Parfois, il me vient de ces découragements! Une sorte de poids sur les épaules qui alourdit tout le corps et le rend monolithe, le pétrifie sans en enlever la conscience. Ainsi ce matin, avec mes cinquièmes, pourtant tout gentils, tout attentifs (ou endormis?), tout frais du repos dominical.
Nous sommes en train de lire quelques textes concernant les récits de voyages, grandes découvertes et explorations. Nous naviguons de Marco Polo à Hernan Cortès, de Christophe Colomb à James Cook, de Jean de Léry à Louis-Antoine de Bougainville, passant hardiment du XIII° au XIX° siècle, foulant des terres aussi éloignées les unes des autres que les Bahamas de Tahiti, la Chine du Brésil, le Cap de Bonne Espérance du Mexique.
"Eh quoi? me disais-je tout en parlant! (Oui, un enseignant possède ce don-là de dédoublement, voire davantage si les circonstances l'exigent.) Qu'est-ce que tous ces noms peuvent bien évoquer pour eux. Certains, les plus cultivés, arrivent à situer deux ou trois pays sur la carte du monde. Pour les autres, cela reste assez brumeux. XIX° ou XIII° siècle, font-ils vraiment la différence? Ils sont nés en 1998 et croient que le monde est né avec eux, ou que rien de valable n'existait avant eux. Alors, ils n'en sont pas à un siècle près. D'ailleurs ont-ils une conscience, même approximative, de la chronologie? Cette sorte de quasi vieillard qui leur parle, assis derrière son bureau (on a constaté que, depuis quelque temps, il boîte un peu), qu'a-t-il à leur apporter dont ils puissent avoir l'immédiate jouissance?"
Ce matin, précisément, nous lisions et commentions un texte de Jean de Léry, extrait de son Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, parue en 1578 et racontant son périple de 1556. L'auteur essaie de décrire le fruit qu'il vient de découvrir dans ce pays d'Amérique du sud et qui, visiblement, le remplit d'émerveillement (Marco Polo en aurait dit que c'était une "grandissime merveille"): l'ananas. Il parle de sa forme, de son apparence et tente de donner une idée de son goût au lecteur. Pour cela, bien sûr, il utilise de nombreuses comparaisons avec des fruits ou des végétaux européens bien connus. Ainsi, le glaïeul, l'aloès, le chardon, le melon et la pomme de pin pour la forme de la plante et du fruit. Alors, il faut bien sûr que j'explique, moi, ce qu'est l'aloès et même le glaïeul à ces citadins qui marchent le nez sur leur portable.
De tout cela, ils se moquent bien: un ananas, c'est un ananas, point final. Peut-être retiendront-ils que son conditionnement en boîte métallique et en tranches n'est pas son apparence initiale, et je devrais m'en montrer satisfait. Mais franchement, le plaisir de la découverte, l'excitation d'être le premier à goûter à un fruit nouveau, à en parler, la joie de faire partager son ressenti, je crois bien qu'ils n'en ont rien à faire. Quant aux noms barbares de ces contrées lointaines et sauvages, ils n'ont pour eux aucun pouvoir d'évocation poétique: une simple occasion supplémentaire de buter dans la lecture à voix haute.
J'en étais là de mes pensées chagrines ce matin lorsqu'un élève leva la main et me fit remarquer que l'on pouvait deviner que ce texte était assez ancien (mais moins tout de même que celui de Marco Polo) grâce à une tournure de phrase qui lui semblait vieillie: "Leur goût fondant dans la bouche est naturellement si doux qu'il n'y a confiture de ce pays qui les surpasse". Une autre, s'enhardissant, nous confia que l'an dernier, elle avait fait un voyage en Martinique et avait visité une plantation d'ananas. A ce moment-là (mais je me trompe peut-être), le ciel s'éclaircit et un frêle rayon de soleil perça la grisaille matinale et pénétra dans la classe.
Je fis alors comme faisait Hugo: " je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon œuvre interrompue" (Elle avait pris ce pli, Les Contemplations)!!!! Comme il en faut peu pour retrouver la foi.
lundi 31 mai 2010
dimanche 30 mai 2010
France: zero point
Sur Youtube, il y a deux vidéos de la chanson L'Oiseau et l'enfant, chantée par Marie Myriam: l'une de 77, le soir même du concours de l'Eurovision, l'autre, un peu plus tard (78 ?) au cours d'une émission animée par Danièle Gilbert avec, comme invité vedette, Claude François. Dans les deux, la voix est la même, une voix que l'on peut aimer, en tout cas dont on n'a pas à rougir. Pour le physique, c'est autre chose: la jeune fille qui apparait un peu godiche dans sa longue robe jaune à Londres en 77 s'est affinée, on l'a repeignée, relookée, dirait-on aujourd'hui. Elle est plus mince aussi, moins enfantine. Pourtant, sur la vidéo la plus récente, elle me semble triste, comme si quelques mois avaient suffi pour qu'elle comprenne l'inanité des espérances qu'elle avait placées dans ce concours, pour qu'elle sache que les promesses qu'on lui avait faites d'une belle carrière n'étaient que du vent et que, sans doute, le plus beau jour de sa vie resterait à tout jamais celui où, pour la première fois, elle fut vue par des millions de téléspectateurs.
Hier, j'ai parfois jeté un œil sur le téléviseur lors de la finale de cette année, pas suffisamment pour en parler dans le détail mais assez tout de même pour savoir que ça n'en valait pas la peine. Les chansons sont toutes les mêmes, elles sont indifférenciables, stéréotypées dans la gesticulation et la répétition de mots anglais éculés. Ce n'est pas parce qu'on se fait pousser des ailes de lumière pendant sa prestation ou que l'on prend une attitude et un rythme romantico-sirupeux que l'on a du talent. D'ailleurs qui parle de talent? Il faut une chanson vive et dansante, une musique simple et que l'on retient facilement, un chanteur ou une chanteuse pas trop laid sans tomber dans la plastique mannequine. Tout ceci n'est pas censé lancer la carrière de qui que ce soit mais simplement faire du fric, un maximum avant de promouvoir un nouveau produit l'année suivante. Je pense même que tous ces jeunes gens déguisés pour un soir le savent et adhèrent à cette philosophie.
Le plus beau, c'est tout de même le moment des votes dans les différents pays participants. Heureusement, les organisateurs ont eu l'idée, pour chaque jury, d'afficher immédiatement sur l'écran le nom des pays bénéficiant de points de ce jury, à l'exception des 8, 10 et 12 points, les trois scores majeurs. On y perd la poésie des "Malta, three points, Belgium five points", et tutti quanti, mais on y gagne un temps considérable pour faire autre chose de sa soirée. Alors, comment cela se passe-t-il? Toujours de la même façon: on vote pour ses voisins les plus proches (à l'exception de la France dont les voisins immédiats semblent régulièrement nous oublier), pour ses anciens camarades de bloc, pour ses alliés politiques, etc. Et nous, pas de chance: Monaco et et le Luxembourg ne participent plus à la compétition.....
Cela fait trente-trois ans que la France n'a pas gagné. Trente-trois ans: un long calvaire, un infini chemin de croix, une coupe à boire jusqu'à la lie. Marie Myriam ton enfant est bien grand aujourd'hui, cela doit faire un beau quinquagénaire, encore quelques années et il fera connaissance avec sa prostate, l'oiseau bleu qui survolait la terre s'est sans doute englué dans les nappes de pétrole au large de n'importe quel océan mort, et la France hier soir n'a toujours pas gagné. Ah! les salopards! Une chanson si, si, si , si quoi au fait?
Hier, j'ai parfois jeté un œil sur le téléviseur lors de la finale de cette année, pas suffisamment pour en parler dans le détail mais assez tout de même pour savoir que ça n'en valait pas la peine. Les chansons sont toutes les mêmes, elles sont indifférenciables, stéréotypées dans la gesticulation et la répétition de mots anglais éculés. Ce n'est pas parce qu'on se fait pousser des ailes de lumière pendant sa prestation ou que l'on prend une attitude et un rythme romantico-sirupeux que l'on a du talent. D'ailleurs qui parle de talent? Il faut une chanson vive et dansante, une musique simple et que l'on retient facilement, un chanteur ou une chanteuse pas trop laid sans tomber dans la plastique mannequine. Tout ceci n'est pas censé lancer la carrière de qui que ce soit mais simplement faire du fric, un maximum avant de promouvoir un nouveau produit l'année suivante. Je pense même que tous ces jeunes gens déguisés pour un soir le savent et adhèrent à cette philosophie.
Le plus beau, c'est tout de même le moment des votes dans les différents pays participants. Heureusement, les organisateurs ont eu l'idée, pour chaque jury, d'afficher immédiatement sur l'écran le nom des pays bénéficiant de points de ce jury, à l'exception des 8, 10 et 12 points, les trois scores majeurs. On y perd la poésie des "Malta, three points, Belgium five points", et tutti quanti, mais on y gagne un temps considérable pour faire autre chose de sa soirée. Alors, comment cela se passe-t-il? Toujours de la même façon: on vote pour ses voisins les plus proches (à l'exception de la France dont les voisins immédiats semblent régulièrement nous oublier), pour ses anciens camarades de bloc, pour ses alliés politiques, etc. Et nous, pas de chance: Monaco et et le Luxembourg ne participent plus à la compétition.....
Cela fait trente-trois ans que la France n'a pas gagné. Trente-trois ans: un long calvaire, un infini chemin de croix, une coupe à boire jusqu'à la lie. Marie Myriam ton enfant est bien grand aujourd'hui, cela doit faire un beau quinquagénaire, encore quelques années et il fera connaissance avec sa prostate, l'oiseau bleu qui survolait la terre s'est sans doute englué dans les nappes de pétrole au large de n'importe quel océan mort, et la France hier soir n'a toujours pas gagné. Ah! les salopards! Une chanson si, si, si , si quoi au fait?
samedi 29 mai 2010
Rester fidèle à l'ombre
Difficile d'en parler. On rêve de quelque chose, on l'attend avec impatience et lorsque la chose arrive, on est à la fois heureux et déçu: heureux parce que ce qu'on espérait est enfin arrivé, parce que rien, aucune circonstance extérieure (même pas une grève nationale ou un radar aérien en panne) n'a pu l'empêcher, déçu parce que la réalité ne correspond pas aux images du rêve ou parce que simplement le rêve a fait place a quelque chose de plus prosaïque, de tangible, d'intransformable et surtout de définitif: la réalité.
C'est un peu ce que je ressens après avoir assisté à un entretien avec Erri de Luca. Les Assises Internationales du Roman (AIR) qui se tiennent en ce moment à Lyon avaient invité cet écrivain italien d'origine napolitaine à répondre, aux Subsistances, aux questions de Raphaëlle Rérolle, journaliste au Monde.
Erri de Luca, j'ai fait sa connaissance littéraire il y a un peu plus de deux ans, le 11 février 2008 exactement, grâce au blog d'Oceania, Voyage à travers les mots, où je lus un soir un bref texte intitulé Une Druse (extrait de son livre Rez-de-Chaussée) décrivant des hommes en prière en Herzégovine. Depuis je ne l'ai jamais quitté. J'ai lu chacun de ses livres au fur et à mesure de leur parution en français, avec chaque fois une impatience et une boulimie qui me faisait regretter d'avoir si vite terminé, d'être allé trop vite, de peut-être n'en avoir pas extrait tout le jus nourricier. Avec Pontalis, il constitue aujourd'hui un de mes points d'ancrage essentiel, une sorte d'accompagnement spirituel (même si je suppose que ce terme ne lui conviendrait guère).
La soirée était consacrée aux Subsistances aux rapports des écrivains avec la Bible. Erri de Luca fait profession d'athéisme mais a appris l'ancien Hébreu pour lire la Bible (l'Ancien Testament) dans le texte originel. Chaque matin, alors qu'il était encore ouvrier, il avait pris d'habitude de se lever tôt et de consacrer un moment de son temps à la lecture de ce texte sacré qu'il appréhende non à travers les diverses traductions (qu'il a traitées jeudi soir de contrefaçons, de "Vuittons faits à Naples") mais en se confrontant avec les mots mêmes des origines. Pour lui, ce fut (c'est) une façon de faire contrepoids: lire la Bible, c'était arracher un moment à la vie ouvrière, un moment pas vendu, un moment à lui.
Son rapport au texte est intime et solitaire. Il répondit parfois à certaines questions d'une façon un peu brusque, laissant comprendre qu'il est des jardins où l'on entre seul. Il a aussi bien expliqué son juste positionnement par rapport à la lecture de la Bible: "Quand je lis Dickens, je ne change pas de place; quand je regarde la chambre de Van Gogh, je ne suis pas dans cette chambre; après la lecture de la Bible, je mets mes pieds sur le sol, je ne regarde pas le ciel". Il a même expliqué que, pour lui, l'implantation du monothéisme en Méditerranée fut une véritable catastrophe car elle détruisit définitivement toute la richesse mythologique de cette terre à très haute concentration polythéiste.
Il s'est mis à lire la Bible par ennui des romans, de la littérature, trop et toujours complice avec le lecteur. La Bible, elle, ne cherche pas à plaire, on n'y cherche pas à y provoquer l'identification. Il précise aussi que, pour lire la Bible, il faut bouger les lèvres, la dire, mais sans bruit ("pour ne pas réveiller les oiseaux!"). Lors de son ascension de l'un des sommets de l'Himalaya, il avait emporté dans son mince bagage le Livre des Psaumes. Alpiniste chevronné (comme l'était Moïse, selon ce qu'il lance avec beaucoup d'humour), il éprouve un vertige d'intimité avec la Bible.
Dans ses ascensions, il ne plante pas de pitons, il se sert de ceux qu'il trouve, il efface les traces de son passage. Partout mais peut-être là plus qu'ailleurs, il éprouve sans cesse le sentiment d'être invité. C'est lui qui, toujours, se chasse lui-même. Si, comme le lui faisait remarquer Raphaëlle Rérolle, écrire, c'est laisser des traces, ces traces, répond-il, sont à chercher, elles ne forcent pas à les suivre.
Débordant le thème initial de l'entretien, de Luca évoqua son rapport à l'écriture ("Quand j'écris, je me tiens la meilleure des compagnies."), à la mort d'êtres proches ("L'absence de quelqu'un, c'est une peine à perpétuité. Écrire, c'est convoquer les gens qui sont partis".), enfin à son engagement politique dans le mouvement révolutionnaire italien des années soixante-dix Lotta Continua ("la Révolution, moteur du XX° siècle, aujourd'hui arbre coupé".). Pour illustrer ce dernier point, il cite un poème de l'écrivain turc Nazim Hikmet: " Le noyer a été coupé mais je reste fidèle à l'ombre."
J'ai écouté parlé Erri de Luca pendant près de deux heures, je l'ai écouté plaisanter et se refermer, lâcher parfois des bribes d'intimité, j'ai regardé cet homme qui n'a que deux ans de plus que moi, marqué par son passé de travailleur (sa main, pourtant, que j'ai serrée au moment de la séance de dédicace, est douce au toucher), maigre comme un pied de vigne, aussi solide et aussi beau qu'un cep de ce Lacrima Christi qui coule des pentes du Vésuve. Ainsi, c'était donc lui, cet homme en pantalon tire-bouchonné, portant gilet noir et chemise blanche à la manière des paysans d'autrefois, lui qui écrivait ces livres que j'ai lus et que je relirai, dont j'ai perçu, à travers les textes, le fond d'humanité et de révolte, qui m'a fait approcher la poésie sans m'effrayer parce que la sienne reste toujours avant tout humaine? Il me reste aujourd'hui une chose à faire: remettre en ordre dans ma tête les images que le vent de l'autre soir a déplacées, simplement parce que, pour plagier la Bible, le "mot" s'est fait "chair".
