet instant de flottement que je m'en souviens si bien.
Mais, en écrivant ce billet, je crois me souvenir que j'ai déjà parlé de tout cela. Que l'on veuille bien m'en excuser.
lundi 12 décembre 2011
Inconnu de père (4)
Quand je devins adolescent, mon père m'emmena avec lui aux halles. Je fus fier de cette décision, même si j'avais à me lever très tôt pour l'accompagner. J'eus alors l'impression d'une sorte de reconnaissance, ce que je n'imaginais pas possible de la part de cet homme que je craignais pour ses colères fulgurantes. Mon côté rêveur et distrait ne m'aidait pas non plus à le conquérir. A cette époque, il ne comprenait pas que l'on puisse aimer lire. Aussi faisait-il appel plus souvent à mon frère qu'à moi lorsqu'il avait besoin d'aide, pour lui rapporter un outil dont j'ignorais jusqu'au nom ou pour l'aider au moment où l'on abattait les cochons avant d'en faire des saucissons par exemple. C'est à ce moment-là sans doute que je pris l'habitude de me considérer comme un incapable. Ce sentiment me poursuivit de nombreuses années.
Je ne pouvais avoir de moi une idée constamment négative. Alors, inconsciemment, je forçai la dose dans l'autre sens. Je pris peu à peu l'habitude de le considérer comme une pièce rapportée, quelqu'un qui ne m'était rien, si ce n'est celui qui donnait des ordres et m'empêchait d'être moi-même. Ma vraie famille, c'était ma mère, que j'idolâtrais. Ce fut pourtant lui qui toujours me poussa dans la poursuite de mes études, pas ma mère.
A mesure que je grandissais, les sentiments que j'éprouvais pour lui devinrent de plus en plus paradoxaux. Je le détestais et en même temps il m'attirait. C'était une force de la nature et bientôt, quand la sexualité commença à me perturber, je me surpris souvent à admirer ce corps athlétique qui me faisait trembler à la fois de désir et de dégoût. De désir pour lui, de dégoût surtout pour moi. Je lui ai toujours caché mon homosexualité découverte avec un ami d'enfance. L'eut-il comprise à ce moment-là? Avec les années passées, je crois que oui. Mais c'est pour ce personnage d'enfant sage et incapable que j'optais finalement, d'autant plus facilement que cette découverte de ma sexualité ne m'était pas facilitée par les modèles masculins qui m'entouraient et par la religiosité un peu désuète que ma mère m'avait transmise.
J'étais double dans mon adolescence mais je ne crois pas avoir été le seul dans mon cas. Qui, à l'époque osait ouvertement assumer ses penchants pour les hommes dans un petit village de mineurs et de paysans? Le fils d'une des amies de ma mère, de quelques années plus âgé, voulut, choix ou inconscience, s'afficher plus ouvertement. Il devint vite la risée de presque tous et moi-même, je le considérais comme une sorte d'extra-terrestre dont le comportement m'attirait et me rebutait à la fois. Il avait une belle voiture, un cabriolet rouge décapotable qui faisait sensation dans cette campagne. Lorsqu'il passait devant chez moi et que je gardais mes chèvres, je me cachais vite derrière une haie pour qu'il ne m'aperçoive pas, moi, mon maillot de corps et mes bras fluets.
Mon père n'est que peu responsable de tout ça, je m'en rends compte aujourd'hui. Il faudrait davantage en accuser la France de l'époque et surtout celle de ce microcosme qui, protecteur et rassurant pour la majorité, contribua pour moi à me faire intérioriser longuement une culpabilité dont, peut-être, l'on ne se débarrasse jamais.
Je ne pouvais avoir de moi une idée constamment négative. Alors, inconsciemment, je forçai la dose dans l'autre sens. Je pris peu à peu l'habitude de le considérer comme une pièce rapportée, quelqu'un qui ne m'était rien, si ce n'est celui qui donnait des ordres et m'empêchait d'être moi-même. Ma vraie famille, c'était ma mère, que j'idolâtrais. Ce fut pourtant lui qui toujours me poussa dans la poursuite de mes études, pas ma mère.
A mesure que je grandissais, les sentiments que j'éprouvais pour lui devinrent de plus en plus paradoxaux. Je le détestais et en même temps il m'attirait. C'était une force de la nature et bientôt, quand la sexualité commença à me perturber, je me surpris souvent à admirer ce corps athlétique qui me faisait trembler à la fois de désir et de dégoût. De désir pour lui, de dégoût surtout pour moi. Je lui ai toujours caché mon homosexualité découverte avec un ami d'enfance. L'eut-il comprise à ce moment-là? Avec les années passées, je crois que oui. Mais c'est pour ce personnage d'enfant sage et incapable que j'optais finalement, d'autant plus facilement que cette découverte de ma sexualité ne m'était pas facilitée par les modèles masculins qui m'entouraient et par la religiosité un peu désuète que ma mère m'avait transmise.
J'étais double dans mon adolescence mais je ne crois pas avoir été le seul dans mon cas. Qui, à l'époque osait ouvertement assumer ses penchants pour les hommes dans un petit village de mineurs et de paysans? Le fils d'une des amies de ma mère, de quelques années plus âgé, voulut, choix ou inconscience, s'afficher plus ouvertement. Il devint vite la risée de presque tous et moi-même, je le considérais comme une sorte d'extra-terrestre dont le comportement m'attirait et me rebutait à la fois. Il avait une belle voiture, un cabriolet rouge décapotable qui faisait sensation dans cette campagne. Lorsqu'il passait devant chez moi et que je gardais mes chèvres, je me cachais vite derrière une haie pour qu'il ne m'aperçoive pas, moi, mon maillot de corps et mes bras fluets.
Mon père n'est que peu responsable de tout ça, je m'en rends compte aujourd'hui. Il faudrait davantage en accuser la France de l'époque et surtout celle de ce microcosme qui, protecteur et rassurant pour la majorité, contribua pour moi à me faire intérioriser longuement une culpabilité dont, peut-être, l'on ne se débarrasse jamais.
dimanche 11 décembre 2011
Momentini
- Reçu aujourd'hui mon frère, sa femme et mon neveu. Mon frère n'en peut plus de souffrir. Cette semaine, il sera hospitalisé pour essayer un nouveau traitement. Je lui avais donné la canne de mon père. Il s'en sert maintenant pour marcher.
- Qu'est-ce que c'est que ce nouveau tic de langage qui consiste à employer "entre parenthèses" au lieu de "entre guillemets"? Pas une journée sans que l'on entende cette aberration!
- En zappant hier sur l'émission de Ruquier, "On n'est pas couché", aperçu la nouvelle miss France, son diadème bien enfoncé sur la tête. J'ai cru retrouver José Garcia imitant Cindy Crawford sur Canal+, en moins enveloppée naturellement.
- Encore une semaine et je serai en vacances. Je crois que je vais m'écrouler dès que la cloche aura sonné.
- Hier soir, concert à l'auditorium lors du festival L'Amérique de Léonard Slatkin. Ce monsieur est le nouveau directeur musical de l'Orchestre national de Lyon.Au programme, Elliott Carter, Samuel Barber, William Bolcom, Kent Wheller Kennan, Cindy McTee et Henry Mancini, tous inconnus de moi à part Barber et Mancini, le compositeur du thème de la Panthère rose, de celui de Speedy Gonzales et de Baby Elephant Walk composé pour le film d'Howard Hawks, Hatari en 1962. Il a bien fallu l'humour de ce chef d'orchestre et de son complice d'un soir, le flutiste Sir James Galway, pour me convaincre de ne pas rentrer chez moi, tant me tardait de retrouver mon lit.
- Qu'est-ce que c'est que ce nouveau tic de langage qui consiste à employer "entre parenthèses" au lieu de "entre guillemets"? Pas une journée sans que l'on entende cette aberration!
