vendredi 30 septembre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (50)

Arvo Pärt, Tabula rasa

Amour et respect

Aujourd'hui, avec les troisièmes, en latin, nous avons traduit un texte de Quintilien tiré de son Institution Oratoire: des conseils donnés au maître qui a en charge des élèves. La dernière phrase était: "Ainsi tous tes élèves t'aimeront et te respecteront".

Une fois cette phrase traduite, une élève me regarde et me dit en rougissant: "C'est un peu comme vous, Monsieur." Ce fut mon tour de rougir. Écrire ça a l'air prétentieux et m'as-tu vu. Ça ne l'est pas. Je suis simplement très fier d'avoir entendu cette opinion. Ça console de beaucoup de fatigue et ça change des jérémiades hélas trop fréquentes dans le corps enseignant.

jeudi 29 septembre 2011

Parents

Des parents angoissés, de plus en plus. Jamais, en début d'année, je n'ai eu autant de demandes de rendez-vous particuliers. Je ne dois pas être loin de la dizaine, en un mois.

Il y a ceux qui sont nouveaux au collège et veulent voir à quoi tel ou tel enseignant ressemble. Là, tous les prétextes sont bons pour obtenir sa petite demi-heure d'entretien. Ils arrivent avec un a priori plutôt favorable (sinon, ils n'auraient pas inscrit leur enfant ici) et repartent en général rassurés. Ceux-là, il faut bien le dire, nous font perdre notre temps.

Il y a ceux que l'on convoque parce que le fiston ou la fifille, dont la libido a pris un coup de chaud pendant les vacances, se croit déjà faire partie des grands parce qu'il (elle) est en cinquième et que, après la sixième, on est, selon eux, de vrais hommes et des vraies femmes. Le petit a grandi et s'oppose, pour tout, pour n'importe quoi, juste pour montrer ses larges (!) épaules. Papa et maman ont alors souvent un train de retard et doivent vite reconsidérer leur projet de cadeau de Noël: le Club des Cinq, c'est fini!

Il y a ceux qui arrivent, le visage fermé et déjà revendicatif, avec un dossier d'orthophonie de plusieurs kilos sous le bras, dossier prouvant par A+B que leur enfant a de gros problèmes de dys-tout ce que vous voulez et dont moi, pauvre professeur, je ne comprends pas un traître mot, langage médical oblige. Alors maman vous fait un résumé et, neuf fois sur dix, a surligné quelques phrases par ci par là où l'orthophoniste se prend pour un enseignant et fixe à celui qui en a réellement le rôle la conduite à tenir avec l'enfant. De plus, on vous prévient qu'une demande d'AVS (assistant à la vie scolaire) a été faite auprès de qui de droit et que l'on n'attend plus que la réponse (que moi je sais devoir bigrement tarder). J'écoute, je compatis et finis presque toujours par également préconiser quelques coups de pied au cul, tant sont rares les vrais problèmes de ce type.

Il y aussi, et ce sont les pires, ceux qui tiennent à tout prix à vous faire savoir qu'ils sont séparés de leur mari ou de leur épouse (ce que nous savons déjà par les fiches de renseignements remplis en début d'année) et emploient la majeure partie du rendez-vous à vous démolir le conjoint absent, responsable selon eux de tous les problèmes de leur progéniture. Bien heureux encore si, venant à deux, ils ne vous jouent pas sans vergogne la grande scène de ménage en direct.

Il y en a parfois aussi qui vous remercient pour le travail que vous faites et la peine que vous vous donnez. J'ai dû en rencontrer une dizaine, mais dans toute ma carrière.

Adieu, Denise

Là, ça m'a fichu comme un coup de vieux. Je rentre d'une réunion de parents (la troisième de la semaine), après une journée surchargée et la première info que j'entends en ouvrant la télévision: Denise Gence est morte.

Tout un pan de mon enfance qui disparaît ce soir. Dans les années soixante, j'étais un accro du Théâtre de la jeunesse de Claude Santelli. J'avais le droit de regarder cette émission qui, si je me souviens bien, passait l'après-midi. J'ai vu défiler des adaptations pour enfants de Hugo (Gavroche), de Rabelais (Gargantua) et de tant d'autres, mais celles que je préférais, c'étaient celles de la Comtesse de Ségur (née Rostopchine, comme chacun sait), parce qu'elle y était presque invariablement présente, Denise Gence, avec son fidèle acolyte Marc Dudicourt.

Moments de bonheur intenses pour moi, et je crois qu'aujourd'hui encore, je ne rougirais pas de revoir ces émissions où l'on ne prenait pas les gosses pour des débiles mentaux. J'ai cherché sur Youtube: rien, pas une seule vidéo disponible. Alors, ce soir, c'est dans ma tête que défilent les images du Général Dourakine, du Bon petit Diable, des Deux Nigauds, de L'Auberge de l'Ange gardien, de tous ses rôles de méchante dont on ne croyait pas vraiment à la méchanceté.
Décidément, cette semaine, ce blog se transforme en véritable chronique nécrologique!

mercredi 28 septembre 2011

Pourquoi toujours un titre?









Frissons

Désuet

Trouvé dans un "Lecture et langue française, cours moyen" (pas de date d'édition, mais l'on a inscrit sur la page de garde, en calligraphie ancienne: École de Saint-Maurice, 1946-1947) ce poème désuet dont notre ministre de l'Éducation Nationale actuel devrait se laisser guider par la deuxième strophe:

A l'école.

Notre mère, la douce France,
La chère France, dit un jour:
"Notre ennemi, c'est l'ignorance:
Il faut le vaincre par l'amour.

Au bord des mers, le longs des fleuves,
Dans la vallée et sur les monts,
Bâtissons des écoles neuves
Pour les petits que nous aimons."

Et pour bâtir maisons nouvelles,
Jamais les maçons plus gaîment
Ne sont montés sur leurs échelles
Et n'ont pétri plus dur ciment.

Les anciens, se sentant revivre,
S'écriaient,-car beaucoup d'entre eux
N'avaient jamais lu dans un livre-:
"Nos enfants seront plus heureux!"

Les livres prirent la parole
Quand les maçons furent partis,
Et l'on vit courir vers l'école
Tout le peuple des plus petits...

Le cartable battant l'échine
Ou bien leurs cahiers sous le bras,
Les uns là-haut, dans la colline,
D'autres dans la plaine, là-bas,

Tous allaient vers la maison blanche,
Ceux-là se tenant par la main,
Ceux-ci retardés par la branche
Qui met des fleurs sur le chemin.

On quittait la campagne aimée,
On regrettait les papillons,
Mais on chantait comme une armée:
"Enfants!...Formez vos bataillons!"

Jean Aicard

Emprésuré

L'emprésuré, vous connaissez? Je viens de découvrir et je me régale. C'est dans un petit pot paraffiné, avec un couvercle doré qui s'enlève facilement, comme autrefois. Ça ressemble à un yaourt mais ce n'est pas un yaourt. Pas le même goût, pas la même consistance. Trois parfums pour l'instant: pistache, caramel, testés et approuvés aussi bien par Frédéric que par moi, et chocolat, pas encore goûté mais ça me tente moins.

mardi 27 septembre 2011

Comment ne pas s'ennuyer au boulot.

Une réunion de parents, deux réunions de parents, et j'irai comme ça jusqu'à quatre! Pas vraiment stressant, j'ai tout de même des heures de vol, mais ennuyeux. Alors, je cherche de quoi me motiver, et j'ai trouvé deux bons moyens: faire rire d'emblée, pour se les mettre dans la poche (parce qu'après tout, ce sont souvent eux les plus angoissés. Alors, quand on peut se détendre!), et rechercher dans la salle de quoi satisfaire mes yeux. Je pars à la chasse aux papas! Rarement fructueuse: d'abord, ils ne sont jamais très nombreux, ce sont souvent les mères qui se déplacent, et puis bonjour les spécimens!

Ce soir pourtant, un! Et dans ma classe de sixième en plus. J'ai prévenu S. dans la salle à côté pour qu'il vienne discrètement jeter un œil. La quarantaine, bronzé, cheveux grisonnants juste ce qu'il faut, T-shirt moulé sur des pectoraux juste ce qu'il faut, ventre plat, jean avantageux qui laisse deviner plus qu'il n'impose. Bizarre comme on ne sent plus la fatigue tout à coup. Les yeux comme source de détente, ça marche!

Mam'selle

Ça y est, les chiennes ont trouvé un nouvel os à ronger. Ces gardiennes auto-proclamées du féminisme ont jeté leur dévolu sur un mot que, moi, pourtant, je trouve très beau: Mademoiselle. Elles réclament du "Madame" pour toutes, mariées ou non, sous prétexte que le distinguo n'existe pas pour les hommes!

Lorsque je trouve à redire à mes élèves, je leur donne du "Monsieur" ou du "Mademoiselle" un(e) tel(le). Là, ils voient vraiment qu'il est grand temps de se calmer. D'autant qu'en général, la phrase qui suit n'est pas dépourvue d'ironie mordante. Alors, parce que ces dames patronnesses le décrètent, il faudrait que j'emploie "Madame" pour un petit bouchon de onze ou douze ans?