L'entretien s'est terminé avec une lecture par de Luca d'un extrait de l'un de ses derniers livres, Il peso della Farfalla (Le poids du Papillon)(Ed. Feltrinelli), dont voici un cours extrait:
Sa vie, au gré des saisons, était allée avec le monde. Il l'avait gagnée tant de fois, mais elle ne lui appartenait pas. (...) Avait-il besoin de croire qu'il existait un contremaître et que le monde était son produit fini? Il n'en avait pas besoin pour lui parler, pour le croire à l'écoute, mais c'était une pensée qui lui tenait compagnie. (...) Face au ciel qui, le soir, descendait jusqu'à terre, il aimait dire merci au contremaître.
C'est un peu ce que je ressens après avoir assisté à un entretien avec Erri de Luca. Les Assises Internationales du Roman (AIR) qui se tiennent en ce moment à Lyon avaient invité cet écrivain italien d'origine napolitaine à répondre, aux Subsistances, aux questions de Raphaëlle Rérolle, journaliste au Monde.
Erri de Luca, j'ai fait sa connaissance littéraire il y a un peu plus de deux ans, le 11 février 2008 exactement, grâce au blog d'Oceania, Voyage à travers les mots, où je lus un soir un bref texte intitulé Une Druse (extrait de son livre Rez-de-Chaussée) décrivant des hommes en prière en Herzégovine. Depuis je ne l'ai jamais quitté. J'ai lu chacun de ses livres au fur et à mesure de leur parution en français, avec chaque fois une impatience et une boulimie qui me faisait regretter d'avoir si vite terminé, d'être allé trop vite, de peut-être n'en avoir pas extrait tout le jus nourricier. Avec Pontalis, il constitue aujourd'hui un de mes points d'ancrage essentiel, une sorte d'accompagnement spirituel (même si je suppose que ce terme ne lui conviendrait guère).
La soirée était consacrée aux Subsistances aux rapports des écrivains avec la Bible. Erri de Luca fait profession d'athéisme mais a appris l'ancien Hébreu pour lire la Bible (l'Ancien Testament) dans le texte originel. Chaque matin, alors qu'il était encore ouvrier, il avait pris d'habitude de se lever tôt et de consacrer un moment de son temps à la lecture de ce texte sacré qu'il appréhende non à travers les diverses traductions (qu'il a traitées jeudi soir de contrefaçons, de "Vuittons faits à Naples") mais en se confrontant avec les mots mêmes des origines. Pour lui, ce fut (c'est) une façon de faire contrepoids: lire la Bible, c'était arracher un moment à la vie ouvrière, un moment pas vendu, un moment à lui.
Son rapport au texte est intime et solitaire. Il répondit parfois à certaines questions d'une façon un peu brusque, laissant comprendre qu'il est des jardins où l'on entre seul. Il a aussi bien expliqué son juste positionnement par rapport à la lecture de la Bible: "Quand je lis Dickens, je ne change pas de place; quand je regarde la chambre de Van Gogh, je ne suis pas dans cette chambre; après la lecture de la Bible, je mets mes pieds sur le sol, je ne regarde pas le ciel". Il a même expliqué que, pour lui, l'implantation du monothéisme en Méditerranée fut une véritable catastrophe car elle détruisit définitivement toute la richesse mythologique de cette terre à très haute concentration polythéiste.
Il s'est mis à lire la Bible par ennui des romans, de la littérature, trop et toujours complice avec le lecteur. La Bible, elle, ne cherche pas à plaire, on n'y cherche pas à y provoquer l'identification. Il précise aussi que, pour lire la Bible, il faut bouger les lèvres, la dire, mais sans bruit ("pour ne pas réveiller les oiseaux!"). Lors de son ascension de l'un des sommets de l'Himalaya, il avait emporté dans son mince bagage le Livre des Psaumes. Alpiniste chevronné (comme l'était Moïse, selon ce qu'il lance avec beaucoup d'humour), il éprouve un vertige d'intimité avec la Bible.
Dans ses ascensions, il ne plante pas de pitons, il se sert de ceux qu'il trouve, il efface les traces de son passage. Partout mais peut-être là plus qu'ailleurs, il éprouve sans cesse le sentiment d'être invité. C'est lui qui, toujours, se chasse lui-même. Si, comme le lui faisait remarquer Raphaëlle Rérolle, écrire, c'est laisser des traces, ces traces, répond-il, sont à chercher, elles ne forcent pas à les suivre.
Débordant le thème initial de l'entretien, de Luca évoqua son rapport à l'écriture ("Quand j'écris, je me tiens la meilleure des compagnies."), à la mort d'êtres proches ("L'absence de quelqu'un, c'est une peine à perpétuité. Écrire, c'est convoquer les gens qui sont partis".), enfin à son engagement politique dans le mouvement révolutionnaire italien des années soixante-dix Lotta Continua ("la Révolution, moteur du XX° siècle, aujourd'hui arbre coupé".). Pour illustrer ce dernier point, il cite un poème de l'écrivain turc Nazim Hikmet: " Le noyer a été coupé mais je reste fidèle à l'ombre."
J'ai écouté parlé Erri de Luca pendant près de deux heures, je l'ai écouté plaisanter et se refermer, lâcher parfois des bribes d'intimité, j'ai regardé cet homme qui n'a que deux ans de plus que moi, marqué par son passé de travailleur (sa main, pourtant, que j'ai serrée au moment de la séance de dédicace, est douce au toucher), maigre comme un pied de vigne, aussi solide et aussi beau qu'un cep de ce Lacrima Christi qui coule des pentes du Vésuve. Ainsi, c'était donc lui, cet homme en pantalon tire-bouchonné, portant gilet noir et chemise blanche à la manière des paysans d'autrefois, lui qui écrivait ces livres que j'ai lus et que je relirai, dont j'ai perçu, à travers les textes, le fond d'humanité et de révolte, qui m'a fait approcher la poésie sans m'effrayer parce que la sienne reste toujours avant tout humaine? Il me reste aujourd'hui une chose à faire: remettre en ordre dans ma tête les images que le vent de l'autre soir a déplacées, simplement parce que, pour plagier la Bible, le "mot" s'est fait "chair".
L'entretien s'est terminé avec une lecture par de Luca d'un extrait de l'un de ses derniers livres, Il peso della Farfalla (Le poids du Papillon)(Ed. Feltrinelli), dont voici un cours extrait:
Sa vie, au gré des saisons, était allée avec le monde. Il l'avait gagnée tant de fois, mais elle ne lui appartenait pas. (...) Avait-il besoin de croire qu'il existait un contremaître et que le monde était son produit fini? Il n'en avait pas besoin pour lui parler, pour le croire à l'écoute, mais c'était une pensée qui lui tenait compagnie. (...) Face au ciel qui, le soir, descendait jusqu'à terre, il aimait dire merci au contremaître.
mercredi 26 mai 2010
A peu près
Deux perles aujourd'hui à la radio:
- un candidat lyonnais à un jeu radiophonique: "je suis d'origine guatémalienne!" Afro-américain alors?
- un ministre du gouvernement: "....les lycées qui font quelque chose pour la réussite scolaire." Les autres apprécieront, eux qui font tout pour que leurs élèves échouent!
Cela me rappelle le Préambule que Jean Tardieu écrivit pour sa pièce Un Mot pour un autre (Ed. Gallimard). Le voici dans sa quasi intégralité:
Vers l'an 1900 (...), une curieuse épidémie s'abattit sur la population des villes (...). Les misérables atteints de ce mal prenaient soudain les mots les uns pour les autres, comme s'ils eussent puisé au hasard les paroles dans un sac.
Le plus curieux est que les malades ne s'apercevaient pas de leur infirmité, qu'ils restaient d'ailleurs sains d'esprit, tout en tenant des propos en apparence incohérents, que, même au plus fort du fléau, les conversations mondaines allaient bon train, bref que le seul organe atteint était: le "vocabulaire".
Ce fait historique - hélas, contesté par quelques savants - appelle les remarques suivantes:
que nous parlons souvent pour ne rien dire,
que si, par chance, nous avons quelque chose à dire, nous pouvons le dire de mille façons différentes,
que les prétendus fous ne sont appelés tels que parce que l'on ne comprend pas leur langage,
que dans le commerce des humains, bien souvent les mouvements du corps, les intonations de la voix et l'expression du visage en disent plus long que les paroles, et aussi que les mots n'ont, par eux-mêmes, d'autres sens que ceux qu'il nous plaît de leur attribuer. (...)
Mais vous savez, moi, ce que j'en dis...
- un candidat lyonnais à un jeu radiophonique: "je suis d'origine guatémalienne!" Afro-américain alors?
- un ministre du gouvernement: "....les lycées qui font quelque chose pour la réussite scolaire." Les autres apprécieront, eux qui font tout pour que leurs élèves échouent!
Cela me rappelle le Préambule que Jean Tardieu écrivit pour sa pièce Un Mot pour un autre (Ed. Gallimard). Le voici dans sa quasi intégralité:
Vers l'an 1900 (...), une curieuse épidémie s'abattit sur la population des villes (...). Les misérables atteints de ce mal prenaient soudain les mots les uns pour les autres, comme s'ils eussent puisé au hasard les paroles dans un sac.
Le plus curieux est que les malades ne s'apercevaient pas de leur infirmité, qu'ils restaient d'ailleurs sains d'esprit, tout en tenant des propos en apparence incohérents, que, même au plus fort du fléau, les conversations mondaines allaient bon train, bref que le seul organe atteint était: le "vocabulaire".
Ce fait historique - hélas, contesté par quelques savants - appelle les remarques suivantes:
que nous parlons souvent pour ne rien dire,
que si, par chance, nous avons quelque chose à dire, nous pouvons le dire de mille façons différentes,
que les prétendus fous ne sont appelés tels que parce que l'on ne comprend pas leur langage,
que dans le commerce des humains, bien souvent les mouvements du corps, les intonations de la voix et l'expression du visage en disent plus long que les paroles, et aussi que les mots n'ont, par eux-mêmes, d'autres sens que ceux qu'il nous plaît de leur attribuer. (...)
Mais vous savez, moi, ce que j'en dis...
mardi 25 mai 2010
Et la photo est bonne
Quel âge avait-elle en 1960? Une petite vingtaine d'années. La photographie est en noir et blanc, en gris plutôt, dégradé en nuances multiples, clair pour le fond lumineux et flou que l'on dirait aperçu à travers la fenêtre d'un train , soutenu pour les ombres presque absentes, seulement visibles sous le pli du bras gauche ou les mèches de cheveux qui retombent sur ce même bras replié, doux de velours pour la manche du pull-over remontée sur le coude, un peu lâche, comme celle d'un vêtement trop porté parce que trop aimé, un gris de tendresse que respire sa bouche qui l'effleure. Le visage est d'une beauté absolue.
Du coude lisse et encore juvénile au poignet que l'on entraperçoit strié de bracelets d'ivoire ou de plastique blanc, de la courbure de la nuque qui va se perdre sous la chevelure élégamment décoiffée aux lèvres un peu luisantes que l'on dirait boudeuses, du nez dont on croirait voir palpiter doucement les ailes au tracé des sourcils dont l'arrondi répète en l'atténuant celui des cils finis par un maquillage en amande, du front, des joues qui accrochent la lumière aux yeux qui la renvoient comme deux bijoux un peu tristes, que de beauté!
Une autre photo, à l'intérieur du dépliant, la montre avec un homme. Elle semble nue, lui est habillé. Il lui embrasse le bras, comme par inadvertance, le regard perdu ailleurs, absent. La photo est aussi en noir et blanc. La femme a les lèvres entrouvertes, en attente, prête au désir, elle n'a pas l'air triste et rêveur de la première photo. Elle a le visage éclairé, le sien à lui est dans l'ombre.
On se laisse entraîner, on a envie de revoir le film. Pour le scénario du Bel Antonio, Mauro Bolognini s'était adjoint Pasolini. C'était en 1960. Lui, le ténébreux, c'était Mastroianni; elle, la superbe, l'irradiante, Claudia Cardinale. On peut revoir le tout, et combien d'autres chefs-d'œuvre du cinéma italien, à l'Institut Lumière, du 11 mai au 11 juillet, dans une rétrospective intitulée Voyage en Italie, la société italienne à travers son cinéma. Rêver...
Du coude lisse et encore juvénile au poignet que l'on entraperçoit strié de bracelets d'ivoire ou de plastique blanc, de la courbure de la nuque qui va se perdre sous la chevelure élégamment décoiffée aux lèvres un peu luisantes que l'on dirait boudeuses, du nez dont on croirait voir palpiter doucement les ailes au tracé des sourcils dont l'arrondi répète en l'atténuant celui des cils finis par un maquillage en amande, du front, des joues qui accrochent la lumière aux yeux qui la renvoient comme deux bijoux un peu tristes, que de beauté!
Une autre photo, à l'intérieur du dépliant, la montre avec un homme. Elle semble nue, lui est habillé. Il lui embrasse le bras, comme par inadvertance, le regard perdu ailleurs, absent. La photo est aussi en noir et blanc. La femme a les lèvres entrouvertes, en attente, prête au désir, elle n'a pas l'air triste et rêveur de la première photo. Elle a le visage éclairé, le sien à lui est dans l'ombre.
On se laisse entraîner, on a envie de revoir le film. Pour le scénario du Bel Antonio, Mauro Bolognini s'était adjoint Pasolini. C'était en 1960. Lui, le ténébreux, c'était Mastroianni; elle, la superbe, l'irradiante, Claudia Cardinale. On peut revoir le tout, et combien d'autres chefs-d'œuvre du cinéma italien, à l'Institut Lumière, du 11 mai au 11 juillet, dans une rétrospective intitulée Voyage en Italie, la société italienne à travers son cinéma. Rêver...
lundi 24 mai 2010
Caffè Roberto, Via Po, 5. Torino
Caffè Roberto, l'aperitivo nel cuore du Torino. Via Po, 5. Torino.
C'est ce qui est imprimé sur un petit sachet de sucre en poudre qu'une collègue, de passage à Turin, m'avait rapporté de son séjour en guise de clin d'œil à mon prénom et à mon amour de ce pays.
Au dos, on lit: Si organizzano colazioni di lavoro, Coffee beak, rinfreschi, feste di laurea. Je lis toujours l'italien avec plaisir, même de simples textes publicitaires sans intérêt, en regrettant un peu plus chaque fois que leur merveilleuse langue, comme la nôtre, soit peu à peu maculée de mots anglais qui, pour moi, sont autant de taches sur la sonorité de ce langage. Mais je ne suis pas parti ce soir pour écrire un billet comparatif sur les différentes langues européennes.
J'ai ce petit sachet de sucre ("zucchero") sur mon bureau depuis cet hiver et aujourd'hui, la canicule aidant (30 degrés à Lyon, alors que dimanche dernier, nous en étions à 9), j'ai repensé à ces étés passés, seul ou avec Pierre, en Italie, en Corse, dans la fraîcheur de la Creuse ou la douceur du Chablais. Hier, ma cousine m'a demandé si j'avais programmé quelque chose pour mes vacances prochaines. Il y a longtemps que je ne programme plus rien. je n'ai jamais eu l'âme d'un programmateur. La seule fois où il a fallu le faire (pour un voyage à six célibataires en Grèce, où la réservation s'imposait), j'étais plus qu'angoissé à l'idée que quelque chose, en bout de course, ne vienne empêcher le projet de se réaliser. Il eut bien lieu, finalement, mais je n'aime toujours pas tirer de plans sur la comète à trop longue échéance.
Le Caffè Roberto, je l'ai vu moi même, lors d'une journée passé à Turin ce printemps. Vu et photographié, bien sûr. J'ai eu l'occasion, ces derniers temps, de vivre de petits voyages brefs, comme celui-ci, des voyages décidés un soir, au cours d'une conversation, des voyages où rien n'est vraiment préétabli. Même s'il me faut chaque fois jongler avec la garde de ma mère, j'y suis parvenu sans trop de peine. Peut-être est-ce cette contrainte familiale, ajoutée au fait que mon réseau d'anciens amis (de l'époque de Pierre) s'est considérablement dispersé, chaque disparition rétrécissant un peu plus mon horizon, qui fait que je goûte sans doute plus qu'autrefois la saveur de ces escapades et que je sais enfin en vivre chaque plaisir.