- En zappant hier sur l'émission de Ruquier, "On n'est pas couché", aperçu la nouvelle miss France, son diadème bien enfoncé sur la tête. J'ai cru retrouver José Garcia imitant Cindy Crawford sur Canal+, en moins enveloppée naturellement.
- Encore une semaine et je serai en vacances. Je crois que je vais m'écrouler dès que la cloche aura sonné.
- Hier soir, concert à l'auditorium lors du festival L'Amérique de Léonard Slatkin. Ce monsieur est le nouveau directeur musical de l'Orchestre national de Lyon.Au programme, Elliott Carter, Samuel Barber, William Bolcom, Kent Wheller Kennan, Cindy McTee et Henry Mancini, tous inconnus de moi à part Barber et Mancini, le compositeur du thème de la Panthère rose, de celui de Speedy Gonzales et de Baby Elephant Walk composé pour le film d'Howard Hawks, Hatari en 1962. Il a bien fallu l'humour de ce chef d'orchestre et de son complice d'un soir, le flutiste Sir James Galway, pour me convaincre de ne pas rentrer chez moi, tant me tardait de retrouver mon lit.
Lonesome Dove
Qu'il est difficile de parler d'un livre comme celui-ci. Lonesomme dove, de l'américain Larry McMurty est inracontable, et pas seulement à cause des quelques 1200 pages que couvrent ses deux épisodes. D'une façon un peu caricaturale, on pourrait dire qu'il s'agit d'un road movie à l'époque des cow-boys. On pourrait aussi penser à une tragédie grecque où qui aime n'est pas aimé par celui ou celle qui en aime un(e) autre et où le poids du passé finira par faire courber la tête sous le couperet de la fatalité.
Lonesome Dove, c'est une toute petite bourgade du Texas où d'anciens rangers, pourfendeurs d'indiens ou de voleurs mexicains, vivent tranquillement comme en communauté. Jusqu'au jour où l'un d'entre eux, Woodrow Call, décide d'émigrer au Montana pour y fonder un ranch en compagnie de son vieux camarade Augustus McCrae et de quelques hommes plus ou moins capables. Le roman racontera ce long périple où de rares femmes apparaissent, mais quelles femmes! Le voyage s'avérera dangereux, voire mortel pour certains d'entre eux et la fin de l'aventure n'aura pas le goût mielleux des success stories.
Que dire de plus? Il y en a tant à dire. J'ai littéralement dévoré ce pavé, jamais déçu, toujours impatient de tourner la page suivante. Certains personnages, comme Call ou Augustus, sont développés, d'autres décrits à plus grands traits, tous participent au bonheur de la lecture. Et surtout, au milieu de toutes ces aventures, peu d'analyse des sentiments de chacun, même s'il y en a. Pas de mégalomanie de l'auteur à vouloir tout expliquer. Ses héros semblent libres, comme les chevaux sauvages qui parcourent ses immensités herbeuses. Comme j'aime cette tendance au behaviorisme! Comme elle repose de cette complaisance sirupeuse de nombreux romans français actuels où les personnages ne sont qu'un bon prétexte à la masturbation pseudo-psychologique de leurs créateurs.
(Larry McMurty, Lonesome Dove, Ed. Gallmeister. Trad. de Richard Crevier.)
Lonesome Dove, c'est une toute petite bourgade du Texas où d'anciens rangers, pourfendeurs d'indiens ou de voleurs mexicains, vivent tranquillement comme en communauté. Jusqu'au jour où l'un d'entre eux, Woodrow Call, décide d'émigrer au Montana pour y fonder un ranch en compagnie de son vieux camarade Augustus McCrae et de quelques hommes plus ou moins capables. Le roman racontera ce long périple où de rares femmes apparaissent, mais quelles femmes! Le voyage s'avérera dangereux, voire mortel pour certains d'entre eux et la fin de l'aventure n'aura pas le goût mielleux des success stories.
Que dire de plus? Il y en a tant à dire. J'ai littéralement dévoré ce pavé, jamais déçu, toujours impatient de tourner la page suivante. Certains personnages, comme Call ou Augustus, sont développés, d'autres décrits à plus grands traits, tous participent au bonheur de la lecture. Et surtout, au milieu de toutes ces aventures, peu d'analyse des sentiments de chacun, même s'il y en a. Pas de mégalomanie de l'auteur à vouloir tout expliquer. Ses héros semblent libres, comme les chevaux sauvages qui parcourent ses immensités herbeuses. Comme j'aime cette tendance au behaviorisme! Comme elle repose de cette complaisance sirupeuse de nombreux romans français actuels où les personnages ne sont qu'un bon prétexte à la masturbation pseudo-psychologique de leurs créateurs.
(Larry McMurty, Lonesome Dove, Ed. Gallmeister. Trad. de Richard Crevier.)
vendredi 9 décembre 2011
Des photos plutôt que des mots
Temps relativement clément hier soir, bien que le froid se soit installé peu à peu au fil des heures. Beaucoup de monde dans les rues et sur les places, même si, jeudi soir oblige, la foule n'ait pas été aussi compacte qu'on pouvait le craindre. Ce sera sans doute bien pire ce soir et samedi, car les hordes de touristes qui déferlent sur la capitale des Gaules pour l'occasion, et surtout ceux des Lyonnais qui travaillent, ne pensent plus, pour la plupart, à l'origine religieuse de la fête. Les festivités durant quatre jours, la majorité se moque de sortir le 9, le 10 ou le 11 plutôt que le 8 qui reste pourtant la date consacrée.
Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été enthousiasmé par ce que j'ai vu hier soir. La faute à une grosse fatigue qui m'est tombée dessus ces jours-ci? Celle des innombrables travaux en cours dans les rues ou sur les places, rendant impossible leur illumination (à Bellecour et aux Cordeliers, en particulier)? Ou celle de la perspective de devoir travailler le lendemain? Les lumières m'ont paru chiches cette année, en tout cas celles que j'ai vues, car je n'ai pas eu le courage de traverser la ville de long en large.
Alors voici quelques photos qui parleront d'elles-mêmes et de cette soirée où un bon repas au restaurant chinois nous permit de nous réchauffer et de reprendre des forces.
Rive gauche du Rhône, toujours un peu délaissée par nos édiles.
Place Bellecour: Louis XIV monte en ballon...
Heureusement, ils sont nombreux à le retenir.
Il est encore tôt. La foule commence à s'agglutiner.
Le Théâtre des Célestins, transformé en flipper d'un soir.
La Basilique de Fourvière, dont je n'ai pas réussi à capter les lasers.
Place Sathonay, quelques oiseaux de décembre.
Face à eux, le fusil du Sergent Blandan.
Place de la Comédie, on nous fait les gros yeux.
A l'Opéra, des mélomanes attardés.
Rue de la République, glaçon en formation! Il est temps de rentrer.
Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été enthousiasmé par ce que j'ai vu hier soir. La faute à une grosse fatigue qui m'est tombée dessus ces jours-ci? Celle des innombrables travaux en cours dans les rues ou sur les places, rendant impossible leur illumination (à Bellecour et aux Cordeliers, en particulier)? Ou celle de la perspective de devoir travailler le lendemain? Les lumières m'ont paru chiches cette année, en tout cas celles que j'ai vues, car je n'ai pas eu le courage de traverser la ville de long en large.
Alors voici quelques photos qui parleront d'elles-mêmes et de cette soirée où un bon repas au restaurant chinois nous permit de nous réchauffer et de reprendre des forces.
Rive gauche du Rhône, toujours un peu délaissée par nos édiles.
Place Bellecour: Louis XIV monte en ballon...
Heureusement, ils sont nombreux à le retenir.
Il est encore tôt. La foule commence à s'agglutiner.
Le Théâtre des Célestins, transformé en flipper d'un soir.
La Basilique de Fourvière, dont je n'ai pas réussi à capter les lasers.
Place Sathonay, quelques oiseaux de décembre.
Face à eux, le fusil du Sergent Blandan.
Place de la Comédie, on nous fait les gros yeux.
A l'Opéra, des mélomanes attardés.