Et puis, toutes ces vieilles à qui, forcément, l'on s'adresse avec du "Madame" et qui vous reprennent par un "Mademoiselle" suivi d'au moins trois points d'exclamation, elles n'ont plus droit de cité alors?

Un autre de leurs arguments: les formules "Monsieur, Madame, Mademoiselle" n'ont aucune valeur civile et ne sont employées que pour faire preuve d'une certaine politesse à l'égard de la personne à qui l'on parle. Et alors, je l'aime bien, moi, la politesse et elle a grand besoin d'être défendue en ce moment.

Elles se démènent pour les générations futures? Alors qu'elles cessent de créer de nouveaux mots absolument indéfendables au regard de la langue et de ses règles. "Auteure", par exemple! Quel grand pas pour l'humanité que cette horreur! Le suffixe "teur" fait "teuse" ou "trice" en français, et jamais "teure". Bonjour les cours d'orthographe des générations futures! Elle remercieront sans doute grand-maman de leur avoir encore compliqué la tache. Tiens, au fait, elles ne l'ont pas encore repéré "grand-maman"? Pas plus que grand rue? Il va falloir leur souffler. Moi, c'est dans les bronches que j'ai envie de leur souffler.

Tiens, un cadeau pour elles, et approprié en plus: La maison de Toutou, avec mademoiselle Zouzou et mademoiselle Kiki!

lundi 26 septembre 2011

Pages marquantes (14)

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.» Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : "Ce n'est pas de ma faute." II n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

J'ai pris l'autobus à deux heures. II faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m'a dit: "On n'a qu'une mère". Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte. J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois. J'ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c'est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j'étais tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de loin. J'ai dit "oui" pour n'avoir plus à parler.
Albert Camus, L'Étranger.

Adieu, Paulette

Jour de liesse

Demain, c'est, paraît-il, la journée du handicap! Bon, tout va changer sans doute: plus de voitures garées sur les bateaux des trottoirs ("j'en ai pour une minute!"), plus de terrasses de café encombrant tout le passage, avec des gens attablés qui dévisagent l'occupant du fauteuil comme s'ils voyaient le tout dernier des Mohicans, plus de trous jamais bouchés, plus d'automobilistes qui klaxonnent parce que l'on emprunte sur cinquante mètres la chaussée faute de pouvoir rouler sur le trottoir, plus de panneaux publicitaires, plus de bâtiments inaccessibles, civils ou religieux! Que de la joie, de l'humanité et de la fraternité. Dommage que, demain, je n'ai pas à sortir ma mère!

dimanche 25 septembre 2011

Un mot

Une étoile de mer s'est posée sur mon bureau. Toute simple sur le sable avec les reflets de l'eau claire. Au dos, un seul mot et la date: septembre 2011. Pas de signature. Pas besoin. C'est un mot partagé à deux.

Et un peu de musique, ça vous dirait? (49)

François Couperin, Première Leçon de Ténèbres, Alfred Deller.

Autour d'un bac à sable

Après-midi dans un jardin d'enfants. Ma mère adore les voir jouer, particulièrement (je ne sais pas pourquoi) les petits noirs. C'est une des dernières choses qu'elle aime dans la vie, avec les pâtes de fruits.

Aujourd'hui, le jardin devant l'église est comble: des enfants, des mères et quelques pères, maghrébins pour la plupart, et des vieux avec ou sans pliants. En face, sur la place, un concours de pétanque de plusieurs dizaines de retraités. On ne les entend pas d'ici. On les voit viser, tirer, se pencher, mesurer, palabrer avec un sérieux digne de joueurs de belote.

Sur le banc à côté, des femmes âgées et burinées, des mamas italiennes chaussées de crocs qui laissent de la liberté à leurs pieds déformés. Elles parlent en italien et puis en français, et puis encore en italien, selon comme les mots viennent. Les maris lancent la boule. Les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes.

Un tout petit, avec un maillot de foot imprimé Ziani (OM), court dans tous les sens pour effrayer les pigeons à qui il jette le sable du bac central. Des filles mouillent ce sable pour en faire un mini château de la princesse. Un minuscule les regarde et attend sagement qu'elles aient terminé pour le démolir en riant. Et elles recommencent sans se lasser.

Un autre, guère plus grand, coiffé d'un curieux chapeau semblable à celui de Fernand Reynaud dans un de ses sketches, ne lâche pas sa mère qui ressemble à Chimène Badi, puis s'aventure un peu plus loin sur son vélo à roulettes , s'arrête et reste immobile à contempler les autres. Il n'entrera jamais dans leurs jeux, comme une petite fille à robe et sac à main roses dont les yeux bleus le fascinent un moment.

Un de huit ans doit rentrer faire ses devoirs. Il traîne un peu la patte et sa mère le rudoie. Le mari d'une italienne rejoint le banc des femmes, son étui à boules sous le bras. Il s'appelle José. La Méditerranée est au complet.

Mais ma mère se lasse vite. Elle prend pour partir son prétexte habituel: un besoin pressant, dont nous ne savons jamais s'il est réel ou imaginaire. Nous n'avons pas quitté le parc que le banc, à l'ombre, est déjà occupé.

samedi 24 septembre 2011

Le Convoi de l'eau

Je ne connaissais pas Akira Yoshimura jusqu'à ce roman que je viens de terminer: Le Convoi de l'eau, livre splendide où se mêlent le plus grand réalisme et la poésie la plus profonde.

Un homme qui a assassiné sa femme puis volé ses doigts de pieds qu'il transporte toujours avec lui s'engage dans une équipe chargée de la construction d'un barrage au fond d'une vallée sauvage où, pour son malheur, habite une peuplade mystérieuse. Le village est condamné à être englouti sous les eaux. Pendant les travaux, l'homme observe ces habitants étranges qui semblent accepter leur sort sans se rebeller.

Peu à peu, au fur et à mesure où le destin de ces quelques habitations se scelle, le paria entame une rédemption, accède à un pardon pour lui-même et à une forme d'amour pour l'humanité. Étrangement, sans que le thème en soit proche, ce roman m'a souvent fait penser à un autre livre, Les saisons, de Maurice Pons, sans doute à cause de l'ambiance qui se dégage de ces paysages à la fois grandioses et désolés.
(Akira Yoshimura, Le Convoi de l'eau, Babel. Trad. de Yutaka Makino.)

Je le trouve si beau (4)

Marlon Brando (1924-2004). L'animalité.

Amérique, quand tu nous tiens...





Yes, we can

jeudi 22 septembre 2011

Momentini

- Dans la rue, une voiture immatriculée AZF le jour de l'anniversaire des dix ans de Toulouse.

- Monuments aux morts de la place Belleville. Aux morts de 14-18, de 39-45 et de la guerre d'Algérie. Un jeune père arabe apprend les chiffres à son petit garçon en effleurant la pierre:1-9-6-2.

- Un film de Spike Lee, Do the right thing (1989) sur Arte.

- Vingt-deux ans d'attente. Vingt minutes de spectacle, cette nuit, dans une prison des États-Unis.

- Un combat de gosses en cage en Angleterre devant public adulte. Le père d'un des deux déclare: "Pourquoi empêcherais-je mon fils de faire ce qui lui plaît?". Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Un petit tour au XIII° siècle

Journée hors les murs et hors du temps présent pour l'ensemble des cinquièmes aujourd'hui: un petit tour au Moyen-Age dans les Monts du Lyonnais. Une de mes collègues, me voyant arriver en chemise et petit blouson, me prévient que je risque d'avoir froid. Fortunés, nous avons eu un soleil magnifique et l'atmosphère sous les tentes frôlait parfois le caniculaire.

Cinq lieux/ateliers à faire découvrir aux élèves: celui du chevalier Astar de Lauriga, qui leur apprit, entre autres, la courtoisie, celui du mercenaire Alan Mac Bran, fier de ses origines d'Oc, bon conseilleur en faits d'armes. Sont venus ensuite Dame Isabelle et sa dame de compagnie, évoquant la vie des femmes en ces temps reculés (surtout pour les élèves), Alain, l'écuyer et son potager, et Maître Charles dans son scriptorium. La journée s'est terminée autour de la piste où s'affrontèrent un cavalier et un "piéton", puis deux ennemis dans un combat tantôt historique, tantôt efficace, selon leurs propres mots.

Beaucoup d'informations que les élèves devaient collecter pour un futur travail d'écriture longue au collège. Des ateliers plus ou moins intéressants selon la personne qui les présentait (un bonus pour le mercenaire et le chevalier qui croyaient vraiment à leur affaire et savaient parler aux enfants). Une grosse fatigue en fin de journée et le sentiment que j'ai un peu fait le tour de la question des sorties extra-scolaires et que je supporte décidément de moins en moins le bruit et les rassemblements trop nombreux.

mercredi 21 septembre 2011

Mire

Rien ce soir. Désolé. Trop tard. Demain, grosse journée Moyen-Age à la campagne. Je vous expliquerai. Réponse aux commentaires reportée aussi. Bon, je peux me permettre: ce n'est pas souvent!

mardi 20 septembre 2011

Plaisir gratuit

On ne dit plus beaucoup "récitations" aujourd'hui. On lui préfère "poésies", comme on a remplacé instituteur par professeur des écoles. Autres temps, autres mots! Mais qui, pour moi, sentent un peu trop leur prétention.