J'avais, ce soir, l'intention d'écrire sur les travaux entrepris dans mon appartement! Voyez un peu comme la plume est taquine!
C'est ce qui est imprimé sur un petit sachet de sucre en poudre qu'une collègue, de passage à Turin, m'avait rapporté de son séjour en guise de clin d'œil à mon prénom et à mon amour de ce pays.
Au dos, on lit: Si organizzano colazioni di lavoro, Coffee beak, rinfreschi, feste di laurea. Je lis toujours l'italien avec plaisir, même de simples textes publicitaires sans intérêt, en regrettant un peu plus chaque fois que leur merveilleuse langue, comme la nôtre, soit peu à peu maculée de mots anglais qui, pour moi, sont autant de taches sur la sonorité de ce langage. Mais je ne suis pas parti ce soir pour écrire un billet comparatif sur les différentes langues européennes.
J'ai ce petit sachet de sucre ("zucchero") sur mon bureau depuis cet hiver et aujourd'hui, la canicule aidant (30 degrés à Lyon, alors que dimanche dernier, nous en étions à 9), j'ai repensé à ces étés passés, seul ou avec Pierre, en Italie, en Corse, dans la fraîcheur de la Creuse ou la douceur du Chablais. Hier, ma cousine m'a demandé si j'avais programmé quelque chose pour mes vacances prochaines. Il y a longtemps que je ne programme plus rien. je n'ai jamais eu l'âme d'un programmateur. La seule fois où il a fallu le faire (pour un voyage à six célibataires en Grèce, où la réservation s'imposait), j'étais plus qu'angoissé à l'idée que quelque chose, en bout de course, ne vienne empêcher le projet de se réaliser. Il eut bien lieu, finalement, mais je n'aime toujours pas tirer de plans sur la comète à trop longue échéance.
Le Caffè Roberto, je l'ai vu moi même, lors d'une journée passé à Turin ce printemps. Vu et photographié, bien sûr. J'ai eu l'occasion, ces derniers temps, de vivre de petits voyages brefs, comme celui-ci, des voyages décidés un soir, au cours d'une conversation, des voyages où rien n'est vraiment préétabli. Même s'il me faut chaque fois jongler avec la garde de ma mère, j'y suis parvenu sans trop de peine. Peut-être est-ce cette contrainte familiale, ajoutée au fait que mon réseau d'anciens amis (de l'époque de Pierre) s'est considérablement dispersé, chaque disparition rétrécissant un peu plus mon horizon, qui fait que je goûte sans doute plus qu'autrefois la saveur de ces escapades et que je sais enfin en vivre chaque plaisir.
J'avais, ce soir, l'intention d'écrire sur les travaux entrepris dans mon appartement! Voyez un peu comme la plume est taquine!
dimanche 23 mai 2010
Une journée dans la Loire
Il le faut bien parfois. Sacrifier aux us et coutumes, aux obligations que nous imposent les liens de parenté. Aujourd'hui, c'était un déjeuner chez Rose, une cousine de ma mère. Cousine éloignée mais avec qui elle a toujours entretenu des rapports assez bons.
Départ ce matin pour Saint-Chamond, que certains (des autochtones uniquement) surnomment "Le Petit Nice", que d'autres connaissaient grâce à son maire totémique, Pinet, célèbre pour son emprunt et l'avènement du nouveau franc, et qu'aujourd'hui tout le monde ignore.
Retrouver les rues qui mènent à l'appartement de Rose, où je ne suis pas allé depuis plus de vingt ans (c'est en général elle qui venait à Lyon jusqu'à présent), reconnaître la gare et les routes qui s'en vont, à travers champs, gravir les pentes du mont Pilat. Nous étions attendus à midi. Midi sonnait à l'église Notre-dame lorsque j'arrêtai le moteur de ma Kangoo dans le parking de la résidence.
Rose est telle qu'en elle-même, toujours la même, la taille un peu épaissie, simplement, par ses soixante-seize ans sonnés cette année, élégante mais un peu fade, un peu desséchée par son volontaire célibat. Le repas fut léger et agréable. Mais je n'imaginais pas passer le reste de la journée dans un petit salon où tout a une place à discuter de sujets aussi vite abordés qu'épuisés. Lorsque j'étais enfant, j'avais fait de cette femme mon modèle. Sans savoir exactement, à cet âge-là, le pourquoi d'un tel engagement, je lui avais assuré que jamais, comme elle, je ne me marierais. Elle représentait pour moi la grâce et l'élégance, la liberté et la culture. Elle a, c'est sûr, un peu de tout cela mais sa culture et la mienne ne sont plus exactement les mêmes.
Après le traditionnel passage devant les deux caveaux familiaux (P1 et P2) dans le cimetière au milieu des champs, je proposai une petite promenade informelle. La Kangoo nous emmena d'abord dans le village d'agriculteurs et de mineurs où j'ai passé toute mon enfance et où les villas fleurissent aujourd'hui plus vite que les coquelicots dans les champs. Puis nous gravîmes les pentes opposées au Pilat et à la vallée du Rhône, celles qui dominent la vallée du Gier côté monts du Lyonnais.
A un carrefour avec panneaux directionnels, je sus exactement où je devais les emmener: Valfleury. Un nom brusquement ressorti des grottes les plus profondes de ma mémoire, remis à la lumière du jour par une simple flèche aux croisements de deux routes. Valfleury qu'il fallait prononcer avec le plus grand respect quand je n'avais pas dix ans. Du village, je ne me souvenais que du site encaissé et d'une immense église où, chaque année, avaient lieu plusieurs pèlerinages à la Vierge Marie, pèlerinages célèbres dans la région et même un peu plus loin.
A l'arrivée, je vérifiai que l'une seulement de mes images était juste: le site est bien encaissé mais l'église, même si sa flèche surprend au milieu de ces collines de cerisiers et de pommiers, s'avère beaucoup moins étendue que dans ma mémoire. Tout, dans ce village, sent encore le 19° siècle triomphant, le catholicisme dans sa plus grande gloire, mais ce parfum de bondieuserie est maintenant bien éventé: sur les trois restaurants que le petit village comptait autrefois, il n'en reste plus qu'un, qui constitue à lui seul l'ensemble de l'infrastructure commerciale, les institutions religieuses ne semblent plus faire le plein (pourtant le pensionnat y était apprécié) et les fausses grottes en béton, le sinueux chemin de croix n'en finissent plus de se déliter.
Pourtant, j'étais content d'y être revenu, de relire la légende d'une Vierge noire qui y serait apparue au milieu d'un genet fleuri, d'avoir la surprise d'y voir arriver toute une escouade de motards tout harnachés de cuir qui rangèrent sagement leurs énormes engins le long d'un mur tout proche du sanctuaire, content de voir la tête de cousine Rose qui, après m'avoir entraîné à la fontaine miraculeuse dont elle but l'eau dans sa prime jeunesse, découvrit aujourd'hui, grâce à la plaque au-dessus du robinet, que "Cette eau n'est pas potable"!
En redescendant jusqu'à la vallée par une autre route, je lus, sur ce versant où les arbres fruitiers vont bientôt ployer sous les fruits, les noms des villages que je traversais autrefois, il y a très longtemps, à l'époque de mes vingt-deux ans, lorsque je travaillais, pour un service archéologique, à retrouver précisément le tracé de l'aqueduc romain du Gier. Je ressentis aujourd'hui encore, avec la même intensité, la joie que j'avais eue, tout au long de cet été, à me sentir libre, indépendant, utile, peut-être pour la première fois de ma vie, la joie que j'éprouvais dans mon travail à l'air libre, bien sûr, mais aussi dans la fréquentation des paysans, des vieilles gens qui m'invitaient à écouter parler leur mémoire un verre de vin ou de cidre à la main, qui me communiquaient quelque chose de leurs savoirs et de leurs ruses, à moi qui n'étais encore qu'un grand nigaud d'intellectuel débutant. Je me souviens en particulier de celui qui me conseilla, pour retrouver plus vite un tronçon de l'aqueduc enfoui sous la terre grasse d'un champ, de me fier aux crottes de lapin: là où elles s'accumulaient, là était enterré l'aqueduc que ces bestiaux intelligents avaient annexé, ravis de ne pas avoir à creuser eux-mêmes leur terrier. Cela, ce n'est pas un archéologue professeur d'université qui me l'a appris.
Bonne journée donc, sous le soleil, dans une chaleur presque estivale: Rose était contente de notre visite, ma mère était ravie de son pèlerinage improvisé, ma sœur rassurée de voir que tout se passait bien et moi, encore une fois, comme d'habitude, perdu dans mes chemins de mémoire.
Départ ce matin pour Saint-Chamond, que certains (des autochtones uniquement) surnomment "Le Petit Nice", que d'autres connaissaient grâce à son maire totémique, Pinet, célèbre pour son emprunt et l'avènement du nouveau franc, et qu'aujourd'hui tout le monde ignore.
Retrouver les rues qui mènent à l'appartement de Rose, où je ne suis pas allé depuis plus de vingt ans (c'est en général elle qui venait à Lyon jusqu'à présent), reconnaître la gare et les routes qui s'en vont, à travers champs, gravir les pentes du mont Pilat. Nous étions attendus à midi. Midi sonnait à l'église Notre-dame lorsque j'arrêtai le moteur de ma Kangoo dans le parking de la résidence.
Rose est telle qu'en elle-même, toujours la même, la taille un peu épaissie, simplement, par ses soixante-seize ans sonnés cette année, élégante mais un peu fade, un peu desséchée par son volontaire célibat. Le repas fut léger et agréable. Mais je n'imaginais pas passer le reste de la journée dans un petit salon où tout a une place à discuter de sujets aussi vite abordés qu'épuisés. Lorsque j'étais enfant, j'avais fait de cette femme mon modèle. Sans savoir exactement, à cet âge-là, le pourquoi d'un tel engagement, je lui avais assuré que jamais, comme elle, je ne me marierais. Elle représentait pour moi la grâce et l'élégance, la liberté et la culture. Elle a, c'est sûr, un peu de tout cela mais sa culture et la mienne ne sont plus exactement les mêmes.
Après le traditionnel passage devant les deux caveaux familiaux (P1 et P2) dans le cimetière au milieu des champs, je proposai une petite promenade informelle. La Kangoo nous emmena d'abord dans le village d'agriculteurs et de mineurs où j'ai passé toute mon enfance et où les villas fleurissent aujourd'hui plus vite que les coquelicots dans les champs. Puis nous gravîmes les pentes opposées au Pilat et à la vallée du Rhône, celles qui dominent la vallée du Gier côté monts du Lyonnais.
A un carrefour avec panneaux directionnels, je sus exactement où je devais les emmener: Valfleury. Un nom brusquement ressorti des grottes les plus profondes de ma mémoire, remis à la lumière du jour par une simple flèche aux croisements de deux routes. Valfleury qu'il fallait prononcer avec le plus grand respect quand je n'avais pas dix ans. Du village, je ne me souvenais que du site encaissé et d'une immense église où, chaque année, avaient lieu plusieurs pèlerinages à la Vierge Marie, pèlerinages célèbres dans la région et même un peu plus loin.
A l'arrivée, je vérifiai que l'une seulement de mes images était juste: le site est bien encaissé mais l'église, même si sa flèche surprend au milieu de ces collines de cerisiers et de pommiers, s'avère beaucoup moins étendue que dans ma mémoire. Tout, dans ce village, sent encore le 19° siècle triomphant, le catholicisme dans sa plus grande gloire, mais ce parfum de bondieuserie est maintenant bien éventé: sur les trois restaurants que le petit village comptait autrefois, il n'en reste plus qu'un, qui constitue à lui seul l'ensemble de l'infrastructure commerciale, les institutions religieuses ne semblent plus faire le plein (pourtant le pensionnat y était apprécié) et les fausses grottes en béton, le sinueux chemin de croix n'en finissent plus de se déliter.
Pourtant, j'étais content d'y être revenu, de relire la légende d'une Vierge noire qui y serait apparue au milieu d'un genet fleuri, d'avoir la surprise d'y voir arriver toute une escouade de motards tout harnachés de cuir qui rangèrent sagement leurs énormes engins le long d'un mur tout proche du sanctuaire, content de voir la tête de cousine Rose qui, après m'avoir entraîné à la fontaine miraculeuse dont elle but l'eau dans sa prime jeunesse, découvrit aujourd'hui, grâce à la plaque au-dessus du robinet, que "Cette eau n'est pas potable"!
En redescendant jusqu'à la vallée par une autre route, je lus, sur ce versant où les arbres fruitiers vont bientôt ployer sous les fruits, les noms des villages que je traversais autrefois, il y a très longtemps, à l'époque de mes vingt-deux ans, lorsque je travaillais, pour un service archéologique, à retrouver précisément le tracé de l'aqueduc romain du Gier. Je ressentis aujourd'hui encore, avec la même intensité, la joie que j'avais eue, tout au long de cet été, à me sentir libre, indépendant, utile, peut-être pour la première fois de ma vie, la joie que j'éprouvais dans mon travail à l'air libre, bien sûr, mais aussi dans la fréquentation des paysans, des vieilles gens qui m'invitaient à écouter parler leur mémoire un verre de vin ou de cidre à la main, qui me communiquaient quelque chose de leurs savoirs et de leurs ruses, à moi qui n'étais encore qu'un grand nigaud d'intellectuel débutant. Je me souviens en particulier de celui qui me conseilla, pour retrouver plus vite un tronçon de l'aqueduc enfoui sous la terre grasse d'un champ, de me fier aux crottes de lapin: là où elles s'accumulaient, là était enterré l'aqueduc que ces bestiaux intelligents avaient annexé, ravis de ne pas avoir à creuser eux-mêmes leur terrier. Cela, ce n'est pas un archéologue professeur d'université qui me l'a appris.
Bonne journée donc, sous le soleil, dans une chaleur presque estivale: Rose était contente de notre visite, ma mère était ravie de son pèlerinage improvisé, ma sœur rassurée de voir que tout se passait bien et moi, encore une fois, comme d'habitude, perdu dans mes chemins de mémoire.
vendredi 21 mai 2010
Rouquin
J'ai devant moi la photo d'un bébé. Sur mon bureau, près de la lampe allumée. Il dort, probablement sur le sein de sa mère que l'on aperçoit dépassant d'un bout d'étoffe blanche. Il est roux. Le traitement sépia de la photo accentue la rousseur, comme sans doute la lumière portée par ma lampe. On dirait que ses cheveux gardent la marque du peigne qu'il ne connaît pas encore. Son oreille est ourlée de rose. Il dort, la bouche ouverte, la lèvre supérieure légèrement proéminente, le menton plissé, le bas du visage un peu mou à cause du manque de dents. Ses cils sont longs et son nez retroussé. Il semble avoir la sagesse d'un vieillard. Il ne pense sans doute à rien qu'à ces chemins que découvre le lait dans son corps. Il y a à peine un mois qu'il existe. Comme une ville nouvelle. Comme un astre nouveau. Il s'appelle Paul, et Émile aussi. Bon voyage, rouquin.
jeudi 20 mai 2010
Jeanne encore
En complément d'hier, pour ceux qui ne connaissent pas ce poème de L'Art d'être grand-père, de Victor Hugo:
Jeanne était au pain sec...
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
Jeanne était au pain sec...
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
mercredi 19 mai 2010
La Jeanne de Delteil
Que ça fait du bien de se faire plaisir! Surtout quand le plaisir est inattendu! Et c'était le cas ce soir. Mon contact féminin au TNP, en attendant notre collaboration pour la saison prochaine, m'a gentiment envoyé deux places gratuites pour ce soir. Avec Frédéric, nous avons passé une soirée exceptionnelle.