Rue de la République, glaçon en formation! Il est temps de rentrer.
Histoire et légendes du 8 décembre à Lyon
Plutôt que d'écrire un billet qui risquerait d'être confus, je préfère emprunter celui de Lyonweb qui me paraît très clair et intéressant et que vous pouvez lire in extenso ici. Voici donc ce que ce site nous apprend sur le sujet.
Une première légende - la peste !
Une légende bien installée, dit que la peste s’est arrêtée au abord de la ville au moyen âge et qu’en remerciement les lyonnais ont commencé à éclairer leurs fenêtres de bougie.
Petite erreur, ce n’est pas au moyen-age que la peste ravage le plus gravement la ville, mais à la Renaissance. Il est vrai que de 1550 à 1643 - une centaine d’année - plusieurs milliers de lyonnais meurent de cette terrible maladie – la moitié de la population de Lyon disparaît. Après avoir compté sur la Faculté de médecine et en désespoir de cause, le 12 mars 1643, l’équivalant de notre maire d’aujourd’hui, le Prévost Alexandre Mascary, entouré des adjoints au maire de l’époque : les Echevins, s’en remet à la vierge Marie :
... Nos Echevins s’engagèrent à élever deux statues de la Vierge, l’une sur la place des changes, l’autre sur la pile du pont de Saône. Enfin ils firent vœu pour eux et pour leurs successeurs, d’aller...
"toutes les fêtes de la nativité de Notre Dame qui est le huitième jour de septembre, sans robe, néanmoins avec leurs habits habituels, en la chapelle de Fourvière pour ouïr la messe, y faire les prières et les dévotions à la dite Vierge et lui offrir en forme d’hommage et reconnaissance, la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux et un écu d’or au soleil... et ce pour la disposer à recevoir en sa protection particulière la ville de Lyon..."
extrait du livre de Louis Jacquemin, Histoire des églises de Lyon, publié aux éditions Elie Bellier
L’épidémie de peste s’arrête cette année là, à Lyon, alors qu’elle continue ailleurs, en France. Pour remercier la vierge de sa protection, nos Echevins assistent le jour de la nativité de Marie - le 8 septembre, à une « grand messe » et remettent ce que promis à l’évêque de Lyon, écu d’or et cire blanche. De nos jours, la tradition continue, le vœu est respecté et la pièce d’or est toujours remise à l’évêque de Lyon le jour de la naissance de la Vierge.
C’est ce Vœu des Echevins du 8 septembre qui sera confondu dans la mémoire collective avec les « Illuminations ».
Seconde légende - les Prussiens !
La seconde légende : celle des Prussiens qui envahissent Lyon ? et de la vierge Marie qui les arrête juste avant ?
Et bien, oui, les lyonnais ont encore raison, mais nouvelle petite erreur. En 1870 les Prussiens arrivent sur Lyon, ils ont déjà pris Dijon. Et il y a bien un vœu qui en appelle encore à Marie. Monseigneur Ginoulhiac, alors évêque de la ville parle au nom des lyonnais : « une Basilique sera édifiée à la place de la petite église, si Lyon échappe à la fureur des allemands ». Les prussiens s’arrêtent, Lyon est épargnée et les Lyonnais doivent une cathédrale à Marie.
Voilà, encore une erreur de date, le Vœu est bien là, mais notre Fête des Lumières, nos Illuminations, elles, datent de 20 ans avant ce second vœu des Lyonnais.
La Véritable Histoire du 8 décembre
Les Lyonnais ont pris l’habitude, depuis le premier Vœu des Echevins, de demander l’intercession de la Vierge, pour une maladie, le retour d'un soldat, un enfant...
Ils se rendent fréquemment au sommet de la colline de Fourvière dans une petite église qui domine la ville - celle qui encore aujourd'hui est là, blottie contre la basilique.
Les années passent et les pèlerins sont toujours plus nombreux. La vieille église doit être restaurée. A partir de 1848 on se pose la question de refaire le vieux clocher. En 1852 la restauration du clocher est terminée et l’on va placer sur celui-ci une magnifique statue de Marie en bronze dorée.
Bien entendu la date choisie est celle du 8 septembre 1852, celle de la Nativité de Marie. Malheureusement le ciel n’est pas d’accord, quelques jours avant, les nuages grondent, la ville se retrouve sous des torrents d’eau et la Saône déborde. Une nouvelle date est choisie : le 8 décembre, elle aussi fête de la Vierge, c’est la fête de Notre Dame des Advents qui deviendra deux ans plus tard, en 1854, par une Bulle Ineffabilis Deus, du pape Pie IX, la fête de l’Immaculée Conception.
Mais ce jour là, des orages terribles éclatent et de nouveau la Saône menace. Les notables décident de repousser une seconde fois la cérémonie – mais miracle, en fin de journée les nuages poussés certainement par un doigt divin vont mouiller d’autres terres et le ciel se fait clément. Les Lyonnais, installent alors à la nuit tombée sur leur fenêtre, lumignons, bougies, bougeoirs qui vont illuminer la ville d’une douce lumière. Les bougies brûleront jusqu’au petit matin.
"Tout à coup apparaissent à quelques fenêtres inconnues des lignes de feu... La ville s’était embrasée en un instant. Bientôt, il ne restait plus, sur la vaste étendue des quais, des rues, des passages ignorés et des cours invisibles, aucune fenêtre obscure. Les petits marchands, les clochers, illuminaient leurs baraques, leurs voitures et jusqu’aux bordures des trottoirs... Quelques feux de Bengale s’allumèrent sur les toits de la chapelle de Fourvière, la statue de la Vierge apparaît et la grosse cloche de Saint Jean, cet éloquent interprète des joies publiques, est lancée à toute volée. A huit heures, la population entière était dans la rue, circulant, paisible, joyeuse et attendrie. On se serrait la main sans se connaître, on chantait des cantiques, on applaudissait, on criait : "Vive Marie ! " Les étrangers n’en revenaient pas de leur surprise, et les Lyonnais, tout remplis qu’ils étaient de cette fête improvisée, se demandaient comment, en un instant, une population de trois cent mille âmes avait pu être saisie de la même pensée".
Et traversant le temps, ce qui était un geste de Foi s’est dilué dans le patrimoine laïque lyonnais et le fait de mettre quelques bougies à la fenêtre le 8 décembre, se perpétuera dans toutes les familles – toutes religions confondues. Comme pour écarter un ancien malheur, comme le remerciement d’une ville d’être encore vivante, comme un geste de joie.
Rien n’oblige les lyonnais à mettre ces petites bougies et pourtant j’en connais, qui loin de Lugdunum, à Paris, à Rome, à Hong Kong ou à New York, le 8 décembre prochain mettront dans un verre à moutarde ou un verre de cristal un morceau de bougie et le déposeront sur le rebord de leurs fenêtres, en pensant « je suis de Lyon, moi aussi ».
Une première légende - la peste !
Une légende bien installée, dit que la peste s’est arrêtée au abord de la ville au moyen âge et qu’en remerciement les lyonnais ont commencé à éclairer leurs fenêtres de bougie.
Petite erreur, ce n’est pas au moyen-age que la peste ravage le plus gravement la ville, mais à la Renaissance. Il est vrai que de 1550 à 1643 - une centaine d’année - plusieurs milliers de lyonnais meurent de cette terrible maladie – la moitié de la population de Lyon disparaît. Après avoir compté sur la Faculté de médecine et en désespoir de cause, le 12 mars 1643, l’équivalant de notre maire d’aujourd’hui, le Prévost Alexandre Mascary, entouré des adjoints au maire de l’époque : les Echevins, s’en remet à la vierge Marie :
... Nos Echevins s’engagèrent à élever deux statues de la Vierge, l’une sur la place des changes, l’autre sur la pile du pont de Saône. Enfin ils firent vœu pour eux et pour leurs successeurs, d’aller...
