dimanche 31 juillet 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait (33)

Cora Vaucaire - Noms de rues ( 1949 )

Vingt ans

Il y a vingt ans aujourd'hui ou demain, je n'ai pas retenu la date exacte, je déménageais à mon adresse actuelle. J'avais un peu forcé la main à Pierre pour que nous abandonnions l'appartement superbe que nous avions auparavant dans un immeuble ultra-bourgeois mais dont la progression des loyers dépassait de loin celle de nos salaires respectifs, pour acheter celui-ci, dans un quartier plus populaire mais très bien situé question commerces et proximité du centre.

Je n'ai, de ma vie, jamais habité aussi longtemps le même appartement. Et, vus les travaux engagés récemment, il y a des chances pour que ça dure encore un petit moment. Un bilan de ces vingt ans? J'ai un peu perdu l'habitude de ce genre d'exercices que je pratiquais régulièrement dans mon jeune âge, tellement régulièrement que c'en était aussi ridicule qu'un Justin Bieber publiant son autobiographie alors qu'il a à peine quelques poils au menton.

Des souvenirs, plutôt: les bons moments passés avec un ami, perdu de vue depuis, quand nous posions les papiers peints et qu'il me donnait du "Patron" ou du " Monsieur Bensoussan" alors que je l'appelais "Ali". Toutes les plantes, transportées sur le plateau de sa Méhari, la voiture en plastique, comme disait ma grand-mère qui y est tout de même montée, elle qui n'avait peur de pas grand chose. La première soirée avec les pompiers et Kicou, à chanter des paillardes, des chants républicains et des cantiques afin de ne pas être repérés tout de suite. Les années galère, deux ans plus tard, avec la dépression, l'alcoolisme et la maladie de Pierre. Sa découverte, un matin, dans la cuisine, devant le réfrigérateur, tombé parce que la saloperie avait déjà atteint le cerveau. Les dimanches d'aplasie, à prier tous les dieux pour qu'il tienne jusqu'au lendemain. Et puis la joie, les fêtes, les vieux de l'immeuble, dont Renée qui est devenue une vraie amie. La mort, l'hiver sans chauffage, seul au milieu d'un capharnaüm après le vidage de la maison de campagne. La remontée, malgré le carnet de téléphone où de nombreuses lignes auraient pu être effacées. Le chez moi (plus chez nous) que c'est devenu grâce à d'autres lignes sur ce carnet, qui se sont rajoutées alors que je n'y croyais plus.

Voilà les vingt années, au cours desquelles je suis passé de presque quarante ans à presque soixante, au cours desquelles j'ai continué à vivre, à lire, à aimer, au cours desquelles j'ai appris ce que certains, plus savants que moi et sans doute moins impliqués, appellent la résilience, au cours desquelles j'ai accepté de "lâcher prise" comme un chien qui abandonne son os trop rongé parce qu'il finit par comprendre qu'il en aura d'autres à ronger.

Ce soir, un soir de dimanche comme j'ai fini par ne plus les exécrer, je suis là, devant mon écran, à écrire des conneries, tout ça parce que ça fait vingt ans que j'ai la même adresse. Quel intérêt? Aucun, certes, mais pour moi, si.

Indécence ?

Un blog, c'est un truc un peu bizarre. On s'y expose, un peu, pas tant que ça finalement, devant des regards étrangers, aux commentaires d'inconnus dont on finira par connaître quelques-uns. Kicou me disait toujours qu'elle ne comprenait pas que j'aime cette indécence. En est-ce une? Au fil des années, il faut parfois savoir lire entre les lignes pour découvrir la vérité de celui qui écrit. Pudeur? Volonté de plaire, ou tout au moins de ne pas décevoir? Au début, on ne pense pas à tout cela. On est solitaire face à son écran qui nous apporte ce qu'on n'ose pas aller demander à des spécialistes. Ensuite, on minaude parfois, on n'ose plus se livrer avec autant de naïveté et de vérité.

Qu'importe! Un ami, récemment, m'a dit qu'il ne lisait plus mon blog, bien qu'en ayant l'adresse, parce qu'il avait l'impression d'un viol d'intimité. Il est d'ailleurs étrange (ou peu surprenant, comme l'on veut) que ce soient les gens les plus proches de soi (à quelques exceptions tout de même) qui s'abstiennent. Un moment, j'en ai été déçu. Maintenant, je crois comprendre. Au long des années, soir après soir, se dessine la silhouette de quelqu'un qui, même s'il se cache parfois, finit par se livrer comme un puzzle qu'il suffit d'avoir la patience de reconstituer pour en avoir un image précise.

Un cri d'amour au centre du monde

On pourrait penser à une sorte de Love Story à la japonaise. Même le titre, un peu cul-cul, y incite lourdement. Ils s'aiment, ils sont jeunes (davantage que leurs homologues américains), elle est malade, elle va mourir, il lui a promis de l'emmener en Australie, ce qu'il ne pourra faire de son vivant. Il ira, plus tard, après la crémation, répandre ses cendres dans le désert de la grande île.

Pourtant, c'est beau, c'est tendre, c'est prenant, on y croit et l'on se laisse avoir. En plus, c'est bien écrit, ce qui ne gâte rien, et habilement tissé. Et puis, on y retrouve bien sûr ce leitmotiv des romans nippons: les cerisiers en fleurs. Et moi, rien que ça!...

(Kyoichi Katayama, Un cri d'amour au centre du monde. LDP. Trad. de Vincent Brochard.)

vendredi 29 juillet 2011

Et la boucle est bouclée

Cercle vicieux
Le lundi, il couchait avec le plombier. Le mardi, avec le boucher. Le mercredi, avec le facteur. Le jeudi, avec le ministre. Le vendredi avec le marchand de couleurs. Le samedi, avec le libraire; et le dimanche avec trois détectives qui pistaient le libraire, le marchand de couleurs, le ministre, le facteur, le boucher, le plombier et un certain X pour affaire de mœurs.
René de Obaldia, cité dans Les Albums du Crapouillot: Les Pornographes, Les Pédérastes. Février 1970.

Et un peu de musique, ça vous dirait (32)

Tchaikovski, Concerto pour piano n°1

Fêlure

Il était une fois un petit garçon qui se croyait laid. Il l'avait dit à sa mère qui s'était contentée de sourire, sans répondre. Particulièrement son regard, qu'il jugeait triste, et ses jambes, un peu tordues et qu'il aurait aimées comme celles de son père, plus classiques, plus viriles. Et puis ses cheveux, à la limite du crépu. Ah! Avoir une mèche sur le front, qui bouge lorsque l'on donne un coup de tête. Être dépeigné, rien qu'une fois!

Le silence de sa mère avait fait qu'il avait toujours cherché à être aimé, par n'importe quel moyen, même trivialement. Accumuler les conquêtes, c'est tellement simple, quand, comme lui, on s'y est pris jeune. Ça l'avait rassuré un temps, le temps de l'adolescence sans doute, et du début de l'âge adulte, où il masquait si bien son manque de confiance en lui. Combien de mecs dans des lits de rencontre? Combien de liaisons sans lendemain, et qui n'en méritaient pas? Combien de "A bientôt" et de "On se reverra" qu'il n'avait pas honoré? Jusqu'au début de ces années soixante-dix où le suicide de son ami d'enfance l'avait éloigné du même geste contre lui.

Et puis, il avait toujours eu de la chance. Au fond du trou, toujours trouvé à rebondir, par lui-même ou par les autres. Il était devenu prof alors qu'il n'aurait jamais dû l'être, il avait rencontré la musique, et les gens, des gens qui l'ont accompagné longtemps avant de disparaître au fond d'un trou creusé dans la terre meuble, des gens qui l'ont aimé, qui lui ont fait partager leur vie. Le petit soldat, le chien efflanqué a cru, ces années-là qu'il était sauvé, qu'il valait quelque chose, qu'on s'intéressait à ce qu'il disait, à ce qu'il était.

Mais au fond de lui, le solitaire était resté le même, avec ses mêmes questions sans réponses et dont il a peu à peu compris qu'il n'en aurait jamais. Et c'est aussi bien comme ça. Sa fêlure, il l'aime, parce qu'elle lui a évité souvent de sombrer. Sa force, il la lui doit, comme à son enracinement dans la terre noire de la mine, comme aux châtaigniers où il était incapable de monter. Il lui doit sa rage de dire "J'y arriverai" et sa volonté de rebondir s'il n'y arrive pas. Il l'aime sa fêlure. C'est son souffle. Sans elle, il y a longtemps qu'il serait crevé.

jeudi 28 juillet 2011

Momentini

- Une caissière de supermarché, ça peut parfois avoir la cervelle plus molle que le fromage blanc qui passe sur son scanner. En ai fait les frais ce matin. Veux pas raconter ce soir, ça va encore m'exciter la bile. Résultat: moi qui pensais que je finissais mon dernier paquet de cigarettes aujourd'hui, direct direction le tabac. (Bon, d'accord, ça sent un peu le prétexte)

- On me demande parfois d'utiliser des photos de mon compte Flick'r. J'accepte en général, après avoir vérifié d'où vient la demande. Mais pour ceux dont je n'ai pas accès à la galerie, ils peuvent toujours se brosser.

- Toujours à propos de photos: lorsque quelqu'un atterrit sur mon blog avec, en clé, une demande précise de photo, il est rare que celle qu'on lui propose corresponde à ce qu'il a demandé. Par exemple, cet après-midi, la demande était "Belle italienne" et le cliché proposé un plateau de fruits de mer dégusté au Grau-du-Roi! Quelqu'un a-t-il une petite idée du pourquoi de la chose?

- Parmi les morts célèbres du mois de juillet: Roland Petit (10), Jacques Jouanneau (18), Pierre Jonquières d'Oriola (19, Michael Cacoyannis (25). Vous en avez entendu parler, vous? Moi pas.

- Même les employés de casino n'achètent plus les fruits et légumes sur leur lieu de travail: trop chers. Confidence de l'une d'entre elles. Non, pas la basse du plafond.

Et un peu de musique, ça vous dirait (31)

Saint-Saëns - Symphonie pour orgue n°3 op-78 (Paul Paray et Marcel Dupré)

Généalogie

Un petit tournevis de précision, un bidon d'alcool à brûler, un vieux chiffon qui sera à mettre aux ordures plus tard. Assis sur mes talons devant le haut du buffet de la grand-mère paternelle déposé au sol pendant les travaux. Un buffet plein de rosaces sculptées en creux, faites à la main au début du siècle. Enlever la cire encrassée par des années de cigarettes et de négligence, pour réparer des ans le réparable outrage. Qui a fait cette tache, là, à peine perceptible si l'on n'y prend garde? Quelle bouteille a-t-on laissée sur cette étagère, dont la trace reste encore malgré les années passées? Et la patte du chien à l'arrêt, en relief, à recoller.