Alors grand plaisir cet après-midi lorsque le libraire de quartier à qui j'étais allé régler une grosse commande pour le collège et chez qui j'ai acheté quelques livres pour mon usage personnel, m'en a donné un intitulé 200 récitations de votre enfance. Feuilleté dès qu'arrivé dans la voiture. Et des noms, et des noms, que je croyais avoir oubliés depuis longtemps: Paul Arène, André Chénier, François Coppée, Francis Jammes, Jean Richepin, Albert Samain, aux côtés des incontournables La Fontaine, Verlaine, Rimbaud et autres Victor Hugo. Il y en a même un que je ne connaissais pas: Charles Van Lerberghe.

Relu ce soir quelques pages apprises dans l'enfance et que j'ai sans doute un jour récitées, seul au tableau, sur l'estrade, avec mon tablier d'écolier et les mains dans le dos, concentré comme si de ma mémoire dépendait l'issue heureuse d'une guerre incertaine.

En voici une, de ses récitations de mon jeune âge, dont je n'avais retenu que la première strophe et totalement oublié l'auteur:

La Biche

La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux:
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux!
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.

Son auteur? Maurice Rollinat.

(Pierre Ripert, 200 récitations de votre enfance. Ed. De Borée.)

Deux façons de voir et d'entendre

Bach, Prelude en Ut Majeur

Maurane



Glen Gould

lundi 19 septembre 2011

P. comme pieds

Le dérèglement du monde

Comme les Maalouf, je les achète en toute confiance, sans même regarder de quoi ils traitent, j'ai pris Le Dérèglement du monde sans jeter un œil à la quatrième de couverture, sûr inconsciemment d'avoir affaire à un roman. Eh bien non. Il s'agit plutôt d'un essai sur tous les dysfonctionnements perceptibles dans les premières années de ce siècle: dysfonctionnements économiques, intellectuels, religieux, crispations identitaires et fatigue de nos sociétés modernes.

Maalouf, par ses origines libanaises, est à la croisée des peuples occidentaux et orientaux, particulièrement arabes, et se réclame de ses deux appartenances, tout en gardant vis à vis d'elles une certaine distance d'analyse. Alors, un bon bouquin? Oui et non. Oui par certaines analyses assez fines de la situation actuelle, non par la quantité trop lourde de sujets qu'il aborde et sa propension parfois à être répétitif et un peu doctoral. A mon avis, son essai aurait gagné à être plus court (moins cours) et davantage recentré sur deux ou trois sujets.
(Amin Maalouf, Le Dérèglement du monde. Grasset)

dimanche 18 septembre 2011

Pages marquantes (13)

C’était une de ces soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, fumaient la pipe sous des portes cochères, et les passants allaient d’un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main.
Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s’arrêta encore, indécis sur ce qu’il allait faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l’avenue du bois de Boulogne pour trouver un peu d’air frais sous les arbres ; mais un désir aussi le travaillait, celui d’une rencontre amoureuse.
Comment se présenterait-elle ? Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs.
Quelquefois cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il volait, par-ci, par-là, un peu d’amour, mais il espérait toujours plus et mieux.
La poche vide et le sang bouillant, il s’allumait au contact des rôdeuses qui murmurent, à l’angle des rues : « Venez-vous chez moi, joli garçon ? » mais il n’osait les suivre, ne les pouvant payer ; et il attendait aussi autre chose, d’autres baisers, moins vulgaires.
Il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs rues ; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir près d’elles. C’étaient des femmes enfin, des femmes d’amour. Il ne les méprisait point du mépris inné des hommes de famille.
Il tourna vers la Madeleine et suivit le flot de foule qui coulait accablé par la chaleur. Les grands cafés, pleins de monde, débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs sous la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. Devant eux, sur de petites tables carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes les nuances ; et dans l’intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de glace qui refroidissaient la belle eau claire.
Duroy avait ralenti sa marche, et l’envie de boire lui séchait la gorge.
Une soif chaude, une soif de soir d’été le tenait, et il pensait à la sensation délicieuse des boissons froides coulant dans la bouche. Mais s’il buvait seulement deux bocks dans la soirée, adieu le maigre souper du lendemain, et il les connaissait trop, les heures affamées de la fin du mois.
Maupassant, Bel-Ami

Je le trouve si beau (3)

Clark Gable (1901-1960). La mèche.

Un dimanche ordinaire

Un dimanche ordinaire, sans sommet et sans abîme. Matin frisquet et nuageux. Presque froid sous mon T-shirt en allant au marché malgré le blouson que je remets pour la première fois. Acheté des roses d'Inde pour la cuisine et des lys blancs pour la grande pièce. J'ai dû ouvrir les fenêtres en rentrant de chez ma mère tant ils sentent fort.

Au repas de midi, poireaux vinaigrette (une délicate attention de ma sœur qui sait que j'adore ça), filet mignon avec garniture de cèpes et de rates, fromage, fraises et tarte aux pommes confectionnée par mes soins. Un repas de bourgeois comme m'a dit Frédéric ce soir.

Pendant la sieste, coup de téléphone de mon frère qui propose de passer nous voir avec sa femme dans l'après-midi. Son état de santé l'a empêché de partir à la campagne. S'il continue de souffrir autant, on va sans doute l'affubler d'une pompe à morphine. Des souvenirs remontent à la surface. J'admire son courage et sa façon de ne jamais baisser les bras.

Ce soir, repas prolétaire avec Frédéric: pizza, fromage. Soirée tranquille devant la télé. Infos sur la Une. Nous écoutons à peine. A quoi bon? Je ne comprends pas ce que ce monsieur fait là. Frédéric reprend le travail demain matin. Il a autant envie de recommencer que moi il y a quinze jours.

En ouvrant l'ordinateur, mails de ma collègue addicte au travail. Je ne les ouvre pas. Je suis encore en week-end, et nous nous voyons demain en réunion. Quelle vie de merde elle doit avoir!

Fini Le Dérèglement du monde, de Maalouf, entamé un nouveau japonais. Demain matin, la radio se met en route à six heures.

samedi 17 septembre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (48)

Cora Vocaire "Sans rien dire". Hommage à la Dame Blanche de Saint-Germain-des-Prés, épouse du parolier Michel Vaucaire, disparue aujourd'hui.

Outrage

A propos de Cora Vaucaire. Le frère de Pierre, qui l'aime beaucoup aussi, me téléphone il y a quelques années de cela pour me prévenir que l'on pouvait enfin trouver des CD de cette artiste. Moi qui n'en avais que des vinyles, je me précipite à l'enseigne du grand vendeur de disques qui fut à l'origine une coopérative et est devenue depuis n'importe quoi. Ne trouvant rien au rayon adéquat, je finis par trouver un vendeur libre mais peu accueillant et lui demande où je peux trouver ce que je désire.
- Cora Vaucaire, c'est qui, ça? Et ça s'écrit comment?
Parfois, Calyste se met en colère. Pas souvent mais quand ça arrive, on a intérêt à se garer! Ce fut le cas ce jour-là. Je ne me souviens pas de tout ce que je lui ai dit mais il en a pris pour son grade. Je ne supporte pas les petits péteux prétentieux qui ne connaissent rien à leur boulot. Et je lui ai conseillé, en tournant les talons, de se reconvertir dans la vente des petits pois (même si je n'ai rien contre les vendeurs de petits pois, mes parents en ayant vendu pendant des années). S'est-il souvenu de moi aujourd'hui? J'en doute, surtout s'il a suivi mon conseil. Mais moi oui.

Journées du patrimoine

Rien de bien palpitant au programme, ou alors des sites déjà visités les années précédentes (comme le Mémorial de la prison Montluc, par exemple). Alors juste une petite escapade cet après-midi jusqu'au parking souterrain de la Fosse aux Ours où est exposée La Couzonnaire, une barque du XVIII° siècle découverte lors des fouilles archéologiques dans le lit de la Saône en 2003.

Il s'agit d'une "penelle", bateau à fond plat (celui-ci mesurant 12 mètres de long sur 3 de large) servant à cette époque à transporter sur la rivière, alors pratiquement dépourvue de ponts, de lourdes charges, en particulier des pierres en provenance de la carrière de Couzon (d'où son nom), au nord de Lyon.

Au XVIII°, la Saône connaissait un trafic assez intense, soit, comme cité plus haut, pour le transport de matériaux de construction, soit pour l'acheminement du poisson frais qui était vendu alors sur des bateaux-viviers constituant de véritables marchés flottants, soit pour transporter des passagers d'une rive à l'autre ou pour la promenade.

J'ai appris, grâce aux explications sur place que je paraphrase ici, qu'il existait, pour traverser la Saône moyennant finance, un autre type d'embarcations: la "bèche", manœuvrées exclusivement par des femmes. Et que, d'autre part, à la belle saison, il n'était pas rare d'apercevoir dans les eaux de la rivière dont César, il me semble, affirmait qu'elle avait un débit si lent qu'il était difficile de savoir dans quel sens elle coulait, des baigneurs en tenue d'Adam dont la présence choquait les âmes prudes.

