mercredi 30 septembre 2009

Momentini

- Cette nuit, incendie d'un dépôt de bus à Lyon. Fermeture de la circulation sur une partie d'un quai de la Saône. Durcissement de la grève qui sévit dans la ville depuis huit jours. Suis-je passé entre les gouttes ce matin? Aucune difficulté pour rouler. Et pourtant j'emprunte une sorte de goulot d'étranglement situé à peine à deux cents mètres du lieu du sinistre.

- Depuis plusieurs matins, le soleil levant est une pure merveille.

- Nous avons, en compagnie de Stéphane, préparé avec les élèves la venue d'un archéologue la semaine prochaine au collège. J'ai voulu savoir quelle image ils se faisaient d'un homme exerçant ce métier.
- Avec un chapeau.
- Et une barbe.
- Un peu comme Indiana Jones?
- Oui, costaud.
Avec Stéphane, nous avons failli éclater de rire. J'en connais qui vont être déçus. Et dire que lors de sa première venue, il y a trois ans, une de nos collègues avait, pour l'occasion, exposer son plus profond décolleté pour le séduire. Effort totalement vain. Bien sûr, Stéphane et moi l'avions deviné au premier coup d'œil!

- Des étudiantes australiennes spectatrices de mon cours de latin: ennui mortel.

- Un sourire dans la rue, d'un homme beau, comme ça, gratuitement. J'aime! Il y avait longtemps. Ça surprend toujours J. Avais-je moi aussi un visage souriant aujourd'hui?

Tout un art

Rendez-vous aussi avec ma dentiste aujourd'hui. Trois-quarts d'heure de retard en début d'après-midi. Lorsque je lui manifeste mon mécontentement, elle murmure de vagues excuses et rajoute:
- Vous savez, l'art dentaire n'est pas une science exacte.
Réponse immédiate:
- Avec trois-quarts d'heure de retard, peut-on encore parler d'art?
Du coup, elle a voulu se dépêcher et m'a coincé je ne sais quel instrument vrombissant dans la dent qu'elle était en train de soigner. Quand elle a voulu le décoincer, il est allé percuter assez fort mes incisives du haut. Allez-vous plaindre avec virulence quand vous avez la bouche grande ouverte! Le gros mot pressenti est resté lui aussi coincé dans mes cordes vocales. Il faudra bien que je l'expulse avant qu'il n'y moisisse.
Mais je me pose une question ce soir: ne serait-ce pas une perfide vengeance de sa part que ce coup pris dans les dents?

Premier rendez-vous

Premier rendez-vous de l'année. Pour un des élèves de cinquième dont je suis le professeur principal.

Une mère agressive. Entièrement refermée sur elle-même. Je devine que l'entretien va être délicat. Son fils est dyslexique. Gravement. Il a redoublé deux fois dans le primaire. Physiquement, un grand gaillard que l'on m'avait décrit comme pénible. Pour l'instant, je n'ai pas particulièrement à m'en plaindre. Un peu bavard et inattentif parfois mais pas méchant. Pas du genre à vouloir pourrir l'ambiance d'une classe.

Faible certes et pourtant, lors de la première séance de l'atelier écriture, passée surtout à les faire s'exprimer sur leur rapport à l'écrit (que la plupart, une grosse majorité, ne peut envisager autrement que scolaire), c'était lui le plus intéressant. Plus mûr sans doute, puisque plus vieux, mais aussi prenant le temps de réfléchir sur ce qu'il fait (il écrit, chez lui, des textes de fiction) et ne montrant pas d'hésitation à en parler devant les autres.

Découverte pour moi, donc, d'un autre aspect du personnage. La mère me parle de son mal être: il serait déjà rentré chez lui plusieurs fois en larmes, ce qui n'est plus très fréquent à quatorze ans. La cause en est simple: on lui aurait fait comprendre, à mots même pas couverts, qu'il n'irait pas bien loin dans les études, vu son Q.I. peu développé.

Je fais savoir à la mère que je partage son indignation et que, si elle veut que j'intervienne pour la soutenir, il me faut à tout prix le nom de la ou les personne(s) qui, encore aujourd'hui, confondent déficience du Q.I. et dyslexie. Des détours, des anecdotes. Les séances de gestion mentale (bien vilaine expression que je n'aime pas) des années précédentes me servent. Je reste calme malgré l'agressivité de la dame. C'est cette attitude, précisément, qui finit par l'amadouer. Elle me livre deux noms: celui d'un professeur et celui d'un responsable de niveau.

Le professeur en question est celui d'anglais, jeune femme encore bien novice dans l'enseignement et qui n'en est pas à sa première bourde face aux élèves. J'interviendrai, c'est sûr. Certes en y mettant des formes, mais j'interviendrai. Je dévie ensuite la conversation sur ma matière, le français, où les difficultés liées à la dyslexie semblent particulièrement sensibles. L'orthographe de cet élève est, bien sûr, déplorable, mais sa vitesse de lecture et son niveau de compréhension d'un texte ne sont pas mauvais.

J'insiste, sans vouloir à tout prix noyer le poisson, sur tous les aspects positifs que j'ai pu déceler chez ce garçon. Lorsque la mère s'en va, elle est calme. Le contact est établi, la confiance accordée. Elle prendra rendez-vous avec les deux personnes concernées, je le lui ai conseillé. Dans ce genre de situation, il faut intervenir vite et ne pas avoir peur des mots.

Pour ma part, je ne comprends pas, et je refuserai toujours de comprendre, que l'on puisse définitivement cataloguer un élève à la lecture de son dossier personnel (que je ne consulte jamais, quant à moi), sur des bruits de couloir ou suite à une conversation en salle des profs où le défoulement l'emporte bien souvent sur la raison. J'aime me faire une idée, bonne ou plus nuancée, par moi-même, et pas seulement dans mon travail. Et tant pis si parfois je me trompe.

mardi 29 septembre 2009

Le Coureur dans la brume

J'ai lu ce petit livre pour les besoins de mon travail. Il y a longtemps que je connais son auteur, Jean-Yves Loude, lyonnais de naissance et de deux ans mon aîné. Nous avions même failli nous rencontrer, par l'intermédiaire d'amis communs, lorsqu'il participa à la grande aventure que fut le lancement de l'hebdomadaire des spectacles (et des sorties) de Lyon et alentours: Lyon Poche, au début des années soixante-dix.

Deux frères jumeaux, deux demi-dieux donc pour les africains, naissent au Caméroun. Ramsès est fort, courageux et intrépide; Ménès est un peu dans son ombre et souhaite égaler ce frère qu'il admire. Un jour, la maladie les cloue au lit pour longtemps. Seul Ménès se relèvera. Il accomplira en solitaire le vieux rêve de gravir en courant le mont Cameroun, ce volcan à 'impressionnante stature.

Un livre simple et émouvant, écrit avec sincérité, un roman qui dépasse l'étiquette littérature de jeunesse tellement galvaudée aujourd'hui. Mes élèves vont s'appuyer sur cette centaine de pages pour travailler pendant quelques semaines après Toussaint. Moi, après l'avoir lu et alors que ma colonne vertébrale n'a pas pour l'instant l'intention de me laisser courir comme je le voudrais, alors que je doutais de renfiler jamais mon short et mes chaussures, je me suis fait une promesse: j'y arriverai, quoi qu'il en coûte d'attente et d'efforts, je courrai à nouveau un jour.

lundi 28 septembre 2009

Le long poème

L'odeur du corps de l'autre, sur ses mains, après qu'il est parti. Se les passer sur le visage et aspirer goulûment ces parfums de sous-bois où se niche parfois une fragrance un peu plus forte, vestige des égarements en lui.

Se dire que ces mains ont touché, palpé, caressé, malaxé, exploré sans jamais découvrir le mystère de la chair offerte. Se dire que demain, malgré la douche, il en restera quelque chose, à respirer fortuitement en portant la cigarette à ses lèvres. Sourire et ne rien dire. Les autres s'étonneront.

S'ils savaient! Tous ces cris, cette bataille, tous ces draps froissés et moites de deux corps, cette salive sèche et ces bouches avides, tous les délires et les éclairs quand on ferme les yeux pour mieux regarder le plaisir, cet appétit qui voudrait dévorer jusqu'à la moindre parcelle de cet homme étendu sous soi, qui vous regarde tout aussi implorant que vous l'êtes. Deux prières muettes aux mots qui gueulent dans les gestes. Je te prends, tu me prends. Nous nous appartenons. Et après le plaisir, détisser la tapisserie de nos membres comme la reine d'Ithaque les soirs d'été sous un ciel d'oliviers.

Un spasme de tendresse qui fait refermer les bras sur l'autre pour retarder l'instant du départ ou pour préparer celui de la nuit commune. Comme une dernière vague qu'imagine le sable quand l'ombre s'agrandit. On réintègre son corps. L'autre est autre, pourtant si proche. Mais la porte refermée, il restera les mains, araignées vicieuses, ces travailleuses, ces fidèles, ces précises, pour se souvenir du corps offert et en chanter le long poème.

Comme à douze ans

Le Naufrage de la Méduse, un récit du drame par Alexandre Corréard et Jean-Baptiste Savigny, deux rescapés du radeau, publié chez Folio, me passionne. Il y a longtemps que je n'ai pas eu, comme à douze ans, cette envie fébrile de regagner mon lit pour me replonger dans les mots. Je crois décidément que je n'aime plus guère les romans.

Matin

Ce matin-là, la radio le réveilla au milieu d'un rêve. Il n'entendit qu'à peine la voix du journaliste qui devait, comme chaque jour, égrener les nouvelles d'ici et de plus loin, qu'à peine aussi la chanson que l'on intercale avant la revue de presse. De cette dernière, rien. Le rêve s'était enfui, il n'en retrouvait pas la moindre trace, même en s'efforçant de garder la même position pour tenter de le faire revenir. Mais la tiédeur de son lit le retenait. La veille au soir, il avait rangé la couverture d'été, trop légère maintenant, et sorti du placard celle de l'hiver, la jaune qui couvre tout le lit et s'en va fondre par terre, des deux côtés. Quand il dormait dans son ancien lit, le petit, elle aurait pu en faire deux fois le tour. Il ne la doublait jamais: elle était trop chaude.

La chaleur de son corps lui faisait du bien et estompait peu à peu des restes de fatigue. Quel jour aujourd'hui? Lundi? Déjà! Il fallait bien se lever mais quelque chose en lui murmurait que la journée serait rude, à cause de lui, parce qu'il n'avait pas envie. Il estima mal la quantité d'eau dans le réservoir de la cafetière, il n'eut qu'un demi bol mais bien serré, ce qu'il aimait. Dehors, il faisait encore nuit, mais quelque chose dans la texture du sombre disait qu'il ferait beau. la météo à la radio le lui confirma.

Il alluma l'ordinateur. Il avait une réponse à donner, à une question qui n'en était pas une, mais il ne la connaissait pas. Il savait simplement qu'il était d'accord avec ce qu'on lui avait écrit. Il rédigea rapidement trois mots. L'autre comprendrait, il le savait.