Et puis tous les morts qui volettent autour du meuble, l'arbre de quelle forêt, le menuisier, l'aïeule, ses trois fils dont deux qui furent mes pères, tous ces soirs d'amour ou de larmes que je recueille sur le chiffon sale, tous les objets posés, la corbeille de fruits dont l'anse est aujourd'hui cassée, la photo du mari tué entre deux wagons, trop jeune, le livre que l'on sortait à chacune des visites dans le petit appartement et où l'image d'Épinal cachait mal le loup dissimulé dans le feuillage, le petit cochon de bois sombre dont on offrait le tabac à priser à l'annonce du mariage, en même temps que les dragées.

Calyste heureux.

mercredi 27 juillet 2011

Trois façons de voir et d'entendre

PROKOFIEV - Roméo et Juliette - Danse des Chevaliers.

Ballet


Piano


Pub

Distorsion

A parcourir d'anciens journaux intimes, écrits quelques quarante ans auparavant, en s'arrêtant parfois plus longuement sur certaines pages, on a souvent des surprises de taille.

D'abord la naïveté de certaines idées qui fait sourire, et le style ampoulé à grincer des dents qui nous restent. Bien sûr, il y a cette sorte de tendresse à retrouver le jeune homme que l'on était alors et qui, sur certains points, n'a pas vraiment changé. Mais que de pathos et de propension à s'apitoyer sur soi-même, que de temps passé à chercher à se connaître et à deviner ce que l'on va devenir!

Si la trace écrite permet de dater précisément certains souvenirs, voire à en rappeler d'autres totalement oubliés, elle a aussi ce satané pouvoir de nous montrer comme l'on peut se mentir à soi-même et comment la mémoire, au fil des ans, transforme peu à peu, sans que l'on y prenne garde, la réalité retrouvée intégrale ici, dans ses pattes de mouche.

Ainsi, l'histoire de cet ami brésilien lecteur de portugais à l'université de Saint-Étienne, rencontré dans des lieux peu fréquentables (et pourtant, à cette époque, moultes fois fréquenté) et retrouvé à Lyon, lorsque je trahis ma ville de naissance pour passer à l'ennemi. J'ai cru avoir appris sa mort à mon arrivée à Lyon, juste après mon installation en cité universitaire. Or, voici ce que je lis, à la date du 13 décembre 1972:
"J'allais quelquefois manger chez lui et nous discutions beaucoup. Il préparait une thèse sur Proust(...) Nous en parlions souvent(...) Car c'était bien là le fond de son être: d'avoir un amour immense pour la beauté, lui qui n'était pas très beau. Il nous reprochait, à nous français, de manquer de passion (...) . La dernière fois que je le vis, c'était à l'hôpital: on le croyait atteint d'une pleurésie. Par la suite, j'appris qu'il était parti, quelques temps après, au Brésil (...). Selon le brésilien qui m'expliqua tout cela,il n'eut pas la joie de jouir de son retour: deux jours seulement auprès de sa mère."

Je me souviens bien sûr de ce garçon que j'appréciais réellement. Mais aucun souvenir de ces discussions, de ses repas, ni même de ma visite dans sa chambre d'hôpital. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que, quelques mois après, en feuilletant des bouquins d'occasion chez Gibert, j'ai décidé d'en acheter un qui ne m'intéressait pas vraiment mais qui était dans mes moyens, une étude sur Bernanos, il me semble. En traversant le Rhône par le pont de la Guillotière, j'ai ouvert ce livre. Une carte postale en est tombée, un petit mot de lui à sa mère au Brésil, comme un petit signe post mortem qu'il me faisait depuis l'au-delà.

Du latin Gladius, l'épée

Dimanche, au marché, j'ai acheté des glaïeuls. "Ce sont des glaïeuls de jardin, vous en serez content!" m'a dit la marchande. Pas obligé de la croire, mais j'ai acheté tout de même. Et elle n'avait pas tort. De fermés qu'ils étaient il y a trois jours, ils sont devenus magnifiques sur la table de la cuisine et peu à peu toutes les fleurs s'ouvrent sur les hampes.

C'est une fleur que j'ai toujours aimé. Comme la pivoine, le glaïeul est généreux dans sa floraison. Et, comme disait ma grand-mère, c'est une fleur qui tient. Ma mère en plantait toujours dans le jardin, à côté d'un carré de reines marguerites aux couleurs variées. Elle a toujours eu la passion des fleurs, ce que je partage avec elle. Si le reste de l'espace était consacré aux légumes, il y avait toujours une large place qui leur était consacrée. Un jour, des gens en voiture se sont arrêtés sous l'acacia et ont demandé si nous voulions concourir pour les maisons fleuries. Mais ça n'intéressait pas ma mère: elle plantait avant tout pour son plaisir à elle.

Le souvenir le plus précis de ce jardin, c'est pourtant autre chose: la tonnelle de vieilles roses sous laquelle mon père avait installé une banquette à deux places extirpée de l'une de ses voitures défuntes et où l'on s'enfonçait profondément. J'y ai lu Les Trois Mousquetaires un été, autant drogué par le parfum des fleurs que par les aventures de D'Artagnan et de ses acolytes. Aujourd'hui, plus de jardin ni de maison. A la place, un terrain de football où je n'ai jamais vu personne.

mardi 26 juillet 2011

Puisqu'on a le droit de copier!

A la manière de La Plume, quelques petites réflexions sur mes tags:

- (mauvaise) Humeur: parfois, mais je me soigne!

- Abécédaire: Dieu merci, je n'en suis pas encore arrivé tout à fait à la dernière lettre!

- Antiquité: finalement dans un avenir assez proche à mes yeux, et en plein dedans pour d'autres.

- Arts: j'aime beaucoup celui du contre-champ.

- Autobiographie: j'en ai dit déjà beaucoup.

- Automne: ma saison préférée

- Bobo: presque rien. Pas de quoi en faire un drame, en tout cas.

- Ciel: mon mari!

- Cinéma: j'ai presque oublié ce que c'était.

- Cuisine: la mienne me plaît bien avec ses carreaux multicolores.

- Des Riens: la vie, quoi!

- Échange: un mois de juillet pourri contre un rayon de soleil.

- École: pas tout de suite.

- Écriture: si on la taxait, je n'aurais plus un sou.

- Été: c'était quoi, déjà?

- Famille: je t'ai (singulier de : je vous hais)

- Femmes: il en faut. Il y en a même qui mériteraient d'être des hommes (aïe, aïe, aïe!!!)

- Hiver: oui, pourquoi pas.

- Homo: comment vous avez deviné?

- Humour: indispensable, comme le sel sur les pommes de terre.

- Italie: je vous la fais courte ou je me lance?

- Jardin: mon plus grand regret

- Jeux: interdits, surtout.

- Lettres à Pierre : j'espère qu'il les a reçues.

- Littérature: et tout le reste n'est rien.

- Lyon: la plus belle ville du monde (et pour un stéphanois de naissance, vous mesurez l'effort que ça me demande!)

- Moi: Ah! si je n'existais pas!

- Musique: même celle du silence.

- Mystères: il faudrait qu'on m'en explique quelques-uns me concernant.

- Mythologie: mon premier livre d'images sexuées.

- Mémoire: je l'ai parfois qui flanche.

- Peinture: pour l'instant, ça va, je viens de beaucoup donné. Foutu plafond!

- Pensées: fleurs de cimetière.

- Photo: non, non, non, je ne mettrai pas la mienne sur ce blog. Certain(e)s croient que je suis blond aux yeux bleus. Je me dois de respecter les rêves de mes lecteurs!

- Pierre: oui, Pierre.

- Politique: organisation de la cité. Mon cul!

- Printemps: bof!

- Pub: vous pouvez aller pisser.

- Radio: à la cuisine, dans ma chambre, dans mon bureau, au salon et dans ma voiture.

- Religion: humaine.

- Rêves: pas assez souvent érotiques, à mon goût.

- Saisons: quatre seulement mais qui remplissent bien l'année.

- Scènes: ménage ou théâtre?

- Sons: la voix

- Spectacles: ceux de cet été, à Lyon, en plein air, doivent en prendre un sacré coup!

- Sport: je m'y remets dès que j'arrête de fumer. Dès que.

- Tendresse: ma drogue.

- Textes: quelle prétention!

- Télévision: c'est depuis qu'elle est à la benne que j'ai envie de la regarder!

- Ténèbres: Des Leçons, magnifiques!

- Vibrations: ah ben oui, encore, tout de même!

- Violence: je lutte contre celle, naturelle, de mon tempérament profond.

- Voyages: voyages...., comme dirait la grande coiffé en pétard.

Tout ce qui rentre fait vendre.

Quand je vois le nombre de bouquins qui sortent, ça donnerait presque l'envie d'être analphabète! Soit parce qu'on se dit qu'on n'aura jamais le temps de tout lire, soit parce qu'on trouve que les éditeurs publient n'importe quoi. Mes visites aux librairies sont de plus en plus maussades à cause de ça. J'étouffe sous le nombre. Même en ne les regardant pas tous, même en n'en feuilletant que quelques-uns. A voir ce que j'ai parcouru cet après-midi, il semble que l'on donne dans la morosité ces temps-ci. Pas besoin de ça! J'ai l'impression aussi que mon instinct pour dénicher le bon roman est moins affuté qu'autrefois. J'ai le nez qui vieillit. J'en ai acheté quatre, plus un offert. On verra.

La toute première fois

- où j'ai joui (eh oui, il faut bien justifier le titre racoleur de ce billet!): dans les toilettes de la ferme, à l'extérieur de la maison, sans me toucher, sans rien. Je devais avoir à peu près 11 ans. Je me demandais ce qui m'arrivait. J'ai cru que j'étais malade.

- où je suis allé à l'opéra: à 19 ans. L'Orfeo de Monteverdi. J'étais au poulailler, finances obligent. Debout de longues heures. Subjugué. Je n'ai pas vu le temps passé.

- où je me suis évanoui: vers 12 ans, en sortant du lycée. Pas sous l'effet d'une émotion vive. En butant contre une bouche d'arrosage qui dépassait du trottoir. Un à-plat de maître (comme la deuxième et dernière fois de ma vie, à 14/15 ans).

- où je me suis rendu compte que les filles ne m'intéressaient pas sexuellement: pas de date. Ce fut et c'est toujours un état permanent.

- où je me suis rendu compte que les garçons m'intéressaient sexuellement: voir explication précédente.