Aujourd'hui, finies les baignades, et les rives sont en grande partie occupées par des parkings qui en défigurent la beauté. Il existe d'ailleurs un projet de la municipalité visant à supprimer ces verrues et à redonner à la Saône sa beauté ancestrale.

vendredi 16 septembre 2011

Inventaire

Quinze jours de cours, déjà. Les perceptions s'affinent au fil des semaines. Il y a ceux que l'on repère tout de suite, qui vous voient dix fois par jour et qui vous disent bonjour dix fois par jour. Compréhensible en sixième, mais, plus tard, ça fait un peu lèche-cul. Ceux qui vous testent en posant des questions anodines sur lesquelles ils espèrent vous voir chuter. Les cartésiens qui prennent tout au pied de la lettre, ceux qui se cachent derrière le voisin de devant pour bavarder, en croyant qu'on ne les voit pas, ceux qui ne comprennent rien, ceux qui croient tout savoir, ceux qui s'en moquent comme de leur premier T-shirt et ne prennent même pas la peine de camoufler leurs bâillements, ceux qui se croient encore à la plage et confondent leur chaise avec un hamac, ceux qui ont renoncé et décidé qu'ils ne comprendraient jamais rien, ceux qui veulent à tout prix vous faire plaisir en levant constamment la main, même s'ils n'ont rien à dire, les nouveaux au collège qui assoient leur personnage de petit dur ou essaient de se faire oublier, les angoissés qui viennent vous voir à la fin des cours, les dyslexiques dont les parents demandent déjà des rendez-vous pour vous sortir un dossier complet rédigé par un orthophoniste au langage obscur et à la prétention de vous apprendre votre métier, ceux que vous avez déjà eus les années précédentes et qui ont tellement grandi que c'est à peine si on les reconnaît, ceux qui arrivent constamment en retard, ceux qui surveillent l'arrivée du prof au bout du couloir, ceux qui ont toujours envie d'aller aux toilettes, ceux qui se trompent de salle ou d'horaire, ceux qui oublient leurs affaires, ceux qui vont faire mourir dix fois leur grand-mère dans l'année pour expliquer qu'ils n'ont pas pu faire leur travail, ceux qui semblent vous écouter alors qu'ils sont à des lieues de là, perdus dans leurs rêveries ou dans un univers vide, ceux qui font des dessins sur la table, ceux qui s'endorment tranquillement en attendant la sonnerie libératrice, ceux qui voudraient bien mais qui ne peuvent point, ceux qui pourraient bien mais qui ne veulent pas, ceux qui se demandent, ou qui vous demandent, à quoi tout cela peut bien servir, ceux qui sont curieux de tout, ceux qui ont du vocabulaire et ceux qui n'en ont pas, enfin pas le même que vous, ceux qui n'ont jamais touché un dictionnaire, ceux qui vous font penser à des poissons dans un aquarium, ceux qui revendiquent, ceux qui contestent, ceux qui ont trop chaud, ceux qui ont trop froid, ceux qui prennent les feuilles à l'envers, ceux qui n'en n'ont jamais, ceux qui savent lire et ceux qui voudraient faire semblant, ceux qui se grattent, ceux qui puent dans leurs vêtements de sport, ceux qui écrivent de la main droit et ceux qui écrivent de la main gauche, ceux qui savent suivre une ligne et ceux qui préfèrent l'ondulation, ceux (celles) qui font leurs points sur les i comme des lunes pleines, ceux qui vous demandent de quelle couleur on souligne, ceux qui veulent savoir combien de carreaux il faut sauter, ceux qui font tomber leur règle, ceux qui se proposent toujours pour remplir les mots d'absence ou pour aller chercher le cahier de texte de la classe, ceux qui sèment à tout vent, ceux qui oublient leur veste, ceux qui captent le soleil sur le métal de leur montre pour vous l'envoyer dans la figure, ceux qui font grincer les pieds de leur chaise, ceux qui demandent un mouchoir, ceux qui vous fixent, espérant vous faire baisser les yeux, ceux dont vos collègues vous parlent déjà en disant "tes élèves" parce que vous êtes le professeur principal, ceux qui n'aiment pas la nourriture de la cantine, ceux qui se plaignent qu'il n'y a jamais de papier aux toilettes, ceux qui passeraient leur vie à l'infirmerie pour éviter les interrogations écrites, ceux que l'on convoque à la direction, ceux qui laissent traîner leur cartable au milieu de l'allée, ceux qui copient derrière leur mèche de cheveux, ceux qui font des expériences derrière leur trousse, ceux qui prennent leur doigt pour un cure-dents, ceux qui prennent leur nez pour un garde-manger, ceux qui ne rendront jamais une copie propre, ceux qui mettent dix minutes à tracer un tableau et n'ont plus le temps de remplir ce tableau, ceux qui pètent, ceux qui rotent, ceux qui ont faim, ceux qui ont soif, ceux qui vérifient si votre braguette est fermée, ceux qui vous tournent le dos, ceux qui se balancent, ceux qui voudraient bien avoir un livre pour deux parce que le cartable est trop lourd (en plus, avec la trottinette...), ceux qui sentent le tabac, ceux dont on se demande ce qu'ils ont fumé, ceux qui balancent de l'encre, ou des boulettes, ceux qui plantent des aiguilles au plafond avec une sarbacane, ceux qui ont les doigts pleins d'encre, ceux qui toussent, ceux qui reniflent, ceux qui pleurent (rares), ceux qui écrivent et veulent à tout prix vous montrer un talent qu'ils n'ont pas, ceux qui se plaignent de l'odeur de la classe et n'aèrent jamais, ceux dont les parents vous expliquent les difficultés en remontant à leurs premiers vagissements, ceux qui ont deux (ou trois) adresses, ceux qui ne voient jamais leur père, ceux qui finissent vite (souvent trop vite) leur contrôle pour pouvoir lire, ceux qui passent tellement inaperçus qu'on met des semaines à se souvenir qu'ils sont dans votre classe, ceux dont on se demande s'ils font exprès.

Et puis deux ou trois sur lesquels on n'a rien à dire. Une année normale, quoi!

jeudi 15 septembre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (47)

Jean-François Zygel explique la Symphonie inachevée de Schubert - avec Pablo Heras-Casado.


Le grésil

C'était un dimanche. Doublement jour de fête puisqu'il faisait beau et qu'une course cycliste devait traverser le village. Je venais d'entrer en sixième et croulais déjà sous le travail scolaire. Mes parents, occupés à autre chose, avaient étendu une couverture sur l'herbe du pré d'en haut et, pendant que je suais sur les devoirs, mon frère et mes deux sœurs, encore en primaire, eux, avaient pour consigne de s'y installer bien sagement et d'attendre que les coureurs passent.

En fin d'après-midi, lorsqu'ils revinrent, ma mère remarqua immédiatement le devant de la robe de ma sœur maculé de boue. A la question qu'elle lui posa, ce fut mon frère, plus prompt, qui lui répondit: "Elle est tombée dans la boue." De la boue, en juillet! Il aurait pu trouver mieux: il n'avait pas plu depuis une éternité. Ma sœur ne tint pas longtemps face à l'interrogatoire serré qui suivit: "Il nous a fait boire!", lança-t-elle entre deux sanglots.

Boire? Mais quoi? Et pourquoi cette couleur de terre? " Il nous a fait boire du vin." Et après, pour masquer la vinasse répandu sur la robe, il l'avait frottée avec de l'eau et de la terre, croyant ainsi leurrer mes parents. Inutile de raconter le remontage de bretelles qui s'abattit sur eux. Ma mère avait préparé une délicieuse mousse au chocolat et un gâteau de Savoie. Ils en furent privés.

Le soir, au moment de rentrer les bêtes, mon père descendit dans l'écurie, d'où nous le vîmes remonter presque immédiatement, plus blanc qu'un linge. Il se jeta sur mon frère et je crois bien qu'il l'aurait tué si ma mère, qui ne comprenait pas le pourquoi de ce retour de colère, ne s'était interposée.

Mon père venait de découvrir, dans un coin, la bouteille dont il se servait pour arroser de grésil le sol de l'écurie afin de le désinfecter. Au fond, il restait encore un peu de vin. D'où sa terreur et sa fureur. Heureusement, comme il l'expliqua bien vite, mon frère, afin de fêter dignement le passage de la course, après avoir tiré le vin au tonneau que nous y tenions au frais , avait senti la forte odeur du désinfectant et changé de récipient.