La douche finit de le réveiller et il se félicita encore une fois de s'être laissé pousser la barbe quelques mois en arrière, ce qui lui évitait chaque matin la corvée détestable du rasoir à passer sur les joues. Il jugea que la tondeuse attendrait bien un autre jour et enfila des vêtements propres, sans trop s'attarder sur le fait que, décidément, depuis qu'il ne pouvait plus faire de sport, il avait passablement grossi.

Lorsqu'il partit à la recherche de sa voiture (chaque matin, il devait se remémorer ses derniers gestes de la veille pour enfin se souvenir de l'endroit où il l'avait garée), il savait pour une fois où elle se trouvait. En arrivant plus tard que de coutume, le soir précédent, il n'avait pu trouver de place dans les rues proches de chez lui. Il avait dû élargir le cercle de ses recherches jusqu'à cette place où il ne se garait jamais: sombre, isolée, refuge des clochards pour la nuit, elle ne lui paraissait pas très sûre. Pourtant sa voiture était toujours là, intacte. Peut-être la présence des SDF dissuadait-elle d'autres individus mal intentionnés de s'adonner à leurs méfaits pendant que le quartier dormait. Les pies, elles, n'avaient pas eu cette délicatesse et le toit, le pare-brise ainsi que la portière côté conducteur avaient largement profité de leurs dons indésirables.

Le jour peu à peu se levait. La promesse de soleil semblait prendre corps. La radio de sa voiture (pas la même que chez lui, plus légère, plus "musique") passait un vieux tube de la fin des années soixante: Venus, des Shocking Blue. De quoi le mettre de bonne humeur. Il monta le son, juste un peu trop fort, tout en souriant au souvenir qui lui revenait: ce 45 tours, un homme le lui avait offert. Ils venaient de faire l'amour sur ce rythme entraînant. Il devait avoir dix-huit ans, l'autre à peine plus. Où était-il, maintenant, ce disque?

Mais la belle matinée qui s'annonçait et la circulation de plus en plus intense pour cause de grèves des transports en commun l'empêchèrent de s'attarder trop longtemps sur les rivages de la nostalgie. Il y eut le flash d'infos et alors qu'on allait annoncer les températures au sud de la Loire, son téléphone portable sonna.

Il n'aimait pas que l'instrument se manifeste alors qu'il était en train de conduire. Il n'aimait pas que l'instrument se manifeste tout court. Surtout de bon matin, comme ça. Qui pouvait avoir quelque chose de si important à lui dire pour l'appeler à 7h30? Il se contorsionna pour tenter de passer une main sous la ceinture jusqu'au fond de sa poche gauche où logeait habituellement le téléphone. Il parvint à s'en emparer probablement très peu de temps avant que la sonnerie (des chants d'oiseaux un peu bizarres. Quels oiseaux?) ne cesse et que celui qui appelait ne soit dirigé sur la messagerie: "Vous êtes bien au...... Je ne peux vous répondre pour l'instant. Laissez-moi un message et je vous rappellerai. Sans doute avec plaisir."

Il était assez content de son enregistrement: totalement classique pour les trois-quarts et puis la petite surprise de la dernière formule, dont beaucoup lui avaient parlé, réagissant au "sans doute" dont certains n'étaient pas sûrs (et avaient raison de l'être). Il aimait insécuriser les gens en face de lui. Pas longtemps, il n'était ni méchant ni sadique. Juste le temps de voir leur regard vaciller, d'entendre leurs mots s'interrompre ou leur voix dérailler imperceptiblement. Rendre les choses moins sûres pour les autres, comme souvent elles l'étaient pour lui. Ensuite, bien sûr, il reprenait son beau masque de clown et offrait son plus beau sourire charmeur. Pour le téléphone, faute de sourire charmeur, il ne laissait jamais trop attendre la réponse.

Il reconnut tout de suite la voix à l'autre bout, malgré les résonances du trafic, d'un côté comme de l'autre. C'était Aurélien, le surveillant qui demandait de l'aide. Il se trouvait près de la gare et n'avait pas de bus pour grimper sur la colline. Rendez-vous fut pris sur le chemin. Ils faillirent se manquer mais, après une manœuvre hasardeuse pour récupérer le jeune homme qui se trouvait trop loin de la voiture, tout rentra dans l'ordre.

Aurélien, il l'aimait bien. Un garçon sérieux, qui n'économisait pas ses efforts, presque toujours souriant et prêt à rendre service. Aimé des élèves aussi, bien qu'il ne leur laisse rien passer. Parfois, comme il faisait ses cours la porte ouverte sur le couloir, il le voyait apparaître un instant dans l'encadrement et, si les élèves étaient penchés sur leur travail, ils échangeaient un sourire ou quelques grimaces destinées à déstabiliser l'autre. Lui adoptait la même tactique aux moments où le surveillant devait avoir l'œil sur l'immense salle d'étude remplie de collégiens de tous âges.

Ils pénétrèrent dans le parc largement avant l'heure de sonnerie. Aurélien devait s'occuper du portail et des arrivées dans le calme, lui avait à photocopier une nouvelle leçon de latin pour les quatrièmes. Alors qu'il traversait la cours, plusieurs élèves qu'il croisa successivement et qui avaient été aussi matinaux que lui le saluèrent et lui souhaitèrent le bonjour.

Il en éprouva une belle joie. Rien ne les y forçait, ils étaient suffisamment nombreux pour ne pas se sentir obligés et pour que leur silence passe inaperçu. Et puis, en aurait-il voulu à l'un quelconque d'entre eux de l'ignorer par timidité ou parce que cet instant leur appartenait encore, qu'ils n'avaient pas totalement endossé leur statut d'écoliers? Non, ils le faisaient gratuitement, par politesse certes, mais aussi parce qu'ils étaient bien dans cette cour, à profiter de l'air encore pur du petit matin et des premiers rayons qui venaient illuminer le vieux cloître, en projetant les arches sur le mur de pierre du grand réfectoire.

Alors il décida que cette journée valait bien un rêve interrompu, que son métier était le plus beau du monde et que ce monde aussi était beau, et il s'élança allégrement dans l'escalier principal, grimpant les marches quatre à quatre, en oubliant totalement son mal au dos chronique.

dimanche 27 septembre 2009

Vingt-trois heures.

Vingt-trois heures. Écrire, vite. Juste un mot pour le soir. Pas le temps de plus. Je veille à mon sommeil. Un peu plus. Alors une ligne comme la dernière cigarette quand je fumais. Pour le plaisir. Ma drogue. Avant la toute dernière pour prolonger. Et se dire qu'un peu plus un peu moins, on ne sera pas plus fatigué demain. Écrire pour dire. Mais quoi? Pas le temps d'y penser. Ou trop de choses à dire. Juste être là. Faire un tour chez les autres. Ceux qui ont écrit, et que j'aime, les garder pour demain. Les lire calmement, parce que je les aime.
Ce soir, rien d'autre alors? Non, rien d'autre. Rideau.

samedi 26 septembre 2009

Addenda à mon Petit Lexique.

Merci à tous ceux qui me permettent d'étendre la palette de mon vocabulaire en complétant mes listes de leurs propres trouvailles.
Ainsi, à l'article CUL, nous trouvons en suppléments:
- Un torche-cul: un très mauvais journal (Kranzler)
- Marcher bite-à-cul: marcher, à l'armée, les uns derrière les autres (Kranzler)
- Ça me troue le cul: je n'en reviens pas (KarregWenn)
- Avoir le cul bordé de nouilles: avoir beaucoup de chance (KarregWenn). (C'était une des expressions préférées de Pierre.)
- Il fait noir comme dans le cul d'un nègre: il fait très sombre (Brice, alias Lancelot)
Quant à l'article consacré au mot GUEULE, bien que d'hier, il en a déjà fait réagir quelques-uns:
- Pousser un coup de gueule: crier très fort sous le coup de la colère (Lancelot)
- Se fendre la gueule: rire énormément (Lancelot)
- Tirer la gueule: faire la tête (Lancelot)
- Arriver avec la gueule enfarinée: être hypocrite, se composer un visage pour obtenir une faveur ( Olivier Autissier)
- Une p'tite gueule d'amour: un très beau visage qui ne laisse pas indifférent (Piergil).
Rien à rajouter pour l'instant sur COUILLES.

N'hésitez pas si vous avez d'autres idées. Les addenda sont fait pour ça!

Pensée

Celle-ci, toujours de l'Abbé Pierre, particulièrement pour Lancelot:

Il faut être conscient des réalités tout en étant déterminé à savoir "perdre son temps" pour regarder des fleurs, voir naître des poussins, regarder tant et tant de merveilles.

Momentini

En vrac, ma semaine:

- Deux réunions de parents, le soir: une pour les troisièmes, une pour les sixièmes. Bien passées. La semaine prochaine, celle des quatrièmes et puis, huit jours plus tard, celle des cinquièmes. Après, il faudra penser, déjà, aux premiers conseils de classe.

- J'ai traité de gros con un élève de troisième. Ça ne m'était jamais arrivé. Je n'aime pas m'emporter. Là, je l'ai dit calmement, sans m'énerver et en pesant chacun de mes mots. Les autres de sa classe avaient l'air d'accord avec moi. Je l'ai dit et je le pense profondément. A suivre. Précision: il est noir.

- Mon premier cours à quarante en cinquième, avec la prof. d'Arts. Sujet: le radeau de la Méduse, fait divers du XIX° et tableau célèbre. Là aussi, bonne expérience. Evelyne m'a prêté le récit de cette histoire sinistre racontée par deux survivants. Je le dévore (sans mauvais jeu de mots). J'ai l'impression de me retrouver à treize ou quatorze ans, quand je lisais L'Expédition du Kon Tiki de Thor Heyerdahl.

- Grève des bus et métros lyonnais: hier pas plus d'un quart d'heure pour rentrer du travail (environ 5 kms en ville). Ensuite, repas chez Jean-Claude (mais offert par Frédéric): cinquante minutes pour faire à peine 1 km. Il n'y a sans doute rien à comprendre.

- Partie de dames chinoises endiablée après ce repas. Arrivé bon dernier. Mais je me vengerai! Je me vengerai! :-)

- Rencontré Antony et Elisabeth tout à l'heure, harnachés comme de vrais cyclistes. Elisabeth, je la vois tous les jours mais Antony, j'étais vraiment content de le retrouver. Toujours aussi beau.

- Un tour à Bellecour cet après-midi, pour Handicap International (la pyramide de chaussures contre les bombes anti-personnelles) et le Lugdunum Roller Contest où j'ai vu J. Toujours cette magnifique lumière de fin d'après-midi sur la ville. Impression de liberté, d'autant qu'avant, j'avais travaillé avec acharnement à préparer ma semaine à venir. Gambetta avec autant de monde sur les trottoirs, à pied, que dans la rue, en voitures. Il fallait parfois jouer des coudes pour avancer.