- où j'ai fumé une cigarette: pas une mais le paquet, et des gauloises brunes, en plus. A 18 ans. Je devais partir en Grèce avec un mec rencontré en draguant. Passeport arrivé trop tard. Pas la peine de prendre le bateau: mon lit a très bien fait l'affaire une fois le paquet vidé.

- où j'ai fumé autre chose: 22/23 ans, dans les Vosges. Aucun effet, alors que le copain, lui, était bien parti. Deuxième tentative, au même endroit, le lendemain: rien. Troisième, à ma demande le soir. Jamais je n'ai trouvé la musique que j'entendais aussi belle. Depuis, stop: je ne suis pas un inconditionnel.

- où j'ai eu peur: après un film à la télé. La vie du Curé d'Ars. Pas de censure parentale bien sûr pour ce genre de film. Le Grappin, jamais vu mais toujours là et qui faisait grincer l'armoire du saint homme. Celle de chez ma tante, où je dormais, n'a pas arrêté de toute la nuit.

- où j'ai dit "je t'aime": on me l'a dit avant que je le dise. Toujours cette peur de m'imposer.

- où j'ai compris que j'étais mortel: je ne suis pas sûr d'avoir encore bien compris.

- où j'ai tué: une seule fois, à part les moustiques. Un caneton, sur lequel j'ai marché sans le voir. Malade toute la nuit suivante.

- où j'ai convoité la femme de mon prochain: jamais. En revanche, mon prochain....

- où j'ai lu un vrai livre (enfin, presque vrai): âge incertain. Le livre s'appelait Tap-Tap et Bilili. Google me dit qu'il est d'Ernest Pérochon et date de 1937. Mais je l'ai lu tout de même quelques années plus tard, hein!

- où j'ai su ce que voulait dire "femme enceinte": en sixième, 11 ans donc. Oui, j'étais un peu retardé question connaissances intimes. C'est un copain protestant qui me l'a expliqué. Avant, je cherchais toujours l'auréole.

Et puis, et puis, et puis.... (à suivre, peut-être)

lundi 25 juillet 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait (30)

Adamo, Chanson en rondelles (1966)

Mais où sont les lettres d'antan!

Je n'ai jamais su écouter la radio sans rien faire d'autre en même temps, par exemple dormir le matin, manger à midi, conduire ma voiture ou refaire mon appartement. En ce moment donc, je l'écoute beaucoup puisque je dors, je mange et surtout je ne manque pas de travaux domestiques.

Aujourd'hui, sur France Inter, il était question de l'art épistolaire ou, plus prosaïquement, de la disparition progressive du courrier par lettres. Ainsi seulement 3% de ce dont se charge la poste en est constitué, mais, paradoxalement, alors qu'au début de cette institution, c'était surtout une certaine classe sociale cultivée qui écrivait, de nos jours les lettres sont écrites à 40% par des gens plutôt modestes. Explication peut-être dans le manque d'ordinateur à la maison?

Si quelques auditeurs regrettaient ce mode de communication, la grand majorité considérait qu'un mail pouvait être tout aussi riche qu'une lettre. J'en doute! Un SMS est souvent rédigé à la va vite et dans un but uniquement utilitaire. Il est loin de posséder toute la poésie d'une enveloppe trouvée dans sa boîte et tenue fébrilement dans l'escalier en entendant de pouvoir l'ouvrir, sans parler du plaisir à considérer le timbre ou la flamme. Il prive du contact sensuel avec la papier, que j'avais l'habitude de sentir longuement avant de lire les mots qui y étaient tracés.

J'ai, en archives, quelques lettres dont je ne me débarrasserais que difficilement. Celles de gens que j'ai aimés ou qui m'ont aimé, d'amour ou d'amitié, celles, riches de savoir, de Paul, un ami parisien traducteur et écrivain, celle d'Odile, bonne de cure, toujours agrémentées de dessins naïfs et de collages, celles de tous ceux qui, à un moment, ont pris le temps de se pencher sur leur bureau pour rédiger un texte, beau ou émouvant, ou les deux, à moi destiné.

Il est vrai qu'aujourd'hui, je n'en reçois plus guère, de même que je n'en envoie pas et que les seules enveloppes que je tire de ma boîte sont des factures, des publicités ou de la propagande politique. Je le regrette un peu, même si je comprends que l'on puisse préférer taper sur un clavier plutôt que de prendre un stylo en main. C'est mon cas, à moi que l'ordinateur a désinhibé de l'écriture en me faisant oublier tous les anciens modèles écrasants que je tentais vainement d'imiter.

La lettre papier est donc d'un autre siècle. Passons et vivons avec notre temps! Mais j'ai plus de mal à supporter que le mail remplace également peu à peu les coups de téléphone. Depuis combien de temps n'en ai-je pas reçu de ma sœur ou de mon frère? La communication ne passe plus désormais que par de petits mots à lire sur son écran, auxquels on ne peut répondre qu'en différer, en n'ayant plus comme point de repère le ton ou le rythme de la voix, en ne pouvant s'enrichir mutuellement de précisions ou de contradictions instantanées. Moi qui aime les voix, je suis en manque. Profond.

dimanche 24 juillet 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait (29)


Giani Esposito - "Le Clown"

De la suite dans les idées, ..... ou pas.

Retrouvé dans un vieux cahier où je tenais mon journal intime de jeune homme, et échappé, je ne sais comment, au massacre, ces quelques lignes:

18 novembre 1974
Lu dans Green le mot Potomac. Étrange impression que ce nom fait sur moi...

19 mars 1975
Lu dans une étude sur Julien Green, de Pierre Brodin, étude du reste fort peu approfondie: "(Le plaisir sexuel)... poussé à son paroxysme, peut être, chez certains, plus ou moins consciemment, une recherche de l'absolu..."
Mot de mon frère hier: "J'aimerais manger la musique".

11 juillet 1975
Repensé ce matin à ma tristesse lors de mon voyage à Rome pour l'ouverture de l'Année Sainte. A Saint-Pierre, assistant à une messe en latin dite par le Pape, grande émotion de réentendre ces chants de mon enfance (Credo, Gloria,...) et profonde tristesse de ne plus les savoir que par bribes.. Je ne pouvais être ému que par procuration.
Horrifié l'autre soir, au cours d'une émission télévisée (...) sur les univers concentrationnaires et les sociétés totalitaristes quelles qu'elles soient, d'apprendre que dans le catéchisme nazi (paradoxe!), on enseignait que la Vierge Marie aurait été violée par un soldat romain. Ainsi le Christ ne serait qu'à demi juif. Voilà de quoi réconforter encore de nombreuses consciences contemporaines.

Ce cahier, je crois que je vais le garder, ainsi que quelques autres.

Douze pas

Douze pas, une pause. Trois pas plus hésitants, un autre arrêt. Le tuyau des eaux usées de l'immeuble est là pour accueillir sa main tremblante. Il repart. Quelques gouttes de pluie. Le ciel est devenu noir. La canne canadienne risque de glisser. Il lève les yeux au ciel. Il y a longtemps que sa bouche ne profère plus aucune prière. Juste pour voir si l'averse lui laissera le temps d'arriver. Au fond d'un sac blanc en plastique, un chargement léger, quelques légumes pour le dimanche de solitude, des haricots suffisants pour le déséquilibrer.

Le pas gratte le trottoir. Les pantoufles n'ont plus de forme,pas non plus le vieux jean qu'une ceinture retient moins bien que le ventre. Le T-shirt Kookai, saugrenu, n'a plus que de jaune le souvenir. Le visage est blême, sans sueur. De ma fenêtre, je devine la respiration embarrassée par l'effort. Encore trois pas et un passant le double, sans le voir. Image du passé. Supposition de l'avenir.

samedi 23 juillet 2011

Momentini

Avant de sombrer dans la nostalgie forcenée qui me guette, retour à la triviale réalité avec ces quelques momentini du jour.

- Une fois le plafond du salon terminé, il n'a pas fallu deux jours pour qu'il se mette à cloquer comme une vieille peau malade. Résultat: tout à gratter et plus qu'à recommencer. Déprimant! Surtout pour Jean-Claude qui y a passé la journée! Alors, ce soir, nous avons noyé notre chagrin dans le champagne.

- La politique de vente forcée des supermarchés m'exaspère. Exemple? Pour deux lots de maquereaux au vin blanc achetés (soit quatre boîtes), deux lots gratuits. Total: huit boîtes! Et les vieux à petite retraite, qu'est-ce qu'ils font de huit boîtes de maquereaux? Jusqu'où va se nicher la sacrosainte vénération des familles nombreuses dans les pays latins!

- Pourquoi fait-il soleil alors que je récure mon appartement et se met-il à pleuvoir dès que je mets le nez dehors? Hein? Quelqu'un peut-il me l'expliquer?

- Après feu ma télévision, c'est mon aspirateur qui a eu hier des velléités de rendre l'âme. Heureusement, après nettoyage approfondi, il a bien voulu consentir à redémarrer. Mais qu'est-ce qu'elle croit, cette électronique? Que j'ai la fortune de Rothschild?

- " La peur grandit en Norvège alors que le nombre de morts s'accroit". Entendu aux infos sur France-Inter. Je croyais ce genre de phrases à la con réservé çà TF1.

- Le bougainvillier est en fleurs sur mon balcon de cuisine. Après tout, le monde n'est pas si mauvais.

Et un peu de musique, ça vous dirait? (28)

Anne Vanderlove, Ballade en Novembre,


Un timbre de voix

Jacqueline Caurat a eu 82 ans aujourd'hui. Qui me l'a dit? C'est un site très intéressant que je vous conseille: Chronobio-dates de naissance. Cliquez et vous verrez. Qui était Jacqueline Caurat? J'imagine que les plus jeunes de ceux qui passent ici ne le savent pas. C'était une des premières speakerines de la télévision française, aux côtés de Catherine Langeais et Jacqueline Huet. Si Jacqueline Huet ne m'a jamais inspiré aucun sentiment (je la trouvais un peu pimbêche), et Catherine Langeais l'admiration que l'on doit à une icône, en en revanche Jacqueline Caurat était l'amour de ma vie lorsque j'étais enfant.

D'abord à cause de sa voix que je trouvais, et trouve toujours, très sensuelle et aussi parce qu'elle présenta pendant de longues années une émission qui me passionnait: Télé-philatélie. J'avais commencé alors une collection de timbres qui s'est depuis fortement enrichie mais qui, voilà quelques années, s'est mise à dormir tranquillement aux fonds de mes tiroirs. C'est elle qui, par sa clarté et sa simplicité, a contribué à faire grandir cette passion naissante. Je n'étais alors qu'un petit garçon, fils de paysan et mineur et mon horizon se limitait aux champs qui entouraient la maison et au village, de l'autre côté de la colline, où, chaque dimanche, je me rendais à la grand messe.