Dans une salle de répétitions du Petit Théâtre se donnait, en avant-première La Jeanne de Delteil, tirée du roman du même, dans une adaptation de Jean-Pierre Jourdain avec Juliette Rizoud dans le rôle titre et unique rôle. La Jeanne de Delteil, c'est la vie de Jeanne d'Arc, depuis sa naissance à Domrémy en Lorraine jusqu'à sa mort sur le bûcher Place du Vieux Marché à Rouen. Une heure trente de monologue, une heure trente de plaisir.
J'avais failli décliner l'invitation après avoir lu le fascicule de présentation de la pièce et de Delteil. Ce texte trop intellectuel donne une fausse image du spectacle. Il faudra bien qu'un jour, sur ce point, le TNP accepte de se débarrasser de ses vieux démons. Je préviendrai autour de moi qu'il ne faut pas s'arrêter à cette présentation absurde, que le spectacle est splendide d'humour, d'émotion et d'intelligence.
Intelligence de la mise en scène où la comédienne, dont on peut saluer la performance tant physique que vocale, évolue sur un plateau rempli de projecteurs, de cordages, de chaînes, d'établis et d'armoires métalliques qui deviennent peu à peu, grâce à la magie d'un chiffon, d'une paire de gants ou d'un seau en plastique, le pleutre dauphin Charles de France ou sa dévoyée de maîtresse, Agnes Sorel, le lourd cheval de voyage de Jeanne, celui qui l'emmène de Lorraine en Touraine, l'abominable évêque Cauchon qui livrera la pucelle aux anglais et d'autres personnages tous "réellement" présents par la puissance d'évocation.
Beauté du texte surtout. En écoutant les phrases de Delteil, j'étais, c'est bête à dire, profondément heureux d'être français. Heureux de manier et de connaître cette langue, heureux surtout de ce que Delteil, comme Flaubert, Rabelais ou Maupassant, en a fait: une langue bien sûr toujours aussi intellectuelle et cartésienne, mais , bien plus, terrienne, sensuelle, lourde (comme un sein peut être lourd), généreuse et gourmande. D'ailleurs Jeanne est présentée ainsi: loin des représentations de plâtre des églises, jeune fille froide et caparaçonnée dans son armure immaculée, loin de celle que voudrait récupérer une frange grotesque de l'électorat d'extrême-droite, on voit évoluer une Jeanne tétant goulument sa mère et en pissant d'aise, une Jeanne qui propose du lard et du vin aux deux saintes qui lui sont apparues dans le mirabellier (Catherine et Marguerite ne sont pas "académiques" non plus, particulièrement Marguerite qui, à cheval sur une branche de l'arbre, s'empiffre de prunes bine mûres et chaudes au soleil), une Jeanne qui sent monter en elle les échauffements des sens et l'appel du désir, une Jeanne vivante, créature du ciel, bien sûr, mais aussi de la terre, qui aime la douceur de la toison des moutons, la caresse du soleil sur sa peau, la sérénité de ses collines des Vosges (Pour y être allé, j'en entendais d'autant mieux la résonance), une Jeanne qui, apercevant sur l'empilement de bois de son bûcher une fleur de liseron, va, après l'avoir embrassée, la tendre au bourreau pour qu'il la sauve des flammes.
Humour aussi des anachronismes dont le texte est volontairement truffé et qui, curieusement, s'insèrent parfaitement dans l'atmosphère de la représentation: quelques paroles de La Marseillaise, une coupe de champagne bue au milieu du siège d'une ville aux mains des anglais ou des bourguignons, et tant d'autres dont un qu'il faut saisir au vol, tant l'allusion est rapide: "Jeanne mériterait d'être au pain sec...". Merci, Victor Hugo.
Voilà. Dire que j'ai aimé est peu dire. Frédéric partageait le même enthousiasme à la sortie, et les autres spectateurs (une petite centaine, vue la taille de la salle) aussi, manifestement. Un bonheur inattendu. Et doublement apprécié donc. Je souhaite à Juliette Rizoud tout le succès qu'elle mérite.
Dans une salle de répétitions du Petit Théâtre se donnait, en avant-première La Jeanne de Delteil, tirée du roman du même, dans une adaptation de Jean-Pierre Jourdain avec Juliette Rizoud dans le rôle titre et unique rôle. La Jeanne de Delteil, c'est la vie de Jeanne d'Arc, depuis sa naissance à Domrémy en Lorraine jusqu'à sa mort sur le bûcher Place du Vieux Marché à Rouen. Une heure trente de monologue, une heure trente de plaisir.
J'avais failli décliner l'invitation après avoir lu le fascicule de présentation de la pièce et de Delteil. Ce texte trop intellectuel donne une fausse image du spectacle. Il faudra bien qu'un jour, sur ce point, le TNP accepte de se débarrasser de ses vieux démons. Je préviendrai autour de moi qu'il ne faut pas s'arrêter à cette présentation absurde, que le spectacle est splendide d'humour, d'émotion et d'intelligence.
Intelligence de la mise en scène où la comédienne, dont on peut saluer la performance tant physique que vocale, évolue sur un plateau rempli de projecteurs, de cordages, de chaînes, d'établis et d'armoires métalliques qui deviennent peu à peu, grâce à la magie d'un chiffon, d'une paire de gants ou d'un seau en plastique, le pleutre dauphin Charles de France ou sa dévoyée de maîtresse, Agnes Sorel, le lourd cheval de voyage de Jeanne, celui qui l'emmène de Lorraine en Touraine, l'abominable évêque Cauchon qui livrera la pucelle aux anglais et d'autres personnages tous "réellement" présents par la puissance d'évocation.
Beauté du texte surtout. En écoutant les phrases de Delteil, j'étais, c'est bête à dire, profondément heureux d'être français. Heureux de manier et de connaître cette langue, heureux surtout de ce que Delteil, comme Flaubert, Rabelais ou Maupassant, en a fait: une langue bien sûr toujours aussi intellectuelle et cartésienne, mais , bien plus, terrienne, sensuelle, lourde (comme un sein peut être lourd), généreuse et gourmande. D'ailleurs Jeanne est présentée ainsi: loin des représentations de plâtre des églises, jeune fille froide et caparaçonnée dans son armure immaculée, loin de celle que voudrait récupérer une frange grotesque de l'électorat d'extrême-droite, on voit évoluer une Jeanne tétant goulument sa mère et en pissant d'aise, une Jeanne qui propose du lard et du vin aux deux saintes qui lui sont apparues dans le mirabellier (Catherine et Marguerite ne sont pas "académiques" non plus, particulièrement Marguerite qui, à cheval sur une branche de l'arbre, s'empiffre de prunes bine mûres et chaudes au soleil), une Jeanne qui sent monter en elle les échauffements des sens et l'appel du désir, une Jeanne vivante, créature du ciel, bien sûr, mais aussi de la terre, qui aime la douceur de la toison des moutons, la caresse du soleil sur sa peau, la sérénité de ses collines des Vosges (Pour y être allé, j'en entendais d'autant mieux la résonance), une Jeanne qui, apercevant sur l'empilement de bois de son bûcher une fleur de liseron, va, après l'avoir embrassée, la tendre au bourreau pour qu'il la sauve des flammes.
Humour aussi des anachronismes dont le texte est volontairement truffé et qui, curieusement, s'insèrent parfaitement dans l'atmosphère de la représentation: quelques paroles de La Marseillaise, une coupe de champagne bue au milieu du siège d'une ville aux mains des anglais ou des bourguignons, et tant d'autres dont un qu'il faut saisir au vol, tant l'allusion est rapide: "Jeanne mériterait d'être au pain sec...". Merci, Victor Hugo.
Voilà. Dire que j'ai aimé est peu dire. Frédéric partageait le même enthousiasme à la sortie, et les autres spectateurs (une petite centaine, vue la taille de la salle) aussi, manifestement. Un bonheur inattendu. Et doublement apprécié donc. Je souhaite à Juliette Rizoud tout le succès qu'elle mérite.
mardi 18 mai 2010
Le toit de la remise
Les deux rosiers qui encadraient la porte, le pâle, de vieilles roses qui s'effeuillaient vite et renaissaient à profusion, l'autre, de fleurs écarlates, épanouies et odorantes, dont le parfum suave montait jusqu'à ma chambre, au dessus. Le lilas qui s'étiolait dans un pot à Lyon et qui avait aimé la terre du pré où je l'avais planté, le mur de pierres sèches reconstruit de mes mains, le petit banc de bois que l'on m'avait donné et que l'on m'a repris, les momies de souris lorsque nous restions longtemps sans venir, les araignées et les frelons, l'odeur de la maison, en bas, en haut différente, celle de l'ancienne écurie et celle de la terre mouillée lorsque le plafond était lourd et que les Voirons disparaissaient dans la brume, les volets de vert wagon et les crochets de la porte, la chaleur de la douche tardivement installée, la route de Thonon, la nuit, lorsque l'ombre de la montagne ressemblait au Vésuve, les trouées dans les bois, les chevreuils que l'on apercevait parfois, le cri des chiens affamés avant la chasse, les oiseaux du matin dans le noisetier d'en face, la cour éternellement à désherber, les nuits où je m'enfonçais dans la chaleur d'un roman, sur un matelas de crin qui avait su apprivoiser mon dos, les vêtements achetés parce que, là bas, on avait le temps, parce que, là-bas, ils étaient plus beaux, les soirées à boire et à manger, charcuteries et fromages, et à rire, comme si tout allait durer. C'est ce que je croyais. Je ne me posais pas la question. Le dernier été, celui de la canicule, où l'on avait fait refaire le toit. Le dernier départ, je m'en souviens, j'avais les larmes aux yeux. Savais-je? Et tout ce qui revient ce soir, en entendant par hasard Barbara qui murmure: "Quand Pierre rentrera, tiens, il faut que je lui dise que le toit de la remise fuit....". Et c'est ma mémoire qui s'égoutte, d'un souvenir l'autre, d'une image un son, avec toujours, au fond de moi, cette nostalgie dont je suis sûr maintenant qu'elle ne me quittera pas.
lundi 17 mai 2010
Zucco
J'ai appris que l'on redonnait à Paris la pièce de Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco, qu'il avait écrite en 1988 et donnée pour la première fois en France au TNP en 91. Cette pièce relate l'histoire d'un jeune tueur en série italien qui, après avoir tué père et mère en Italie, viendra, dans la région d'Annecy principalement, assassiner de nombreux innocents. La pièce avait fait grand bruit et provoqué un scandale conséquent dans la région lyonnaise au moment de sa sortie, très proche dans le temps des événements qu'elle relatait. Certaines familles de victimes en avaient même, si je me souviens bien, demandé l'interdiction. En vain.
Je ne suis pas pour la censure intellectuelle mais je dois avouer que j'avais à l'époque été profondément choqué par l'initiative de Koltès. L'explication de ma réaction est toute simple: je connaissais une des victimes de Zucco, une dont on n'a jamais su exactement ce qu'elle était devenue.
France Vu-Dinh était une amie d'amis annéciens à moi. C'était une très belle jeune femme d'une trentaine d'années avec qui j'avais passé une soirée autour d'un repas quelques mois avant son assassinat. Peut-être bien le repas de la Saint-Sylvestre, d'ailleurs. Elle disparut de sa maison près d'Annecy en 1987. Zucco dira au moment de son arrestation qu'il avait vécu plusieurs semaines avec elle et qu'il l'avait tuée parce qu'elle avait tenté de s'échapper. Il se serait débarrasser de son cadavre en le jetant dans la Méditerranée, près de Nice. A ce jour, on ne l'a toujours pas retrouvé.
Ainsi donc, même si je n'étais pas un intime de cette jeune femme, j'avais été choqué par ces révélations et tout autant ensuite par leur mise en scène. Je n'irai jamais voir cette pièce. La réaction est peut-être stupide mais c'est une forme de respect par rapport à France. De Koltès, je préfère retenir le sublime Combat de nègres et de chiens, vu à Lyon il y a de nombreuses années, dans la mise en scène de Patrice Chéreau.
Je ne suis pas pour la censure intellectuelle mais je dois avouer que j'avais à l'époque été profondément choqué par l'initiative de Koltès. L'explication de ma réaction est toute simple: je connaissais une des victimes de Zucco, une dont on n'a jamais su exactement ce qu'elle était devenue.
France Vu-Dinh était une amie d'amis annéciens à moi. C'était une très belle jeune femme d'une trentaine d'années avec qui j'avais passé une soirée autour d'un repas quelques mois avant son assassinat. Peut-être bien le repas de la Saint-Sylvestre, d'ailleurs. Elle disparut de sa maison près d'Annecy en 1987. Zucco dira au moment de son arrestation qu'il avait vécu plusieurs semaines avec elle et qu'il l'avait tuée parce qu'elle avait tenté de s'échapper. Il se serait débarrasser de son cadavre en le jetant dans la Méditerranée, près de Nice. A ce jour, on ne l'a toujours pas retrouvé.
Ainsi donc, même si je n'étais pas un intime de cette jeune femme, j'avais été choqué par ces révélations et tout autant ensuite par leur mise en scène. Je n'irai jamais voir cette pièce. La réaction est peut-être stupide mais c'est une forme de respect par rapport à France. De Koltès, je préfère retenir le sublime Combat de nègres et de chiens, vu à Lyon il y a de nombreuses années, dans la mise en scène de Patrice Chéreau.
dimanche 16 mai 2010
Momentini
- Un samedi passé à la limite entre la Bresse et le Jura. Un temps de chien, pluie et froid, et de très bons moments, au marché de Saint-Amour, à la fromagerie de Coligny, dans cette maison de Colette où j'ai retrouvé tant de choses de celle de Bons: l'odeur des murs, l'étable avec sa pente et sa rigole centrale, la mangeoire pour le bétail. J'y ai gratté la mousse sur le mur du jardin pendant que Frédéric et Jean-Claude s'occupaient du barbecue à l'abri de l'avant-toit. Chez une voisine, ancienne paysanne bavarde et dessalée, j'ai goutté à sa spécialité: une sorte de chouquette beaucoup plus grosse et parfumée au Comté que, dans le pays (et ailleurs aussi, apparemment), on appelle une "gougère".
- Le Masque et la Plume, ce soir. Jérôme Garcin fait à un moment allusion au Château de Grignan, dans la Drôme, et évoque des soirées d'été devant le château, après avoir dégusté une bonne bouillabaisse! Vu de Paris, tout ce qui se trouve au sud de la Loire doit forcément baigner dans la Méditerranée!
- Questions pour un Champion, ce soir. Une candidate évoque un de ses voyages en Égypte, à une vingtaine de kilomètres du Caire, au bord du canal de Suez! Je croyais que la mémoire avait tendance à amplifier les choses. Pour cette femme, elle les amoindrit. Au moins pour les distances, non?
- " Moi, je n'aime pas les gens qui s'initient dans la vie des autres." Entendu dans la bouche d'un ami, à qui je pardonne bien volontiers parce que, si le vocabulaire n'est pas bon, la pensée, elle, l'est, et l'homme aussi. En illustration, une petite affichette devant la porte d'un fleuriste de Saint-Amour. Là, je pardonne moins facilement.
- Dans la rue de ma mère, certains s'en sont donnés à cœur joie la nuit dernière: glaces de voitures brisées, rétroviseurs arrachés, réceptacles à bouteilles de verre renversés. Ailleurs, c'est le mur du cimetière qui a été tagué. C'est sans doute cela qu'un "intello" au petit pied, entendu à la radio avant-hier, désignait en préconisant de faire de la ville un espace de liberté, un terrain d'expressivité à reconquérir. Moi, cette liberté-là, cette forme d'expression, je les vomis.
- Demain, je retrouve mes élèves, pas vus depuis une dizaine de jours. Je ne suis pas sûr de bondir de joie.