Le passage des coureurs au village est resté une des histoires mythiques de la famille, de celles que l'on raconte aux repas sans jamais s'en lasser alors que tout le monde la connait. Je ne sais pas ce dont je me souviens le mieux: de la pâleur de mon père, de ma mère tentant d'arrêter son bras, de mes cadets en larmes ou du goût de la mousse dont je fus le seul à me lécher les babines. Je crois bien que c'est le chocolat qui l'emporte...

mercredi 14 septembre 2011

Pages marquantes (12)

La plupart du temps, il ne répondait pas quand on s’adressait à lui, mais vous regardait brusquement d’un air féroce, en soufflant par le nez telle une corne d’alarme ; aussi, tout comme ceux qui fréquentaient notre maison, nous apprîmes vite à le laisser tranquille. Chaque jour, quand il rentrait de sa promenade, il s’informait s’il était passé des gens de mer quelconques sur la route. Au début, nous crûmes qu’il nous posait cette question parce que la société de ses pareils lui manquait ; mais à la longue, nous nous aperçûmes qu’il préférait les éviter. Quand un marin s’arrêtait à l’Amiral Benbow - comme faisaient parfois ceux qui gagnaient Bristol par la route de la côte - il l’examinait à travers le rideau de la porte avant de pénétrer dans la salle et, tant que le marin était là, il ne manquait jamais de rester muet comme une carpe. Mais pour moi il n’y avait pas de mystère dans cette conduite, car je participais en quelque sorte à ses craintes. Un jour, me prenant à part, il m’avait promis une pièce de dix sous à chaque premier de mois, si je voulais « veiller au grain » et le prévenir dès l’instant où paraîtrait « un homme de mer à une jambe ». Le plus souvent, lorsque venait le premier du mois et que je réclamais mon salaire au capitaine, il se contentait de souffler par le nez et de me foudroyer du regard ; mais la semaine n’était pas écoulée qu’il se ravisait et me remettait ponctuellement mes dix sous, en me réitérant l’ordre de veiller à « l’homme de mer à une jambe ».
Si ce personnage hantait mes songes, il est inutile de le dire. Par les nuits de tempête où le vent secouait la maison par les quatre coins tandis que le ressac mugissait dans la crique et contre les falaises, il m’apparaissait sous mille formes diverses et avec mille physionomies diaboliques.
Tantôt la jambe lui manquait depuis le genou, tantôt dès la hanche ; d’autres fois c’était un monstre qui n’avait jamais possédé qu’une seule jambe, située au milieu de son corps. Le pire de mes cauchemars était de le voir s’élancer par bonds et me poursuivre à travers champs. Et, somme toute, ces abominables imaginations me faisaient payer bien cher mes dix sous mensuels.
Mais, en dépit de la terreur que m’inspirait l’homme de mer à une jambe, j’avais beaucoup moins peur du capitaine en personne que tous les autres qui le connaissaient. À certains soirs, il buvait du grog beaucoup plus qu’il n’en pouvait supporter ; et ces jours-là il s’attardait parfois à chanter ses sinistres et farouches vieilles complaintes de matelot, sans souci de personne. Mais, d’autres fois, il commandait une tournée générale, et obligeait l’assistance intimidée à ouïr des récits ou à reprendre en chœur ses refrains. Souvent j’ai entendu la maison retentir du « Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum ! », alors que tous ses voisins l’accompagnaient à qui mieux mieux pour éviter ses observations. Car c’était, durant ces accès, l’homme le plus tyrannique du monde : il claquait de la main sur la table pour exiger le silence, il se mettait en fureur à cause d’une question, ou voire même si l’on n’en posait point, car il jugeait par là que l’on ne suivait pas son récit. Et il n’admettait point que personne quittât l’auberge avant que lui-même, ivre mort, se fût traîné jusqu’à son lit.

Robert Louis Stevenson, L'Ile au trésor.

Morale

On propose de reprendre les leçons de morale à l'école. Comme disait l'autre, c'est dans les vieux pots qu'on fait la bonne soupe! Mais pourquoi pas? Je me souviens de celles que j'ai connues au primaire, où la maîtresse écrivait au tableau une phrase édifiante qu'elle commentait avec des mots appropriés à notre jeune âge et qu'il fallait ensuite recopier sur un cahier réservé à cet effet en variant le type d'écriture: ronde, script, majuscules, italiques et que sais-je.

Si ces leçons nouvelle formule consiste à mettre dans la tête de nos charmants bambins quelques principes de base concernant le respect de l'autre, des valeurs (je n'ai pas peur du mot) évidentes pour une vie en société, je n'ai rien contre. Certains d'entre eux en ont grandement besoin. Mais alors, mais alors, il faudrait ratisser plus large.

Que dire en effet de ce message de l'état, de la sécurité sociale et d'autres que j'ai oubliés, qui passe régulièrement à la radio en ce moment? Une sorte de démon tentateur propose à un quidam de frauder dans ses déclarations et d'omettre de déclarer le petit pied-à-terre qu'il a au bord de la mer par exemple. Le quidam, indigné, refuse catégoriquement. Un bon citoyen, pensons-nous à la première écoute! Que nenni, nous sommes trop naïfs, ou trop honnêtes, ce qui, bien souvent, revient au même.

Le quidam poursuit et explique: "J'ai bien trop à y perdre!". Ainsi, ce n'est pas sa conscience qui parle, mais son porte-monnaie et la crainte du gendarme. Question de morale, ça se pose un peu là! Et, ne l'oublions pas, c'est l'état qui diffuse ce message. J'aime bien quand on joue avec les grands mots!

mardi 13 septembre 2011

Je le trouve si beau (2)

Montgomery Clift (1920-1966). Les yeux.

Espoir





C'est encore loin, la mer?

Deux filles

Deux filles dans une rue longeant le cimetière. De l'autre côté du mur d'où quelques tombes dépassent, un hangar des bus lyonnais et un entrepôt sans enseigne, sans inscription, anonyme comme la rue. Elles sont appuyées contre la grande porte en fer qui rouille peu à peu. L'une, de dos, me cache le visage de l'autre.

Le feu est au rouge. Je les regarde, machinalement. Je crois à deux lycéennes à peine sorties des cours et qui rient un moment avant de rentrer chez elles. Celle de dos se penche et embrasse l'autre sur le cou, dans ses cheveux longs. Une autre voiture est arrêtée devant moi, un homme au volant. Il les regarde aussi.

Leur jeu de tendresse continue. Elles se moquent bien de qui peut les voir. Elles ont l'air heureuses et je les entends rire malgré la radio où Busnel interviewe Jean-Hugues Anglade. Je n'écoute plus ce qui se dit. Seules les deux filles me fascinent.

Soudain celle de dos se retourne. Elle a pris un regard mauvais et fixe l'autre conducteur. Quel geste leur a-t-il fait pour provoquer cette réaction? Un geste de macho, sans doute, qui ne supporte pas que l'on gâche la marchandise. Mais l'autre, un peu plus vieille, éclate d'un grand rire provocateur et la jeune la suit dans son hilarité libératrice.

Le feu passe au vert. Le macho s'éloigne. Je passe devant elles qui rient encore. Elles se tiennent par la taille, serrées contre le vieux portail. J'aurais voulu prendre une photo de leur bonheur.

lundi 12 septembre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (46)

Chopin, Polonaise N°6 "l'Héroique". Martha Argerich

La mare

Tout au fond d'un pré de ma grand-mère, le pré du bas comme on disait, il y avait une boutasse, une mare en langage forézien, alimentée par un minuscule ruisselet sur les rives duquel poussaient des brassées de myosotis. Je n'ai jamais compris pourquoi ma mère, si portée sur l'angoisse, ne nous a jamais interdit de nous y aventurer. Peut-être parce que, juste à côté, se trouvait le vieux puits où nous allions puiser notre eau avant que mon père ne l'installe sur l'évier et qu'il fallait bien des bras pour transporter les seaux. Cette mare était un trou d'eau verdâtre entouré d'herbes hautes que mon père, soucieux de protéger la lame de sa faux contre les pierres qui en dépassaient, ne coupait jamais.

C'était le paradis des grenouilles et, par ricochet, le nôtre aussi, en tout cas à mon frère et à moi. Nous nous en approchions lentement et précautionneusement, par peur de glisser et pour surprendre les batraciens, en espérant en capturer quelques-uns, ce qui n'arriva jamais, tant le moindre bruissement les faisait plonger sous la couche de lentilles, ne laissant à la surface qu'un rond qui ne tardait pas à se refermer. Et si l'un d'entre eux s'attardait un peu trop sur le bord, c'est nous qu'il surprenait par la vivacité de sa détente.

Alors, on se contentait de prendre des têtards, dans une vielle boîte de conserve que nous plongions un instant dans l'eau. Lorsque nous la remontions, nous étions sûrs d'en voir quelques-uns prisonniers dans le cercle de fer-blanc, les petits, les plus nombreux à peine visibles dans leur forme larvaire. Parfois, nous avions la chance d'en attraper d'un peu plus gros, sans pattes encore mais avec le ventre déjà rebondi et leur silhouette de goutte d'huile. Mais de grenouilles adultes, point.

Nous nous sommes longtemps demandés ce qu'il pouvait bien y avoir au fond de cette mare. Mais, même aux moments les plus chauds de l'été, aux périodes où l'eau baissait tant que l'on pouvait espérer, jamais nous ne le vîmes. Alors, nous échafaudions des rêves, nous imaginions des souterrains communiquant avec ceux d'un ancien château qui se trouvait là il y a des siècles, des trésors engloutis, des monstres visqueux et affamés tapis dans des grottes humides.