Les reproductions sur ces petits morceaux de papier que je glanais partout où je passais, y compris dans les poubelles de la poste principale de Saint-Étienne, m'ont fait connaître le monde avant d'en découvrir plus précisément une partie au cours de mes voyages. J'avais donc ainsi deux moyens d'évasions, mes livres et mes timbres, et j'ai jusqu'à aujourd'hui conservé la boîte de dragées rose qui, tout au début, me servit à les amasser et que je cachais soigneusement des instincts destructeurs de mon frère derrière les Bibliothèques rose puis verte dans la vitrine du cosy qui nous servait de lit à tous les deux.

Alors, bon anniversaire, Madame Caurat, et merci pour tous les rêves que vous m'avez permis de faire.


A noter, en cours de vidéo, la politesse de la télévision, à l'époque!

vendredi 22 juillet 2011

Les gens de Paris (12)










Cercles de tours

Dans le fond d'un placard

Aujourd'hui, Jean-Claude, en ex menuisier qu'il est, a trouvé bon de réparer le bahut de mon salon. Je ne peux pas lui trouver tort. Il a fallu vider le meuble de toutes les cassettes audio et des vinyles qu'il contenait. Depuis combien de temps ne l'avais-je pas ouvert? Avec les CD, j'ai peu à peu oublié ces vieux disques dont certains, pourtant, me tenaient à cœur.

En revanche, j'ai fait de véritables découvertes, comme cet enregistrement de musique pop de l'est que Pierre avait ramenée de Pologne lors de l'un de ses voyages. Jerzy Grunwald, vous connaissez? En recherchant sur Google, j'ai pourtant pu le retrouver. Aucun souvenir de ce que ça peut être. Lorsque cette chaîne sera réinstallée, j'essayerai de le réécouter, si le diamant n'est pas totalement hors-service.

Une autre surprise: un 45 tours à deux titres d'un italien, un certain Pino D'Angio, gueule d'ange sous chevelure méditerranéenne. Encore un qui a laissé une trace indélébile dans l'histoire de la musique avec ses deux titres: Ma quale idea et Lezione d'amore! Ça sent le slow à plein nez.

Et puis des choses aussi disparates que Sheila (Reviens, je t'aime), Julien Clerc (Les Fleurs des gares), Michel Polnareff (Gloria), Germaine Montero (Paseando por Espana), Gilles Dreu (Je dirais même plus), Le Quartet de Lyon (Aux Marches du palais), Les Valses de Strauss (un de mes tous premiers disques), Les Chœurs de l'Armée rouge (Plaine, ma plaine), Les Compagnons de la chanson (La Chanson de Lara), François Deguelt (Quand l'amour viendra), Charles Aznavour (Comme ils disent) ou John Littleton et les Petits Chanteurs de St-Laurent.

Un dernier, instant souvenir. 1981, séjour à Perugia, Université pour Etrangers, Palazzo Galenga. J'avais 29 ans. Soir d'été où je rencontre un ex mannequin. Nuits torrides et amour naissant (de sa part). A mon départ, il m'offre un disque: Malinconia, de Riccardo Fogli. C'est tout ce qui me reste de lui. J'ai oublié son prénom.

Et, merveille, je viens de retrouver cette chanson sur le Net. Écoutez, et ne vous moquez pas, per favore!

Merci

Ce matin, courses au supermarché du coin. A la caisse, un papy derrière moi. En manipulant sa baguette, il croit m'avoir frôler avec. Et de s'excuser immédiatement. Moi, civil: "Mais je vous en prie!". Il ne m'avait même pas toucher. La file avance, je pose mes achats sur le tapis roulant et installe le sépare-client (vous savez, ce petit panonceau où l'on a aussi trouvé le moyen de fourguer de la pub).
Le papy: "Merci, Monsieur."
Moi: "Les gens qui disent merci, ça se fait de plus en plus rare!"
S'ensuit une courte conversation avec lui sur la politesse qui se perd. Il y a quelques années, je me serais trouvé ridicule de l'avoir, cette conversation. Aujourd'hui, j'assume, je persiste et je signe.

jeudi 21 juillet 2011

Les gens de Paris (11)










Mais qu'est-ce qu'il peut bien lire?

La Janine

Il y avait, dans notre campagne, passé le virage après la maison, une autre famille de mineurs. Si je ne me souviens pas du père, absent le jour comme tous les hommes de cette époque, je garde un souvenir précis de la mère, une maîtresse femme si masculine qu'elle avait avoué une fois à la mienne, se raser les poils de la poitrine. Pourtant, elle ne renonçait pas à sa féminité et, pendant qu'elles bavardaient (longuement!) au retour des courses au village, elle avait l'habitude ou le tic de s'humecter le pouce et l'index avec de la salive et de lisser un semblant d'accroche-cœur qu'elle tentait de maintenir en place dans sa chevelure raide, geste qui, à l'âge que j'avais, me dégoûtait profondément.

Mais c'est surtout de l'une des trois filles que l'image reste gravée encore aujourd'hui dans ma mémoire. J'ai peu fréquenté l'aînée, beaucoup plus âgée que moi, et qui, à son mariage, quitta notre village pour s'installer à Saint-Étienne. La benjamine était une grosse fille délurée, amie de mon frère, qui, si j'ai bien deviné, s'est permis quelques privautés enfantines avec elle, derrière les bottes de foin. La cadette avait seulement un ou deux ans de plus que moi, ce qui faisait dire à ma mère, jamais à court d'idées pour m'exaspérer, que c'était ma fiancée. Physiquement, elle était très laide, une petite maigrichonne au nez crochu qu'elle avait hérité de je ne sais où, et l'intelligence vive lui restait encore à découvrir.

Pourtant, ma mère l'avait prise en affection et l'accueillait régulièrement chez nous pour lui apprendre le tricot et la broderie. Elle passait ainsi la plupart des jeudis après-midi avec nous, et ce jour-là, nous avions droit immanquablement à un bon gâteau de semoule. Je crois que c'est à cause de ce gâteau que nous aimions la voir arriver, avec sa laine et ses aiguilles. Malgré les doutes de sa génitrice sur ses capacités, la Janine (dans mon enfance dans la Loire, le prénom était toujours précédé de l'article. C'est seulement en arrivant à Lyon pour mes études que j'ai fini par prendre l'habitude de le supprimer). fit peu à peu de réels progrès et finit par ne plus se tromper dans les mailles à l'endroit et les mailles à l'envers.

Nous, les enfants, nous étions beaucoup moins tendres avec elle et elle était l'enfant idéale pour tenir le rôle du souffre-douleurs. Combien de tours pendables avons-nous pu lui jouer, certains anodins, d'autres relevant de la méchanceté pure! Un jour, nous l'avions enfermée dans une cage grillagée destinée à une poule et ses petits. Elle était si menue qu'elle y rentrait parfaitement, mais pas question de beaucoup bouger, bien sûr! Elle s'était prêtée en riant à ce jeu stupide mais, au bout d'un moment, elle voulut ressortir et c'est là que la chose devint intéressante pour nous, à la voir se démener et grogner en nous insultant dans sa prison de grillage. Je ne me souviens pas de la façon dont finit l'histoire, seulement de cette face rouge de sueur et nous crachant sa haine au visage.

Une autre fois, nous eûmes recours à notre chien pour la torturer. C'était une chienne bâtarde très douce et affectueuse qui n'avait qu'un seul défaut: elle ne supportait pas qu'un étranger approche son visage de sa truffe pour l'embrasser. Tout le monde, chez nous, le savait. La Janine pas. Et ce qui devait arriver arriva: sur nos conseils, elle fit ce qu'il ne fallait pas faire et se fit mordre le nez par la chienne inquiète. Lorsqu'elle se releva, elle saignait abondamment. Visiblement, le coup de dents avait été vorace!

Il ne fallait pas, bien sûr, laisser de traces de notre exaction! Nous lui tînmes donc le visage penché en avant pour que les gouttes de sang ne tachent pas son tablier tout propre et, voyant que l'hémorragie ne s'arrêtait pas, nous lui plongeâmes carrément la tête dans un grand bac rempli de l'eau destinée à préparer la soupe des cochons. Le résultat ne fut pas à la hauteur de nos espérances: si l'écoulement avait un peu diminué, il ne s'était pas arrêté. Il fallut tout de même prévenir ma mère qui, après avoir soigné notre martyr préférée, nous passa l'envie de recommencer.

Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Quand je passe là-bas, rarement, je pense à elle devant la maison que sa famille n'habite plus. Mon frère l'a aperçue une fois, marchant le long de la route d'un petit pas pressé. Il paraît qu'elle n'a pas beaucoup changé, toujours petite et menue, le poids des ans en plus. Se souvient-elle de ce que je viens d'évoquer? Nous en veut-elle encore de tout ce que nous lui avons fait subir? Ou bien au contraire est-ce pour elle la plus belle période de sa vie, celle où, bien qu'étant différente, elle était, au sein d'un groupe d'enfants turbulents, un être à part entière qui participait à leurs jeux, même cruels?

La Vie d'un idiot

Quelle idée d'avoir acheté ce livre! Ce petit Folio à deux euros contient deux nouvelles de Ryûnosuke Akutagawa (imaginez le temps pour taper ce nom!) extraites de La Vie d'un idiot et autres nouvelles. Sinistre, et en plus, je n'ai pas accroché au style. Elles ont été publiées à titre posthume puisque qu'elles datent toutes deux de 1927, année du suicide de leur auteur hanté par la folie. En guise de testament, il ne laissera que ces deux mots: "Vague inquiétude". Et je lisais ça pendant que le ciel bas et lourd pesait comme un couvercle, pour paraphraser Baudelaire!

Mais ce qui m'a surpris, et retenu, c'est la modernité du propos pour des textes écrits il y a plus de quatre-vingt ans. Ils ne dépareraient pas sous la plume d'auteurs beaucoup plus contemporains.

(Ryûnosuke Akutagawa, La Vie d'un idiot, précédé de Engrenage, Gallimard, Trad. de Edwige de Chavanes)

mercredi 20 juillet 2011

Les gens de Paris (10)







La couverture

Music for God

Écouter l'Oratorio de Noël un 20 juillet, il y a de quoi surprendre, même si les températures extérieures ne sont pas vraiment celles d'un plein été. Mais y a-t-il une saison plus propice qu'une autre pour écouter Bach ? Ce compositeur ne m'a jamais déçu, je l'ai déjà dit, et cet Oratorio est, à mon goût, une de ses plus belles œuvres, surtout sous la direction de Peter Schreier enregistrée en 1986/87 à la Lukaskirche de Dresde et sortie chez Philips.