"toutes les fêtes de la nativité de Notre Dame qui est le huitième jour de septembre, sans robe, néanmoins avec leurs habits habituels, en la chapelle de Fourvière pour ouïr la messe, y faire les prières et les dévotions à la dite Vierge et lui offrir en forme d’hommage et reconnaissance, la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux et un écu d’or au soleil... et ce pour la disposer à recevoir en sa protection particulière la ville de Lyon..."
extrait du livre de Louis Jacquemin, Histoire des églises de Lyon, publié aux éditions Elie Bellier
L’épidémie de peste s’arrête cette année là, à Lyon, alors qu’elle continue ailleurs, en France. Pour remercier la vierge de sa protection, nos Echevins assistent le jour de la nativité de Marie - le 8 septembre, à une « grand messe » et remettent ce que promis à l’évêque de Lyon, écu d’or et cire blanche. De nos jours, la tradition continue, le vœu est respecté et la pièce d’or est toujours remise à l’évêque de Lyon le jour de la naissance de la Vierge.
C’est ce Vœu des Echevins du 8 septembre qui sera confondu dans la mémoire collective avec les « Illuminations ».
Seconde légende - les Prussiens !
La seconde légende : celle des Prussiens qui envahissent Lyon ? et de la vierge Marie qui les arrête juste avant ?
Et bien, oui, les lyonnais ont encore raison, mais nouvelle petite erreur. En 1870 les Prussiens arrivent sur Lyon, ils ont déjà pris Dijon. Et il y a bien un vœu qui en appelle encore à Marie. Monseigneur Ginoulhiac, alors évêque de la ville parle au nom des lyonnais : « une Basilique sera édifiée à la place de la petite église, si Lyon échappe à la fureur des allemands ». Les prussiens s’arrêtent, Lyon est épargnée et les Lyonnais doivent une cathédrale à Marie.
Voilà, encore une erreur de date, le Vœu est bien là, mais notre Fête des Lumières, nos Illuminations, elles, datent de 20 ans avant ce second vœu des Lyonnais.
La Véritable Histoire du 8 décembre
Les Lyonnais ont pris l’habitude, depuis le premier Vœu des Echevins, de demander l’intercession de la Vierge, pour une maladie, le retour d'un soldat, un enfant...
Ils se rendent fréquemment au sommet de la colline de Fourvière dans une petite église qui domine la ville - celle qui encore aujourd'hui est là, blottie contre la basilique.
Les années passent et les pèlerins sont toujours plus nombreux. La vieille église doit être restaurée. A partir de 1848 on se pose la question de refaire le vieux clocher. En 1852 la restauration du clocher est terminée et l’on va placer sur celui-ci une magnifique statue de Marie en bronze dorée.
Bien entendu la date choisie est celle du 8 septembre 1852, celle de la Nativité de Marie. Malheureusement le ciel n’est pas d’accord, quelques jours avant, les nuages grondent, la ville se retrouve sous des torrents d’eau et la Saône déborde. Une nouvelle date est choisie : le 8 décembre, elle aussi fête de la Vierge, c’est la fête de Notre Dame des Advents qui deviendra deux ans plus tard, en 1854, par une Bulle Ineffabilis Deus, du pape Pie IX, la fête de l’Immaculée Conception.
Mais ce jour là, des orages terribles éclatent et de nouveau la Saône menace. Les notables décident de repousser une seconde fois la cérémonie – mais miracle, en fin de journée les nuages poussés certainement par un doigt divin vont mouiller d’autres terres et le ciel se fait clément. Les Lyonnais, installent alors à la nuit tombée sur leur fenêtre, lumignons, bougies, bougeoirs qui vont illuminer la ville d’une douce lumière. Les bougies brûleront jusqu’au petit matin.
"Tout à coup apparaissent à quelques fenêtres inconnues des lignes de feu... La ville s’était embrasée en un instant. Bientôt, il ne restait plus, sur la vaste étendue des quais, des rues, des passages ignorés et des cours invisibles, aucune fenêtre obscure. Les petits marchands, les clochers, illuminaient leurs baraques, leurs voitures et jusqu’aux bordures des trottoirs... Quelques feux de Bengale s’allumèrent sur les toits de la chapelle de Fourvière, la statue de la Vierge apparaît et la grosse cloche de Saint Jean, cet éloquent interprète des joies publiques, est lancée à toute volée. A huit heures, la population entière était dans la rue, circulant, paisible, joyeuse et attendrie. On se serrait la main sans se connaître, on chantait des cantiques, on applaudissait, on criait : "Vive Marie ! " Les étrangers n’en revenaient pas de leur surprise, et les Lyonnais, tout remplis qu’ils étaient de cette fête improvisée, se demandaient comment, en un instant, une population de trois cent mille âmes avait pu être saisie de la même pensée".
Et traversant le temps, ce qui était un geste de Foi s’est dilué dans le patrimoine laïque lyonnais et le fait de mettre quelques bougies à la fenêtre le 8 décembre, se perpétuera dans toutes les familles – toutes religions confondues. Comme pour écarter un ancien malheur, comme le remerciement d’une ville d’être encore vivante, comme un geste de joie.
Rien n’oblige les lyonnais à mettre ces petites bougies et pourtant j’en connais, qui loin de Lugdunum, à Paris, à Rome, à Hong Kong ou à New York, le 8 décembre prochain mettront dans un verre à moutarde ou un verre de cristal un morceau de bougie et le déposeront sur le rebord de leurs fenêtres, en pensant « je suis de Lyon, moi aussi ».
jeudi 8 décembre 2011
Cérémonial
Alors, ce soir, c'est la fête? Il parait. Je ne manquerai pas à la tradition: tout de suite après la rédaction de ce billet, je vais préparer mes lumignons, sept ou huit par fenêtres, aussi bien côté rue que côté cour. Depuis des années, ils se comptent sur les doigts d'une main, les huit décembre où je n'ai pas accompli ce rituel que j'aime: prendre l'escabeau pour atteindre la dernière étagère du placard, sortir les verres de leur carton, les anciens (ceux de ma grand-mère) en couleur: rouges, verts, jaunes.., les autres, blancs, que j'ai achetés ensuite, ouvrir les paquets de dix bougies sous cellophane, aligner les verres sur plusieurs plateaux de cuisine, préparer tout à côté le briquet en espérant me brûler un peu moins que les autres années, et attendre que la nuit vienne pour placer ces flammes vacillantes sur le rebord des fenêtres.
Ma grand-mère œuvrait déjà ainsi et j'aime ces gestes simples et symboliques. Je ne profiterai pas longtemps de cette douceur de la lumière car j'ai rendez-vous en ville ce soir avec mes deux compagnons habituels. Mais je le ferai pour les autres, pour ceux qui passent et qui lèvent la tête, pour tous ceux qui accordent encore un sens à ce cérémonial et pour la beauté du spectacle (même si les petites bougies sont de plus en plus remplacées par des guirlandes électriques ou par les lasers tonitruants de la ville dépensière).
Lorsque je rentrerai, la plupart seront éteints, par le vent, par la pluie peut-être. Quelques-uns brilleront encore, qu'il faudra souffler avant d'aller au lit. Et les verres du 8 décembre regagneront leur carton, au sommet des étagères, pour un an. Jusqu'à la prochaine fête de la lumière.
Ma grand-mère œuvrait déjà ainsi et j'aime ces gestes simples et symboliques. Je ne profiterai pas longtemps de cette douceur de la lumière car j'ai rendez-vous en ville ce soir avec mes deux compagnons habituels. Mais je le ferai pour les autres, pour ceux qui passent et qui lèvent la tête, pour tous ceux qui accordent encore un sens à ce cérémonial et pour la beauté du spectacle (même si les petites bougies sont de plus en plus remplacées par des guirlandes électriques ou par les lasers tonitruants de la ville dépensière).