La mairie a depuis longtemps racheté ce pré et l'a comblé pour en faire un terrain de football. La maison de mon enfance, elle, a été rasée et ces gravas ont sans doute contribué à combler la cuvette. Je n'ose imaginer ce que sont devenus les têtards de la dernière génération.

dimanche 11 septembre 2011

Tentative réussie

Hier matin, mon premier tour de parc depuis bien longtemps. Avant d'enfiler la tenue, j'ai été pris d'une sorte d'angoisse lancinante: et si je n'y arrivais pas? Et si le plaisir de courir n'était plus au rendez-vous? Et si je manquais de souffle ou de résistance physique? Moi qui ai autrefois parcouru plus de 20 kms sans trop me fatiguer, voilà qu'un circuit d'à peine 5 m'impressionnait.

Les premiers 300 mètres furent un peu difficiles, je peinais à installer ma respiration. Et puis les automatismes sont revenus, vite. Le corps a tenu, les poumons aussi. J'ai retrouvé la joie de voir de beaux hommes encore en shorts par cette chaleur. Le tour fut achevé en 25 minutes, ce qui est loin d'être une performance mais reste meilleur que mes premiers essais il y a quelques années.

J'ai réussi à me limiter à ça. Reprendre doucement. J'y retournerai dans le courant de la semaine. Je n'ai pas ressenti cette sorte d'état en apesanteur que j'éprouvais lorsque je forçais un peu mais ça reviendra, j'en suis sûr. Ça m'a trop manqué pendant ces deux ans sans!

Pages marquantes (11)

Der Erlkönig, Johann Wolfgang Goethe. (Le Roi des Aulnes)

Quel est ce cavalier qui file si tard dans la nuit et le vent ?
C'est le père avec son enfant ;
Il serre le jeune garçon dans son bras,
Il le serre bien, il lui tient chaud.


Mon fils, pourquoi caches-tu avec tant d'effroi ton visage ?
Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
Le Roi des Aulnes avec sa traîne et sa couronne ?
Mon fils, c'est un banc de brouillard.


"Cher enfant, viens donc avec moi !
Je jouerai à de très beaux jeux avec toi,
Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs sur le rivage,
Et ma mère possède de nombreux habits d'or."


Mon père, mon père, et n'entends-tu pas,
Ce que le Roi des Aulnes me promet à voix basse ?
Sois calme, reste calme, mon enfant !
C'est le vent qui murmure dans les feuilles mortes.


"Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ?
Mes filles s'occuperont bien de toi
Mes filles mèneront la ronde toute la nuit,
Elles te berceront de leurs chants et de leurs danses."


Mon père, mon père, ne vois-tu pas là-bas
Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ?
Mon fils, mon fils, je vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris.


"Je t'aime, ton joli visage me charme,
Et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force."
Mon père, mon père, maintenant il m'empoigne !
Le Roi des Aulnes m'a fait mal !


Le père frissonne d'horreur, il galope à vive allure,
Il tient dans ses bras l'enfant gémissant,
Il arrive à grand peine à son port ;
Dans ses bras l'enfant était mort.


(traduction : Xavier Nègre)


Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind ;
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er faßt ihn sicher, er hält ihn warm.


Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht ?-
Siehst Vater, du den Erlkönig nicht ?
Den Erlenkönig mit Kron und Schweif ?-
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif. -


"Du liebes Kind, komm, geh mit mir !
Gar schöne Spiele spiel ich mit dir ;
Manch bunte Blumen sind an dem Strand,
Meine Mutter hat manch gülden Gewand."


Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlenkönig mir leise verspricht ?-
Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind !
In dürren Blättern säuselt der Wind.-


"Willst, feiner Knabe, du mit mir gehn ?
Meine Töchter sollen dich warten schön ;
Meine Töchter führen den nächtlichen Reihn
Und wiegen und tanzen und singen dich ein."


Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Töchter am düstern Ort ?-
Mein Sohn, mein Sohn, ich seh es genau :
Es scheinen die alten Weiden so grau.-


"Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt ;
Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt."
Mein Vater, mein Vater, jetzt faßt er mich an !
Erlkönig hat mir ein Leids getan !


Dem Vater grauset's, er reitet geschwind,
Er hält in den Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Mühe und Not ;
In seinen Armen das Kind war tot.

samedi 10 septembre 2011

Je le trouve si beau. (1)

Gregory Peck (1916-2003). La silhouette.

Soyons sérieux un instant.

En novembre 2000, lors des élections présidentielles américaines, le combat fut douloureux et le résultat douteux entre les deux candidats, Al Gore et Georges W. Bush. Ce dernier finit par l'emporter, on se souvient dans quelles circonstances. La face du monde en aurait-elle été changée si l'inverse s'était produit?

Il est plus que probable que l'élection du démocrate Al Gore n'aurait pas empêché les attentats du 11 septembre 2001, les terroristes ayant visé davantage un symbole qu'un homme à la tête d'un des états les plus puissants du monde, voire le plus puissant. Ce qui aurait sans doute changé, c'est la réaction américaine face à cet acte terroriste. Il y aurait bien sûr eu réaction mais elle aurait été d'une tout autre nature, moins manichéenne, plus réfléchie. S'en serait-on pris à l'Irak en mettant les mêmes arguments en avant? Aurait-on entassé tous ces hommes à Guantanamo, prison dont, aujourd'hui, nul ne semble plus se préoccuper? J'en doute. Les américains auraient-ils pris plus vite conscience du grave danger que fait courir à notre planète le réchauffement climatique? L'ONU aurait-elle pu conserver un statut crédible à la face du monde? Je le pense.

Demain (et ce fut le cas déjà les jours derniers), nous allons être submergés par les images des deux tours et des commémorations de l'attentat de Manhattan. Images que j'ai vues en 2001 et qui m'ont bouleversé à l'époque. Images que l'on continue à diffuser jusqu'à plus soif sur toutes les télévisions du monde, au moins du monde occidental. Je ne crois pas que l'excès en cela soit une bonne chose. Les victimes ont droit au souvenir mais titiller ainsi sans cesse la fibre sensible risque de produire, à mon avis, la réaction inverse et remettre au goût du jour la haine, ou pour le moins la peur, d'une partie de l'humanité qui, on l'a vu ces derniers mois, n'aspire visiblement qu'à conquérir sa liberté face aux tyrans qui la gouvernaient et acquérir à la face du monde une nouvelle respectabilité.

vendredi 9 septembre 2011

Des langues, vivantes et les autres

Je n'ai jamais su comment, en entrant en sixième, je me suis retrouvé inscrit dans une classe de latin dans ce lycée de deux mille élèves où les fils d'ouvriers se comptaient sur les doigts d'une seule main. La suite fut logique: après le latin, on m'apprit le grec. Et c'est tout naturellement, si l'on peut dire, que je suis devenu enseignant de Lettres Classiques. Celui qui a mis mon nom sur cette liste a décidé de ma vie, sans le savoir et sans que moi, je sache de qui il s'agit.

Comme langue vivante, je n'ai eu que l'anglais, que j'ai détesté immédiatement comme la langue qu'allaient chaque année "improver" les centaines de fils de grands bourgeois qui pullulaient dans les salles et qui, sans le savoir eux non plus, m'ont appris la résistance et forgé le caractère. De ces cours, je ne garde qu'un bon souvenir: celui d'un professeur, lui même fils de métallo, qui me fit connaître Van Gogh et son tableau des Souliers.

Ma défiance envers le langage d'outre-Manche ne m'a jamais quitté même si, plus tard, j'ai appris à apprivoiser sans les aimer ces sons que je continue à juger disgracieux. J'ai cru, à cause de cela, être totalement nul en langues vivantes, jusqu'au jour où, adulte, j'ai appris avec amour et facilité celle qui se parle de l'autre côté des Alpes, chez nos cousins italiens.

Mais j'ai toujours vécu comme un manque le fait de ne pas avoir appris l'allemand. J'ai été fasciné par cette langue exactement depuis le jour où, en furetant dans les tiroirs d'un placard de mes parents, j'y ai trouvé un vieux livre un peu abîmé qui avait appartenu à mon père. Comment était-il entré en possession de cet ouvrage, surtout à une époque où il n'était sûrement pas de bon ton de fleurter avec ceux qui venaient de franchir le Rhin, entre autres?

J'ai toujours ce livre dans ma bibliothèque. Il est à côté de moi en ce moment: Deutsches Lehrbuch, de Louis Marchand (La Méthode intuitive illustrée, Librairie Larousse, 1909). A la page 66, il y a encore un brin d'herbe séchée et une image en carton: Les animaux utiles, Porc, avec, au dos, une réclame pour la Jouvence de l'Abbé Soury que, "à tous les âges, la femme emploie en liquide ou en pilules".

Les protagonistes en sont des enfants: Michel Weber, Hans Müller, Fritz et Karl Schneider (deus jumeaux visiblement), Gretchen Bäcker et Käthchen Schlosser. La première leçon porte sur "Das Schulzimmer" et l'on y apprend ce que veut dire der Tisch, die Tür, das Fenster, der Ofen et die Bank, avec dessins à l'appui.