- Le Masque et la Plume, ce soir. Jérôme Garcin fait à un moment allusion au Château de Grignan, dans la Drôme, et évoque des soirées d'été devant le château, après avoir dégusté une bonne bouillabaisse! Vu de Paris, tout ce qui se trouve au sud de la Loire doit forcément baigner dans la Méditerranée!
- Questions pour un Champion, ce soir. Une candidate évoque un de ses voyages en Égypte, à une vingtaine de kilomètres du Caire, au bord du canal de Suez! Je croyais que la mémoire avait tendance à amplifier les choses. Pour cette femme, elle les amoindrit. Au moins pour les distances, non?
- " Moi, je n'aime pas les gens qui s'initient dans la vie des autres." Entendu dans la bouche d'un ami, à qui je pardonne bien volontiers parce que, si le vocabulaire n'est pas bon, la pensée, elle, l'est, et l'homme aussi. En illustration, une petite affichette devant la porte d'un fleuriste de Saint-Amour. Là, je pardonne moins facilement.
- Dans la rue de ma mère, certains s'en sont donnés à cœur joie la nuit dernière: glaces de voitures brisées, rétroviseurs arrachés, réceptacles à bouteilles de verre renversés. Ailleurs, c'est le mur du cimetière qui a été tagué. C'est sans doute cela qu'un "intello" au petit pied, entendu à la radio avant-hier, désignait en préconisant de faire de la ville un espace de liberté, un terrain d'expressivité à reconquérir. Moi, cette liberté-là, cette forme d'expression, je les vomis.
- Demain, je retrouve mes élèves, pas vus depuis une dizaine de jours. Je ne suis pas sûr de bondir de joie.
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Petite expérience de ce soir. Je trouve dans ma boîte mail un message de Copains d'avant me rappelant qu'aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Joëlle, une ancienne collègue et amie de longue date.
Je commence par effacer parce que ces rappels à l'ordre de Copains d'Avant finissent par m'exaspérer. Puis je me dis: "Non, tu ne peux pas ne pas envoyer un petit mot à Joëlle, que tu aimes tant". Alors, je rejoins le site, j'écris mon message: "Bon anniversaire à toi, ma Jojo. De grosses bises à Philippe et à toute la famille." Original comme tout, mon message. Message que l'on refuse d'envoyer tant que je n'en aurais pas préciser le titre. Pourquoi? En quoi suis-je obligé de donner un titre à ce que j'envoie? C'est comme ça! Pas de titre, pas de message. Alors, j'obtempère et choisis quelque chose d'encore plus original: Anniversaire.
Le message part enfin. Je saurai quelques minutes plus tard qu'il a été lu et, coup de chance pour mon amour-propre, que l'on y a répondu. Je n'aime pas ces instruments d'inquisition sous-jacente que sont les accusés de réception, sur mail ou sur SMS. La réponse s'intitule: Re-anniversaire. Ça, je m'y attendais un peu. Contenu du message: " Merci, mon Callystounet (transcription), et de grosses bises de toute la famille." Gentil, complet. Rien à redire. Tout aussi gentil et complet que mon propre message. Sauf que, sauf que. Rien n'est satisfaisant.
Voilà une femme que j'aime, qui me fait rire, que je ne vois que très rarement. C'est son anniversaire aujourd'hui, bonne occasion pour reprendre contact, un contact dont je sais qu'il lui aurait fait plaisir. Il me suffisait de prendre mon téléphone et de composer le numéro. Mais voilà, je ne l'ai pas fait, je le fais de moins en moins. Après la lettre manuscrite, c'est le coup de fil qui disparaît. Après la trace manuscrite du caractère, de l'humeur de l'autre dont on reconnaissait, à travers l'écriture, l'état d'âme du moment, c'est la voix que l'on n'entend plus, pas d'échos, pas de modulations, pas de silences, pas de rires.
Les rires sont retranscrits pas MDR ou plus souvent LOL, que j'exècre. Les signes apparaissent sur un écran, anonymes, sans résonance, fragiles, qu'un simple clic peut faire disparaître. Et la phrase travaillée, ou simplement touchante, devient un message stéréotypé que n'importe qui aurait pu envoyer à n'importe qui. Je m'en veux d'être moi aussi tombé dans ce système où, comme dans la fable de Phèdre (un latin, celui-là), un renard, derrière le masque ("persona"), ne trouverait pas de visage.
Je commence par effacer parce que ces rappels à l'ordre de Copains d'Avant finissent par m'exaspérer. Puis je me dis: "Non, tu ne peux pas ne pas envoyer un petit mot à Joëlle, que tu aimes tant". Alors, je rejoins le site, j'écris mon message: "Bon anniversaire à toi, ma Jojo. De grosses bises à Philippe et à toute la famille." Original comme tout, mon message. Message que l'on refuse d'envoyer tant que je n'en aurais pas préciser le titre. Pourquoi? En quoi suis-je obligé de donner un titre à ce que j'envoie? C'est comme ça! Pas de titre, pas de message. Alors, j'obtempère et choisis quelque chose d'encore plus original: Anniversaire.
Le message part enfin. Je saurai quelques minutes plus tard qu'il a été lu et, coup de chance pour mon amour-propre, que l'on y a répondu. Je n'aime pas ces instruments d'inquisition sous-jacente que sont les accusés de réception, sur mail ou sur SMS. La réponse s'intitule: Re-anniversaire. Ça, je m'y attendais un peu. Contenu du message: " Merci, mon Callystounet (transcription), et de grosses bises de toute la famille." Gentil, complet. Rien à redire. Tout aussi gentil et complet que mon propre message. Sauf que, sauf que. Rien n'est satisfaisant.
Voilà une femme que j'aime, qui me fait rire, que je ne vois que très rarement. C'est son anniversaire aujourd'hui, bonne occasion pour reprendre contact, un contact dont je sais qu'il lui aurait fait plaisir. Il me suffisait de prendre mon téléphone et de composer le numéro. Mais voilà, je ne l'ai pas fait, je le fais de moins en moins. Après la lettre manuscrite, c'est le coup de fil qui disparaît. Après la trace manuscrite du caractère, de l'humeur de l'autre dont on reconnaissait, à travers l'écriture, l'état d'âme du moment, c'est la voix que l'on n'entend plus, pas d'échos, pas de modulations, pas de silences, pas de rires.
Les rires sont retranscrits pas MDR ou plus souvent LOL, que j'exècre. Les signes apparaissent sur un écran, anonymes, sans résonance, fragiles, qu'un simple clic peut faire disparaître. Et la phrase travaillée, ou simplement touchante, devient un message stéréotypé que n'importe qui aurait pu envoyer à n'importe qui. Je m'en veux d'être moi aussi tombé dans ce système où, comme dans la fable de Phèdre (un latin, celui-là), un renard, derrière le masque ("persona"), ne trouverait pas de visage.
vendredi 14 mai 2010
Petit lexique à l'usage de tous (sauf de mes élèves) (8)
Un dernier petit tour chez Noé avant de refermer définitivement la porte de l'Arche.
OIE: on dit de quelqu'un qu'il est bête comme une oie quand cette personne n'a pas inventé l'eau tiède. La blancheur ne va pas pas non plus à ce palmipède à qui, alors, il reste tout à découvrir, le loup en priorité. Pourtant, pourtant, il est un lieu au monde, il fut devrais-je dire, où ces animaux furent honorés et même vénérés: au Capitole, à Rome, dont elles empêchèrent la prise par les Gaulois en réveillant les habitants endormis par leur cris effrayés alors que nos ancêtres avaient presque investi la place. La face du monde en aurait-elle été changée si ces volatiles étaient restés silencieux?
OURS: un homme (eh oui! ça arrive) mal éduqué, peu sociable, qui préfère la solitude et grogne quand on tente de l'approcher. A moins qu'il ne cède aux avances d'une Poupée. Mais tout le monde n'est pas Cassel et encore moins Bardot! Il est aussi d'autres ours, des bears massifs, à la toison chaleureuse qui, loin d'être aussi sauvages qu'ils tentent parfois de le paraître, peuvent vous réchauffer dans leur tanière!
POULE: peu de mots ont une polysémie aussi développée que celui-ci, allant du franchement tendre au plus insultant. "Ma poule, ma poulette": avec le possessif, que voici un mot agréable, doux sans doute à l'oreille de celle à qui il est adressé. Si certaines se couchent fort tôt, d'autres au contraire hantent les lieux où elles sont susceptibles de harponner le vieux qui les entretiendra. Il y a aussi la poule mouillée mais je lui préfère celle aux œufs d'or qu'il faut se garder d'égorger. Cet animal réputé stupide, je l'associe pourtant, avec les lapins, au souvenir de l'une de mes plus belles lectures: le rêve de George et de Lennie dans le roman de Steinbeck, Des Souris et des Hommes.
J'aurais aussi pu parler de la pie, du pigeon, du macaque, de la sauterelle, de la vipère, du vautour et de bien d'autres encore. Il en est tant, de ces noms de bêtes que l'on applique à l'autre quand on veut le séduire et le moquer. Mais pourquoi, justement, presque toujours des noms de bêtes? Volonté d'abaisser, ou de posséder même dans la tendresse? Nostalgie d'une enfance douillette passée dans les peluches? Il serait intéressant de savoir ce qu'en pensent les bêtes elles-mêmes. A certaines, on le prétend, il ne manque que la parole! Mais c'est déjà beaucoup trop.
OIE: on dit de quelqu'un qu'il est bête comme une oie quand cette personne n'a pas inventé l'eau tiède. La blancheur ne va pas pas non plus à ce palmipède à qui, alors, il reste tout à découvrir, le loup en priorité. Pourtant, pourtant, il est un lieu au monde, il fut devrais-je dire, où ces animaux furent honorés et même vénérés: au Capitole, à Rome, dont elles empêchèrent la prise par les Gaulois en réveillant les habitants endormis par leur cris effrayés alors que nos ancêtres avaient presque investi la place. La face du monde en aurait-elle été changée si ces volatiles étaient restés silencieux?
OURS: un homme (eh oui! ça arrive) mal éduqué, peu sociable, qui préfère la solitude et grogne quand on tente de l'approcher. A moins qu'il ne cède aux avances d'une Poupée. Mais tout le monde n'est pas Cassel et encore moins Bardot! Il est aussi d'autres ours, des bears massifs, à la toison chaleureuse qui, loin d'être aussi sauvages qu'ils tentent parfois de le paraître, peuvent vous réchauffer dans leur tanière!
POULE: peu de mots ont une polysémie aussi développée que celui-ci, allant du franchement tendre au plus insultant. "Ma poule, ma poulette": avec le possessif, que voici un mot agréable, doux sans doute à l'oreille de celle à qui il est adressé. Si certaines se couchent fort tôt, d'autres au contraire hantent les lieux où elles sont susceptibles de harponner le vieux qui les entretiendra. Il y a aussi la poule mouillée mais je lui préfère celle aux œufs d'or qu'il faut se garder d'égorger. Cet animal réputé stupide, je l'associe pourtant, avec les lapins, au souvenir de l'une de mes plus belles lectures: le rêve de George et de Lennie dans le roman de Steinbeck, Des Souris et des Hommes.
J'aurais aussi pu parler de la pie, du pigeon, du macaque, de la sauterelle, de la vipère, du vautour et de bien d'autres encore. Il en est tant, de ces noms de bêtes que l'on applique à l'autre quand on veut le séduire et le moquer. Mais pourquoi, justement, presque toujours des noms de bêtes? Volonté d'abaisser, ou de posséder même dans la tendresse? Nostalgie d'une enfance douillette passée dans les peluches? Il serait intéressant de savoir ce qu'en pensent les bêtes elles-mêmes. A certaines, on le prétend, il ne manque que la parole! Mais c'est déjà beaucoup trop.
jeudi 13 mai 2010
Une petite musique d'ennuis
La soirée se termine. On va annoncer le nom de celui qui "ne poursuivra pas l'aventure", celui qui jamais ne sera La Nouvelle Étoile. Les candidats se pressent sur le plateau surilluminé, se tenant par la main comme des collégiens qu'ils ne sont pas loin d'être pour certains.
Maître Dutruc apporte l'enveloppe cachetée d'où sortira la décision prise par les spectateurs qui se sont donné la peine de téléphoner pour voter (j'aimerais bien connaître leur âge, à ceux-là aussi!). L'animatrice s'en saisit comme si elle venait de prendre en main le Saint Graal ou quelque chose d'approchant. Elle regarde droit dans les yeux la caméra en face d'elle pendant que commence la musique lancinante qui ne cessera qu'à la révélation finale.
En général, c'est là que se glisse un petit accroc dans la mise en scène parfaite de cette tragédie moderne: l'enveloppe refuse de s'ouvrir gentiment comme elle est censée le faire. Quelqu'un, Maître Dutruc, lui vient obligeamment en aide, ou bien, s'il est déjà reparti chez lui (et on peut le comprendre), elle est obligée de lâcher un instant son micro pour se servir de ses deux mains. La musique continue, imperturbablement.
Un à un, les candidats repêchés, ceux qui seront encore là la semaine suivante, s'effondrent à l'annonce de leur nom: l'émotion est trop intense, sans doute. Les autres soutiennent l'heureux élu, l'entourent, l'embrassent, le félicitent. On est entre amis, entre frères, du moins pour l'instant. Quand il n'en reste plus que trois à attendre le verdict, les visages se tendent, les mains se tordent, les jambes s'agitent. Deux, et la musique est toujours là. On a même l'impression qu'on en a augmenté le volume, pour bien faire sentir l'extrême gravité du moment: qui des deux derniers sera sauvé, qui sera éliminé: sera-ce Berthe-Éva, d'habitude si bonne mais qui, elle le dit elle-même, a réalisé une contre-performance ce soir en chantant une chanson de Jacques Brel, ce qui, visiblement n'est pas son répertoire? Sera-ce Jean-Ludovic, qui, à chaque émission, fait se pâmer les filles du public de Talbart et sans doute les minettes devant leur téléviseur, lui à qui l'on ne demande pas vraiment de chanter, puisque visiblement il n'en est pas capable, mais simplement d'apparaître dans ses jeans tombants, ses chemisettes trop courtes qui laissent entrevoir son nombril et son ventre plat chaque fois qu'il lève les bras (et il ne s'en prive pas!) et ses joues mal rasées au sombre duvet?
Insoutenable, vous dis-je! La musique? Toujours là bien sûr, omniprésente, fortissimo puisque plus personne ne parle, ni les candidats bien sûr ni la présentatrice trop heureuse de faire durer le suspens en prenant en outre des airs de Phèdre venant avouer sa passion coupable à Thésée. Enfin là, c'est moi qui imagine, parce que Phèdre, je ne suis pas sûr que la présentatrice la connaisse. Phèdre du Liban, peut-être?
Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la suite: vous la trouverez dans n'importe quel magazine de télévision dans les prochains jours ( même Télérama?). Mais tout de même: un dernier mot. Cette musique qui, pendant près de dix minutes, vous casse les oreilles ou vous fait battre plus vite le cœur, c'est selon, ce martèlement de sons quasi primitifs qui me rappelle un peu les rythmes d'un tamtam, on ne la trouve pas que dans ce genre d'émissions grand public de fin de semaine.
Ce matin, en me réveillant tard (oui, hier soir, c'était l'anniversaire d'une de mes amies), je l'ai entendue, presque identique, en fond sonore moins audible mais tout aussi obsédant (je l'ai davantage remarquée aujourd'hui parce que j'avais un peu mal à la tête) aux informations de dix heures de France Inter. Là aussi, on racole, on dramatise, on excite les nerfs des auditeurs pour sembler plus sérieux, plus profonds, plus professionnels. Et c'est la même chose sur toutes les radios: musique et timbre de voix, intonations et flexions, modulations et rythme, sont devenus plus importants que les nouvelles annoncées proprement dites. On se moque de ce que l'on dit pourvu qu'on le dise bien. C'est à se tordre quand le journaliste de service, emporté par son élan, oublie de changer de ton et nous annonce une catastrophe aérienne très meurtrière de la même façon qu'il vient de présenter la victoire d'une équipe de football française sur ces enfoirés (transcription de l'auteur) d'étrangers!