Lorsque je rentrerai, la plupart seront éteints, par le vent, par la pluie peut-être. Quelques-uns brilleront encore, qu'il faudra souffler avant d'aller au lit. Et les verres du 8 décembre regagneront leur carton, au sommet des étagères, pour un an. Jusqu'à la prochaine fête de la lumière.
mercredi 7 décembre 2011
Inconnu de père (3)
En 1960, à la mort de ma grand-mère, je dus réintégrer le domicile familial. Je n'avais alors qu'une vague idée de ce que c'était que la mort et ne comprenais pas que la disparition d'un être était irrémédiable. On me récupéra avant que ma grand-mère ne puisse plus s'occuper de moi et je ne la vis jamais gravement malade. C'était aussi le premier être cher que je perdais. Aussi ce retour, ce ne fut pas de gaieté de cœur que je l'accomplis. Mes parents avaient vendu leur commerce et déménagé, et habitaient maintenant dans le même village que moi. La famille s'était agrandie d'une petite sœur. Là non plus, je ne l'avais pas vu venir. J'avais bien constaté que ma mère avait beaucoup grossi, en particulier son ventre qui avançait anormalement, mais je n'en connaissais pas la cause. On n'expliquait pas alors aux enfants comment se font les bébés.
Je ne pris réellement conscience de la mort de ma grand-mère que quelques mois plus tard, sur le chemin de l'école. Je faisais comme d'habitude très attention à ne pas marcher trop près du bord de la route et surveillait d'un œil les buissons où grouillaient les vipères lorsque la révélation m'atteignit en pleine face: je ne la reverrais plus. Ce fut sans doute le plus gros choc de mon enfance. Celui-ci, je ne parvins jamais à le gommer.
" Je dus réintégrer le domicile familial": pour moi, ce changement de maison était un cataclysme. Je passais de l'état de fils unique, habitué à sa solitude et à ses jeux tranquilles, à la condition d'aîné de la famille. Ce nouveau statut impliquait, je le découvris vite, des tas de complications: d'abord, les travaux aux champs. Mon père avait récupéré la ferme de sa mère et nous possédions des chèvres et des moutons qu'il fallait régulièrement sortir de l'enclos pour les mener paître aux alentours. Cela signifiait une attention de tous les instants, particulièrement pour les chèvres qui avaient l'art de disparaître quand je m'y attendais le moins. Il suffisait que je reste quelques minutes la tête penchée sur le livre que je lisais pour qu'elles prennent la clé des champs. Et j'avais toujours un livre avec moi. C'est à cette époque que je découvris les auteurs qui enrêvèrent mon enfance: Jules Verne et A-J Cronin.
Ensuite, le ménage tous les dimanches matins. Mon père, toujours mineur, travaillait aussi aux halles dont il rapportait des cageots de légumes et de fruits. Aux beaux jours, nous nous en gavions, accusant le chien lorsqu'il manquait trop de cerises dans le mussy . Ma mère avait trouvé un emploi de vendeuse des fleurs dans un magasin de la ville. Les tâches ménagères me revinrent donc naturellement. Je passais ma matinée à nettoyer la maison, sol et poussière des meubles, tout en surveillant mon frère qui ne manquait jamais une bêtise à sa portée. Elle était alors bien loin, ma quiétude auprès de la vieille dame d'un autre siècle.
Pourtant, je n'en garde pas un mauvais souvenir. C'est même à ce moment-là que j'appris à danser la valse. Sur l'électrophone flambant neuf, je mettais chaque dimanche matin un de nos premiers disques: les Valses de Strauss, et puisque ma mère, excellente danseuse, refusait de m'apprendre le pas, je le découvris tout seul avec, comme partenaire, le manche du balais que j'avais entre les mains. J'appris vite et ma mère, un jour qu'elle essaya, dut avouer qu'elle avait du plaisir à danser avec moi.
Je ne pris réellement conscience de la mort de ma grand-mère que quelques mois plus tard, sur le chemin de l'école. Je faisais comme d'habitude très attention à ne pas marcher trop près du bord de la route et surveillait d'un œil les buissons où grouillaient les vipères lorsque la révélation m'atteignit en pleine face: je ne la reverrais plus. Ce fut sans doute le plus gros choc de mon enfance. Celui-ci, je ne parvins jamais à le gommer.
" Je dus réintégrer le domicile familial": pour moi, ce changement de maison était un cataclysme. Je passais de l'état de fils unique, habitué à sa solitude et à ses jeux tranquilles, à la condition d'aîné de la famille. Ce nouveau statut impliquait, je le découvris vite, des tas de complications: d'abord, les travaux aux champs. Mon père avait récupéré la ferme de sa mère et nous possédions des chèvres et des moutons qu'il fallait régulièrement sortir de l'enclos pour les mener paître aux alentours. Cela signifiait une attention de tous les instants, particulièrement pour les chèvres qui avaient l'art de disparaître quand je m'y attendais le moins. Il suffisait que je reste quelques minutes la tête penchée sur le livre que je lisais pour qu'elles prennent la clé des champs. Et j'avais toujours un livre avec moi. C'est à cette époque que je découvris les auteurs qui enrêvèrent mon enfance: Jules Verne et A-J Cronin.
Ensuite, le ménage tous les dimanches matins. Mon père, toujours mineur, travaillait aussi aux halles dont il rapportait des cageots de légumes et de fruits. Aux beaux jours, nous nous en gavions, accusant le chien lorsqu'il manquait trop de cerises dans le mussy . Ma mère avait trouvé un emploi de vendeuse des fleurs dans un magasin de la ville. Les tâches ménagères me revinrent donc naturellement. Je passais ma matinée à nettoyer la maison, sol et poussière des meubles, tout en surveillant mon frère qui ne manquait jamais une bêtise à sa portée. Elle était alors bien loin, ma quiétude auprès de la vieille dame d'un autre siècle.
Pourtant, je n'en garde pas un mauvais souvenir. C'est même à ce moment-là que j'appris à danser la valse. Sur l'électrophone flambant neuf, je mettais chaque dimanche matin un de nos premiers disques: les Valses de Strauss, et puisque ma mère, excellente danseuse, refusait de m'apprendre le pas, je le découvris tout seul avec, comme partenaire, le manche du balais que j'avais entre les mains. J'appris vite et ma mère, un jour qu'elle essaya, dut avouer qu'elle avait du plaisir à danser avec moi.
Pages marquantes (22)
Nous forçâmes l'allure, Tobie et Caroline suivant laborieusement en arrière-garde. L'odeur étrange, piquante, provocante croissait à chaque pas. Nous aperçûmes, avec soulagement, la horde au complet assise autour du feu. Toutefois celui-ci pétillait, crépitait, crachotait de façon anormale. Tous les quelques moments une tante ou l'autre se levait, fichait un bâton dans les braises et le ramenait à elle avec, au bout, une masse grésillante.
- Mais ...... c'est du jarret de cheval ! haleta Oswald.
- Et ça une côtelette d'antilope ! dis-je à mon tour.
Nous courûmes les derniers cent mètres, talonnés de près par les autres, et nous fîmes irruption dans le cercle de famille.
Cela fit sensation.
- Bienvenue, les enfants ! s'écria père, passé la première surprise.
- Bienvenue, s'écria mère, et je vis couler des larmes de joie sur son cher visage zébré de suie.
Juste à l'heure pour dîner ! ajouta-t-elle en riant.
Et puis ce furent les exclamations sans fin, les étreintes, les reniflements, les rires, les embrassades, les présentations.
-Maman, mais qu'est ce que tu fais là ? Tu te sers de bonne viande comme de bois à brûler ?
- Mon Dieu, mon rôti ! s'écria mère en se précipitant vers le feu. Complètement oublié, avec ces retrouvailles. Il va être trop cuit ... gémit-elle et, en hâte, elle retira du feu un gros morceau fumant de râble d'antilope. J'en étais sûre, ce côté-là est complètement brûlé, dit-elle en l'examinant. Heureusement qu'Ernest m'a prévenue.
- T'en fais pas, ma chérie, dit père. Tu sais que j'aime le roussi bien croquant. Je prendrai l'extérieur avec plaisir.