Alors voilà au moins une des occupations que je me donnerai, la retraite venue: apprendre l'allemand. Parce que j'en aime les sonorités, parce que j'aime la culture de ce pays, parce que je finirai ce que mon père n'a sans doute pas eu l'occasion d'achever, parce que c'est la langue de Bach et que je voudrais connaître Berlin et plus encore Leipzig où Pierre a toujours voulu m'emmener sur les pas du Cantor. Un peu comme une mission que ni l'un ni l'autre n'ont pu accomplir avant que la maladie ne les emporte.

jeudi 8 septembre 2011

Pages marquantes (10)

La lune était sereine et jouait sur les flots. -
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare ?

Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?

Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? -
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.

Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... -
La lune était sereine et jouait sur les flots.

Victor Hugo (1802-1885), Clair de lune, Les Orientales.

The Straight Story

Je ne sais pas si le fait de ne pas avoir vu de films depuis très longtemps me rend plus indulgent aujourd'hui mais celui que j'ai regardé à la télé ce soir sur Arte m'a bien plu.

Il s'agit de The Straight Story (Une Histoire vraie), de David Lynch: un voyage à travers plusieurs états et sur une tondeuse à gazon d'un vieillard parti retrouver son frère qui vient d'avoir une attaque et avec qui il est fâché depuis dix ans. Au cours du périple, le vieux croise différents personnages qui lui confient quelques bribes de leur vie et à qui il se livre un peu lui aussi.

Ça pourrait être mélo à souhait et ça ne l'est pas trop. Lynch évite les grosses ficelles pour tirer des larmes et leur préfère souvent une forme d'humour nostalgique. Les plans de la première partie du film me touchent beaucoup par leur rigueur géométrique, lignes droites enfermantes à la fois et désignant un horizon ouvert. Le réalisateur se permet même, en clin d'œil, de façonner, le temps d'un éclair dans l'orage que le vieillard évite, un tableau à la Hopper, couleurs comprises.

Bonne soirée donc, avec une petite pépite dans le doublage:
La fille du vieillard à la secrétaire du médecin dans la salle d'attente décorée de tableaux au thème ornithologique:
- Vous aimez les oiseaux? Moi, je fabrique des mangeoires en forme de maison pour les fauvettes.
La secrétaire:
- Ah! c'est chouette!

mercredi 7 septembre 2011

Rapporté de la télé

Le Trèfle parfumé.

Mon Solex

Dans les années soixante, j'ai eu un Solex. Sans doute une idée de mon père, car je ne réclamais jamais rien, à part de pouvoir lire à volonté. Incompréhensible que ma mère ait laissé faire. Un beau solex noir (lapsus calami: j'avais tapé "soleil") qui m'a conquis tout de suite. Je n'allais pas bien loin au début: interdiction formelle, pour la sécurité et l'économie. Le mélange deux temps ne coûtait pourtant pas très cher...

Peu à peu, j'ai étendu mon territoire, jusqu'à partir pour plus d'une demi-journée. Seul, toujours seul. C'est aussi lui qui m'a emmené sur le lieu de mon premier travail d'été: magasinier à Saint-Étienne. Ce que j'ai aimé cette liberté qu'il me permettait: choisir où l'on veut aller, pouvoir y aller, ne pas dépendre d'horaires ni d'itinéraires pensés par d'autres. Je l'aimais cet engin, même quand il m'a fichu par terre sur une plaque de gravillons et que je me suis arraché la moitié de la peau de la jambe, même quand il a taché d'essence (ou de graisse?) les bas de mes pantalons, même quand, voulant rivaliser avec mon frère en vélo, j'ai dû finir la montée du Col de la république en le poussant. Et c'était lourd, un Solex.

Et puis, j'ai passé le permis, je suis parti à Lyon, j'avais parfois le droit de conduire la 4L paternelle. Le Solex a été remisé à la cave. J'avais bien d'autres choses à quoi penser. Il a suivi un ou deux déménagements de mes parents alors que je n'étais plus là. Et puis, un jour, sans me le dire, mon père l'a abandonné dans une dernière cave. Le comble, c'est que je lui en ai voulu.

Non, pas ça ! Oui, mais quoi ?

Non, je ne vous parlerai plus de la rentrée, des petits qui sont comme ci, des grands qui ont fait ça, des collègues qui ont dit que.... Plus rien là dessus, parce qu'à la longue, ça doit peser un peu à ceux qui ne sont pas enseignants. Et puis quel intérêt ? C'est toujours finalement la même chose et un prof, par essence, ça aime se plaindre ou se faire plaindre.

Donc fini ! Mais ennui majeur ! Que dire d'autre ? De quoi parler, sur quoi écrire, puisque je suis déjà en plein dans la soupe pédagogique ? La tête dépasse encore mais bientôt je mettrai le tuba pour survivre. Ça me prend déjà beaucoup de mon temps et une grande partie de mon énergie.

Plus d'idées. Vous pouvez souffler (ouf ! il va enfin cesser sa logorrhée !) ou souffler (donnons-lui quelques idées, à ce pauvre Calystee!). Une seule envie ce soir : me vautrer sur un canapé et regarder la télé en dormant, ou dormir en regardant la télé. Regarder quoi ? Là aussi, pas la moindre idée. Mais bon, ça peut changer d'ici tout à l'heure !

mardi 6 septembre 2011

Baalbeck

Ce soir, c'est Baalbeck que j'ai en tête. Béqaa coincée entre Liban et Anti-Liban. Voyage en fin de guerre avec l'ennemi du sud. Les Syriens sont là, à chaque barrage, à chaque rue. Tente dressée, sinistre kaki, devant l'entrée des ruines. Il faut se cacher pour photographier.

D'autres tentes le long de la route, campements misérables de nomades bédouins. Du col, vue splendide sur l'Anti-Liban et le Barouk encore enneigés. "Barouk" viendrait du mot arabe signifiant "agenouillement des chameaux"

Beauté des temples, des six colonnes orphelines. Et les roses trémières transplantées en Savoie, fleurissant à foison et qu'il n'emporta pas dans son lieu de retraite.

Lecture d'une note du 17/04 (de quelle année?):
Déjeuner dans la propriété des Jésuites à Tanaël, au bord d'un lac artificiel. Ces hommes sont restés toute la guerre sur place, et sont simples et chaleureux. Est-ce cela des saints? Au fond de la propriété, un petit campement de Palestiniens. Ils se baignent au bord du lac: c'est le premier jour de la fête du mouton

lundi 5 septembre 2011

Petits cailloux blancs

Ces jours derniers, plusieurs situations m'ont fait, par hasard, repenser à mon père (P.2). Mais si fréquemment que je l'ai remarqué et que cette récurrence a fini par me troubler. Pourquoi ce faisceau d'éléments qui n'avaient rien à voir avec lui me ramenait-il systématiquement à son image?

Hier, c'était son anniversaire. Il aurait eu 80 ans. J'ai été le seul à m'en souvenir. Le hasard avait semé des petits cailloux blancs sur mon chemin.

dimanche 4 septembre 2011

Je la trouve si belle (10)

Greta Garbo (1905-1990). Le cou.

Momentini

- Mon cœur saigne ce soir: impossible d'accéder à trois de mes blogs favoris, les deux bretons et le nordiste ligérien. Warum?

- Mon cœur saigne ce soir: mes deux acolytes habituels, Frédéric et Jean-Claude, sont en vacances en Espagne. Et, convenez-en avec moi, un apéritif tout seul, ça n'a rien de très festif. Vais-je tenir jusqu'à leur retour?

- Mon cœur saigne ce soir: demain, je reprends en main un ustensile qui a bien subi la poussière pendant deux mois de vacances: mon cartable. Main gauche bien sûr. J'espère que je me lèverai du pied droit.

- Mon cœur saigne ce soir: il ne me reste que quatre cigarettes dans le paquet, et, théoriquement, ce sont les dernières. Bon, d'accord, je vous ai déjà fait le coup.

- Mon cœur saigne ce soir: je viens de finir la lecture d'un roman passionnant (voir billet précédent). Entamé celle de: "Le Dérèglement du monde", de Amin Maalouf. Vous tiendrai au courant.

- Mon coeur..... Bon, allez, j'arrête. J'entends le Samu qui arrive.... pour la perfusion.

(P.S.: pendant que j'écrivais, la réserve de drogue est passée à trois....)

Eureka Street

Livre découvert totalement par hasard. Ce jour-là, à la librairie, pour l'achat de deux 10/18, on vous en offrait un troisième. Aucun nom connu de moi, alors j'ai pris le plus gros poche et j'ai bien fait. Robert McLiam Wilson est un jeune auteur irlandais qui entremêle dans ce livre les destins de nombreux personnages essayant de survivre dans Belfast en guerre.

Les deux principaux sont Jake, le catholique, pas très au net avec sa libido, et Chuckie, le protestant qui, à sa plus grande surprise, deviendra milliardaire. Autour de ces deux amis inséparables malgré leur appartenance confessionnelle différente, gravitent d'autres protagonistes hauts en couleur, comme la mère de Chuckie qui se découvre lesbienne sur le tard, comme Roche, sorte de poulbot de Belfast que Jake parviendra à sortir de la misère et de la violence., comme Max, l'américaine, comme Aoirghe, la républicaine intransigeante...