Allez, roulez, tambours!
Maître Dutruc apporte l'enveloppe cachetée d'où sortira la décision prise par les spectateurs qui se sont donné la peine de téléphoner pour voter (j'aimerais bien connaître leur âge, à ceux-là aussi!). L'animatrice s'en saisit comme si elle venait de prendre en main le Saint Graal ou quelque chose d'approchant. Elle regarde droit dans les yeux la caméra en face d'elle pendant que commence la musique lancinante qui ne cessera qu'à la révélation finale.
En général, c'est là que se glisse un petit accroc dans la mise en scène parfaite de cette tragédie moderne: l'enveloppe refuse de s'ouvrir gentiment comme elle est censée le faire. Quelqu'un, Maître Dutruc, lui vient obligeamment en aide, ou bien, s'il est déjà reparti chez lui (et on peut le comprendre), elle est obligée de lâcher un instant son micro pour se servir de ses deux mains. La musique continue, imperturbablement.
Un à un, les candidats repêchés, ceux qui seront encore là la semaine suivante, s'effondrent à l'annonce de leur nom: l'émotion est trop intense, sans doute. Les autres soutiennent l'heureux élu, l'entourent, l'embrassent, le félicitent. On est entre amis, entre frères, du moins pour l'instant. Quand il n'en reste plus que trois à attendre le verdict, les visages se tendent, les mains se tordent, les jambes s'agitent. Deux, et la musique est toujours là. On a même l'impression qu'on en a augmenté le volume, pour bien faire sentir l'extrême gravité du moment: qui des deux derniers sera sauvé, qui sera éliminé: sera-ce Berthe-Éva, d'habitude si bonne mais qui, elle le dit elle-même, a réalisé une contre-performance ce soir en chantant une chanson de Jacques Brel, ce qui, visiblement n'est pas son répertoire? Sera-ce Jean-Ludovic, qui, à chaque émission, fait se pâmer les filles du public de Talbart et sans doute les minettes devant leur téléviseur, lui à qui l'on ne demande pas vraiment de chanter, puisque visiblement il n'en est pas capable, mais simplement d'apparaître dans ses jeans tombants, ses chemisettes trop courtes qui laissent entrevoir son nombril et son ventre plat chaque fois qu'il lève les bras (et il ne s'en prive pas!) et ses joues mal rasées au sombre duvet?
Insoutenable, vous dis-je! La musique? Toujours là bien sûr, omniprésente, fortissimo puisque plus personne ne parle, ni les candidats bien sûr ni la présentatrice trop heureuse de faire durer le suspens en prenant en outre des airs de Phèdre venant avouer sa passion coupable à Thésée. Enfin là, c'est moi qui imagine, parce que Phèdre, je ne suis pas sûr que la présentatrice la connaisse. Phèdre du Liban, peut-être?
Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la suite: vous la trouverez dans n'importe quel magazine de télévision dans les prochains jours ( même Télérama?). Mais tout de même: un dernier mot. Cette musique qui, pendant près de dix minutes, vous casse les oreilles ou vous fait battre plus vite le cœur, c'est selon, ce martèlement de sons quasi primitifs qui me rappelle un peu les rythmes d'un tamtam, on ne la trouve pas que dans ce genre d'émissions grand public de fin de semaine.
Ce matin, en me réveillant tard (oui, hier soir, c'était l'anniversaire d'une de mes amies), je l'ai entendue, presque identique, en fond sonore moins audible mais tout aussi obsédant (je l'ai davantage remarquée aujourd'hui parce que j'avais un peu mal à la tête) aux informations de dix heures de France Inter. Là aussi, on racole, on dramatise, on excite les nerfs des auditeurs pour sembler plus sérieux, plus profonds, plus professionnels. Et c'est la même chose sur toutes les radios: musique et timbre de voix, intonations et flexions, modulations et rythme, sont devenus plus importants que les nouvelles annoncées proprement dites. On se moque de ce que l'on dit pourvu qu'on le dise bien. C'est à se tordre quand le journaliste de service, emporté par son élan, oublie de changer de ton et nous annonce une catastrophe aérienne très meurtrière de la même façon qu'il vient de présenter la victoire d'une équipe de football française sur ces enfoirés (transcription de l'auteur) d'étrangers!
Allez, roulez, tambours!
mercredi 12 mai 2010
Chaos participatif
Fini! Copies et harmonisation! Comment mieux commencer ce long pont de l'Ascension qu'en allant tout près de chez soi, sans risque donc de trop se mouiller, visiter une petite exposition d'un petit musée. Préciser que pour moi, ici, petit et petite n'ont pas le même sens.
Petit, le musée, oui, par la taille: le musée des Moulages, dont j'ai déjà parlé plus d'une fois, a investi les locaux d'une ancienne usine à toiture à l'ancienne, en dents de scie, mi vitrée, mi couverte, et présente des copies à l'identique de chefs-d'œuvre de la statuaire antique ou médiévale, ce dans une grande salle unique si l'on ne considère pas l'adjonction minuscule du sous-sol. Ce peu d'espace ne l'a pas empêché plusieurs fois d'organiser des expositions honorables, voire magnifiques.
Ce n'est pas le cas de celle actuellement en place, d'où l'adjectif choisi. Yves Henri et des étudiants de l'Université Lumière Lyon 2 "construisent un projet se développant autour de la thématique du chaos. Dans une approche de création partagée, chacun apporte une vision personnelle de cette notion" (je cite le prospectus remis à l'entrée). Chaos? Il me semble en effet! Thématique et vision personnelle? Je n'en ai guère trouvé durant le temps passé à déambuler entre les statues de plâtre ( j'avais d'abord tapé "de pâtre"! Où va se nicher la libido!) regroupées, entassées même et cernées par ce qui se veut être un cheminement labyrinthique concrétisé par des lattes de bois peintes en noir et disposées à l'avenant.
Une classe de primaire (cinq ans? six ans?) accompagnée d'adultes passait une partie de l'après-midi à découvrir sous forme ludique les dieux et déesses de l'Antiquité. Je les ai trouvés très joyeux et participatifs mais je ne serais pas étonné d'ici quelques années d'en retrouver un en sixième me disant que la première fois qu'il a croisé Jupiter, le roi des dieux était habillé de plastique et tenait à la main une épée de bois sombre! O tempora! o mores!
Yves Henri, Exposition-Création partagée. Tisserdétisserretisser le voile de la mariée mise à nu par ses amants, Musée des moulages, jusqu'au 15 mai 2010. Ouvert pour la nuit des musées.
Petit, le musée, oui, par la taille: le musée des Moulages, dont j'ai déjà parlé plus d'une fois, a investi les locaux d'une ancienne usine à toiture à l'ancienne, en dents de scie, mi vitrée, mi couverte, et présente des copies à l'identique de chefs-d'œuvre de la statuaire antique ou médiévale, ce dans une grande salle unique si l'on ne considère pas l'adjonction minuscule du sous-sol. Ce peu d'espace ne l'a pas empêché plusieurs fois d'organiser des expositions honorables, voire magnifiques.
Ce n'est pas le cas de celle actuellement en place, d'où l'adjectif choisi. Yves Henri et des étudiants de l'Université Lumière Lyon 2 "construisent un projet se développant autour de la thématique du chaos. Dans une approche de création partagée, chacun apporte une vision personnelle de cette notion" (je cite le prospectus remis à l'entrée). Chaos? Il me semble en effet! Thématique et vision personnelle? Je n'en ai guère trouvé durant le temps passé à déambuler entre les statues de plâtre ( j'avais d'abord tapé "de pâtre"! Où va se nicher la libido!) regroupées, entassées même et cernées par ce qui se veut être un cheminement labyrinthique concrétisé par des lattes de bois peintes en noir et disposées à l'avenant.
Une classe de primaire (cinq ans? six ans?) accompagnée d'adultes passait une partie de l'après-midi à découvrir sous forme ludique les dieux et déesses de l'Antiquité. Je les ai trouvés très joyeux et participatifs mais je ne serais pas étonné d'ici quelques années d'en retrouver un en sixième me disant que la première fois qu'il a croisé Jupiter, le roi des dieux était habillé de plastique et tenait à la main une épée de bois sombre! O tempora! o mores!
Yves Henri, Exposition-Création partagée. Tisserdétisserretisser le voile de la mariée mise à nu par ses amants, Musée des moulages, jusqu'au 15 mai 2010. Ouvert pour la nuit des musées.
mardi 11 mai 2010
Synonymes
Après le billet musical, celui consacré à la littérature, mais un peu plus bas placé comme l'on ne tardera pas à le deviner, franchement même au-dessous de la ceinture. Le prétexte en est culturel, bien sûr. Dans le roman de Jean-Marie Blas de Roblès, Là où les Tigres sont chez eux (Ed. Zulma), le jésuite Kircher, le soir de l'inauguration par Alexandre VII de la fontaine des Quatre Fleuves sur le Foro Agonale romain, retrace pour les invités du Bernin, les mésaventures du couple Isis-Osiris. Rappelons qu'Osiris, dans la mythologie égyptienne, avait été assassiné et découpé en morceaux dont chacun avait été jeté dans le Nil. Voici la fin de l'exposé du soldat de Jésus:
La pauvre Isis, désespérée mais toujours amoureuse, se mit à la recherche des morceaux de son époux. A force de ténacité, elle parvint à les retrouver presque tous, car les poissons du Nil, respectueux, les avaient épargnés. Il n'en manquait, à vrai dire, qu'un seul; une pièce de choix devant laquelle le poisson oxyrynque avait cédé à la gourmandise...et ce morceau (...), celui-là même qu'en vraie femme Isis préférait, c'était son mistigouri, son oiseau, son outil, sa mentule, son patrimoine, sa pastanade, son poinçon, sa quenouille, sa seringue, son bringuant, son totoquini, son grimaudin, sa caillette, son dard, son vit, sa pine, son bidet, sa broquette et pour tout dire, son berlingot! Oui, mes belles, son berlingot!
Belle litanie de synonymes dont certains totalement inconnus de moi. J'ai vérifié: le poisson oxyrynque est mentionné dans l'Encyclopédie de Denis Diderot sans, bien sûr, qu'on y expose sa gloutonnerie coupable. Mais là n'est pas l'essentiel. Pour ma part, je vais essayer de replacer de temps en temps dans la conversation un petit totoquini bigrement transalpin ou le mistigouri au nom tendrement enfantin. A signaler qu'il existe (épuisé) aux Editions Borderie, 1979) un Petit Lexique du Langage Erotique aux XVII° et XVIII° siècles, de Marie-France Le Pennec.
Pour la fin de l'histoire de cette pauvre Isis, la voici telle que racontée par ce coquin de Kircher:
Mais c'était compter sans une ténacité, ma foi, bien compréhensible, car la reine, aidée de sa soeur et d'Anubis, reconstitua le membre de son époux avec du limon et de la salive, le lui colla en bonne place, et grâce au ciel et à diverses pratiques lui redonna la vie. Et comme, à ce qu'il semble, ce nouvel engin fonctionnait mieux que le précédent, Isis se trouva bien vite engrossée.
Tout est bien qui finit vit!
La pauvre Isis, désespérée mais toujours amoureuse, se mit à la recherche des morceaux de son époux. A force de ténacité, elle parvint à les retrouver presque tous, car les poissons du Nil, respectueux, les avaient épargnés. Il n'en manquait, à vrai dire, qu'un seul; une pièce de choix devant laquelle le poisson oxyrynque avait cédé à la gourmandise...et ce morceau (...), celui-là même qu'en vraie femme Isis préférait, c'était son mistigouri, son oiseau, son outil, sa mentule, son patrimoine, sa pastanade, son poinçon, sa quenouille, sa seringue, son bringuant, son totoquini, son grimaudin, sa caillette, son dard, son vit, sa pine, son bidet, sa broquette et pour tout dire, son berlingot! Oui, mes belles, son berlingot!
Belle litanie de synonymes dont certains totalement inconnus de moi. J'ai vérifié: le poisson oxyrynque est mentionné dans l'Encyclopédie de Denis Diderot sans, bien sûr, qu'on y expose sa gloutonnerie coupable. Mais là n'est pas l'essentiel. Pour ma part, je vais essayer de replacer de temps en temps dans la conversation un petit totoquini bigrement transalpin ou le mistigouri au nom tendrement enfantin. A signaler qu'il existe (épuisé) aux Editions Borderie, 1979) un Petit Lexique du Langage Erotique aux XVII° et XVIII° siècles, de Marie-France Le Pennec.
Pour la fin de l'histoire de cette pauvre Isis, la voici telle que racontée par ce coquin de Kircher:
Mais c'était compter sans une ténacité, ma foi, bien compréhensible, car la reine, aidée de sa soeur et d'Anubis, reconstitua le membre de son époux avec du limon et de la salive, le lui colla en bonne place, et grâce au ciel et à diverses pratiques lui redonna la vie. Et comme, à ce qu'il semble, ce nouvel engin fonctionnait mieux que le précédent, Isis se trouva bien vite engrossée.
Tout est bien qui finit vit!
lundi 10 mai 2010
Domenico
J'écoute les Sonates de Domenico Scarlatti enregistrées au début des années 50 par Marcelle Meyer au piano(EMI Classics). Quelle virtuosité! Je parle aussi bien de l'interprète que de la musique. Si certaines sentent encore un peu l'ancien, d'autres me sidèrent pas leur romantisme (Sonate en Si mineur, Kk.27) ou leur modernité ( Sonate en Mi majeur, Kk.380). Je ne les ai jamais entendues comme ce soir.
Troisième jour de correction
"Ils" avaient laissé le chauffage et "ils" avaient bien fait, car le matin, c'est encore un peu juste. Quelques rayons de soleil aujourd'hui, pas de quoi s'éterniser devant la vue. Pas de photos.
Le travail avance. Les humeurs s'égalisent: ceux qui parlaient haut et fort au début, pour qui rien ne posait problème parce qu'ils avaient réponse à tout, se sont fatigués et travaillent maintenant en silence. Il n'y a plus que les enseignants de français à terminer leurs paquets de copies, les autres (bio, math, histoire) ont déjà terminé, bien avant nous comme d'habitude.
Les discussions sur la répartition des points tournent parfois au n'importe quoi. Cela m'a rappelé une assemblée générale, ou une conversation dans la salle des professeurs: tout le monde parle en même temps, plus fort que le voisin si possible, personne ne s'écoute, si l'on voit l'attention de son interlocuteur faiblir, on se tourne vers un autre pour finir sa phrase. Comme il n'écoute pas non plus, ça n'est pas très gênant. Au bout d'un quart d'heure/vingt minutes de bazar, on finit par trouver, réflexion ou lassitude, que la première proposition énoncée n'était après tout pas si mauvaise et le silence revient, bientôt interrompu par le distrait de service qui demande ingénument: " Bon, alors, qu'est-ce qu'on décide?"
Ma binôme travaille au même rythme que moi, c'est-à-dire lentement. Lorsque nous ne sommes pas d'accord sur la double correction, nous reprenons l'exercice et relisons, pendant que d'autres partagent simplement la poire en deux. Nous échangeons nos copies et ne les corrigeons pas simultanément.. Il me semble que c'est le minimum que l'on puisse faire pour tenter d'approcher une certaine objectivité. Quelques-uns me paraissent pas s'en soucier beaucoup.
Mercredi matin, ce sera l'harmonisation définitive. On parle cette année 2010 d'une autre cession en septembre. Sans moi, merci!