Pourquoi est-ce cette version que je préfère? Sans doute parce que c'est la mienne et que j'ai l'habitude de l'entendre, que j'en connais la moindre nuance et que mon oreille y est faite. Mais pas seulement: tout y est parfait, depuis le Rundfunkchor jusqu'au Trompetenensemble Ludwig Güttler et au moindre des solistes, avec une mention spéciale pour le ténor Eberhard Büchner. Mais assez de mots, place à la musique. En voici un extrait( Schlafe, mein Liebster) , dirigé par un autre chef d'orchestre, John Eliot Gardiner et interprétée par la mezzo soprano argentine Bernarda Fink. Moins romantique, plus spirituelle, plus dépouillée et tout aussi intéressante.


A la fenêtre

Je crois qu'un fou habite en face de chez moi, de l'autre côté de la rue, un étage plus haut que le mien. Il est là depuis de nombreuses années et je le vois depuis toujours répéter inlassablement le même manège. Physiquement, pas terrible, genre petit brun poilu à la figure "serrée". Un jour de grande disette, peut-être, et encore...

Je ne sais pas s'il travaille. J'en doute à le voir souvent dans la rue ou au bar-tabac du coin à n'importe quelque heure de la journée (oui, moi aussi, me direz-vous, j'y suis, mais moi, je suis prof, et tout le monde sait bien que les profs ne travaillent pas beaucoup!). Lorsqu'il sort de son immeuble, il prend un peu de recul pour observer ses fenêtres. Que craint-il? Les jalousies en sont constamment baissées, totalement sur deux fenêtres, à moitié sur la troisième.

Quand il est chez lui, c'est à cette dernière qu'il apparaît régulièrement. Il est en général torse nu, été comme hiver, parfois même entièrement nu. Il regarde un moment dans la rue, avec l'air d'attendre quelqu'un. Pourtant, je n'ai vu dans son appartement qu'une seule jeune fille depuis des années et ce pendant une période assez courte. Ensuite, il jette un coup d'œil de mon côté et s'il m'aperçoit derrière mon bureau, devant mon ordinateur, il referme prestement sa fenêtre. Une fois même, il a fait le geste de me chasser de la main, comme si je ne pouvais pas tranquillement vivre ma vie chez moi. Mais le plus drôle, c'est qu'il recommence la même scène cinq à dix minutes plus tard.

A l'extérieur, si nos chemins se croisent, il file comme s'il ne m'avait pas repéré mais avec la trogne plus renfrognée. S'il savait, le pauvre garçon, comme je me fiche de lui et de ses maniaqueries et comme il m'intéresse peu! Qu'ai-je fait, qui puis-je bien lui rappeler pour avoir droit à tout ce cinéma? Peut-être mon seul défaut est-il d'être son voisin d'en face!

lundi 18 juillet 2011

Les gens de Paris (9)







Le briquet

Et un peu de musique, ça vous dirait? (27)

Georges Chelon - Je me souviens

Les foins

L'été, c'était aussi les foins. Je ne sais encore pas aujourd'hui si j'appréciais ou pas. Cela voulait dire des journées en plein soleil, sans possibilité de s'isoler pour lire, avec le short obligatoire, que moi, je n'aimais pas, parce que les herbes sèches grattaient les jambes que les sauterelles frôlaient en sautant sous nos pas et que j'avais honte de mes jambes, un peu tordues à l'image de celles de ma mère.

Pourtant, il fallait bien: personne n'était là pour nous aider. Ma grand-mère avait acheté les deux prés qui jouxtaient la maison des mines, l'un en dessus de la route, l'autre en dessous, tous deux en forte pente, ce qui ne facilitait pas le travail. Celui du haut était barré, à intervalles réguliers de rigoles d'irrigation, toujours sèches, qui faisaient s'envoler la luge lorsque, en hiver, nous le descendions à trois, mon frère, ma sœur et moi. Nous nous arrangions toujours pour placer ma sœur devant et sauter de la luge avant le fossé profond de la route où elle finissait invariablement sa course solitaire. C'était le pré de l'hiver. Je n'ai pas là de souvenir de fenaison en été, seulement de la cueillette des poires sur les trois arbres tout en haut, où les guêpes nous disputaient les fruits.

Celui du bas était encore plus pentu, une sorte de cuvette dont le creux était occupé par un ruisseau, un vieux puits et une mare que, dans la région, nous appelions "boutasse" et où les grenouilles se cachaient, à notre arrivée, sous la couche épaisse de lentilles d'eau. C'est dans le puits, au fond d'un seau accroché à une poulie, que nous mettions les bouteilles au frais pendant que nous travaillions. C'est dans ce pré aussi que nous retrouvions parfois, au matin , les voitures de conducteurs trop éméchés pour prendre correctement le rude virage qui le surplombait.

Tout se faisait à la main. D'abord, mon père fauchait. Je me souviens de lui, en maillot de corps moulant sa poitrine et découvrant ses biceps puissants et brûlés par le soleil et quelques boutons ou points noirs sur le bas de la nuque. Il avait, ces jours-là, une odeur particulière, de sueur fraîche et d'herbes à la fois, que j'aimais sentir sans me faire remarquer. A sa ceinture pendait un étui de cuir noir pour la pierre à aiguiser qu'il sortait régulièrement et mouillait avant de la passer sur le fil de la faux. Parfois la lame rencontrait une motte rebelle, monticule de taupe ou enchevêtrement d'herbes anarchiques, et le geste s'arrêtait brusquement, sur un juron de mon père.

Une fois l'herbe jaunissante, nous la roulions de haut en bas, en plusieurs bandes plus ou moins parallèles où elle finissait de sécher. Ce travail, c'était nous, les enfants, qui en étions chargés: mon père, je l'ai dit, était mineur de jour (je ne crois pas qu'il soit jamais descendu au fond, à la différence de mon oncle, le frère de ma mère, qui mourra plus tard de la silicose.) et ma mère s'occupait de la maison, de la nourriture, de la lessive, du jardin et des conserves. Il m'a fallu longtemps pour savoir tenir correctement un râteau sans en accrocher les dents en bois dans la terre desséchée qui les cassait. Plus tard, à peine, alors que j'étais en camp de vacances près d'une ferme, je surpris les paysans à qui j'avais proposé mon aide par mon savoir-faire. J'étais le seul à ne pas avoir confondu les foins avec une partie de rigolade à la Marie-Antoinette.

Ces bandes étaient ensuite rassemblées en plusieurs tas de foin imposants que, parfois, nous devions rentrer vite dans la grange si l'orage menaçait. Alors mon père, armé d'une longue fourche, s'en chargeait le dos jusqu'à presque disparaître dessous et nous l'apportait à la grange où nous avions pour tache de le ranger correctement et de le tasser en faisant les fous dessus. A la fin de la fenaison, la récolte était telle que nous touchions la charpente du toit rien qu'en tendant le bras. Les rires et les jeux avec mes frère et sœurs compensaient alors le désagrément de la poussière qui s'en dégageait et qui nous faisait souvent éternuer.

Le soir, nous nous lavions dans une grande bassine que ma mère avait installée dans le jardin et qu'elle avait remplie d'eau à chauffer sous le soleil de la journée. Nous ne savions pas encore ce qu'était une salle de bains. Des années, ce rituel se répéta, mon père lourdement chargé et suant sous l'effort, nous mi rires et mi fatigue, à passer là une partie de nos vacances comme de vrais petits paysans que nous étions.

Une année, ce fut soixante-huit et le retour au village de tchèques, anciens mineurs chez nous, qui avaient cru aux promesses de l'état communiste et s'en étaient allés en Bohême à la poursuite d'un rêve inaccessible. Une amie de ma mère faisait partie du convoi et, au printemps de Prague, elle revint avec son fils, son mari et le frère de celui-ci qui, tous trois, n'avaient jamais connu la France. C'est cet été-là que pour la première fois, j'entendis parler du Pont Charles et des beautés de leur ville et que j'appris à compter jusqu'à dix dans leur langue. Je m'en souviens encore. Mais, s'ils me firent rêver de voyages lointains, ils tuèrent aussi une de mes images d'enfant fasciné par la force de son père. La leur, travailleurs infatigables et maigres ( nous découvrîmes qu'ils n'avaient encore jamais vu une orange ni un saucisson entier), la surpassaient de cent coudées.

dimanche 17 juillet 2011

Les gens de Paris (8)







La bulle

Et un peu de musique, ça vous dirait? (26)

Saint-Étienne, Bernard Lavilliers


Dans la nuit

L'odeur du cuir (mais en était-ce?) des sièges dans le vieux tub Citroën, celui qui avait un gros nez de chien bouteur mais pas méchant. Pendant les vacances, mon père me réveillait, vers minuit, pour aller avec lui décharger les camions de primeurs aux anciennes halles de Saint-Étienne. Il faisait ça pour arrondir les fins de mois, en plus de son travail de mineur. Nous étions six bouches à nourrir et, même si les légumes du jardin et la viande des cochons tués chaque année en hiver constituaient une grosse part de notre alimentation, il fallait un peu plus pour les livres, la cantine, les vêtements, même achetés pour durer plusieurs années.

Nous partions dans la nuit de notre campagne proche et où pourtant il n'y avait pas un seul lampadaire pour éclairer la route. Je n'aimais pas cette obscurité froide après la tiédeur de mon lit mais, dès la porte coulissante de la guimbarde refermée, l'odeur des fruits, qu'il ramenait souvent et qui restait comme imprégnée dans la tôle même lorsque les cageots n'étaient plus là, me rassurait, comme de le voir de profil, silencieux, conduire son engin jusqu'à la place Chavanelle, sa gitane maïs à la bouche.

Là-bas, c'était une activité incessante. Il connaissait tout le monde et j'étais, bien qu'intimidé, fier d'être son fils. Souvent, de grosses marchandes à la voix érayée par la cigarette, m'offraient, à moi qui ne buvais pas le café serré qu'il prenait, une pêche ou deux abricots extraits des monticules derrière elles. Je me souviens de la première figue fraîche que l'on me tendit une nuit: je n'en avais jamais mangé et la chaire rose qui en débordait, un peu obscène avec son jus sucré et tous ses grains serrés, que j'assimilerai plus tard au sexe d'une femme, me dégoûta aussitôt. Mais il fallut manger: on ne refuse pas un cadeau fait dans ses conditions. Je mettrai longtemps ensuite pour apprécier ce fruit comme il doit l'être.

Mon père était un magnifique hercule à cette époque et je ne sais pas si je lui étais d'une grande utilité dans sa tâche. Tout me fascinait autour de moi: le va-et-vient incessant des camions venus du sud, les trognes croisées au détour des entrepôts, celles des hommes au nez charnu et vaguement rougeâtres, celles des femmes, plus souriantes malgré l'heure et la fatigue accumulée, les odeurs, les couleurs, les sacoches de cuir où s'enfournaient les billets une fois la transaction conclue, les cafés déjà ouverts autour de la place où certains mangeaient du lard chaud en buvant un pot de blanc, la silhouette encore plus noire que la nuit du clocher de l'église Notre-Dame toute proche...