- Le meilleur pour la fin: aperçu, hier soir chez J-Claude, Giscard d'Estaing à une émission de Franz-Olivier Giesbert, pour son fameux livre où il laisserait comprendre qu'il a eu une relation avec Lady D. Première question de Giesberg: " Alors, Monsieur Giscard d'Estaing, vous êtes content de votre coup?" Je n'ai pas entendu la réponse tellement je riais. Rouerie ou innocence de la part du journaliste? J'ai l'impression qu'il n'a même pas fait exprès!

PS: j'ai encore photographié mon coin de rue favori. Mais pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre?

vendredi 25 septembre 2009

Petit lexique à l'usage de tous (sauf de mes élèves) (3)

GUEULE: voilà un mot que j'aime par sa polysémie, sa façon naturelle et légère de passer d'un sens à l'autre, d'un registre cru au sens le plus technique.

D'abord la source: le latin, bien sûr. "Gula", tout à la fois l'œsophage, le gosier, la bouche, le palais et la gorge, parfois même la gourmandise. Les latins qui, contrairement à l'image fausse que l'on se fait d'eux à cause des débordements de certains empereurs et de leur entourage, n'étaient ni de gros mangeurs ni des palais très raffinés, semblent pauvres en vocabulaire de la bouche et de ses plaisirs. Peut-être, sûrement, se réservaient-ils pour d'autres jouissances nécessitant aussi une position horizontale.

Aujourd'hui, le dictionnaire donne en général comme sens premier la bouche de certains animaux susceptible de s'ouvrir grandement. Ainsi se jette-t-on dans la gueule du loup quand, sans le savoir on va au devant d'un piège que l'on désirait éviter. De ce sens animal, on passe tout naturellement au suivant, le moins connu sans doute aujourd'hui de nos élèves, celui de l'ouverture béante d'un four ou d'un canon.

Mais c'est dans un troisième sens que le mot a fait fortune: la gueule désigne populairement la bouche de l'homme. Et la série alors peut s'égrener:
- "ferme ta gueule" ou "Ta gueule": tais-toi (ton exaspéré)
- "être fort en gueule": beaucoup dire mais peu faire
- "avoir une grande gueule": même sens que le précédent
- "avoir une sale gueule": ne pas avoir un visage avenant
- "foutre sur la gueule": taper quelqu'un à grands coups
- "casser la gueule à quelqu'un": lui régler son compte à coups de poings
- "se casser la gueule": tomber
- "faire la gueule": tordre le nez (autre expression de sens figuré), montrer un visage fermé
- "se foutre de la gueule de quelqu'un": se moquer ouvertement de lui

Après tous ces emplois aux relents de violence et de méchanceté, quelques autres plus culinaires à défaut d'être plus légers:
- "être une fine gueule": aimer manger de bonnes choses
- "s'en mettre plein la gueule": manger plus que de raison
- "se bourrer la gueule: même chose, avec le liquide
- "puer de la gueule": avoir mauvaise haleine, donc peut-être conséquence des deux précédents.

Enfin, des emplois concernant plus directement l'esthétique:
- "avoir de la gueule": avoir très belle allure ( à ne pas confondre avec "n'avoir que de la gueule": parler sans agir)
- "les gueules cassées" : soldats atrocement blessés au visage lors d'un combat
- "les gueules noires": les mineurs de fond des houillères de charbon (ceux que j'ai côtoyés pendant toute mon enfance et dont le visage, même lavé abondamment, conservait sous les yeux et dans les rides, le noir de la poussière de charbon.)

Pour essayer d'être complet, deux autres emplois isolés:
- "les gueules": hachures verticales rouges dans les armoiries
- "une gueule de loup": autre nom du muflier

Enfin, un emploi maison, jamais entendu à l'extérieur. Lorsque nous avions des discussions avec Pierre, il nous arrivait assez souvent de ne pas être d'accord sur tel ou tel point. Nous défendions alors bec et ongles notre point de vue respectif et il est vrai que, parfois, je poussais la mauvaise foi un peu loin pour emporter le dernier mot, jamais à court d'arguments. Pierre cédait alors mais ne manquait jamais dans ces occasions-là de me traiter de "gueule à ressorts". Parfois aujourd'hui, le vif échange aussi bien que l'appellation me manquent.

jeudi 24 septembre 2009

Silence

Te regarder dormir. Fermer les yeux, rêver que tu rêves à moi. Croiser nos mains quand nos corps s'écrasent. Lécher tes yeux, chercher ta bouche. De ma langue explorer tes dents. Ne rien dire que par les yeux ouverts en même temps, pour crier que l'on veut tout, que plus rien n'est compté, que nos corps animaux demandent leur pitance, ogres gourmands aux plaisirs insondables. Haleter en ne se quittant plus du regard, voir celui de l'autre se troubler, savoir que le sien est le même, qu'il dit la nuit primaire et les rites sauvages, aux odeurs de musc et de feuillus pourris, senteurs d'automne en alcôve, se souvenir de la science pour rendre expert le moindre de nos gestes, étouffer le gémissement sous une morsure, ne plus savoir ce qui est douleur et ce qui est plaisir. Remonter à tes yeux et te laisser le tour, m'abandonner sous tes mains, sous tes lèvres, sous tes dents, sous ton sexe, connaître ton plaisir, savoir le partager et ensuite, bien à plat, dans l'instant de silence, tracer sur ton ventre des sillons de bonheur, mêler en arabesques sperme et poils de poix pour écrire un seul mot que nos corps comprendront: encore. Et bien avant le e final, s'endormir tous les deux, rêver que je rêve à toi, que tu me regardes dormir, que nos mains se croisent après s'être chercher, trembler du besoin fou de l'autre, ne rien dire, ne rien dire..... silence.

mercredi 23 septembre 2009

Univers, univers

Un mot sur ce roman qui m'a occupé si longtemps, avant que je ne l'oublie. Le scénario? Une femme, pendant qu'elle fait cuire un rôti au four, s'imagine sans cesse être quelqu'un d'autre. Ceci pendant 515 pages. Un peu lassant. Pourquoi l'avoir terminé? Sans doute à cause de certaines de mes pulsions masochistes, pour voir jusqu'où Jauffret irait, jusqu'où j'irai.
J'aurai pu, en fait, m'arrêter à la page 31, la première que j'avais marquée, parce que tout y est dit. Mais je ne le savais pas.
Si seulement vous aviez l'amour-propre qu'on prête à une bête, tous ces caractères, tous ces mots, ce phrasage, cette paragrapherie n'auraient pas pénétré vos méninges, insultant vos neurones comme une bande de salopiots. Vous vous seriez enfui dès la première page, abandonnant la lecture pour une activité dénuée d'intérêt, mais moins humiliante, et vous n'auriez pas servi d'exutoire à un ouvrage en furie. A présent, vous êtes allé trop loin, vous êtes un lecteur captif, vous faites partie du livre tout autant que cette femme en arrêt devant son four. Comme elle vous regardez la viande, vous l'entendez rissoler, vous êtes dans l'expectative, alors que de toute évidence il ne se passera rien de notable. La voilà la littérature, elle ne raconte rien, elle traîne en longueur le langage, elle lui permet enfin de s'exprimer, au lieu de toujours servir à dire quelque chose d'autre que lui.
(Régis Jauffret, univers, univers, Folio Gallimard.)

En plus, nous n'avons pas la même idée de la ponctuation!

Quand il le faut.

Comment réagir face à une classe qui, dès le début de l'année scolaire, prend un mauvais chemin, à savoir bavardage, agitation et réclamations intempestives? Pour ma part, dans ce cas d'espèce, j'ai depuis longtemps opté pour une méthode assez stricte. C'est ce que je fais encore cette fois-ci avec ma classe de sixième: élèves bougeant sans cesse, bricolant avec leur trousse et son contenu,, n'ouvrant pas leur livre, démarrant les exercices cinq minutes après la lecture des consignes, ne tenant aucun compte des remarques qui leur sont faites et continuant tranquillement la conversation alors que l'on vient de leur demander de se taire.

Il y a, quoi qu'on en dise,, un rapport de "force" à établir, des lignes de conduite à préciser dès le premier mois, des frontières à bien délimiter d'une part entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, d'autre part entre les rôles et les attributions de chacun. Ainsi, quand il le faut, je n'ai aucun état d'âme à faire comprendre que c'est moi et moi seul qui, en tant que professeur, détient le "pouvoir" et que je compte bien l'exercer, avec bienveillance en règle générale, avec autorité, voire sévérité, si la situation l'exige.

Certains élèves (certains collègues même, parfois, mais de moins en moins souvent) sont surpris, choqués de mon positionnement. Pourtant, pour en avoir essayé d'autres en trente ans d'enseignement, je peux assurer que c'est celui qui est le plus productif. Bien sûr, le début d'année est toujours une phase difficile avec moi, avec mes exigences (certains diront mes "manies" ou mes "principes"). Les élèves me prennent bien souvent pour un affreux personnage qui éprouve un plaisir sadique à punir et à ne pas accepter leur attitude ou leurs travaux quand ils ne correspondent pas à ce que j'ai demandé. J'obtiens en général ce que je veux au bout d'un bon mois: rester debout au début du cours jusqu'à ce que le silence se fasse et s'asseoir seulement quand je le permets, lever la main pour prendre la parole, ne pas interrompre quelqu'un qui parle, présenter correctement les devoirs écrits, s'exprimer le plus clairement possible à l'oral (précision du vocabulaire et diction compréhensible)...

Il est étonnant de voir comment, ensuite, les rapports évoluent vite et bien. on peut se permettre de plaisanter, on ne s'en prive pas, sachant qu'après le moment de détente, on se remet au travail sérieusement. On peut accepter quelques retards ou quelques oublis parce qu'on est sûr qu'ils sont occasionnels et involontaires. L'atmosphère est plus légère, pourtant les exigences sont les mêmes, et des élèves qui, en début d'année, voyaient en moi le grand Croque-Mitaine qui adorait les tyranniser, se mettent à apprécier mes cours et ma façon de faire.

Je crois que c'est parce qu'ils ont trouvé le cadre dont ils avaient besoin et que la société actuelle ne leur donne guère. Je vais peut-être passer pour un affreux réactionnaire mais je pense que trop de permissivité nuit au développement harmonieux des enfants et ne leur permet pas d'asseoir leur personnalité sur de bonnes base solides. Bien sûr, cette exigence de rigueur n'est pas sourde. Je sais parfaitement comprendre certaines situations particulières d'élèves en difficulté (scolaire, sociale ou affective, ou les trois à la fois, malheureusement) et en tenir compte.

Reste que la phase de "dressage", quand il faut en passer par là, n'est pas agréable pour moi non plus et que j'ai la surprise de devoir l'appliquer cette année en sixième, chose dont j'avais perdu l'habitude depuis longtemps.

PS: j'ai écrit ce texte ce matin, pendant que mes élèves de troisième travaillaient sur une version latine. Je ne savais pas alors que cette journée du 23 septembre était celle de la lutte contre l'échec scolaire. Cela ne change d'ailleurs rien à ce que j'ai écrit. Et ce n'est sûrement pas en entendant Monsieur Philippe Mérieu intervenir au journal de 13 heures sur France Inter que je vais changer d'avis!