En rentrant, une belle enveloppe carrée dans la boîte aux lettres. Il est né. Il s'appelle Paul-Émile. Le fils d'un couple de jeunes amis. En voilà un que je n'aurai pas en classe! Oui, en principe, Monsieur le Président....
Le travail avance. Les humeurs s'égalisent: ceux qui parlaient haut et fort au début, pour qui rien ne posait problème parce qu'ils avaient réponse à tout, se sont fatigués et travaillent maintenant en silence. Il n'y a plus que les enseignants de français à terminer leurs paquets de copies, les autres (bio, math, histoire) ont déjà terminé, bien avant nous comme d'habitude.
Les discussions sur la répartition des points tournent parfois au n'importe quoi. Cela m'a rappelé une assemblée générale, ou une conversation dans la salle des professeurs: tout le monde parle en même temps, plus fort que le voisin si possible, personne ne s'écoute, si l'on voit l'attention de son interlocuteur faiblir, on se tourne vers un autre pour finir sa phrase. Comme il n'écoute pas non plus, ça n'est pas très gênant. Au bout d'un quart d'heure/vingt minutes de bazar, on finit par trouver, réflexion ou lassitude, que la première proposition énoncée n'était après tout pas si mauvaise et le silence revient, bientôt interrompu par le distrait de service qui demande ingénument: " Bon, alors, qu'est-ce qu'on décide?"
Ma binôme travaille au même rythme que moi, c'est-à-dire lentement. Lorsque nous ne sommes pas d'accord sur la double correction, nous reprenons l'exercice et relisons, pendant que d'autres partagent simplement la poire en deux. Nous échangeons nos copies et ne les corrigeons pas simultanément.. Il me semble que c'est le minimum que l'on puisse faire pour tenter d'approcher une certaine objectivité. Quelques-uns me paraissent pas s'en soucier beaucoup.
Mercredi matin, ce sera l'harmonisation définitive. On parle cette année 2010 d'une autre cession en septembre. Sans moi, merci!
En rentrant, une belle enveloppe carrée dans la boîte aux lettres. Il est né. Il s'appelle Paul-Émile. Le fils d'un couple de jeunes amis. En voilà un que je n'aurai pas en classe! Oui, en principe, Monsieur le Président....
dimanche 9 mai 2010
Villa triste
Caluire hier soir. Temps grisâtre, il pleut et il ne pleut pas, il fait froid et il ne fait pas froid. On se gare sur le parking d'un supermarché: pas de places ailleurs. La villa des années trente, en hauteur, aspect délabré du crépit, bout de jardin minable devant, avec implant d'un panneau publicitaire (est-ce que ça rapporte?). Je pense à Jean Moulin. Ils vont apparaître, c'est sûr, ceux qui ont trahi, derrière le maigre lilas ou sortant du garage dont la porte refaite est le seul élément neuf de toute la façade.
Il faut contourner, ce côté est réservé à l'entrée des colocataires occupant les deux étages. Le maître des lieux habite en bas. Derrière, le jardin est plus grand. Au milieu, une piscine, remplie d'eau verte et de feuilles. Reste des tortures d'autrefois? Un appentis où l'on a installé tant bien que mal (plutôt mal) un barbecue. Nous ne mangerons pas dehors, c'est trop incertain. Le vieux grigou nous accueille et tient à nous montrer l'étendue de son domaine et ses deux arbres à kiwis, l'un mâle l'autre femelle comme il ne manque pas de préciser (délicatesse?). Il porte un pull-over à bandes de couleurs, la seul chose qui aurait pu être gaie si les couleurs n'étaient passées depuis de nombreux lavages. De profil, il ressemble au Père Grandet. Habillons-le de noir et l'illusion sera parfaite. Les mains aussi, maigres et crochues, que j'observerai plus tard quand il nous infligera un concert que personne n'a réclamé.
Il sent, le bougre, que ça n'intéresse que lui, alors il fait durer et tous les poncifs y passent: Jeux Interdits, la sonate Clair de Lune, une valse de Chopin, un peu de Mozart, bien sûr. Il nous dit, faussement modeste, qu'il n'a fait que quelques heures de piano dans sa jeunesse et qu'il s'y est remis seulement à la retraite. Pas besoin de préciser, on l'avait remarqué. Sauf un flagorneur parmi nous qui, telle Madame Verdurin chez Proust, n'en finit pas d'applaudir la qualité de l'interprétation et la fluidité du phrasé! C'est grotesque.
Ne pas trop s'étendre sur le décor, surchargé et d'un goût même pas douteux. D'ailleurs peut-on encore parler de goût? Ne rien dire non plus sur le repas, nourriture et conversation, de notre hôte. Deux exemples simplement: le kir était fait avec du sirop, les grâtons étaient flasques. Cerise sur le gâteau, cette phrase inoubliable: "Les noirs, ça sent mauvais!". J'avais envie de fuir ou de hurler. J'ai réussi à faire semblant, à sourire de temps en temps. Je le sais: j'étais installé à table en face du miroir et je déteste ça.
Pas très gentil, mon billet, pour quelqu'un qui m'avait invité? Non, pas gentil. J'aurais pu manger avec un immense plaisir une simple boîte de sardines chez quelqu'un qui me l'offrait chaleureusement et dont je savais les moyens financiers limités. Mais un vieil Harpagon qui fait semblant, qui veut faire grand style (ah! les assiettes en carton doré que l'on met sous les autres!) et qui se prend pour Chopin à Nohant, moi, j'ai du mal. J'étais de mauvaise humeur? Oui, et alors, ça se voit tant que ça?
Heureusement, j'adore la femme dont il se sert de maîtresse!
Il faut contourner, ce côté est réservé à l'entrée des colocataires occupant les deux étages. Le maître des lieux habite en bas. Derrière, le jardin est plus grand. Au milieu, une piscine, remplie d'eau verte et de feuilles. Reste des tortures d'autrefois? Un appentis où l'on a installé tant bien que mal (plutôt mal) un barbecue. Nous ne mangerons pas dehors, c'est trop incertain. Le vieux grigou nous accueille et tient à nous montrer l'étendue de son domaine et ses deux arbres à kiwis, l'un mâle l'autre femelle comme il ne manque pas de préciser (délicatesse?). Il porte un pull-over à bandes de couleurs, la seul chose qui aurait pu être gaie si les couleurs n'étaient passées depuis de nombreux lavages. De profil, il ressemble au Père Grandet. Habillons-le de noir et l'illusion sera parfaite. Les mains aussi, maigres et crochues, que j'observerai plus tard quand il nous infligera un concert que personne n'a réclamé.
Il sent, le bougre, que ça n'intéresse que lui, alors il fait durer et tous les poncifs y passent: Jeux Interdits, la sonate Clair de Lune, une valse de Chopin, un peu de Mozart, bien sûr. Il nous dit, faussement modeste, qu'il n'a fait que quelques heures de piano dans sa jeunesse et qu'il s'y est remis seulement à la retraite. Pas besoin de préciser, on l'avait remarqué. Sauf un flagorneur parmi nous qui, telle Madame Verdurin chez Proust, n'en finit pas d'applaudir la qualité de l'interprétation et la fluidité du phrasé! C'est grotesque.
Ne pas trop s'étendre sur le décor, surchargé et d'un goût même pas douteux. D'ailleurs peut-on encore parler de goût? Ne rien dire non plus sur le repas, nourriture et conversation, de notre hôte. Deux exemples simplement: le kir était fait avec du sirop, les grâtons étaient flasques. Cerise sur le gâteau, cette phrase inoubliable: "Les noirs, ça sent mauvais!". J'avais envie de fuir ou de hurler. J'ai réussi à faire semblant, à sourire de temps en temps. Je le sais: j'étais installé à table en face du miroir et je déteste ça.
Pas très gentil, mon billet, pour quelqu'un qui m'avait invité? Non, pas gentil. J'aurais pu manger avec un immense plaisir une simple boîte de sardines chez quelqu'un qui me l'offrait chaleureusement et dont je savais les moyens financiers limités. Mais un vieil Harpagon qui fait semblant, qui veut faire grand style (ah! les assiettes en carton doré que l'on met sous les autres!) et qui se prend pour Chopin à Nohant, moi, j'ai du mal. J'étais de mauvaise humeur? Oui, et alors, ça se voit tant que ça?
Heureusement, j'adore la femme dont il se sert de maîtresse!
samedi 8 mai 2010
Le marronnier
J'aime bien apprendre des choses, et aujourd'hui, c'est le cas: j'ai appris quelque chose, grâce à une émission du début de l'après-midi sur France Inter, émission consacrée à la nature.
Je croyais que la marronnier avait toujours fait partie des paysages de nos campagnes occidentales et que peut-être même les enfants romains s'étaient amusés avec ces fruits à l'automne, soit pour se les lancer dessus, soit pour en faire des animaux ou de petits bonshommes à l'aide de quelques allumettes. Cet arbre fait tellement partie de nos villes et de nos campagnes que l'on n'y prête guère attention sauf à l'automne et au printemps, à l'époque où il fleurit. Eh bien, je me trompais du tout au tout!
Le premier marronnier de France, dont l'espèce vient d'Orient, a été introduit chez nous, à Paris en 1615: il a été planté dans le marais, à l'Hôtel de Soubise, par un certain Monsieur Bachelier. C'est un arbre très résistant puisqu'il en existe, paraît-il, un exemplaire de plus de 400 ans dans le Cantal.
Mais je n'étais pas au bout de mes découvertes. Chez le marronnier, le fruit n'est pas du tout ce que l'on pense: la partie sombre et dure dont les enfants s'amusent tant est en fait la graine. Le fruit, c'est ce que j'appelais jusqu'à aujourd'hui la coque, c'est à dire l'enveloppe vert pâle assez épaisse et hérissée de piquants. A noter que dans la châtaigne, ce n'est pas du tout la même chose: la partie extérieure qui pique, et qu'il faut, semble-t-il nommée cupule, est une enveloppe destinée à protéger le fruit qui se trouve à l'intérieur et constitue la partie comestible.
Lorsque le public occidental a découvert cet arbre et particulièrement ses fleurs en grappes dressées, ce qui n'est pas si fréquent, il en a été grandement surpris et cette floraison a donné lieu a de nombreuses discussions et nombreux écrits, d'où l'expression actuelle de "marronnier" pour désigner un sujet récurant, en principe toujours à la même époque de l'année, sous la plume des journalistes (comme par exemple, le soi-disant absentéisme des enseignants!).
Dernière précision enfin: un des pétales de la fleur du marronnier a une importante tache jaune destinée à attirer les abeilles (qui sont, paraît-il, très sensibles à cette couleur). Lorsque la pollinisation est faite, la tache jaune est remplacée par une autre, rouge celle-là (les abeilles ne voient pas le rouge) et bientôt la fleur se fane et se détache, formant les beaux parterres que l'on voit en ce moment sous les marronniers.
Je laisse à l'expert en la matière, Maître Cornus, le soin de rectifier des erreurs s'il y en a et le prie, si c'est le cas, de ne pas m'en vouloir car je transcris de mémoire ce soir. Mais voilà, en apprenant tout ça, j'ai l'impression de ne pas avoir totalement perdu mon temps.
Je croyais que la marronnier avait toujours fait partie des paysages de nos campagnes occidentales et que peut-être même les enfants romains s'étaient amusés avec ces fruits à l'automne, soit pour se les lancer dessus, soit pour en faire des animaux ou de petits bonshommes à l'aide de quelques allumettes. Cet arbre fait tellement partie de nos villes et de nos campagnes que l'on n'y prête guère attention sauf à l'automne et au printemps, à l'époque où il fleurit. Eh bien, je me trompais du tout au tout!
Le premier marronnier de France, dont l'espèce vient d'Orient, a été introduit chez nous, à Paris en 1615: il a été planté dans le marais, à l'Hôtel de Soubise, par un certain Monsieur Bachelier. C'est un arbre très résistant puisqu'il en existe, paraît-il, un exemplaire de plus de 400 ans dans le Cantal.
Mais je n'étais pas au bout de mes découvertes. Chez le marronnier, le fruit n'est pas du tout ce que l'on pense: la partie sombre et dure dont les enfants s'amusent tant est en fait la graine. Le fruit, c'est ce que j'appelais jusqu'à aujourd'hui la coque, c'est à dire l'enveloppe vert pâle assez épaisse et hérissée de piquants. A noter que dans la châtaigne, ce n'est pas du tout la même chose: la partie extérieure qui pique, et qu'il faut, semble-t-il nommée cupule, est une enveloppe destinée à protéger le fruit qui se trouve à l'intérieur et constitue la partie comestible.
Lorsque le public occidental a découvert cet arbre et particulièrement ses fleurs en grappes dressées, ce qui n'est pas si fréquent, il en a été grandement surpris et cette floraison a donné lieu a de nombreuses discussions et nombreux écrits, d'où l'expression actuelle de "marronnier" pour désigner un sujet récurant, en principe toujours à la même époque de l'année, sous la plume des journalistes (comme par exemple, le soi-disant absentéisme des enseignants!).
Dernière précision enfin: un des pétales de la fleur du marronnier a une importante tache jaune destinée à attirer les abeilles (qui sont, paraît-il, très sensibles à cette couleur). Lorsque la pollinisation est faite, la tache jaune est remplacée par une autre, rouge celle-là (les abeilles ne voient pas le rouge) et bientôt la fleur se fane et se détache, formant les beaux parterres que l'on voit en ce moment sous les marronniers.
Je laisse à l'expert en la matière, Maître Cornus, le soin de rectifier des erreurs s'il y en a et le prie, si c'est le cas, de ne pas m'en vouloir car je transcris de mémoire ce soir. Mais voilà, en apprenant tout ça, j'ai l'impression de ne pas avoir totalement perdu mon temps.
vendredi 7 mai 2010
Deuxième jour de correction
Nous avions le chauffage, et un peu de soleil, l'après-midi. Nous sommes, en français, installés dans le travail, au moins jusqu'à mercredi. Ceux de math ont déjà terminé.
Quel galimatias que ce vocabulaire employé par les linguistes et que les candidats régurgitent sagement, parfois sans le comprendre: segmentation de la chaîne écrite, procédure épellative, analyse phonographique experte, démarche logographique, procédure phonographique! Ça vous dit? Mon correcteur d'orthographe en est tout excité et souligne de rouge la moitié de ces mots! C'est la dedans que je suis condamné à nager pour quelques jours encore.
En Français, nous étions 21 à avoir été convoqués. 13 sont présents effectivement. Une fille que je connais est en congé maternité. Mais où sont passés les 7 autres à qui l'on devrait rappeler un peu plus fort que ces corrections font partie de leurs obligations de service. Il va falloir, comme d'habitude, se partager les copies restantes.
Un bel adulte de trente ans aujourd'hui, devant la machine à café. Un. Mais c'est vrai, j'ai autre chose à faire!
Deux binômes ont déjà terminé leur premier paquet et attaque le second. Comment peut-on sérieusement corriger aussi vite? Appât du gain, pourtant bien minime? Loterie institutionnalisée? Capacités hors norme de se concentrer? Envie de se débarrasser au plus vite. Ont-ils conscience que derrière ces copies anonymisées se cachent des êtres réels, dont certains ont beaucoup travaillé pour tenter de réussir à cet examen?
Si j'en croisais quelques-uns, je leur dirais qu'il faut être fous pour se lancer dans une pareille aventure. Sans même prendre en compte la part énorme de hasard dans l'attribution d'une note, même avec les barèmes les plus précis, le nombre ridicule de postes proposés in fine frise le mépris.
Quel galimatias que ce vocabulaire employé par les linguistes et que les candidats régurgitent sagement, parfois sans le comprendre: segmentation de la chaîne écrite, procédure épellative, analyse phonographique experte, démarche logographique, procédure phonographique! Ça vous dit? Mon correcteur d'orthographe en est tout excité et souligne de rouge la moitié de ces mots! C'est la dedans que je suis condamné à nager pour quelques jours encore.