Lorsque nous rentrions, une fois le travail achevé et les dernières poignées de main vigoureuses échangées, nous replongions un instant dans l'obscurité de la campagne, d'abord éclairée par les faibles lueurs de la ville que nous laissions derrière nous puis aussi noire que le charbon dont elle regorgeait et que mon père retrouverait un peu plus tard dans la journée. Pourtant, ce n'était pas la même que celle dont j'avais peur à l'aller. Elle résonnait encore étrangement dans mes oreilles de tous les cris, de tous les rires de ces gens simples et travailleurs, de tous les coups de klaxon des camions demandant le passage dans ce labyrinthe de primeurs que les citadins consommeraient les jours suivants.

J'étais jeune alors et le sommeil me gagnait bien vite. Alors, appuyant ma tête contre le revêtement du cuir fendillé, je regardais encore le profil de cet homme que je voyais si peu et qui était mon père et puis je fermais les yeux et je sombrais malgré les cahots de la voiture sur les routes défoncée. Parfois, j'avais juste le temps d'apercevoir, à l'horizon, la ligne rosée de l'aurore, encore ténue dans tout ce noir, avant de m'endormir, heureux.

vendredi 15 juillet 2011

Little Bird

Beaucoup de mal à entrer dans ce polar virtuose. Principalement à cause des prénoms ou surnoms des nombreux personnages qui entourent ou que côtoie le shérif Longmire: souvent proches par leur consonance, ils m'ont souvent, au début, induit en erreur sur l'identité de celui dont on parlait.

J'ai bien fait de continuer. Au fil des pages, je me suis attaché à cet homme désabusé et n'ayant pas encore fait le deuil de sa femme. L'approche faite ici de la condition des Indiens aux États-Unis est aussi passionnante et nouvelle (en tout cas dans ce que j'ai pu lire jusqu'à présent). Et puis, depuis mon enfance et la lecture par notre instituteur des romans de James Fenimore Cooper, l'amour des grands espaces ne m'a jamais quitté. Ce n'est pas pour rien que ce blog porte ce titre!

Pour une analyse un peu plus détaillée, voir le billet de Voyelle et Consonne.

(Craig Johnson, Little Bird, Ed. Gallmeister. Trad. de Sophie Aslanides.)

Momentini

- Deux des murs du (grand) salon sont maintenant tapissés: un beau gris souriant. Les deux autres, framboise, attendront encore quelques jours. J'ai découvert ça en rentrant de Paris.

- Certains parlent alors qu'ils feraient mieux de se taire: Eva Joly par exemple. Très beau billet de Solko sur le sujet. En plus, pour mon anniversaire, on m'a déjà supprimé le défilé sur la place Rouge à Moscou! Trop, c'est trop!

- Quinze jours de vacances déjà consommés. Plus de huit jours sans contrainte. Je ne sens plus de chape au-dessus de moi.

- Beaucoup de blogueurs que je lis sont maintenant en vacances. Ça m'énerve!

- Des travaux partout à Lyon. Pas un quartier sans un ou deux trous! N'y a-t-il rien de plus urgent pour la municipalité que de refaire la place des Jacobins, par exemple?

- Feu d'artifice hier soir, sur les quais de Saône après un petit restaurant dans le quartier de l'opéra. Devant nous, une famille apparemment recomposée. Le père, cheveux dressés sur la tête, s'était pris les doigts dans la prise avant de venir. La mère, enceinte, à l'air hagard, réchauffait une bite de béton. Le fils, à l'air niais et peu vif, insignifiant. La fille, prognathe et surexcitée: je risque de me retrouver, à la rentrée, avec ce même type d'hyperactif! Encore de l'énergie à dépenser pour les cadrer avant d'entamer un travail sérieux.

- En gros, tout va bien, quoi!

jeudi 14 juillet 2011

Les gens de Paris (7)










Cheveux

Paris (6)

12 juillet

Pas d'attente aux guichets grâce à ma carte Pass Éducation. Le Musée Branly est presque vide à l'heure où j'y arrive. Je commence par une des expositions temporaires, sur les Mayas. Couvrant toutes les époques des origines à la fin de cette civilisation, cette rétrospective est fascinante et présente des objets en provenance du Guatemala. Même si je ne suis pas un fanatique des arts premiers, je me laisse longuement captivé par ce que je vois et que la mise en espace des collections permet d'apprécier pleinement( je suis en revanche moins positif sur l'aspect extérieur du musée!).

Ensuite les collections permanentes, voyage à travers les siècles et les continents, de l'Amérique à l'Asie, de l'Afrique à l'Océanie. Passionnant, mais mon dos et mes pieds n'en peuvent plus et, au bout de trois heures à l'intérieur des salles, je passe vite, de plus en plus vite devant les dernières vitrines. Sans doute ce musée aurait-il mérité une deuxième visite, à un rythme moins soutenu.

Mais je n'avais pas décidé, cette fois-ci, de m'enfermer dans les musées. D'ailleurs, c'est ce qui me surprend dans mon évolution. A ces collections d'objets du passé, je préfère maintenant la vie des rues, leurs odeurs, leurs couleurs, leurs surprises, l'humanité actuelle dans ce qu'elle a de meilleur et de pire. Je me suis moi-même calfeutré pendant quelques années dans cette sorte de musée qu'était mon appartement. J'ai donné. A présent, c'est le soleil qui m'attire, pas la poussière des ans.

Les gens de Paris (6)










Bob et chaussures de sport

Paris (5)

11 juillet

Il y avait très longtemps que je n'y avais pas mis les pieds. Profitant du beau temps enfin retrouvé, je décide d'y faire une petite visite. Le Père Lachaise est un de mes coins préférés de Paris. Je m'y laisse errer au gré de ma fantaisie, sans trop consulter le plan remis à l'entrée. Découvertes au hasard que je prise, même si le temps me manque pour tout voir ou revoir. Tombes orgueilleuses d'illustres inconnus, chapelles à l'abandon et menaçant ruine, nouveaux enterrés dont la pierre est encore indemne de toutes souillures.

Quelques conversations aussi avec d'autres visiteurs dont ces deux canadiens de l'Ontario pour qui le nom d'Eugène Delacroix ne représente rien. Au hasard des allées, Gilbert Bécaud, Marie Trintignant, Philippe Khorsand, Claude Chabrol, Mano Solo, Michel Petrucciani et une émotion pour moi: la tombe de la famille Russier, où est enterrée Gabrielle qui s'est suicidée en 69 suite à sa condamnation pour détournement de mineur en la personne d'un de ses élèves. Je me souviens encore de l'émotion qu'avait provoqué en moi le film de Cayatte, Mourir d'aimer, avec Annie Giradot.

Émotion encore devant la chapelle à l'abandon où reposent deux amis, deux militaires liés pour l'éternité. Combien de courage, à cette époque du XIX° siècle, a-t-il fallu au survivant pour décider de cette sépulture commune avec celui à qui allait toute sa tendresse!

Lorsque nous avions visité le cimetière avec Yvon, nous avions vingt ans et j'avais été ulcéré par le manque de fleurs sur la tombe de Colette alors que la sépulture voisine, dont le nom ne dit sans doute rien à personne, excepté à sa famille, en était regorgeante. J'en avais subrepticement dérobé quelques-unes pour les placer sur le monument de l'écrivain que l'on oubliait. Yvon avait été choqué par cette audace. Moi, je m'étais senti très fier de mon coup!



En rentrant à Saint-Ouen, fasciné dans le métro par la nuque et les oreilles d'un homme jeune devant moi. Serais-je fétichiste? Douceur de la peau que l'on a envie de lécher, beauté de l'ourlet encore tendre, candeur du léger duvet que vient caresser le vent de la rame. La vie après la mort. Je préfère la vie.

Les gens de Paris (5)










La roue

Paris (4 bis)

10 juillet

Il y avait longtemps que nous projetions de faire connaissance si l'occasion s'en présentait un jour. Ce jour-là était arrivé. Deuxième (ou troisième) rencontre de blogueurs pendant ce voyage à Paris. Olivier m'agace parfois par le contenu de certains de ses billets et je sais qu'il en est de même pour lui à cet égard. Mais je crois que l'estime est mutuelle et jamais la moindre ombre de ressentiment n'est venue se glisser dans le tableau. Je m'attendais à rencontrer un homme plutôt catégorique dans ses jugements et son attitude. Rien de tout cela. De la douceur même, beaucoup. Bonne soirée autour d'un plat portugais à base de morue, en compagnie de Jean-Michel, son ami. Nous partageons beaucoup d'opinions, que ce soit sur la politique ou sur les écrits d'autres blogueurs, en bien comme en moins bien. Lorsqu'il me raccompagne au métro, nous formons le vœu de nous revoir un jour,..... si l'occasion se présente.

Les gens de Paris (4)









L'angle droit

Paris (4)

10 juillet

Le dimanche, nous allons en bout de ligne jusqu'à la Basilique de Saint-Denis. Fin de marché sur la place. On range déjà les étals. La façade me déçoit, je la voyais plus imposante. L'intérieur correspond davantage à ce que j'imaginais. Pas de queue pour prendre les billets pour la nécropole royale. Michel, décidément très fatigué, me laissera faire une partie de la visite seul, en m'attendant sur une chaise. Comme me l'a dit Daniel: "Trop de gisants tuent le gisant!". J'ai l'impression que des livreurs pressés d'en finir ont laissé là, entassés et sans ordre, toutes ces sculptures dont, à de rares exceptions près, on finit pas confondre les noms des occupants. De beaux monuments pourtant dans cet amalgame. J'en reconnais quelques-uns. Celui qui me frappe le plus est le gisant d'un enfant, non pas en pierre comme les autres mais en métal sous verre où les vitraux du chœur se reflètent sous certains angles.

Michel est rentré chez lui. Je poursuis mon périple jusqu'à Châtelet. Deux minutes dans Notre-Dame où la foule m'insupporte et tue tout sentiment de spiritualité. Le square Jean Vingt-Trois est toujours là, bien assagi cependant depuis que je n'y suis pas venu. Par la rue Saint-Louis, je rejoins le bout de l'île, toujours sur les traces de mon passé. Paul y vivait, tout près de l'Hôtel Lambert, aujourd'hui emmailloté pour travaux. La porte de l'immeuble est fermée, je me contenterai d'une photo des fenêtres de cet appartement où j'ai vécu tant de moments heureux avec ce vieil homme cultivé. Quais d'Anjou et de Bourbon puis quai face à l'Hôtel de Ville.