Le coup de génie de l'auteur, c'est d'avoir présenté ces hommes et ces femmes que tout pourrait séparer dans une Irlande à feu et à sang comme un groupe soudé qui traverse ensemble leur mésaventures personnelles ou nationales, c'est de naviguer sans cesse entre le tragique et le comique, c'est d'avoir raconté la vie de gens simples aux prises avec l'Histoire qui les dépasse.

( Robert McLiam Wilson, Eureka Street, 10/18. Trad. de Brice Matthieussent.)

samedi 3 septembre 2011

Lyon et ses pellicules.

Dans les trésors des Frères Lumière. 1895. (Ça a tout de même un peu changé depuis!)

Des rues et des noms

Tout près de mon lieu de travail, il existe un quartier qui a encore un peu conservé de l'aspect de son passé: si les maisons moyen-âgeuses ont disparu, restent le tracé de la voie, sinueuse et étroite, et les noms anciens sur les plaques.

Il suffit de lever un peu le nez pour lire de petits bouts de poésie, comme rue des Chevaucheurs (les Chevaucheurs étaient les courriers du roi), rue des Macchabées (elle porte le nom des saints vénérés dans la première église qui précéda celle actuelle de Saint-Just, et dont parle Sidoine Apollinaire) ou, ma préférée, la rue Vide-bourse.

J'ai cru longtemps, commettant ainsi une erreur grossière d'anatomie, que, étant donné son aspect très discret, les gens pris sur le chemin d'une envie pressante, venaient y soulager une vessie trop comprimée. Il n'en est rien mais l'origine du nom de cette ruelle reste obscure: coupe-gorge où il ne faisait pas bon s'aventurer? Lieu d'implantation d'une auberge mal famée où l'on pouvait assouvir, moyennement monnaie sonnante et trébuchante, des instincts plus charnels? Emplacement d'une maison de jeux? Nul ne semble le savoir avec certitude.

Mais peu m'importe. Moi, elle me plaît, même avec son mystère, et pendant l'année où j'ai circulé sans voiture, j'y allais fréquemment, avant d'arriver au collège, pour profiter de son calme et de son aspect quasi campagnard. Rassurez-vous, le détour n'était pas long et ne m'empêchait pas de rejoindre à l'heure mes petites têtes pensantes. Et personne, jamais, n'y a porté atteinte à ma bourse!

Au bord de la rivière

Ils étaient deux au bord du fleuve, l'un habillé de blanc, l'autre de noir vêtu. Le soleil au couchant s'amusait à étendre leur ombre comme pour prolonger l'instant de la confidence. Que se disaient-ils, seuls, tous les deux, sur le quai désert où pas même une mouette ne venait se poser sur leurs mots murmurés? Je ne l'entendais pas.

L'un regardait l'eau verte, l'autre le regardait. Ils étaient beaux sans doute, à leur bourgeon d'adultes, et les rides à leurs fronts déjà moites étaient celles du sourire. Entre eux assis à même le bitume, un anneau de fer rude scellait comme une alliance. Que n'aurais-je donné pour être la chemise, pour sentir leurs cœurs battre sous le secret nouveau? Que n'aurais-je vendu pour être la casquette ou la folie d'épis qui ornait une tête?

Si j'étais Dieu alors, ou Diable, mais qu'importe, j'aurais surpris leurs bouches balbutier des mots fous, des mots noirs comme l'ébène, ou bleus comme l'azur, des mots verts des sous-bois ou jaunes du désert, des mots de sous la yourte au plateau enneigé, des mots qui résonnaient tout au fond d'un palais, où le blanc serait roi et le noir Antinoüs, des mots de statuaires ou des mots d'aquarelle, des mots que l'on aurait appris en les chantant, des mots d'éternité, d'amour et de tendresse, des mots qu'ils n'ont pas dit et que moi, j'ai rêvés.

vendredi 2 septembre 2011

Pages marquantes (9)

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu'une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s'émeuve
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

O viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.

Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Et les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner: moi seul je vais mourir.

O viens mon ciel de rose, O ma corbeille blonde!
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche! Amour ouvre les portes!
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l'escalier, plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.


O traverse les murs; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate une heure avant ma mort.

Jean Genet, Le Condamné à mort.

Et un peu de musique, ça vous dirait? (45)

Hélène Martin, Le condamné à mort (Jean Genet)

Le plaisir et rien d'autre

C'est fait! Et pas trop mal fait. L'âge avançant permet de faire des choix et de ne plus vouloir être gentil à tout prix. Alors, je choisis ce qui me fait plaisir et ceux que j'ai envie de côtoyer. Une fois ce principe décidé et appliqué, la vie s'ensoleille bigrement et la fatigue psychologique diminue d'autant.

Alors, ce matin, au lieu des discours une terrasse place Bellecour avec Stéphane et deux amies, au lieu du repas offert par le collège une salade dans un bistrot du coin avec le même et deux autres amies, au lieu des embrassades sans signification, un signe de bonjour à la cantonade ou une main tendue du bout du bout du bras. Et puis des bises et des étreintes à ceux que j'aime: je sais faire aussi.

Bien sûr, il y a les incontournables, ceux (celles) que l'on ne peut éviter, les collègues direct(e)s toujours aussi plein(e) de leur savoir livresque et pseudo-scientifique, qui ne lisent pas un roman par an et se disent profs. de français. Pauvre suffisance, pauvre inculture! Que vont-ils (elles) faire une fois que leur pouvoir temporel leur sera enlevé à l'âge de la retraite? Dans quelle cassette vide de contenu vont-ils (elles) puiser les plaisirs de l'esprit?

C'est méchant ce que je dis? Oui, mais que ça fait du bien!

jeudi 1 septembre 2011

Je la trouve si belle (9)

Ingrid Bergman (1915-1982). Les pommettes.

Deux généreux

Le restaurant où nous avons déjeuné à midi avec Frédéric est tenu par l'ancien cuisinier du collège avant que l'on ne se vende au "prêt-à-réchauffer" et une des serveuses qui l'aidaient dans sa tache. Plus de dix ans qu'ils sont partis et je suis le seul à avoir conservé des liens avec eux. Tant de parties de rigolades le mercredi à midi, quand il n'y avait pas d'élèves et que seuls mangeaient les employés et quelques profs, ça ne s'oublie pas. Nous sortions de table à près de quatre heures de l'après-midi, après des agapes dignes de Bacchus et de Lucullus réunis. Et nous avons toujours eu la chance de ne jamais croiser la maréchaussée sur le chemin du retour. L'après-midi se finissait sur une longue sieste un peu hagarde.

Je ne les vois pas souvent, ces deux-là, mais quel bonheur de les retrouver, de voir que le plaisir est partagé, encore aujourd'hui, et qu'ils ont toujours le cœur sur la main et la plaisanterie facile. Et puis, chez eux, la cuisine est simple mais délicieuse et copieuse: c'est la première fois que je ne viens pas à bout d'une souris d'agneau.

Lui, c'est une sorte de sumo gigantesque à la poignée de main dévastatrice si l'on n'y prend pas garde. Elle, c'est une mère à la poitrine généreuse sur laquelle on a envie de reposer sa tête, ce que je me suis permis de faire aujourd'hui. Régulièrement, ils ont interrompu leur travail pour venir bavarder avec nous, demander des nouvelles des uns et des autres, en égratigner certains, en regretter d'autres. Je n'ai jamais vu l'ombre d'une ombre dans leurs yeux. Francs comme l'or, comme disait ma grand-mère. Nous y retournerons, c'est sûr. Mon très bon emploi du temps me le permet.

Parce qu'il faut bien.

Dernier jour de vacances. Se réveiller et se dire que l'on a encore le temps, même si le soleil filtre à travers les volets clos, caresser le drap de ses jambes et y trouver encore des coins frais, prendre le petit déjeuner face au bougainvillier qui a compris, lui aussi, que l'été s'en allait, et laisser couler lentement la matinée jusqu'au moment de rejoindre Frédéric pour déjeuner ensemble à la terrasse d'un restaurant du 2°.

Faire un immense effort après pour rejoindre le collège, encore vide, histoire de faire quelques photocopies et surtout me réacclimater aux lieux. Bonjour à certains qui sont présents, quelques plaisanteries automatiques (il faut bien que je réessaie mon costume de clown, celui d'emmerdeur sera pour plus tard) et puis redescendre par les transports en commun parce que, ce matin, je n'ai pas pris ma voiture. Expérience éprouvante: je n'aime pas attendre, je n'aime pas la lenteur du tram et l'odeur de pisse de l'arrêt de Perrache, je n'aime pas les rames de métro bondées à n'importe quelle heure maintenant, je n'aime pas les bus, je ne les ai jamais aimés. Je continuerai à utiliser ma voiture, et tant pis pour les écolos!

Demain matin, ce sera petit déjeuner "convivial" avec les collègues, photo de groupe des enseignants (ça, c'est nouveau!) et discours ennuyeux auxquels je n'assisterai pas (trente ans que j'entends les mêmes): un bon café ailleurs, en ville, avec Stéphane, c'est ce qu'on a décidé pour remplacer, tous les deux. Et l'après-midi, plongée en apnée dans le monde de la pédagogie qui durera jusqu'à juillet prochain.