Pour moi, tout ce dialogue était du latin.
- Mais enfin, de quoi parlez-vous ? suppliai-je abasourdi.
- De quoi ? Mais de cuisine, tiens !
- Mais qu'est ce que c'est que toute cette cuisine ? m'énervai-je.
- Notre dîner, dit père. Et tout à coup : Oh ! mais j'y pense, c'est vrai que c'est nouveau pour vous, tout ça ! Votre mère ne l'avais pas encore inventé, fils, avant votre départ. Cuisiner, mes enfants, cela veut dire ... eh bien c'est une façon de préparer le gibier avant de le mastiquer. Une méthode entièrement nouvelle pour ... euh !... réduire les muscles et les ligaments dans ... euh !... une forme plus friable, de sorte que ... eh bien ...
Mais cessant de froncer le sourcil, il se mit à sourire gaiement :
- Oh, après tout, pourquoi essayer d'expliquer ? Le mouvement se prouve en mangeant?
Goûtez et voyez vous-mêmes.
(Roy Lewis, Pourquoi j'ai mangé mon père. Ed. Poche Pocket. Trad de Vercors et Rita Barisse.)
- Mais ...... c'est du jarret de cheval ! haleta Oswald.
- Et ça une côtelette d'antilope ! dis-je à mon tour.
Nous courûmes les derniers cent mètres, talonnés de près par les autres, et nous fîmes irruption dans le cercle de famille.
Cela fit sensation.
- Bienvenue, les enfants ! s'écria père, passé la première surprise.
- Bienvenue, s'écria mère, et je vis couler des larmes de joie sur son cher visage zébré de suie.
Juste à l'heure pour dîner ! ajouta-t-elle en riant.
Et puis ce furent les exclamations sans fin, les étreintes, les reniflements, les rires, les embrassades, les présentations.
-Maman, mais qu'est ce que tu fais là ? Tu te sers de bonne viande comme de bois à brûler ?
- Mon Dieu, mon rôti ! s'écria mère en se précipitant vers le feu. Complètement oublié, avec ces retrouvailles. Il va être trop cuit ... gémit-elle et, en hâte, elle retira du feu un gros morceau fumant de râble d'antilope. J'en étais sûre, ce côté-là est complètement brûlé, dit-elle en l'examinant. Heureusement qu'Ernest m'a prévenue.
- T'en fais pas, ma chérie, dit père. Tu sais que j'aime le roussi bien croquant. Je prendrai l'extérieur avec plaisir.
Pour moi, tout ce dialogue était du latin.
- Mais enfin, de quoi parlez-vous ? suppliai-je abasourdi.
- De quoi ? Mais de cuisine, tiens !
- Mais qu'est ce que c'est que toute cette cuisine ? m'énervai-je.
- Notre dîner, dit père. Et tout à coup : Oh ! mais j'y pense, c'est vrai que c'est nouveau pour vous, tout ça ! Votre mère ne l'avais pas encore inventé, fils, avant votre départ. Cuisiner, mes enfants, cela veut dire ... eh bien c'est une façon de préparer le gibier avant de le mastiquer. Une méthode entièrement nouvelle pour ... euh !... réduire les muscles et les ligaments dans ... euh !... une forme plus friable, de sorte que ... eh bien ...
Mais cessant de froncer le sourcil, il se mit à sourire gaiement :
- Oh, après tout, pourquoi essayer d'expliquer ? Le mouvement se prouve en mangeant?
Goûtez et voyez vous-mêmes.
(Roy Lewis, Pourquoi j'ai mangé mon père. Ed. Poche Pocket. Trad de Vercors et Rita Barisse.)
mardi 6 décembre 2011
Inconnu de père (2)
Ce que je viens d'évoquer constitue à peu près tout ce que je sais sur la jeunesse de mon père. Il y a bien cette photo où, à califourchon sur un âne, il semble plus heureux que nulle part ailleurs, et cette autre où, endimanché, avec le brassard, il pose en studio pour la première communion, celle où il ressemble tant à mon frère, son fils à lui. L'une le montre souriant, l'autre triste.
Il faut attendre ensuite quelques années pour le revoir, entouré de garçons de son âge, jeune homme un peu éméché, pantalon large, chemise ouverte, les bras posé sur les épaules de ceux qui l'entourent. Il a pris de la stature et arbore déjà cette chevelure abondante qui, dans sa vieillesse, devint, sans se dégarnir, d'un blanc immaculé. Plus tard encore mais à peine, il épousa ma mère. Alors qu'il allait mourir et que je le remerciais de m'avoir pris sous son aile comme un de ses propres enfants, il me répondit avoir fait son devoir. Cette phrase me bouleversa et me fit mal. Je crois aujourd'hui l'avoir mal comprise. Était-il secrètement amoureux d'elle? Ou bien est-ce elle qui trouva cet arrangement qui avait l'avantage de la simplicité? Ce sont des questions que je ne me suis posées qu'à l'âge adulte, après sa mort.
Il devait devenir boucher, il préféra la mine malgré la mort tragique de son père qu'il ne connut qu'une petite dizaine d'années. Il fit deux enfants à ma mère, un garçon d'abord suivi, onze mois plus tard, par une fille. Ma plus jeune sœur ne viendrait que trois années plus tard. Une paie de mineur ne suffisait pas à nourrir six bouches. Je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu inactif. Sa vie n'a été qu'un long labeur auquel il prit souvent du plaisir et qu'il s'arrangea pour en faire quelque chose d'agréable, la plupart du temps.
Pour arrondir les fins de mois, il ouvrit une épicerie-buvette-jeux de boules où ma mère travaillait aussi. Avec les deux autres en bas âge et le commerce, il fallut me confier à ma grand-mère maternelle qui ne demandait que ça. Je quittai la famille pour vivre ailleurs avec cette femme qui m'éleva jusqu'à sa mort,l'année de mes huit ans. Je ne revenais que le dimanche, après la grand messe, et la journée se passait vite. Après quelques jeux l'après-midi, il fallait repartir et trottiner derrière l'aïeule qui portait allégrement ses soixante-dix ans et marchait d'un bon pas. Ce que je regrettais le plus, c'était la télévision que je laissais derrière moi. Je ne me souviens pas avoir éprouvé le moindre sentiment à l'égard de ces enfants brailleurs que l'on me présentait comme mes frères et sœurs.
Est-ce à cette époque que l'on m'expliqua la vérité, que cet homme musclé, jovial et vivant n'était pas mon père, que le vrai, c'était l'autre, que je trouvais si élégant dans son costume de mariage porté pendant le voyage de noces dans des gorges en Isère et qui ne savais pas sourire, ce dont j'ai hérité longtemps? Il ne me reste rien de ce moment, ni où cela se passa, ni qui s'en chargea. Rien, ni traumatisme, ni sentiment d'être autre. C'est sans doute la première fois que, comme le restant de ma vie, je passai une gomme définitive sur ce qui pouvait me faire mal.
Il faut attendre ensuite quelques années pour le revoir, entouré de garçons de son âge, jeune homme un peu éméché, pantalon large, chemise ouverte, les bras posé sur les épaules de ceux qui l'entourent. Il a pris de la stature et arbore déjà cette chevelure abondante qui, dans sa vieillesse, devint, sans se dégarnir, d'un blanc immaculé. Plus tard encore mais à peine, il épousa ma mère. Alors qu'il allait mourir et que je le remerciais de m'avoir pris sous son aile comme un de ses propres enfants, il me répondit avoir fait son devoir. Cette phrase me bouleversa et me fit mal. Je crois aujourd'hui l'avoir mal comprise. Était-il secrètement amoureux d'elle? Ou bien est-ce elle qui trouva cet arrangement qui avait l'avantage de la simplicité? Ce sont des questions que je ne me suis posées qu'à l'âge adulte, après sa mort.