A l'étal d'un bouquiniste, je tombe sur une édition de Potomak (avec un K) de Jean Cocteau, malheureusement fort chère. Je demande à l'homme qui s'est précipité sur moi la permission de prendre une photo. C'est une sorte de dandy ayant sans doute une haute estime de lui-même qui me demande un euro pour ce faire. Pour moi, ce sera gratuit ou rien. Ce sera rien. Je n'aime pas les gens de son espèce. De toutes façons, il est l'heure de mon rendez-vous avec le seul blogueur dont j'ai lu les billets depuis le début: Olivier Autissier.

Les gens de Paris (3)







Les colonnes

Paris (3)

09 juillet

Jour de repos pour Michel. Nous en profitons pour dormir plus longtemps. Le long trajet à pied de la veille, des grands boulevards à la rue de Varenne m'a plus fatigué que je ne l'aurais cru. L'après-midi, après la sieste, balade aux puces de Saint-Ouen, lieu quasi mythique où le souk le plus populaire et bruyant côtoie les stands d'antiquaires onéreux à l'ambiance plus feutré. Je ne prendrai que peu de photos, sentant les gens rétifs devant l'apparition d'un appareil.





Au détour d'une allée, un petit restaurant où se produit, comme chaque jour, une chanteuse populaire qui, ma foi, ne s'en sort pas si mal que ça. Je propose à Michel que nous revenions le soir pour profiter du spectacle mais son état de santé le fatigue beaucoup et il décline l'invitation.




Un bon éclat de rire cependant devant l'un des stands où la propriétaire, exaspérée par les manifestations bruyantes de son petit chien, essaie de le faire taire et finit par lui lancer, comme à un enfant turbulent: "C'est ça ou la SPA!". Miraculeusement, le chien se calme.

Les gens de Paris (2)







La sieste au soleil

Paris (2bis)

08 juillet

Après les mânes de Colette au Palais-Royal, c'est celles de Julien Green que je vais rechercher dans le 7° arrondissement autour de la rue Vaneau et de la rue du Bac. Dans la très laide chapelle de la Médaille miraculeuse, je repense à ce soir des années soixante-dix où j'avais rencontré l'écrivain chez lui, entre chien et loup, l'heure qu'il affectionnait particulièrement. Il était venu nous accueillir lui-même sur le pas de la porte et nous avait conduit dans un salon où les ombres du soir s'harmonisaient avec l'aura de cet homme et où la conversation avait davantage porté sur la religion que sur la littérature, à mon grand dam. Un vieillard déjà et plein de douceur. Il avait parlé de nous ensuite, dans son Journal, comme deux enfants perdus dans la forêt. La fierté que j'en avais ressenti n'arrivait pourtant pas à contrebalancer l'insatisfaction ressentie de ne sans doute pas avoir été compris.

Comment allais-je trouver Daniel, vingt ans presque jour pour jour après notre dernière rencontre lors de la soutenance de Pierre à Lyon? Et si nous n'avions plus rien à nous dire? Ce ne fut pas le cas. Reprise d'une relation comme interrompue la veille. Appartement cossu où je me sens bien tout de suite. Je reconnais Daniel dès qu'il ouvre la porte. Lui a plus de mal: il était resté sur l'image d'un garçon à la chevelure abondante noire et bouclée qui n'a plus rien à voir avec mes cheveux courts et presque blancs. Il me présente l'homme de qui il partage la vie depuis vingt-cinq ans, qui, lui-même, à l'âge de la retraite, s'est mis à tenir un blog et dont je croisais ailleurs les commentaires sans savoir que c'était lui. Remise à jour de nos histoires respectives avec un passé commun qui nous a marqués tous les deux. Mais pas de nostalgie: nous sommes bien vivants l'un comme l'autre. Ce voyage sera celui des découvertes et des retrouvailles.

Paris (2)

08 juillet

Nuit courte après une longue discussion avec Michel. Je suis réveillé quand il part au travail et ne me rendors pas. Rendez-vous à 10h à Saint-Lazare avec Christophe, de Journal Extime. Nous nous quitterons à 12h30. Il correspond bien à ce qu'il écrit. Jeune homme déjà aguerri, à la fois tendre et ironique, sans méchanceté. Le courant passe, il me semble. Nous bavardons sans faux semblants, de tout, de la santé, de l'écriture, de la façon dont nous nous voyions l'un l'autre. Il fait presque froid à Paris ce matin, un vent frisquet sur ces grands boulevards. Je regrette d'avoir laissé mon blouson sur le lit ce matin. Après deux cafés, nous marchons sur le Boulevard Haussmann et les rues adjacentes. Je découvre Drouot et sa sordide façade des années soixante-dix. Barbara est bien loin ce matin et l'Hôtel des Ventes ne me parle pas. Les Passages, ensuite, où nous sommes à l'abri, Passage du Panorama, Galerie des variétés, Galerie Vivienne.

Après avoir quitté Christophe, je déjeune seul dans une brasserie sans prétention et aux prix abordables à l'angle de la rue Vivienne et de la rue des Petits Champs, le café Pistache: deux bonnes côtes d'agneau accompagnées de ratatouille. Le patron porte le tablier serré dans le dos avec la sangle autour du coup. Il est d'un châtain tirant sur le roux et ne me déplaît pas. Sa compagne, ou employée, est une élégante maghrébine très efficace dans son travail.

J'ai du mal à écrire aujourd'hui. La fatigue m'est déjà tombée dessus et je n'arrive que difficilement à aligner deux phrases. Autrefois, près de la Bourse, il y avait une boîte que je fréquentais: Le Scaramouche. Christophe m'a dit qu'il avait fermé depuis plus de dix ans. C'est là où, pour la première fois, un peintre avait voulu faire mon portrait. C'est là où passait en boucle, cette année-là, la chanson de Dona Hightower: This word today is a mess, que nous aimions tant avec Pierre. J'avais vingt ans. C'était en 1972.

Paris classique ici, attendu, pour les touristes amateurs de perspectives et de photos souvenirs devant la statue équestre de la Place des Victoires. Un Paris sans âme qui ne m'impressionne plus.

Le soleil revient. Direction Palais-Royal. Daniel, ce sera dans deux heures et demie.

mercredi 13 juillet 2011

Les gens de Paris (1)









L'Homme au cigare

Paris (1)

07 juillet

Dormi la moitié du voyage. Impression de pays toujours plat en me réveillant. Je regarde tout de la place 7.1, voiture 7, le 07/07. Encore et toujours les 7. Sur le quai de la gare de Lyon, je fume une cigarette et prends le temps d'inspecter la laideur autour de moi. Me rappelle que l'ancien propriétaire du Train Bleu, forézien d'origine, proposait à ses clients des Côtes du Forez dont la production, paraît-il, est relancée aujourd'hui. Dans mon souvenir, un petit vin inégal. En sous-sol, le seul distributeur de tickets de métro qui ne fonctionne pas est pour moi. Ligne 14 jusqu'à Saint-Lazare puis ligne 13 jusqu'à Garibaldi. Quand j'allais chez Maurice, il y a des années, je m'arrêtais place de Clichy. Je n'avais encore jamais franchi la Fourche. Je suis à Saint-Ouen, à la limite de Paris. Les puce sont toutes proches. Je demanderai à Michel que nous allions y faire un tour samedi ou dimanche. Saint-Denis, tout proche, me tente aussi.

Michel arrivera dans deux heures seulement, après son travail. Je m'achète un Coca (à circonstances exceptionnelles!...) et m'installe dans le square Marmottan, à côté de l'église. Quelques gouttes de pluie, mais il fait bon. Au fond d'une rue proche, j'ai aperçu le Sacré- Cœur. Angle inhabituel. Ma première photo. Des enfants jouent, des vieux discutent, les fesses sur un banc, les mains appuyées sur la canne bien droite devant eux. Des femmes rentrent du travail, d'autres poussent un landau avec un bébé à l'inévitable tétine.

J'ai déjà logé à Saint-Lazare, à Clichy, à la Bastille, près de la place d'Italie, dans l'île de la Cité, jamais ici. Sans doute un autre Paris à découvrir. Demain, je verrai Daniel. Reconnu tout de suite sa voix au téléphone après des années sans se voir. Il m'a dit: "Tu me reconnaîtras: je suis grand, blond, dégarni, je porte des lunettes rondes et je suis gros!". Toujours la même forme d'autodérision, lui qui, la dernière fois que je l'ai croisé, était mince comme un cintre. Nous avons tant ri ensemble!

Tout à l'heure, en regardant mon reflet dans les vitres de la rame de métro, j'ai tenté de retrouver, dans ces traits vieillissants, le jeune homme que j'étais la première fois que j'ai fait ce voyage à Paris. Ça m'a fait sourire. D'ailleurs, seul le sourire est peut-être le même. Peut-être!

mercredi 6 juillet 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (25)

Claude Léveillée - Le temps d'une chanson
En hommage. Et en écho.

Brisures

- Une élytre de tilleul qui se détache de la branche et entame son dernier vol vers le sol, aérienne, gracieuse dans sa valse ultime. Quelques secondes de bonheur et puis la terre où elle n'est que feuille morte.

- Un sourire de femme inconnue, gracieux, charmant, qui ne veut pas charmer, juste établir la fraternité ultime. L'humanité gratuite.

- Un réveil où l'on sait que l'on vient de rêver mais de quoi? Juste la dernière effluve du bonheur entraperçu la nuit.

- Se souvenir des belles choses.

Paris

Je parlais il n'y a pas longtemps de projets de vacances. En voici un qui se concrétise: dès demain après-midi, je vais rejoindre la capitale où je n'ai pas mis les pieds depuis plus de vingt ans. Après Rome en mai, ce sera donc Paris en juillet. Un ami de longue date m'y accueille pour une petite semaine et je serai heureux de le revoir après tant d'années. J'aurai sans doute accès à Internet mais le rythme des publications risque d'être plus aléatoire. C'est pour cette raison que j'ai préféré dès aujourd'hui en terminer, même si le billet est un peu long, avec la nouvelle de mon élève dont j'ai oublié de donner le titre: La Vengeance de l'Oeil du Tigre.

J'ai pas mal hésité avant de me décider mais, maintenant que la décision est prise, je suis assez content. En fait, il m'en coûte toujours un peu de quitter mon chez moi, mais j'aime aussi les voyages et je pense qu'encore une fois je vais me faire une ventrée de photos. Je vais sans doute remettre parfois mes pas dans mes anciens sentiers, suivre des routes parcourues autrefois avec des amis aujourd'hui disparus, vouloir revoir tel ou tel lieu où s'attache pour moi un souvenir. Mais l'homme que je suis aujourd'hui n'est plus celui que j'étais alors et c'est avec mon regard actuel que je veux appréhender ce voyage. Pas de nostalgie pesante, un regard neuf, juste quelques commémorations. E la nave va....