PS2: En écho à certains articles lus dans des blogs "amis", je tiens à préciser que ne me gêne pas le fait que les élèves utilisent le mot "prof" au lieu de professeur, l'essentiel étant de préserver le respect mutuel, mais qu'en revanche je n'accepte pas en classe des élèves qui confondent collège et plage ensoleillée. Là aussi, pour moi, une question de respect (et bien souvent d'esthétique!).

mardi 22 septembre 2009

Abondance

J'habite tout près de la rue de l'Abondance. Joli nom pour cette rue malheureusement coupée en deux en son centre par l'autoroute urbain qu'est encore aujourd'hui, malgré les protestations des riverains et les promesses de la mairie, la rue Garibaldi avec ses nombreuses trémies (tunnels en lyonnais). J'ai mis longtemps avant de penser à faire le rapprochement avec une autre rue de l'Abondance, celle de Pompéi, en fait le cardo de la cité romaine que les archéologues ont ainsi baptisée au moment de la mise à jour de ces vestiges. A y bien penser, il me plaît assez d'être si proche d'une rue portant ce nom à résonance antique.

Cette rue du troisième arrondissement n'a rien de particulier, ni monuments inoubliables, ni immeubles intéressants, même pas (ou très peu) de commerces dignes de ce nom. Elle prend naissance sur le Cours Gambetta, suit un chemin quasi parallèle à l'avenue Félix-Faure et s'en va butter plus haut contre le Boulevard Vivier-Merle, non loin de la gare de la Part-Dieu. Essentiellement bordée aujourd'hui d'immeubles d'habitations, elle offre pourtant le soir quelques possibilités de parking pour sa voiture, à condition de ne pas rentrer trop tard.

Son plus beau tronçon est celui qui longe la place Aristide Briand côté troisième arrondissement. Cette place, dont l'ancien nom était Place de l'Abondance est occupée par un jardin paysagé en grande partie réservée aux enfants en bas âge et à leurs jeux sous l'œil en principe vigilant de leurs parents. Autrefois, mais peut-être est-il encore là, tapi dans un coin derrière le pont de liane ou le toboggan bleu, il y avait un buste de Barthélémy Thimonnier, l'inventeur de la machine à coudre(1793-1857).

Ce monument à la mémoire de l'inventeur français né à l'Arbresle et mort à Amplepuis avait été inauguré le 8 mars 1931. Beaucoup de lyonnais s'étaient alors étonnés que l'on célèbre sur une place portant le nom d'Abondance la mémoire d'un homme mort dans une extrême pauvreté, parce que mal accueilli par la classe ouvrière (comme d'ailleurs son compatriote lyonnais Jacquard, le génial inventeur du métier à tisser).

Aujourd'hui les enfants y crient, glissent, s'y écorchent les genoux et y suçotent d'improbables chiffons en attendant l'heure de la sieste ou celle du bain. Et je doute que personne, parmi les parents, ne se soucie ni de Thimonnier ni de l'Abondance. Il n'y a qu'un vieux toqué comme moi pour penser chaque fois à la corne brisée d'Amalthée et à la rue aux boutiques en ruines au pied du Vésuve endormi.

lundi 21 septembre 2009

Seul

Petit moment de solitude, là, devant l'écran. Impression fugace, comme un léger frisson sous la caresse d'une brise ressentie par soi seul. Une surprise, sentiment inhabituel. Cela ne va pas durer. Lire les autres ne change rien, et des photos de beaux mecs n'ont jamais suffi.
Le frisson passe avec l'image de la couverture et de soi, étendu, un nouveau livre à la main, dans la lumière atténuée d'une lampe de chevet. J'y vais.
Je vous le disais bien: on n'est jamais seul... Pourtant, que j'aimerais ce soir me serrer dans des bras.

Une certitude

Je peux passer trois ans sans acheter un vêtement. Un mois sans entrer dans une librairie? J'explose.

Patrimoine

Pour les journées du Patrimoine, c'est comme pour les vacances: j'évite à tout prix les lieux de trop grande affluence. Pour cela, plusieurs façons de faire sont possibles:
1°) Visiter tôt, à des heures où le grand public n'est pas encore arrivé.
2°) Choisir des sites qui n'intéressent que modérément la foule.
3°) Ne pas hésiter à changer d'idée si la file d'attente, en arrivant, paraît trop imposante.

Résultat: depuis trois ans que je suis assidu à cette manifestation (toujours d'ailleurs avec J. et sa femme: c'est une sorte de bonne habitude que nous avons prise), je n'ai jamais eu à attendre longtemps pour entrer dans un bâtiment ni à jouer des coudes pour progresser à l'intérieur.

Cette année, visites du samedi uniquement centrées sur le 3°arrondissement:

- l'immeuble moderne de la Communauté Urbaine de Lyon, qui a perdu son joli nom de Courly pour celui, plus prétentieux de Grand Lyon, et de son service info-trafic: le bâtiment de béton est surtout intéressant pour les jeux de lumière qu'il favorise; quant au centre d'information sur la circulation en ville, la visite valait d'être faite pour les explications claires et souriantes des différents intervenants. J'ai appris des choses avec eux, et j'aime apprendre.

- le Crédit Municipal (Mont de Piété, Chez ma tante), rapidement: c'est une partie de la mairie du 3°arrondissement où je n'étais jamais entré.

-L'Hôtel du Département (la Préfecture, donc), inconnu également pour moi, alors que nous avons vécu, Pierre et moi, pendant dix-sept ans à deux cents mètres à peine. Ors et dorures de la République qui se montre et s'auto encense, verrières et peintures allégoriques, mais aussi, pour l'occasion de ces deux jours du Patrimoine, quelques œuvres majeures qui seront ensuite exposées au Musée des Confluences lorsque celui-ci se décidera enfin à voir le jour. Essentiellement des objets (masques, sculptures,...) du grand nord canadien.

Le dimanche matin, lever 7h30: je suis allé sous un fin crachin assez frisquet encourager mes camarades coureurs dans leur épreuve du semi marathon. A la dernière minute ou presque, l'itinéraire en avait été changé: le centre ville, en particulier la place des Terreaux, étant occupé par d'autres manifestations (merci, Libération!), on les avait cantonnés sur les quais du Rhône, en contrebas des voies de circulation. Ennui d'un aller et retour en terrain exclusivement plat. Quand j'ai vu enfin passer celle qui devait être une des dernières participantes, j'ai eu un moment de pincement au cœur. L'année prochaine, peut-être.
Repas chez J. ensuite et départ pour les visites de l'après-midi que j'avais choisies seul, en fonction des critères pré mentionnés.

- le Grenier d'Abondance, sur les quais de Saône, bel ensemble architectural aux lignes classiques ayant autrefois servi à entreposer des denrées destinées à nourrir la population lyonnaise tout en régulant les cours des prix de ces denrées (Malheureux producteurs de lait qui n'ont même pas cet ultime recours!), et qui aujourd'hui abrite les bureaux de la DRAC. A ne pas manquer (mais on ne peut pas!), le magnifique escalier central dont la hauteur des marches a été calculé pour permettre aux hommes chargés, sur leur dos, de lourds sacs de grains de ne pas avoir à forcer inutilement.

- Les Subsistances, lieu hautement culturel à Lyon, ancien couvent de religieuses, des Visitandines je crois, puis caserne de l'armée française. Étonnant mélange de tous ces passés différents que rendent à la fois encore plus vivants et plus obsolètes les ateliers d'art qui s'y hébergent. En avant-première, jolis extraits d'un spectacle de "cirque", mêlant acrobaties, musiques d'accordéon au rythme de tangos sud américains et poésie érotique des mouvements des danseurs.

- L' église baroque de Saint-Bruno-des-Chartreux, à la Croix-Rousse, église aujourd'hui paroissiale qui fut autrefois celle d'un couvent urbain de Chartreux dont il reste quelques vestiges alentour. Si les chapelles latérales sont dans un état de crasse époustouflant, en revanche, et cela sans doute accentue le contraste, la nef unique et le dôme ont admirablement été restaurés dans leur magnificence d'origine. Le baldaquin, en particulier, qui s'élève sous le dôme et élance ses colonnes et ses drapés vers la lumière (le seul baldaquin baroque de Lyon) ne peut pas ne pas faire penser à Rome et à St-Pierre. En prime, nous avons eu droit, grâce à un guide occasionnel avec qui nous avons trouvé maints points de jonction, à des explications détaillées sans être ennuyeuses et à une visite exceptionnelle du petit cloître encore existant (deux rues occupant maintenant l'emplacement du grand).

Deux bons jours, vraiment où, grâce à ma sœur, je fus libre de toute contrainte familiale. Deux jours qui se terminèrent par un petit repas improvisé chez Jean-Claude qui, avec Frédéric, rentrait de vacances en Espagne. J'ai très bien dormi, oubliant sans difficulté le vieux monsieur grincheux qui sentait mauvais, les élancements sporadiques mais heureusement rares de mon dos, la cuistrerie de la guide du Grenier d'Abondance, plus soucieuse de briller que d'intéresser et les quelques gouttes de pluie qui jalonnèrent cette fin de semaine.

dimanche 20 septembre 2009

Mezzogiorno



Bon appétit!

samedi 19 septembre 2009

Mezzanotte


Des rêves pour tous!

Momentini

- Une première journée du patrimoine à visiter les locaux du Grand Lyon, ex Courly, Communauté Urbaine, et son service info-trafic. Puis du Crédit Commercial ("Mont de piété") et de l'Hôtel du Département, où pour l'occasion étaient exposées quelques-unes des merveilles qui trouveront définitivement leur place au futur Musée des Confluences lorsque celui-ci acceptera de sortir de terre. Je raconterai tout cela plus tard.

- Un grand moment de discussion avec deux vieux maghrébins (c'est à dire cinq ans plus âgés que moi!)qui m'avaient vu me pencher pour ramasser une pièce de deux centimes place du Pont (nom que tout le monde, ou presque, donne à la place Gabriel Péri, ici à Lyon). Discussion autour du travail, de la fidélité à son entreprise, du plaisir d'avoir une activité quotidienne, des difficultés des plus jeunes en ce moment, des embauches au noir, de l'intérim, des fainéants, de l'âge qui avance. Et tout cela avec un grand sourire et une grande joie de communiquer.

- Une lumière de rêve encore une fois sur les berges du Rhône. Comme la ville est belle, le soir, quand le soleil décline. Ventrée de photos.

- Mon bougainvillée refleurit, j'ai de nouvelles roses au rosier nain, les plantes grasses prospèrent, de même que le cactus que m'avait donné J. l'an dernier. J'ai appris, en passant devant la boutique du fleuriste proche de chez moi, le nom d'une de mes plantes à fleurs, grosses fleurs bleues ressemblant vaguement aux campanules mais en beaucoup plus imposant, mais je l'ai déjà oublié. Les orchidées dorment, le laurier rose a sommeil et toutes seront bientôt rentrées pour passer l'hiver.

- Ce soir, je finis enfin la lecture d'un roman qui m'a pris un temps fou. Quelque part, une libération.