Il devait devenir boucher, il préféra la mine malgré la mort tragique de son père qu'il ne connut qu'une petite dizaine d'années. Il fit deux enfants à ma mère, un garçon d'abord suivi, onze mois plus tard, par une fille. Ma plus jeune sœur ne viendrait que trois années plus tard. Une paie de mineur ne suffisait pas à nourrir six bouches. Je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu inactif. Sa vie n'a été qu'un long labeur auquel il prit souvent du plaisir et qu'il s'arrangea pour en faire quelque chose d'agréable, la plupart du temps.
Pour arrondir les fins de mois, il ouvrit une épicerie-buvette-jeux de boules où ma mère travaillait aussi. Avec les deux autres en bas âge et le commerce, il fallut me confier à ma grand-mère maternelle qui ne demandait que ça. Je quittai la famille pour vivre ailleurs avec cette femme qui m'éleva jusqu'à sa mort,l'année de mes huit ans. Je ne revenais que le dimanche, après la grand messe, et la journée se passait vite. Après quelques jeux l'après-midi, il fallait repartir et trottiner derrière l'aïeule qui portait allégrement ses soixante-dix ans et marchait d'un bon pas. Ce que je regrettais le plus, c'était la télévision que je laissais derrière moi. Je ne me souviens pas avoir éprouvé le moindre sentiment à l'égard de ces enfants brailleurs que l'on me présentait comme mes frères et sœurs.
Est-ce à cette époque que l'on m'expliqua la vérité, que cet homme musclé, jovial et vivant n'était pas mon père, que le vrai, c'était l'autre, que je trouvais si élégant dans son costume de mariage porté pendant le voyage de noces dans des gorges en Isère et qui ne savais pas sourire, ce dont j'ai hérité longtemps? Il ne me reste rien de ce moment, ni où cela se passa, ni qui s'en chargea. Rien, ni traumatisme, ni sentiment d'être autre. C'est sans doute la première fois que, comme le restant de ma vie, je passai une gomme définitive sur ce qui pouvait me faire mal.
lundi 5 décembre 2011
Inconnu de père (1)
C'était le dernier né, pas forcément le plus aimé. Avant lui, il y avait d'abord eu mon oncle, un sanguin que je ne connus guère à cause de la brouille qui divisa longtemps la famille, et celui qui fut mon père pendant sept mois avant de mourir d'une maladie du cœur le jour de la fête foraine du village. Ma grand-mère avait une préférence pour les deux premiers, l'un, mon oncle, parce qu'il lui ressemblait physiquement et par tous ses comportements, l'autre, mon père, parce qu'il était, selon ma mère, en adoration devant elle et lui servait de larbin.
Circonstance aggravante, il avait un caractère indépendant et peu sociable et se montrait aussi têtu qu'on peut l'être dans la famille. Un jour, ma grand-mère invita des gens du village, sans doute pour quelque transaction concernant des prés à acheter, il se réfugia dans l'escalier qui conduisait au grenier et, lassé d'attendre, finit par couper l'électricité.
Sur les photos fanés et jaunies de l'époque, il ne sourit guère. Il a l'air un peu malingre et apparaît toujours mal fagoté, avec la chemise en dehors du pantalon et le nez sali par des restes de mûres ou de cerises ou par le travail qu'il venait de finir avec les bêtes. Quand l'aîné cambrait le torse et regardait sans ciller l'objectif, quand le cadet prenait l'air sérieux des enfants sages, lui semblait toujours ailleurs, plus intéressé par la vie autour et la prochaine échappée que par cette volonté d'immortaliser l'instant.
Ma grand-mère était veuve: pendant le couvre-feu, mon grand-père avait été coincé entre les tampons de deux wagons à la mine où il travaillait. Ce devait être une force de la nature (sa photo de mariage le prouve) car, avec un thorax enfoncé, il survécut plusieurs jours à l'accident. Elle me montrait souvent l'oignon de montre qui était ce jour-là dans sa poche gousset: on ne pouvait plus l'ouvrir tant il était plat. Sans doute marquait-il l'heure exacte de l'accident. Je n'ai jamais pensé, enfant, à le vérifier.
Trois garçons et cette femme dans une ferme appartenant au bassin houiller et à quelques mètres d'un énorme terril au pied duquel finirent ensuite de rouiller les reliques de ce qui avait été un puits de mine. Une bâtisse peu confortable sur un terrain en pente, au milieu des deux prés où broutaient les vaches qu'ils rentraient le soir dans l'écurie, sous les pièces habitables. La guerre était là. Pour survivre, il fallait travailler dur, même les enfants. En ont-il souffert? Moins sans doute que la famille de ma mère.
Mon père (il le devint en épousant ma mère quelques années après la mort de celui qui, génétiquement m'avait donné le jour) parlait peu de son enfance. Il n'aimait pas sa propre mère. Je le vois encore, à chacune des visites que nous le faisions, s'emparer du journal local et le lire jusqu'à ce que nous décidions de repartir. Mais s'il ne l'aimait pas, il n'y fit jamais allusion devant moi, ni devant qui que ce soit de la famille. Ma mère non plus n'appréciait pas sa belle-mère, à cause sans doute d'une trop grande similitude de caractère. Et ma grand-mère, longtemps, détesta sa belle-fille à qui elle reprocha un jour de lui avoir volé deux fils et dont elle pensait qu'elle avait la folie des grandeurs parce qu'elle avait voulu un jour acheter un poste de télévision.
Circonstance aggravante, il avait un caractère indépendant et peu sociable et se montrait aussi têtu qu'on peut l'être dans la famille. Un jour, ma grand-mère invita des gens du village, sans doute pour quelque transaction concernant des prés à acheter, il se réfugia dans l'escalier qui conduisait au grenier et, lassé d'attendre, finit par couper l'électricité.
Sur les photos fanés et jaunies de l'époque, il ne sourit guère. Il a l'air un peu malingre et apparaît toujours mal fagoté, avec la chemise en dehors du pantalon et le nez sali par des restes de mûres ou de cerises ou par le travail qu'il venait de finir avec les bêtes. Quand l'aîné cambrait le torse et regardait sans ciller l'objectif, quand le cadet prenait l'air sérieux des enfants sages, lui semblait toujours ailleurs, plus intéressé par la vie autour et la prochaine échappée que par cette volonté d'immortaliser l'instant.
Ma grand-mère était veuve: pendant le couvre-feu, mon grand-père avait été coincé entre les tampons de deux wagons à la mine où il travaillait. Ce devait être une force de la nature (sa photo de mariage le prouve) car, avec un thorax enfoncé, il survécut plusieurs jours à l'accident. Elle me montrait souvent l'oignon de montre qui était ce jour-là dans sa poche gousset: on ne pouvait plus l'ouvrir tant il était plat. Sans doute marquait-il l'heure exacte de l'accident. Je n'ai jamais pensé, enfant, à le vérifier.
Trois garçons et cette femme dans une ferme appartenant au bassin houiller et à quelques mètres d'un énorme terril au pied duquel finirent ensuite de rouiller les reliques de ce qui avait été un puits de mine. Une bâtisse peu confortable sur un terrain en pente, au milieu des deux prés où broutaient les vaches qu'ils rentraient le soir dans l'écurie, sous les pièces habitables. La guerre était là. Pour survivre, il fallait travailler dur, même les enfants. En ont-il souffert? Moins sans doute que la famille de ma mère.
Mon père (il le devint en épousant ma mère quelques années après la mort de celui qui, génétiquement m'avait donné le jour) parlait peu de son enfance. Il n'aimait pas sa propre mère. Je le vois encore, à chacune des visites que nous le faisions, s'emparer du journal local et le lire jusqu'à ce que nous décidions de repartir. Mais s'il ne l'aimait pas, il n'y fit jamais allusion devant moi, ni devant qui que ce soit de la famille. Ma mère non plus n'appréciait pas sa belle-mère, à cause sans doute d'une trop grande similitude de caractère. Et ma grand-mère, longtemps, détesta sa belle-fille à qui elle reprocha un jour de lui avoir volé deux fils et dont elle pensait qu'elle avait la folie des grandeurs parce qu'elle avait voulu un jour acheter un poste de télévision.
dimanche 4 décembre 2011
Dimanche solitaire
Dimanche solitaire. Pourquoi pas? Bonne occasion d'aller nettoyer les tombes des chrysanthèmes flétris dans la Loire. Envie de me promener dans le bourg dont dépend le village où j'ai passé mon enfance. Envie de prendre quelques photos. Envie de vous montrer. Allons-y.