A la manière de (fin)

Holmes indiqua notre destination au cocher du fiacre à voix basse de sorte que je n'entendis rien. Il jouait à son jeu favori, le chat et la souris. Bien que je sois son équipier, il s'amusa aussi à me faire languir un peu. En chemin cependant, il me donna d'autres renseignements:
- Après ma visite à Scotland Yard, je me suis rendu à la banque de Stonehill. J'ai interrogé plusieurs de ses collaborateurs et employés. Ils ont été stupéfaits du terrible drame. Ils le décrivent comme un homme droit, strict, très réservé mais généreux, non dénué de flegme ni d'humour. Il était effectivement le mécène d'artistes mais aussi le parrain du jeune étudiant indien, le fils de son ami le Maharana. Il avait servi dans l'armée des Indes plusieurs années auparavant, au Rajasthan; lors d'événements sanglants. Il a gardé de cette époque un vrai lien d'amitié avec le Maharana de Jodaïpur. Il lui a accordé, il y a un an, un énorme prêt d'argent pour la construction d'une voie de chemin de fer reliant Jodaïpur à Jittaïpur. Il participait également au financement d'une école de Jodaïpur sur ses fonds propres.
Un détail important: la chevelure blonde du défunt était tout à fait "normale" la dernière fois que ses collaborateurs l'ont vu, le matin du décès. Le sommet de son crâne n'était pas dégarni, contrairement à ce que j'ai pu constater à la morgue.
Puis je suis allé rapidement au Royal Collège pour interroger le jeune filleul hindou de Lord Stonehill. Il a été très affecté par la triste nouvelle. Selon ses dires, le bouton de manchette en argent gravé d'un signe hindou n'est pas rajpoute. Il ne provient pas du Rajasthan et n'appartient pas à Lors Stonehill. A son avis, l'emblème frappé sur ce bouton d'argent est bengali et provient du Bengale occidental.
Pour terminer, je suis allé à l'entrepôt de Millibank Embankment où j'ai eu la chance de rencontrer Peter Stonehill et son régisseur. Le frère du défunt déclare ne pas avoir encore revu son frère depuis son retour à Londres. Ce fait confirme les dires de Victoria Stonehill. La gouvernante aurait-elle mal compris les propos de Lord Stonehill? "Chez son frère" signifiait peut-être au salon de thé du magasin de son frère? Tout ceci est fort intéressant, n'est-ce pas, mon cher Watson?
- Absolument! Je pense avoir parfaitement compris où nous allons maintenant. Vous me proposez une ballade fluviale, n'est-ce pas, cher ami? répondis-je en riant.

Le cab nous déposa sur les bords de la Tamise, dans une nappe de brouillard. il faisait froid. La nuit était tombée. Le commissaire Lestrade et ses hommes étaient là, tapis dans l'ombre, prêts à se déployer pour l'intervention. La lueur de lampes tempête accentuait l'ambiance surréaliste de l'instant. L'équipe de policiers perquisitionna le domicile et l'entrepôt de Peter Stonehill. Au même instant, sur l'autre rive, une autre équipe perquisitionnait le domicile du régisseur. En voyant arriver les policiers de Scotland Yard, le régisseur tenta de fuir mais il fut rapidement appréhendé par la police. Il fut conduit au commissariat pour un interrogatoire et une mise en garde à vue. Peter Stonehill réussit à s'enfuir à bord d'un bateau amarré sur les docks de son entrepôt. Un avis de recherche fut lancé contre lui. La police l'arrêta deux jours plus tard, in extremis, alors qu'il embarquait sur un navire prêt à lever l'ancre à destination de Bombay.
Le turban fut la première pièce à conviction retrouvée dans la chambre de Peter. Le jeune hindou reconnut formellement le turban de soie que son père avait offert à Lord Stonehill. Ce turban était surmonté d'un rubis étoilé d'une grand valeur, l'Oeil du Tigre. La pierre birmane certifiée fut facilement identifiable par un gemmologue averti. La deuxième pièce à conviction, l'arme du crime, fut le poison, le Najanarius, enfermé dans un pilulier indien en plomb découvert au fond d'un tiroir de Peter Stonehill. Le chimiste fit l'analyse spectrale du contenu de la petite boîte de métal et permit d'identifier le poison.

Le lendemain matin, nous nous rendîmes à Scotland Yard. Le brouillard se dissipait lentement, le temps s'éclaircissait enfin, laissant paraître quelques rayons de lumière dans le ciel d'hiver. Dans le bureau de Lestrade, Holmes détailla enfin tous les éléments de l'enquête qui lui avaient permis de démasquer les coupables.
- La corde de pendaison était usagée, semblable à un cordage de bateau. Les minuscules algues incrustées sur celle-ci indiquent que la corde provient d'un rivage, comme les quais de la Tamise. Le nœud de la corde est effectivement un nœud plat, double, mais fait par un droitier. Or William Stonehill était gaucher. Ses vêtements portent de nombreuses traces de salissures, confirmant le fait qu'il a eu des troubles digestifs juste avant son décès par empoisonnement.
Il portait une chemise avec deux boutons de manchettes qui ne ressemblent en rien à celui que j'ai ramassé dans le recoin, près de la bibliothèque. Le filleul de William a déclaré que le motif n'est pas rajpoute mais bengali. Or William avait été au Rajasthan. Son frère en revanche revenait du Bengale occidental. Le régisseur a perdu son bouton de manchette le jour du crime, en allant chercher l'échelle. Il ne s'est aperçu de rien car le bruit de la chute a été étouffé par le tapis. L'autre bouton, identique, a été retrouvé à son domicile.
Peter a empoisonné le thé de William avec le Najanarius lorsque celui-ci est allé lui rendre visite chez lui, ainsi qu'il l'a dit à la gouvernante. Lord Stonnehill n'informait jamais cette femme de ses allées et venues et celle-ci lui apportait quotidiennement le thé à dix-sept heures. Exceptionnellement, ce jour-là, le voyant affecté, elle lui en a proposé et elle a ainsi obtenu une information cruciale qui a permis de confondre le coupable.
Personne n'a vu arriver Peter Stonehill et le régisseur au 12 Kensington Road à cause du brouillard très dense et du peu de luminosité à cette époque de l'année où la nuit tombe tôt. De plus, William était seul chez lui. Afin de ne laisser aucune trace dans la maison, les deux intrus ont entouré leurs chaussures de sacs en tissu qu'ils utilisent comme petits ballots pour le thé, et ils ont mis des gants. Il était plus facile et plus rapide d'être deux pour suspendre le corps inerte à la poutre du plafond. Peter avait besoin d'un complice: le régisseur, son acolyte. L'échelle était à terre, sous le corps, d'après Lestrade. Si William s'était pendu lui-même, il n'y aurait pas eu les traces que j'ai pu observer à la loupe sur la poutre en bois verni. J'ai constaté la présence de traces de frottement important verticales, perpendiculaires au grand axe horizontal de la poutre, donc de bas en haut. Par conséquent, ceci indique que le corps a été hissé par quelqu'un. Ils savaient que Victoria serait absente et que la gouvernante allait chaque jour faire les courses à cette heure-là. Ils ont suivi Lord Stonehill et ont attendu que le poison fasse son effet funeste. Ils ont épié la maison et se sont introduits par la porte d'entrée, tout simplement. Ils ont trouvé le corps gisant de William sur le tapis, dans le bureau. Il ne leur restait plus qu'à lui passer la corde au cou et à le hisser. Dans le contexte de difficultés que traversait le banquier, son frère a pensé que le moment était propice pour camoufler son crime en suicide.
En ce qui concerne le Najanarius, c'est un poison violent encore à l'étude et donc non détectable par les tests chimiques actuels dans le corps des victimes. Par contre, les chimistes savent l'identifier à l'état naturel. Les symptômes qu'il provoque ressemblent à ceux des empoisonnements à l'arsenic, mais la chute importante et rapide des cheveux est un signe particulier qui doit faire penser au Najanarius. Peter Stonehill s'est procuré ce poison en Inde: il est assez répandu dans ces contrées mais encore très peu connu en Europe.
Le turban est élément important de l'enquête. En aucun cas, Lors Stonehill n'aurait donné ce turban à son frère. Ce couvre-chez symbolisait une marque d'amitié et avait une connotation affective suite à son séjour au Rajasthan. Peter Stonehill connaissait son existence et savait exactement ou William le rangeait. Il l'a volé dans le tiroir du bureau le jour où il a maquillé le meurtre de son frère en suicide. C'est la vengeance de l'Oeil du Tigre: le crime sera puni.
D'après les informations recueillies, Lord Stonehill a refusé un prêt financier à Peter lorsque celui-ci s'est installé en Inde pour acheter une grande plantation de thé sur les contreforts himalayens, au Bengale, dans la région de Darjeeling. Peter a toujours convoité la femme de son frère et son attitude ambigüe et tendancieuse déplaisait fortement à, William. Néanmoins, il maintenait les relations avec lui, par esprit de famille sans doute. Depuis leur enfance, leurs deux caractères très opposés expliquaient leur difficile entente. Peter a toujours été très jaloux, et tout particulièrement de son frère. Le mobile de son crime est donc la jalousie.

Bien que Peter Stonehill ait acheté la complicité et le silence de son régisseur, celui-ci passa rapidement aux aveux lors de son interrogatoire. Ses déclarations confirmèrent les déductions de Holmes. Les deux coupables furent confondus et écroués. Holmes fut satisfait: notre enquête avait rapidement abouti, en vingt-quatre heures. En sortant du tribunal, Victoria Stonehill, toute de noire vêtue, passa à proximité de nous. Elle nous salua d'un signe discret de la main et nous adressa un très léger sourire. Alors qu'elle s'éloignait pour monter dans un fiacre, mon ami et moi nous regardâmes sans rien dire. L'ombre d'un doute nous avait effleuré l'esprit. Lord Stonehill aurait-il eu dans son entourage deux proches aux intentions criminelles? L'un d'entre eux avait-il devancé l'autre dans ses noirs desseins? Avions-nous correctement cerné toute la complexité de l'énigmatique lady Stonehill?

Nous ne savions pas ce jour-là que notre chemin allait croiser de nouveau celui de la belle veuve en noir, quelques mois plus tard, dans l'affaire du mystérieux enlèvement du Professeur Dukety-Jones. L'étrange disparition de l'archéologue au début de l'été 1898 déclencha l'une des enquêtes les plus longues et les plus difficiles que nous ayons menées.
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