Dans la main ou dans la bouche ?

En tant que prêtre, Pierre, bien qu'entré dans la vie active et n'ayant plus charge de paroisse, était toujours recensé dans un certain nombre d'adressiers ecclésiastiques. Mais il ne sut jamais qui l'avait, sans lui en parler, abonné à une petite feuille de chou arrivant encore aujourd'hui régulièrement sous plastique non transparent, comme si elle avait honte de ce qu'elle est.

Il s'agit d'une lettre trimestrielle envoyée au clergé de France par la Fraternité Saint-Pie X, lettre qui, du vivant de Pierre, finissait immanquablement à la poubelle. Il en est encore ainsi aujourd'hui. Pourtant, au dernier envoi, j'ai voulu m'assurer que j'étais toujours bien éloigné des pratiques et de l'idéologie de ces messieurs, et je n'ai pas été déçu, Dieu merci.

Pour donner une idée de ce que véhicule cette "lettre trimestrielle de liaison", je vous livre des extraits d'un article sur le rite de Communion, extraits choisis, le texte étant trop long, mais aucunement transformés.

Il existe des raisons objectives, fondées et toujours valables qui expliquent pourquoi, depuis plus d'un millénaire, l'Église a opté définitivement pour une certaine façon de distribuer la communion, la sainte Eucharistie n'étant plus touchée que par les mains des ministres consacrés.

(...) La première motivation que l'on peut attribuer à l'établissement de cette forme de distribution de la communion est d'ordre pratique, à savoir assurer le respect du Saint-Sacrement.(...) Si, comme l'enseigne la foi de l'Église, et en reprenant les mots de Saint Thomas d'Aquin dans le Lauda Sion, "le Christ est tout entier sous chaque fragment comme sous l'hostie entière", il est nécessaire de veiller avec soin, autant que le peuvent les forces humaines, à ce qu'aucune parcelle, aucun fragment ne se perde, ne tombe à terre, ne soit fouler aux pieds.
Or, la remise de l'hostie dans la main de chaque fidèle, avec toutes les manipulations afférentes, multiplie à l'évidence les risques de perte involontaire de fragments d'hostie. D'autant que le fidèle n'est pas forcément adroit, n'a pas obligatoirement les mains propres, n'est pas toujours suffisamment formé pour manier avec respect et attention le Saint-Sacrement.

(...) Le deuxième danger que pointent les textes antiques est le sacrilège, soit involontaire par l'effet d'une dévotion mal inspirée, soit volontaire.
Il existe, en effet, un risque non imaginaire que le communiant emporte les saintes espèces pour en faire un usage incontrôlé, depuis la vénération personnelle dans sa maison, l'utilisation comme amulette, jusqu'à la profanation sacrilège et satanique.(...) Ce risque de sacrilège est aujourd'hui toujours d'actualité, et même plus que jamais, dans la société multiculturelle où nous vivons. La déclaration toute récente du père José Maria de Antonio, responsable de la pastorale des migrants des Hautes-Pyrénées, en est la preuve tangible (Libération du 15 août 2009, p.13): "[Des Tamouls non baptisés] communient [à Lourdes]. J'ai vu un jour un homme mettre l'hostie dans sa poche. Il m'a dit: "Je suis hindouiste, mais je la prends pour l'amener à Paris à ma mère qui est très malade, car c'est une nourriture divine"."


Le jour où je devais faire ma première communion, j'étais malade et n'ai pu donc m'avancer vers l'autel avec mes petits camarades. Ce que je ne manquais pas de faire, pour moi naturellement, à la première messe suivante. Le vicaire, après l'office, m'avait ramené chez moi et avait parlé de "péché mortel" que j'aurais commis! De là à mourir dans les dix secondes, il y avait un pas que mon tendre cerveau d'enfant avait franchi, j'allais dire allégrement mais peut-être n'est-ce pas le bon mot. Je croyais que, depuis, les choses avaient évolué. Apparemment pas pour tout le monde.

vendredi 18 septembre 2009

Mémoires externes

J'ai appelé Hélène tout à l'heure: c'est son anniversaire, et demain celui de son mariage. Je l'aurais encore une fois oublié si Stéphane ne me l'avait rappelé au collège aujourd'hui et si Christophe, son mari en déplacement, ne m'avait envoyé un SMS dans le même sens.

Je pense toujours aux anniversaires de Christophe, jamais à ceux d'Hélène, et ça l'énerve, ce que je comprends. Mais aujourd'hui, grâce à mes deux mémoires externes, j'ai pu lui faire ce plaisir! Elle était effectivement très heureuse de mon coup de fil, et très touchée. Elle passait la soirée avec une autre collègue et ses filles, "pas un mec", a-t-elle tenu à me préciser. Quand elle a su que j'étais seul et pas surchargé de travail, elle m'a proposé de les rejoindre. Deux femmes et cinq filles!

J'ai prétexté, pour refuser, une fatigue, réelle, et une overdose d'enfants dans la semaine, ce qui n'est pas tout à fait faux non plus. En fait, j'éprouve à être chez moi, dans mon vieux pantalon de jogging élargi, qui ne me rappelle pas sans cesse que j'ai pris un peu de ventre, devant mon ordinateur, dans la pénombre à peine repoussée par la lampe de bureau, à écouter ou non de la musique, à penser que deux jours de liberté s'ouvrent (cette fois-ci) devant moi, un plaisir indicible qui me fait soupirer d'aise. Et personne au monde, même le plus bel homme, ne pourrait me convaincre de me rhabiller et de sortir de ma tanière. Est-ce cela, vieillir? Aimer sa solitude? Ou bien savoir savourer intensément les instants à soi?

La Libérale Attitude

La société JCDecaux est en charge de la gestion des vélos publics de Lyon, appelés vélov'. L'idée de pouvoir me déplacer à deux roues dans la ville m'a tout de suite séduit et je n'ai guère tardé à prendre un abonnement longue durée (une année, renouvelable). Bon an, mal an, j'en étais plutôt satisfait, même si certaines stations restaient désespérément vides et d'autres incroyablement pleines, tout cela bien sûr à l'inverse de mes besoins du moment. Mais j'ai la chance d'habiter un quartier très fourni en stations et il me suffisait en général de parcourir deux ou trois cents mètres supplémentaires pour trouver de quoi me satisfaire.

Et puis, d'une manière qui m'a semblé bien rapide et soudaine, les vélos ont été de plus en plus vandalisés, les bornes de lecture endommagées, l'approvisionnement des stations plus aléatoire. La société a réagi en augmentant le prix de tous les abonnements, celui à l'année passant de cinq à quinze euros. Pas encore très cher, mais tout de même une augmentation de trois cents pour cent! Explication: il serait ainsi possible de faire face à la dégradation, que les finances de Decaux ne pouvaient sans doute plus assumer. De qui se moque-t-on?

Dès la hausse effective, les vandales ont désertés les lieux, quasiment du jour au lendemain. Plus de vélos défoncés, ou bien peu, proportionnellement. Le départ des Vandales pour des cieux plus cléments est bien évident la seule explication rationnelle car les nouveaux abonnements à quinze euros ne pouvaient avoir renfloué les finances de l'entreprise aussi vite...

Qu'à cela ne tienne: à peine un peu plus d'un euro par mois, quand le moindre ticket de bus ou de métro est à 1,60, ce n'est pas la mer à boire. D'autant que je bénéficie encore de plusieurs mois avant de subir moi-même l'augmentation. Mais dernièrement, deux petits grains de sable sont venus perturber la machine. Le premier, c'est mon mal de dos qui m'empêche bien souvent de prendre un vélo. Mais ça, Vélov' n'y est pour rien. Le deuxième date d'une quinzaine de jours. J'avais remarqué que ma carte d'abonné n'était pas toujours lue facilement par les bornes à certaines stations. Comme elle fonctionnait très bien à d'autres, j'en ai conclu qu'il n'y avait rien de grave et ai changé un peu mes habitudes.

Mais voici que début septembre, alors que j'étais assez pressé puisque j'avais rendez-vous avec mon dentiste, cette carte resta obstinément muette. J'eus beau la passer, la repasser, la réchauffer, la frotter pour la nettoyer, attendre un instant en espérant que ce repos la remettrait d'aplomb, rien! Avant de me précipiter dans la bouche de métro, j'ai appelé Vélov' pour leur signaler l'incident et ai eu tout le temps (vu le délai d'attente pour qu'un opérateur décroche) de constater que ma carte avait souffert: elle montrait une fente sur l'un des longs côtés, ce qui la rendait illisible.

La voix féminine qui me répondit enfin m'assura que, dans les quinze jours, je recevrais par la poste une nouvelle carte, moyennant cinq euros de frais. Je lui fis remarquer que ma carte avait déjà deux ans et qu'il n'était pas étonnant qu'elle se soit un peu détériorée, même si je ne la transporte sur moi que dans une petite pochette de cuir qui la protège. Je m'entendis répondre que l'usure des cartes n'était pas pris en compte par la société. Dont acte. On me proposa de prendre, pour faire le lien, un abonnement à la semaine. Ainsi la seule solution, c'était que je paie une deuxième fois pour une période déjà réglée. Pas folle la guêpe.

Mes problèmes de lombaires firent que je n'eus pas à me servir d'un deux-roues pendant ces quinze jours. Mais de carte jolie, je n'en voyais toujours pas venir! Cet après-midi, je pris donc mon téléphone pour avoir des nouvelles. Autre attente. La voix enregistrée me fit taper mon code personnel, me dit aussitôt (quelle rapidité de lecture!) qu'elle ne le comprenait pas et me demanda de bien vouloir le retaper. Je le fis en tirant la langue pour mieux m'appliquer, mais le neurone de la machine répondeuse n'était pas au rendez-vous: il me fallut attendre un temps certain avant d'accéder à un vrai humain, qui se trouva être une humaine, fort polie et à la voix agréable. Elle rechercha mon dossier, assez rapidement, je dois le dire.

- Monsieur Calystee, merci d'avoir attendu (j'aurai pu faire quoi, autrement?). J'ai votre dossier sous les yeux. C'est un problème de carte fendue, n'est-ce pas (quelle perspicacité! je venais de lui dire! Elle devrait se reconvertir dans la voyance, cette brave dame!). Votre nouvelle carte n'a pas pu être éditée à cause d'un problème informatique (ben voyons!). Mais je me charge personnellement de l'affaire. Bien sûr, votre nouvelle carte ne partira pas ce soir, mais dès lundi. Vous devriez donc la recevoir mardi ou mercredi si la Poste ne fait pas grève (sales fonctionnaires!). Nous sommes désolés pour ce retard.

- Pas autant que moi, chère Madame, d'autant que, si je comprends bien, si je n'avais pas appelé, j'aurais pu attendre ad vitam eternam?

- Euh.... Oui. Je suis désolée.

- Mais alors, ma durée d'abonnement va être prolongée d'autant de jours que ceux où je n'ai pas pu utiliser vos vélos?

- C'est absolument impossible. Si encore vous nous aviez transmis vos coordonnées bancaires, j'aurais pu mais là, vous avez payé votre abonnement avec un chèque. C'est impossible.