Entrée du bourg. Cette place et la "porte" au fond n'existaient quand j'étais enfant. On a dû démolir quelques maisons ou des hangars. Je ne me souviens pas.
La mercerie où l'on m'envoyait acheter les vêtements de la fratrie. Elle est toujours là, sans doute plus les vieilles filles qui la tenaient à l'époque. Je me souviens d'un pull Jacquard avec écharpe et bonnet assorti pour mes deux sœurs dans les années soixante, ainsi que de ma première (et seule) chemise à fleurs.
Chez les sœurs autrefois. Une de mes grandes tantes y est morte, après avoir bien amusé la galerie par ses répliques à l'emporte-pièces: -"Si vous continuez comme ça, Lisa, vous finirez religieuse." - " Pourquoi pas? Plus on devient vieux, plus on devient bête". Là habitait aussi Marie de Béthanie , sœur au cœur de mère qui soignait les bobos aux genoux et faisait les piqûres. C'est elle, selon la légende familiale, qui m'a guéri du pipi au lit. Une sainte femme qui aurait mérité un nom de rue.
La place devant l'église. En haut, le coiffeur et la pâtisserie où nous allions, après la grand messe, un peu soulager notre estomac vide depuis le matin. Il y avait tout de même quelques kilomètres du bourg au village où nous habitions. Le café ne désemplissait pas, particulièrement au moment des offices, où les hommes n'entraient pas dans l'église.
L'église elle-même qui me paraissait immense à l'époque. J'aimais y chanter les prières en latin, un peu moins venir m'y confesser parce que je ne savais pas quoi dire. Sa partie la plus ancienne date du XII° siècle.
La place où se tenaient les manèges de la "vogue", un des rares endroits plats de la commune. Souvenirs de belles frayeurs en barque-balançoire. Souvenirs d'excitation lorsqu'il fallait décrocher le pompon qui donnait droit à un tour gratuit. Sur la place de l'église, en pente elle, avait lieu en même temps le rituel des "boîtes": on accrochait très haut entre deux maisons des pots de fleurs qui fallait, les yeux bandés, casser avec un grand bâton pour récolter un cadeau ou de l'eau et de la farine, voire quelques grenouilles qui n'appréciaient guère la chute.
L'école privée des filles où ma mère usa ses fonds de culotte et où elle dut laver les planchers pour payer sa scolarité. Aujourd'hui, c'est une cité de l'enfance. Près de la cure, il y avait celle des garçons, qui existe toujours. Sans doute mixte aujourd'hui.
L'école publique où, moi, je fis mes premiers pas (maternelle uniquement) dans la culture. Le plus affreux des souvenirs de ces années-là: nous étions tyrannisés par deux maîtresses aux méthodes ancestrales qui donnaient des coups de règle sur les doigts et nous faisaient mettre à genoux des heures au moindre bavardage.
La rue Jacquard aux anciennes maisons austères qui abritaient des métiers à tisser. J'en ai entendu fonctionner dans mon enfance, avec leur "bistanclac" si caractéristique. Aujourd'hui, aucun bruit: ville morte. Le bourg serait-il devenu une banlieue dortoir de Saint-Étienne?
C'était autrefois un étrange bazar librairie. La plus petite des fenêtres était alors la porte. La deuxième existait déjà et sa vitrine regorgeait de tout ce que l'on peut imaginer. C'est là que j'ai acheté mes premiers livres, des bibliothèque rose puis verte. J'en ai conservé certains. Il y a peine trois ans, rien n'avait changé. La même façade que dans mon enfance, le même capharnaüm.
Ces retours, rares, dans ces lieux qui m'ont vu en culottes courtes me rassérènent et m'anesthésient en même temps. Bientôt peut-être des photos du village dépendant de cette commune, village où j'ai été élevé par ma grand-mère.
Entrée du bourg. Cette place et la "porte" au fond n'existaient quand j'étais enfant. On a dû démolir quelques maisons ou des hangars. Je ne me souviens pas.
La mercerie où l'on m'envoyait acheter les vêtements de la fratrie. Elle est toujours là, sans doute plus les vieilles filles qui la tenaient à l'époque. Je me souviens d'un pull Jacquard avec écharpe et bonnet assorti pour mes deux sœurs dans les années soixante, ainsi que de ma première (et seule) chemise à fleurs.
Chez les sœurs autrefois. Une de mes grandes tantes y est morte, après avoir bien amusé la galerie par ses répliques à l'emporte-pièces: -"Si vous continuez comme ça, Lisa, vous finirez religieuse." - " Pourquoi pas? Plus on devient vieux, plus on devient bête". Là habitait aussi Marie de Béthanie , sœur au cœur de mère qui soignait les bobos aux genoux et faisait les piqûres. C'est elle, selon la légende familiale, qui m'a guéri du pipi au lit. Une sainte femme qui aurait mérité un nom de rue.
La place devant l'église. En haut, le coiffeur et la pâtisserie où nous allions, après la grand messe, un peu soulager notre estomac vide depuis le matin. Il y avait tout de même quelques kilomètres du bourg au village où nous habitions. Le café ne désemplissait pas, particulièrement au moment des offices, où les hommes n'entraient pas dans l'église.
L'église elle-même qui me paraissait immense à l'époque. J'aimais y chanter les prières en latin, un peu moins venir m'y confesser parce que je ne savais pas quoi dire. Sa partie la plus ancienne date du XII° siècle.
La place où se tenaient les manèges de la "vogue", un des rares endroits plats de la commune. Souvenirs de belles frayeurs en barque-balançoire. Souvenirs d'excitation lorsqu'il fallait décrocher le pompon qui donnait droit à un tour gratuit. Sur la place de l'église, en pente elle, avait lieu en même temps le rituel des "boîtes": on accrochait très haut entre deux maisons des pots de fleurs qui fallait, les yeux bandés, casser avec un grand bâton pour récolter un cadeau ou de l'eau et de la farine, voire quelques grenouilles qui n'appréciaient guère la chute.
L'école privée des filles où ma mère usa ses fonds de culotte et où elle dut laver les planchers pour payer sa scolarité. Aujourd'hui, c'est une cité de l'enfance. Près de la cure, il y avait celle des garçons, qui existe toujours. Sans doute mixte aujourd'hui.
L'école publique où, moi, je fis mes premiers pas (maternelle uniquement) dans la culture. Le plus affreux des souvenirs de ces années-là: nous étions tyrannisés par deux maîtresses aux méthodes ancestrales qui donnaient des coups de règle sur les doigts et nous faisaient mettre à genoux des heures au moindre bavardage.
La rue Jacquard aux anciennes maisons austères qui abritaient des métiers à tisser. J'en ai entendu fonctionner dans mon enfance, avec leur "bistanclac" si caractéristique. Aujourd'hui, aucun bruit: ville morte. Le bourg serait-il devenu une banlieue dortoir de Saint-Étienne?
C'était autrefois un étrange bazar librairie. La plus petite des fenêtres était alors la porte. La deuxième existait déjà et sa vitrine regorgeait de tout ce que l'on peut imaginer. C'est là que j'ai acheté mes premiers livres, des bibliothèque rose puis verte. J'en ai conservé certains. Il y a peine trois ans, rien n'avait changé. La même façade que dans mon enfance, le même capharnaüm.
Ces retours, rares, dans ces lieux qui m'ont vu en culottes courtes me rassérènent et m'anesthésient en même temps. Bientôt peut-être des photos du village dépendant de cette commune, village où j'ai été élevé par ma grand-mère.
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