- Vous voulez dire que si j'avais accepté le paiement automatique, vous alliez me rembourser en durée supplémentaire les jours perdus?

- J'aurais pu éventuellement faire quelque chose! (Apparition de l'adverbe qui n'était pas là tout à l'heure). Mais là je ne peux rien. Désolée, Monsieur Calystee. Passez un très agréable week-end, Monsieur Calystee.

Prends-moi pour un con, belle voix de rêve! Je ne vois pas en quoi le mode de paiement a une quelconque importance dans le prolongement d'un abonnement de quelques jours. Mais la voix de rêve était agréable, polie et calme. Et ça, un vendredi soir, passées cinq heures, ça n'a pas de prix. J'attends encore jusqu'à mercredi prochain, et là, je m'énerve pour de bon!

jeudi 17 septembre 2009

Vespéral


Bonsoir!

Aux pâtes lyonnaises

Il y a de cela bientôt deux ans, alors que je me promenais avec mon vieil appareil photos numérique, celui hérité de mon père, j'avais arpenté les rues du 7°arrondissement dans cette partie comprise entre la place Saint-Louis et le quartier près des quais du Rhône qui semble au-dessous du niveau du fleuve tant le dominent les digues construites après de sérieuses inondations au siècle dernier.

J'avais été surpris et consterné par l'état de délabrement de certains immeubles de cette zone ainsi que par le nombre considérable de commerces fermés dans ces rues pourtant populaires. Plusieurs de ces magasins gardaient encore une devanture datant d'une époque balzacienne, en bois peint ou fer travaillé. L'un d'entre eux m'avait particulièrement attiré. L'enseigne disait: "Aux pâtes lyonnaises", comme l'on dirait "Aux noix de Grenoble" ou "Aux mouchoirs de Cholet", comme si Lyon était et avait toujours été connue non pour ses charcuteries et ses quenelles mais pour ses pâtes alimentaires.

Le reste de la devanture était entièrement recouvert d'affiches annonçant spectacles ou manifestations diverses. Pas le moindre endroit laissé libre, pas le plus petit centimètre pour tenter de regarder à l'intérieur. Seules les vieilles impostes, au-dessus, étaient inoccupées mais trop hautes pour encourager la moindre tentative d'intrusion visuelle.

Le plus étonnant, c'était le contraste entre la vétusté du lieu et la fringance des affiches nouvellement collées. Aucune d'entre elles n'était périmée et, chose tout aussi surprenante, toutes étaient collées dans un ordre parfait, une disposition côte à côte, sans jamais empiéter, sans jamais recouvrir tout ou partie de la voisine. Comme si les colleurs respectaient ce lieu insolite. C'est le seul affichage respectueux dans le quartier.

J'avais l'intention de revenir devant ce magasin régulièrement, de le photographier à chaque nouvel affichage, car ces couleurs changeantes, étrangement, lui allait parfaitement: on aurait dit que la vieille boutique où plus personne n'entrait jamais se plaisait à se prêter au jeu des autres, de ceux qui vivaient, qui bougeaient et qui venaient l'annoncer sur ses volets fermés. Chacun respectait et magnifiait l'autre.

Un jour, j'ai cherché ce lieu étrange d'alchimie. J'ai sillonné le quartier longuement, espérant voir au lieu le kaléidoscope de ses couleurs. Mais rien! J'arpentai même les endroits où je savais ne pas pouvoir le trouver. C'était comme si la boutique avait disparu. Une deuxième tentative, quelques mois plus tard, se solda par le même échec. J'étais même allé, cette fois-là, jusqu'à questionner dans la rue une passante qui m'avait l'air du quartier. Elle me regarda d'abord avec défiance, puis comme un fou inoffensif, enfin se prêta au jeu de très bonne grâce. Mais elle ne parvint pas à me faire retrouver le bon chemin.

Samedi après-midi, alors que je m'apprêtais à traverser le pont de la Guillotière pour me diriger sur Bellecour, je décidai à la dernière minute de bifurquer vers ces rues basses qui escaladent tant bien que mal la pente de la digue ou viennent mourir au pied d'un escalier. Et, au détour de l'une de ces voies, je l'ai vue, je l'ai retrouvée, ma boutique magique. Chaque fois, je l'avais manquée de peu: il aurait suffi que je me décide à traverser la rue de Marseille et à faire quelques pas vers le Rhône. Rue d'Aguessau, je ne suis plus prêt de l'oublier.

J'étais si content de la revoir que je me demande si je n'en ai pas parlé tout seul, à voix haute. Elle est bien toujours là, elle n'a pas été démolie, ni rachetée, ni rénovée et, comme autrefois, elle est couverte d'affiches actuelles, sagement disposées de manière à ne pas se nuire. Je sais maintenant le chemin pou y aller. Me reste seulement à me renseigner sur ce que c'était vraiment que ces "pâtes lyonnaises".

Merci à Nukleo, sur Flickr, d'avoir fait de cette photo un de ses favoris.

Matinal


Bonjour!

mercredi 16 septembre 2009

Petit lexique à l'usage de tous (sauf de mes élèves) (2)

CUL: si je m'écoute, nous sommes encore une fois partis pour un bien long billet, tant les emplois de ce mot, seul ou en combinaison, sont infinis et variés.

A tout seigneur tout honneur: le latin, pour l'étymologie du terme. Culus, tout simplement (n'allez pourtant pas vous imaginez qu'en rajoutant -us au masculin et -a au féminin vous maîtrisez la langue de César).Un mot bien court aussi, sans famille collatérale, sauf si on en rapproche indûment culiculus (petit moucheron, et pas mouche bleue) ou culicellus (celui qui papillonne autour. Sans commentaire). Culus, dans le Gaffiot, a droit à une unique ligne alors qu'il est suivi de cum, l'un des plus longs articles de ce dictionnaire. Nous sommes pourtant rassurés d'y découvrir que Cicéron et Catulle ont parlé du leur, ou peut-être de celui de l'une ou l'autre de leurs maîtresses.

Mais revenons à notre bonne langue nationale, qu'on l'affuble du qualificatif de gauloise ou de celui, plus récent, de rabelaisienne. Le Cul se met à toutes les sauces: s'il faut se méfier du faux-cul, on peut fort bien, si l'on n'est pas trop snob, faire ami-ami avec un cul-terreux. Le cul-bénit et le lèche-cul (que je rencontre parfois dans mon collège catholique, sous la forme adulte du parent ou plus homéopathique de l'élève) m'insupportent. Le gros-cul du routier peut vous rendre de fiers services en cas de nécessité d'auto-stop. Quant à notre niais de cucul la praline, fait-il vraiment partie de la famille de notre postérieur ici analysé?

Côté combinaisons, rappelons pour mémoire le cul-de-basse-fosse (qui n'est pas, comme certains le croient peut-être, un mauvais chanteur d'opéra), le cul-de-jatte, à ne pas confondre avec le cul de bouteille, le cul-de-lampe (qui, sans doute, invite à fermer le livre et sombrer dans la sommeil à la fin d'un chapitre), le cul-de-four, voûté dès l'origine, le cul-de-poule qu'imitent à la perfection certaines bouches à la moue dédaigneuse et le cul-de-sac, vocable si merveilleux que même les anglo-saxons, qui y regardent toujours à plusieurs fois avant d'introduire chez eux un produit étranger, l'ont adopté, en le prononçant, il est vrai, d'une manière bien à eux, faisant appel, pour le positionnement des lèvres, au gallinacée susnommé.
(En allant faire un tour dans le dictionnaire, pour m'assurer de ne pas en avoir oublié, j'en ai découvert un autre, inconnu de moi jusqu'à ce jour: un cul-de-porc, nom d'un nœud marin particulier, en forme de bouton)

Notre petit (trou du) cul mutin s'accoquine aussi fréquemment avec nos deux auxiliaires pour s'en donner alors à cœur-joie: avoir du cul (de la chance), l'avoir dans le cul (avoir été trompé), avoir le feu au cul (baver sur son prochain ou sa prochaine), avoir des couilles au cul (être courageux. Voir aussi "couilles"), en avoir plein le cul (sens figuré: en avoir assez), être le cul entre deux chaises ( position bien inconfortable pour celui qui la vit avant de prendre une décision), être cul (très bête), être cul par dessus tête (à l'envers), être comme cul et chemise (donc fort intimes, comme on l'imagine aisément).

Il s'arroge même le privilège de fréquenter les verbes, les vrais, et là, ça ne rigole plus: faire cul sec (en levant le coude), tirer au cul (Voir arrêts de travail), péter plus haut que son cul (donc à la hauteur de la narine des autres, que cela incommode), tortiller du cul pour chier droit (être trop compliqué), se casser le cul (antonyme de tirer au cul), lécher le cul (voir lèche-cul, pluriel: lèche-cul ou lèche-culs selon l'appétit), se le foutre au cul (de la manière qu'il vous plaira).

Et, pour terminer, une expression que j'apprécie particulièrement, comme chaque enseignant, je pense: "Parle à mon cul, ma tête est malade".

Si vous en trouvez d'autres, envoyez-les moi: je les éditerai ..... postérieurement.

mardi 15 septembre 2009

Poterie

Encore un petit mot concernant le cinéma. J'ai entendu que Patrick Swayze était mort d'un cancer à 57 ans. Je découvre par la même occasion que nous étions de la même année. Je ne connais pas particulièrement cet acteur et n'ai jamais vu le fameux Dirty Dancing.

En revanche Ghost, de Jerry Zucker, où il tient la vedette avec Demi Moore et Whoopi Goldberg, reste pour moi un souvenir fort, un de ces films dont je ressors toujours les yeux humides, même aujourd'hui. Cette gentille romance m'émeut chaque fois profondément et je ne peux revoir sans pleurer la scène de poterie qui, pour moi, est un des plus beaux moments de sensualité du cinéma . Voir les mains de Swayze et de Demi Moore en chemise d'homme se frôler, se serrer, se croiser, former une corolle à la pâte d'argile qui semble vibrer et jouir sous la caresse, se durcir, se tendre sous leurs mouvements conjugués! Et tout ça avec dans l'oreille la voix sirupeuse des Righteous Brothers susurrant Unchained Melody! Je fonds! Oui, j'ai gardé un peu de midinette en moi.

L'Affiche Rouge

Le soir, dans ma cuisine, j'écoute, en mangeant seul, l'émission de Kathleen Evin sur France Inter: L'Humeur vagabonde. Rendez-vous fidèle de la semaine quand je le peux. J'aime la voix de sa journaliste, j'aime son générique (Finding Beauty, de Craig Armstrong), j'aime la plupart des sujets qui y sont abordés et nombre de ses invités.

J'aime aussi la quitter, en cours de route et poursuivre seul ma réflexion sans attendre la fin de l'émission. Un peu comme un roman que l'on savoure et dont on n'a pas envie de connaître la fin (ça m'est arrivé une seule fois, avec Le Quatuor d'Alexandrie, de Lawrence Durrell). Moi aussi, j'aime laisser vagabonder mon humeur.

Ce soir, l'invité était Robert Guédiguian, pour la sortie demain de son film L'Armée du Crime, consacré à l'extermination du réseau Manouchian. Bon film ou pas, je n'en sais rien et là n'est pas mon propos. En écoutant Kathleen Evin parler des origines de Guédiguian, père arménien et mère allemande, membre du parti communiste, je me suis souvenu de l'une de mes premières années d'enseignement, exactement l'année où je suis entré dans le privé, 1979 donc (Tiens, il faudra que je pense à en arroser l'anniversaire!).

J'avais pu obtenir un demi poste de français et de "connaissance du monde" (il faudrait des pages pour expliquer ce que c'était. Disons que cela ressemblait à de l'histoire-géographie sans vraiment en être) dans un LEP tertiaire du centre ville de Lyon. J'avais à enseigner le français à des permières années de CAP et la CDM à des premières années de BEP. J'ai toujours préféré les CAP: c'étaient des élèves qui, en grosse majorité, venaient de sortir du circuit classique des études Collège/Lycée en fin de cinquième et devaient se préparer à exercer rapidement un métier.

Je me rappelle ces enfants, blessés mais fiers, cachant la honte sous la provocation, des élèves difficiles dont je dus inventer le chemin pour les amadouer. Lorsque, chaque année, le dialogue enfin s'instaurait (il fallait compter un à deux mois selon les classes), leurs mots étaient pour me dire qu'ils étaient nuls, qu'ils ne savaient rien faire et que de toutes façons... Je leur expliquais, de mon côté, la situation où ils se trouvaient: encore quelques mois assis derrière un bureau et ensuite c'était le grand saut dans le monde réel, celui où il faut travailler même pour une tête qui ne nous revient pas. Je leur disais aussi qu'ils ne seraient pas aider par leur faciès délictueux ni par leur nom du Maghreb ou d'un ailleurs aussi peu bienvenu. Je les choquais et c'était mon but: la plupart se mettaient alors au travail, pour eux, peut-être un peu aussi pour moi.

Cette année-là, la première, je me vois encore arriver, le jour de la rentrée, devant la classe où je devrais affronter la meute qui m'attendait en désordre près de la porte, me laissant à peine la place de passer dans le couloir étroit de cette vieille bâtisse. Une trentaine d'adolescents et moi, le dompteur. Étrangement, je n'avais pas peur. Je n'ai jamais eu peur de mes élèves. Peur de rater mon et surtout leur année, oui, peur que le contact ne s'établisse pas, oui. Mais peur d'eux, non, jamais.

Alors que j'allais ouvrir la porte, un maghrébin un peu plus gaillard que les autres s'approcha de moi. Nous avions approximativement la même taille mais il semblait plus grand grâce à la banane qu'il s'était gominée avec ses cheveux. Le reste était à l'avenant: jean serré et blouson de cuir large, petit cul et larges épaules. Allait-il falloir entrer en lice déjà dans ce couloir? Il me regarda un court instant et, d'un ton ferme mais pas agressif, me lança calmement: "Appelez-moi le King!".

Les autres (et peut-être lui-même) s'attendaient à une réaction négative de ma part. On allait bien rigoler. Ma réponse le fut effectivement, négative, mais pas du genre de celle qu'ils attendaient: " Je suis vraiment désolé mais ça ne va pas être possible!" La douceur de ma voix et le calme avec lequel je dis ces paroles en désarçonna plus, dont le principal intéressé qui retrouva un instant un visage d'enfant pour me demander: "Pourquoi?". Alors, je les regardai tous, avec un sourire tranquille et bienveillant, sans agressivité, sans ironie, sans moquerie et, dans le silence le plus total, je lançai la réplique qui me valut sans doute ma réputation de toute une année et de toutes les autres, quatre au total, que je passerais dans l'établissement: "Le King, ici, c'est moi!". Ils entrèrent calmement: ils m'avaient adopté.

Il n'en demeure pas moins qu'enseigner le français dans les classes de CAP n'était pas pour moi d'une évidence absolue. Je rappelle que j'avais fait des études universitaires de Langues Anciennes, Latin et Grec donc, et que ma dernière année dans le public avait consisté à enseigner les Humanités à des classes dociles de seconde et de première. Avec les CAP, la chanson était tout autre! Et c'est justement par la chanson que je réussis à leur inculquer quelques rudiments de langue (à défaut de son orthographe) et à leur donner unes ou deux clés pour aborder les textes écrits.

Un jour, sous les critiques de mes collègues qui jugeaient cette œuvre beaucoup trop difficile, je fis découvrir à ces lourdauds de CAP le poème d'Aragon: Strophes pour se souvenir (1955), consacré à l'Affiche Rouge. Le premier contact se fit d'ailleurs par la chanson de ce titre de Léo Ferré (1959). Je n'aurais pas pu mieux choisir. Je leur expliquai avec des mots simples ce qu'avait été cette guerre, que certains semblaient découvrir ce jour-là, ce qui avait motivé les mouvements de résistance, les différents courants de cette armée de libération de la France, les enjeux, les drames, l'horreur.

Ils acceptèrent, après avoir écouté la chanson, de lire le texte imprimé où je compris vite qu'ils retrouvaient une part de leur propre vie:

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants.

Ces noms difficiles, c'étaient les leurs, que tout le monde écorchait ou simplifiait constamment, ces visages hirsutes, menaçants, c'étaient les leurs, vus par une classe moyenne vieillissante et bien installée dans son confort ménager. On cherchait encore aujourd'hui cet effet de peur sur les passants, et par des moyens plus sophistiqués qu'une simple affiche.

Il fallut expliquer tous les mots, ils ne voulaient rien manquer, rien laisser dans l'ombre, et quand le poème en vint à parler d'amour, j'en vis certains baisser la tête et renifler discrètement.

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erevan

Personne autre qu'un enseignant ne peut comprendre la joie et l'émotion profondes qui nous saisit dans ces moments-là. Moments qui rachètent tout le reste et les journées de désespérance.

Alors que l'heure de cours s'était achevée et que, peu à peu, lentement pour une fois, la salle se vidait, le "King" vint à mon bureau. Il tourna un instant autour du pot et finit par me demander où il pourrait retrouver ces paroles, écrites et chantées, et d'autres documents sur cette terrible époque. Il était entré dans l'Histoire.

Il devait avoir quatorze ans quand il entendit parler pour la première fois de L'Affiche Rouge. Il a aujourd'hui, s'il est encore en vie, un peu plus de quarante ans. J'aimerais, bien humblement, que, s'il entend parler du film de Guédiguian et qu'il décide d'aller le voir, il se souvienne un instant, un court instant, de ce jeune professeur un peu timide mais résolu qui le mit sur cette piste-là.

lundi 14 septembre 2009

Connerie

Lu sur la page d'accueil de Yahoo aujourd'hui:

BON ANNIVERSAIRE, LA CRISE !

Comment peut-on oser une telle connerie ?

Un autre itinéraire

Le dimanche parfois, ils font le voyage jusqu'à leur ancien village, celui de son enfance, celui où dorment les deux caveaux de famille, avec un père dans chacun, son géniteur dans le plus vieux, où reposent également sa grand-mère et quelques-uns des adultes qui ont façonné ce qu'il est aujourd'hui, son "éleveur" dans l'autre, construit plus récemment, où sa petite sœur fut mise un jour d'un beau début d'août dont elle ne vit jamais la fin.

C'est devenu une sorte de rituel. Avec sa sœur, la survivante, ils n'ont pas besoin de se le dire, ils savent quand le temps est venu d'y retourner, comme les oiseaux migrateurs connaissent le temps d'entreprendre leur long voyage d'exil. Un dimanche, on mange et après le café on s'en va. Pour lui, la visite n'est pas mélancolique, ni triste. Il n'a jamais éprouvé ce genre de sentiments face à l'une ou l'autre tombe. Il n'a jamais éprouvé aucun sentiment face à quelque tombe que ce soit, sauf celle de son compagnon de vie qu'il n'a pas recouverte d'une lourde dalle de granit, comme la presque totalité de ses voisines, où la terre apparaît à nu et nourrit une lavande qui n'en finit pas de prospérer, où il eut envie un jour de se coucher et de ne plus se relever.

Sur le vieux caveau, les noms se sont effacés jusqu'à n'être presque plus visibles. A quoi servirait d'ailleurs de les repasser à la peinture puisque qu'à part à lui, ils n'évoquent plus rien à personne ? Qui se souvient de Clémence et d'Antonin? Qui, après lui, se souviendra de Pierre, son père, ou de l'aïeule Augusta, sa grand-mère qui lui fit tant de confidences avant de mourir? Plus jamais la dalle ne serait soulevée. Qu'ils reposent en paix maintenant.

L'autre caveau non plus ne l'accueillerait pas: il resterait en exil, à Lyon, en terre étrangère, mais près de celui qu'il a aimé trente-trois ans et qu'un foutu cancer du cerveau a fini par lui arracher, en faisant un légume avant de le tuer. Sa mère serait la dernière à rejoindre cette cave bétonnée. Lui serait en pleine terre et sans rien dessus que des fleurs, dites-le bien à tous.

Quand il a fini de nettoyer les dalles, d'arroser les plantations et d'en extraire quelques mauvaises herbes tenaces, il se retourne vers la vallée, vers ce paysage qui lui sera son seul regret dans la mort. D'abord les prairies, grasses, où il a toujours vu un troupeau de vaches près de la grosse ferme, et le bois, minuscule, un gros bosquet d'arbres en rond que, dans son enfance, on appelait le "bois l'agneau", sans doute à cause du nom d'un ancien propriétaire mais qui s'était transformé, dans sa tête d'enfant, en lieu privilégié de fables où les loups s'en donnaient à cœur joie. Tout au fond, barrant l'horizon, une ville dont le blanc éblouissant des deux flèches de l'église principale lui a souvent servi de point de repère ou de point d'encrage, quelque chose qui lui disait qu'il était vraiment chez lui. Aujourd'hui, une des deux flèches a été démolie par mesure de sécurité: elle menaçait les passants et les forains du marché, le dimanche, sur la place en dessous, et la consolider eut été trop onéreux pour la commune aux finances peu florissantes. Il se sent un peu boiteux quand il la regarde et préfère, plutôt que s'en émouvoir, considérer qu'il est en train de jouer au jeu des sept différences.

A l'heure où ils se rendent au cimetière, en début d'après-midi, la lumière éclabousse toujours cette vallée, laissant au contraire dans l'ombre les premiers contreforts du Pilat, de l'autre côté. Sa famille descend de ces hautes collines boisées, toujours un peu mystérieuses, dont les grands essarts se teintent, à l'automne, d'un tapis de bruyères uniforme. Au sommet, sur un promontoire chauve se dresse l'antenne du relais de télévision, visible de ce côté comme de celui de la vallée du Rhône, au pied de l'autre versant.

La dernière fois où ils sont allés sur les tombes, il n'a pas voulu rentrer à Lyon par son itinéraire accoutumé qui les conduit immanquablement dans le village de ses jeunes années, là où il a vécu avant les autres, avec sa grand-mère maternelle, Augustine, qui l'a élevé parce que sa mère venait d'avoir deux autres enfants trop rapprochés et que l'épicerie-buvette-jeu de boules qu'elle tenait avec son nouveau mari , l'éleveur pour lui, l'occupait déjà plus qu'à plein temps. La maison où il avait vécu ensuite avec toute la famille, au décès de la vieille dame, avait été rasée elle aussi depuis longtemps pour couper un virage dit dangereux et aménager à la place un terrain de football. Il aimait encore faire ce crochet parfois mais seul, sans sa mère qui, avec l'âge, avait tendance à ressassé éternellement les mêmes souvenirs.

Il est descendu dans la vallée et remonté de l'autre côté, empruntant une route en lacets que personne, hormis les quelques habitants des fermes disséminées sur les premières pentes, n'emprunte plus. Il n'a pas expliqué pourquoi à sa mère et à sa sœur. C'était à lui, une sorte de pèlerinage que les autres ignoraient. Tant pis si sa mère, à la fin du voyage, éprouvait une légère nausée due aux virages trop fréquents.

Cette route, qu'un pompeux panneau a baptisé aujourd'hui du qualificatif ridicule pour lui de "panoramique", il ne l'a pas reprise depuis ses dix-huit ans. Il la redécouvre à chaque tournant, à chaque plongée dans les bois bordées de hautes fougères, à chaque échappée sur le versant qu'il vient de quitter et même plus loin, au-delà du crêt qu'il franchissait à pied pour aller à la messe. Le paysage n'a pas beaucoup changé. Mais il ne retrouve plus l'aspect sauvage qui lui plaisait tant dans sa révolte d'adolescent: des maisons se sont construites un peu partout, orientées n'importe comment selon le sens de la pente, de petites habitations individuelles abritant une famille modèle d'heureux consommateurs formatés. De temps en temps, une ancienne ferme a survécu à l'invasion, anachronique, pataude, grossière au milieu des pavillons clés en main.

Il la parcourait, cette route de collines avec son solex, heureux de pouvoir échapper quelques heures à la lourdeur familiale, même si les efforts pour faire avancer l'engin dans les côtes lui brisaient les reins et tétanisaient les mollets. Il la parcourait pour être seul, en communion avec la noirceur des sous-bois, pour avaler goulûment par la bouche et le nez toutes les senteurs humides des végétaux en putréfaction. Il aimait être surpris par une odeur, être saisi par un brusque courant d'air froid, comme soufflé de l'antre inaperçue d'une de ces dames blanches dont on disait autrefois ces bois habités. En voir apparaître une au bord d'un chemin ou près d'une source cachée sous un rocher ne l'aurait pas surpris plus que ça. Il n'était plus dans la réalité. Dans son rêve éveillé, tout devenait possible.

Ce contact des bois, des sources, des bruyères, de l'humus, le protégeait, le sauvait. Peu auparavant, à la piscine, au moment de l'épreuve du bac, il avait eu une drôle de réaction cutanée. Son professeur, inquiet, lui avait conseillé d'en parler à ses parents et de voir un médecin. Celui qu'il avait consulté avait diagnostiqué une syphilis au deuxième stade, suffisamment grave et avancée pour nécessiter des années de traitement par injection, mais cela, il ne le savait pas encore. Le praticien lui avait promis la discrétion vis à vis de ses parents et avait tenu parole: pour eux, on avait parlé de maladie du sang nécessitant ces nombreuses piqûres à intervalles rapprochés.

Ce jour-là, le ciel s'était effondré sur lui. Il s'était senti pourri de l'intérieur, vicié jusqu'à l'os, un rebut, un déchet. Comment concevoir un avenir avec une telle chaîne à traîner à ses pieds? Comment pratiquer dorénavant une sexualité qu'il avait encore beaucoup de mal à assumer dans sa gourmandise effrénée?
La maladie lui était vite apparue comme une punition céleste, une façon de le remettre dans le droit chemin, un avertissement puissant contre ses pratiques hors norme: sans doute Dieu n'aimait-il pas que l'on trouve du plaisir, un plaisir intense, avec un autre soi-même, qu'un garçon caresse un garçon et que tous deux, après l'orgasme, s'étendent pantelants en se tenant la main pour s'endormir un peu?

Mais ces pensées torturées ne l'avaient pas achevé. Au contraire, elles le conduisirent à la révolte: si Dieu ne comprenait pas, alors Dieu était un imbécile! Cette opinion fut d'ailleurs, l'année suivante, confortée par la mort accidentelle de sa petite sœur. Si la société et la religion le mettaient au rang des parias, eh bien, qu'il soit un paria, mais fier, violent, arrogant. Il acceptait ce qu'on faisait de lui mais voulait modeler le personnage à sa guise. Et rien ne l'aidait davantage dans cette entreprise que ses longues heures dans les bois avec son solex. Plus tard, bien plus tard, il allait se réconcilier avec lui-même.

Voilà ce qui l'a fait choisir ce dimanche-là ce chemin du retour et qu'il ne pouvait révélé à personne. Quelque part, au fond de lui-même, il avait envie d'en sourire: assagi, serein, bon fils et bon camarade, avait-il portant vraiment changé? Sa solitude fière, il la portait toujours en lui, il aimait la sentir s'émouvoir souvent, se révolter encore parfois et le loup qui vivait sous sa peau n'était pas encore près de rejoindre la meute.

dimanche 13 septembre 2009

Pensée


Il faut, un jour, avoir été ébloui par la splendeur du monde, ne plus pouvoir se passer de ces moments prodigieux, savoir les retrouver et s'en souvenir.
Abbé Pierre.



Ce qui rend encore plus prenante cette réflexion de sa part, c'est qu'il ne s'est jamais non plus détourné de la misère de ce même monde.

Mes hommes.- 4 : d'Italie

Il s'appelle Bruno. Il a un nom qui fleure bon sa Toscane d'origine. Descendant d'une famille florentine, qui sait peut-être autrefois alliée aux Médicis ou aux Pazzi. Il aime l'Antiquité et me parle souvent de César, qu'il vénère, de Cicéron ou des philosophes grecs aussi, mais sa passion, c'est plutôt l'Italie des anciens Romains.

Nous nous voyons régulièrement. Nous passons de longs moments ensemble, moi allongé et heureux de l'entendre, lui près de moi, les mains sur mon dos, glissant lentement de mes épaules jusqu'au creux de mes reins puis remontant en faisant rouler ma peau amollie sous ses deux pouces réunis. Des mains qui me font de l'effet, qui me palpent, me caressent encore mieux quand ils les a poudrées d'un peu de talc, des mains si douces et solides à la fois que, parfois, je ferme les yeux pour n'être plus que cette peau, ce tronc, ces membres assaillis mais tellement consentants. Il n'y a qu'avec lui que je me laisse aller à une passivité aussi lascive.

Je devais avoir vingt-deux ans quand je l'ai rencontré, lui vingt-cinq à peu près. Nous habitions la même avenue, à quelques numéros d'écart, moi du côté pair et lui impair. Il m'a plus tout de suite et, après notre première rencontre, j'ai pris l'habitude de lui rendre fréquemment visite. C'était trop pratique: il n'y avait qu'à traverser la rue.

Au début de mon âge adulte, je n'étais pas toujours très bien dans ma tête ni dans mon corps. Il m'arrivait d'être déprimé, tendu, de me montrer irascible ou pointilleux dans mes relations avec autrui. J'aimais qu'on m'aime mais je n'aimais pas les autres, je m'en rends compte aujourd'hui. Lui m'avait pris comme j'étais. Je savais qu'une fois la rue traversée, une fois que je l'aurais revu, mon ciel s'éclaircirait et je pourrais repartir plus léger vers des lendemains moins incertains.

Trente-cinq ans que nous nous connaissons. Bien sûr, nous nous sommes parfois un peu perdus de vue, mais jamais très longtemps, jamais au point de nous oublier, jamais jusqu'à compromettre pour moi ce bienfait qu'il m'apporte quand je le retrouve. J'ai toujours son téléphone dans la liste de mes connaissances et je sais que je peux le joindre quand j'en ai besoin: il a toujours répondu présent. Il m'est même arrivé de sonner à sa porte sans prévenir quand je ne pouvais plus faire autrement. Pas trop souvent car il n'apprécie qu'à moitié mais, même un peu grognon, il finit toujours par me prendre dans ses bras.

Toscan d'origine! Vous l'imaginez sans doute brun au regard de velours, avec un corps de liane n'enlevant rien à sa virilité glorieuse, peut-être des yeux bleus ou, mieux, verts. Un brun mat aux yeux verts! Eh bien, non: Bruno n'est pas brun, il n'est pas grand et il n'a pas les yeux verts. Bruno est un petit homme un peu grassouillet, plutôt roux dans ce qui lui reste de cheveux, sa peau trop pâle n'a probablement jamais rencontré le soleil face à face et il a constamment dans sa poche un mouchoir qu'il sort toutes les trente secondes pour assécher la goutte qui, comme sous les robinets dont le joint demande à être changé, se reforme régulièrement sous son nez, ce qui, bien sûr, provoque une irritation chronique de cet appendice nasal.

Vous voilà surpris! Quoi! Calystee, que nous croyions un garçon de goût (si, si, on me l'a dit), qui nous semblait plutôt esthète (avec quelques relents un peu plus coquins, certes, mais bon), aimer le contact avec les mains d'un tel individu, rêver au moment où ce nain le prendrait dans ses bras pour le serrer très fort, fermer les yeux sous ses caresses? Quelle déception!

Mais attendez: vous ne savez pas tout encore! Je veux ce soir baisser le masque, me montrer tel que je suis et non pas tel que l'on voudrait que je sois. Je tiens à exposer la vérité sans voiles, toute nue, la vérité vraie, au risque de vous perdre, mes amis. Ainsi, de toutes les pièces où nous nous réfugions, lui et moi, pour faire nos petites affaires, c'est la plus grande que je préfère, celle entourée de miroirs aux murs, celle où je peux, pendant qu'il me palpe longuement, voir sous tous les angles mon corps réagir à ses étreintes, celle où je suis ses mains dans leur descente jusqu'au bas de mon dos. Je sais qu'elles vont s'y arrêter un instant, me laisser frémir d'une attente fébrile, et puis remonter lentement jusqu'à sur mon cou, jusqu'à la racine de mes cheveux qu'elles masseront agréablement avant de reprendre leur mouvement descendant.

Quand nous avons un peu plus de temps et qu'il se sent particulièrement inspiré, ou que les réactions de mon épiderme le sollicitent, il utilise des aiguilles qu'il me plante un peu partout dans le corps. Il sait si bien y faire que je ne sens presque rien. Parfois, rarement, il me fait mal et je le lui dis. Mais il ne m'écoute pas, il n'en tient pas compte et continue à me transformer en pelote de couturière.

J'ai rendez-vous demain avec lui, à quatorze heures. J'aimerais déjà y être tant il me fait de bien. Ah! J'oubliais de vous dire: Bruno, c'est mon kiné.