En Français, nous étions 21 à avoir été convoqués. 13 sont présents effectivement. Une fille que je connais est en congé maternité. Mais où sont passés les 7 autres à qui l'on devrait rappeler un peu plus fort que ces corrections font partie de leurs obligations de service. Il va falloir, comme d'habitude, se partager les copies restantes.
Un bel adulte de trente ans aujourd'hui, devant la machine à café. Un. Mais c'est vrai, j'ai autre chose à faire!
Deux binômes ont déjà terminé leur premier paquet et attaque le second. Comment peut-on sérieusement corriger aussi vite? Appât du gain, pourtant bien minime? Loterie institutionnalisée? Capacités hors norme de se concentrer? Envie de se débarrasser au plus vite. Ont-ils conscience que derrière ces copies anonymisées se cachent des êtres réels, dont certains ont beaucoup travaillé pour tenter de réussir à cet examen?
Si j'en croisais quelques-uns, je leur dirais qu'il faut être fous pour se lancer dans une pareille aventure. Sans même prendre en compte la part énorme de hasard dans l'attribution d'une note, même avec les barèmes les plus précis, le nombre ridicule de postes proposés in fine frise le mépris.
jeudi 6 mai 2010
Premier jour de correction
Temps gris, pluvieux, locaux à une température glaciale. Ils finiront par accepter de les chauffer en fin d'après-midi. Pourquoi faut-il que l'on nous fasse corriger des sujets d'examens que, pour la plupart d'entre nous, nous ne réussirions pas? L'épreuve de cette année porte sur le niveau maternelle. C'est dire si je suis compétant! Mon binôme de l'an dernier, la douce Hélène, est en congé maternité. Cette année, elle s'appelle Carole, est tout aussi douce et a une voix modulée et plutôt grave. Condition sine qua non, pour moi, pour un travail d'équipe. Je n'aurais supporté ni la pie ni le geai.
Bon rendement, tous les deux: elle ne fume pas, ne parle pas, n'a même pas l'air de draguer. Moi non plus (bon, d'accord, parfois, je parle un peu). Mais elle sourit et n'est ni stupide ni prétentieuse, ce qui, après tout, n'est pas, dans le milieu enseignant, aussi courant qu'on le croit. Nous avons toutes nos chances de ne pas travailler le jeudi lendemain de l'Ascension. Ce qui n'est que justice, puisque, personnellement, je l'ai déjà rattrapé.
Me suis coincé l'index gauche dans une porte vitrée récalcitrante à s'ouvrir. Je voulais aller au fond du jardin admirer la vue magnifique sur Lyon. Ça m'apprendra! Résultat: un ongle virant au violet sombre ce soir et pour rien, car, avec le temps, au fond du jardin, il n'y avait pas grand chose à voir. Et puis, il y faisait trop froid.
Dernière notation pour aujourd'hui: si l'on aime les beaux hommes, ce n'est pas dans l'enseignement qu'il faut chercher!
Bon rendement, tous les deux: elle ne fume pas, ne parle pas, n'a même pas l'air de draguer. Moi non plus (bon, d'accord, parfois, je parle un peu). Mais elle sourit et n'est ni stupide ni prétentieuse, ce qui, après tout, n'est pas, dans le milieu enseignant, aussi courant qu'on le croit. Nous avons toutes nos chances de ne pas travailler le jeudi lendemain de l'Ascension. Ce qui n'est que justice, puisque, personnellement, je l'ai déjà rattrapé.
Me suis coincé l'index gauche dans une porte vitrée récalcitrante à s'ouvrir. Je voulais aller au fond du jardin admirer la vue magnifique sur Lyon. Ça m'apprendra! Résultat: un ongle virant au violet sombre ce soir et pour rien, car, avec le temps, au fond du jardin, il n'y avait pas grand chose à voir. Et puis, il y faisait trop froid.
Dernière notation pour aujourd'hui: si l'on aime les beaux hommes, ce n'est pas dans l'enseignement qu'il faut chercher!
Petit lexique à l'usage de tous (sauf de mes élèves) (7)
Et c'est reparti pour la ménagerie:
CHATTE: câline, attentionnée, et je m'arrêterais là, sauf peut-être à évoquer deux d'entre elles qui m'ont particulièrement marqué: l'Anglaise Beauty avec ses Peines de Cœur, d'après une nouvelle de Balzac mise en scène par Alfredo Arias et Marilù Marini, et celle qui se chauffait les pattes Sur un Toit brûlant chez Tennessee Williams d'abord puis chez Richard Brooks.
DINDE: encore un mot féminin, dira Lancelot. Mais qu'y puis-je si la plupart de ces expressions n'existent pas au masculin? Une petite dinde ou une grosse dinde, c'est une femme prétentieuse et surtout idiote. Une cruche, si l'on veut. Étrange comme, en terme de synonymes, on passe d'un monde à l'autre sans sourciller. Je ne peux, en parlant de la dinde, m'empêcher d'évoquer le petit film de Mr. Bean où, en attendant sa dulcinée pour le repas de Noël, il farcit une dinde et se retrouve la tête coincée dans les entrailles du volatile. Je sais, c'est stupide mais ça me fait rire (à condition de ne pas le voir trop souvent).
MAQUEREAU (à rapprocher du suivant): proxénète. Cela s'explique par le fait que ce poisson accompagne les bancs de jeunes harengs. Cela vient peut-être aussi de ce que les proxénètes portaient des costumes sombres à raies blanches (comme la peau des maquereaux). C'est actuellement un des poissons les moins chers. Amédé, lorsqu'il venait à Lyon, m'en préparait toujours un plat, marinés au citron et mis au frais dans la gelée.
MORUE (à rapprocher du précédent): prostituée. (Dans le sens de "femme", il me semble largement détrôné par "meuf".) Est-ce parce qu'il faut la dessaler pour qu'elle soit comestible? Petit salut en passant aux Terre-Neuvas qui ont inspiré tant de romans autrefois.
MULE: une tête de mule, c'est quelqu'un d'entêté. Inutile d'expliquer pourquoi. Ainsi donc on se souviendra de la mémoire de celle du pape qui retarda de longues années sa vengeance mais sut la goûter le moment venu et l'on conviendra qu'il y a peut-être à l'origine de cette histoire une confusion entre l'animal et le chausson douillet et souvent empomponné de rose ou de bleu pâle que portaient autrefois ces dames sous leurs déshabillés froufroutants. Je ne sais pourquoi me vient en tête immédiatement la silhouette et la voix si particulière d'Edwige Feuilllère dans un de ces films où elle joua toujours la bourgeoise femme de banquier prospère (excusez le pléonasme) ou de juge de grande instance. Petit clin d'œil au passé avec cette expression qui sent bon ses années: "A vieille mule, frein doré", que l'on employait pour désigner une vieille femme qui se fardait pour plaire, ou plus généralement pour évoquer tout ce que l'on maquille pour le rendre plus attractif. Il me semble qu'en ce jour de troisième anniversaire, je ne pouvais faire moins que de la ressortir
CHATTE: câline, attentionnée, et je m'arrêterais là, sauf peut-être à évoquer deux d'entre elles qui m'ont particulièrement marqué: l'Anglaise Beauty avec ses Peines de Cœur, d'après une nouvelle de Balzac mise en scène par Alfredo Arias et Marilù Marini, et celle qui se chauffait les pattes Sur un Toit brûlant chez Tennessee Williams d'abord puis chez Richard Brooks.
DINDE: encore un mot féminin, dira Lancelot. Mais qu'y puis-je si la plupart de ces expressions n'existent pas au masculin? Une petite dinde ou une grosse dinde, c'est une femme prétentieuse et surtout idiote. Une cruche, si l'on veut. Étrange comme, en terme de synonymes, on passe d'un monde à l'autre sans sourciller. Je ne peux, en parlant de la dinde, m'empêcher d'évoquer le petit film de Mr. Bean où, en attendant sa dulcinée pour le repas de Noël, il farcit une dinde et se retrouve la tête coincée dans les entrailles du volatile. Je sais, c'est stupide mais ça me fait rire (à condition de ne pas le voir trop souvent).
MAQUEREAU (à rapprocher du suivant): proxénète. Cela s'explique par le fait que ce poisson accompagne les bancs de jeunes harengs. Cela vient peut-être aussi de ce que les proxénètes portaient des costumes sombres à raies blanches (comme la peau des maquereaux). C'est actuellement un des poissons les moins chers. Amédé, lorsqu'il venait à Lyon, m'en préparait toujours un plat, marinés au citron et mis au frais dans la gelée.
MORUE (à rapprocher du précédent): prostituée. (Dans le sens de "femme", il me semble largement détrôné par "meuf".) Est-ce parce qu'il faut la dessaler pour qu'elle soit comestible? Petit salut en passant aux Terre-Neuvas qui ont inspiré tant de romans autrefois.
MULE: une tête de mule, c'est quelqu'un d'entêté. Inutile d'expliquer pourquoi. Ainsi donc on se souviendra de la mémoire de celle du pape qui retarda de longues années sa vengeance mais sut la goûter le moment venu et l'on conviendra qu'il y a peut-être à l'origine de cette histoire une confusion entre l'animal et le chausson douillet et souvent empomponné de rose ou de bleu pâle que portaient autrefois ces dames sous leurs déshabillés froufroutants. Je ne sais pourquoi me vient en tête immédiatement la silhouette et la voix si particulière d'Edwige Feuilllère dans un de ces films où elle joua toujours la bourgeoise femme de banquier prospère (excusez le pléonasme) ou de juge de grande instance. Petit clin d'œil au passé avec cette expression qui sent bon ses années: "A vieille mule, frein doré", que l'on employait pour désigner une vieille femme qui se fardait pour plaire, ou plus généralement pour évoquer tout ce que l'on maquille pour le rendre plus attractif. Il me semble qu'en ce jour de troisième anniversaire, je ne pouvais faire moins que de la ressortir
mercredi 5 mai 2010
Momentini
- Ma dentiste procède toujours de la même façon: d'abord elle me fait des reproches (si je passais autant de temps à l'entretien de mes dents qu'elle le désire, il faudrait la demi-journée pour le corps tout entier!), puis elle me traite un peu comme s'il j'étais son petit garçon. Cajoleries que je ne trouve pas désagréables, bien au contraire. C'est pour cette raison que je continue à lui être fidèle, même si son cabinet n'est pas tout près de chez moi.
- Une grosse partie de l'après-midi passée à l'assemblée générale annuelle des copropriétaires de l'immeuble. Impression que, décidément, Ubu n'est pas mort! Tout le monde parle en même temps, personne ne s'écoute et les vieillards, nombreux, demandent qu'on leur répète tout ce qu'il n'ont pas entendu! L'un d'eux a même failli s'endormir, au milieu pourtant de tout ce brouhaha. Mon départ anticipé pour le cabinet dentaire m'a comblé de bonheur.
- Sur la diagonale de la Place Bellecour, vent froid et abondant crachin qui se prendrait pour ce qu'il n'est pas encore: une tempête de neige. A l'abri dans mon grand imperméable soigneusement boutonné jusqu'en haut, j'ai aimé le picotement sur le visage, nez et menton en avant-garde, et la buée kaléidoscopique qui s'est vite installée sur mes verres de lunettes. Fini ma trajectoire à la Fnac. Acheté un roman parce que l'illustration de couverture est un tableau de Edward Hopper, un détail de Sunday. Le titre du livre: La Fin, de Salvatore Scibona. Qui connaît?
- Finalement, le projet théâtre sera bien concrétisé. Si je n'ai pu conclure avec le TNP (que je garde sous le coude pour l'année prochaine, tant l'accueil y a été sympathique), l'École Nationale de Théâtre a répondu favorablement, de même, et surtout, que le Guignol du Parc de la Tête d'Or qui nous expliquera, après une représentation au thème ciblé pour l'âge des élèves, ce qu'est le théâtre de marionnettes et l'art si particulier du chevalet. Si le soleil est de la partie (ce sera en juin), ça peut être une sortie sympathique!
- Deux réponses cocasses de mes sixièmes à des questions posées en cours. La première, sans commentaire: "Si un texte n'est pas en vers, il est en ...... bleu!"
La deuxième datant de ce matin: pour leur faire comprendre l'importance des textes antiques (Bible, Odyssée, etc.) sur la fondation d'une culture occidentale, voire plus large, j'avais pris l'exemple du mot "Clio": la muse de l'Histoire dans la mythologie grecque a donné aujourd'hui son nom a un des modèles de la marque de voitures Renault. Comme ils ne devinaient pas "l'art" représenté par cette muse et que mon collègue d'histoire était près de moi, j'ai voulu les aider en le montrant du doigt. Mais il était penché en avant à ce moment-là et ma main pointa sa tête. Alors un garçon, tout content de lui, a répondu: "C'est la muse des cheveux, Monsieur!". On peut dire qu'ils sont mignons à cet âge-là! Ou bien, si l'on est pessimiste, que l'on a de quoi s'en faire (des cheveux)!
- Une grosse partie de l'après-midi passée à l'assemblée générale annuelle des copropriétaires de l'immeuble. Impression que, décidément, Ubu n'est pas mort! Tout le monde parle en même temps, personne ne s'écoute et les vieillards, nombreux, demandent qu'on leur répète tout ce qu'il n'ont pas entendu! L'un d'eux a même failli s'endormir, au milieu pourtant de tout ce brouhaha. Mon départ anticipé pour le cabinet dentaire m'a comblé de bonheur.
- Sur la diagonale de la Place Bellecour, vent froid et abondant crachin qui se prendrait pour ce qu'il n'est pas encore: une tempête de neige. A l'abri dans mon grand imperméable soigneusement boutonné jusqu'en haut, j'ai aimé le picotement sur le visage, nez et menton en avant-garde, et la buée kaléidoscopique qui s'est vite installée sur mes verres de lunettes. Fini ma trajectoire à la Fnac. Acheté un roman parce que l'illustration de couverture est un tableau de Edward Hopper, un détail de Sunday. Le titre du livre: La Fin, de Salvatore Scibona. Qui connaît?
- Finalement, le projet théâtre sera bien concrétisé. Si je n'ai pu conclure avec le TNP (que je garde sous le coude pour l'année prochaine, tant l'accueil y a été sympathique), l'École Nationale de Théâtre a répondu favorablement, de même, et surtout, que le Guignol du Parc de la Tête d'Or qui nous expliquera, après une représentation au thème ciblé pour l'âge des élèves, ce qu'est le théâtre de marionnettes et l'art si particulier du chevalet. Si le soleil est de la partie (ce sera en juin), ça peut être une sortie sympathique!
- Deux réponses cocasses de mes sixièmes à des questions posées en cours. La première, sans commentaire: "Si un texte n'est pas en vers, il est en ...... bleu!"
La deuxième datant de ce matin: pour leur faire comprendre l'importance des textes antiques (Bible, Odyssée, etc.) sur la fondation d'une culture occidentale, voire plus large, j'avais pris l'exemple du mot "Clio": la muse de l'Histoire dans la mythologie grecque a donné aujourd'hui son nom a un des modèles de la marque de voitures Renault. Comme ils ne devinaient pas "l'art" représenté par cette muse et que mon collègue d'histoire était près de moi, j'ai voulu les aider en le montrant du doigt. Mais il était penché en avant à ce moment-là et ma main pointa sa tête. Alors un garçon, tout content de lui, a répondu: "C'est la muse des cheveux, Monsieur!". On peut dire qu'ils sont mignons à cet âge-là! Ou bien, si l'on est pessimiste, que l'on a de quoi s'en faire (des cheveux)!
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Date de péremption
Tout à l'heure, en cherchant dans le placard de la cuisine ce que j'allais bien pouvoir manger ce soir en accompagnement de l'éternelle salade verte, je suis tombé sur un plat cuisiné à faire réchauffer au micro ondes pendant trois minutes à température maximum. L'idéal pour les retours tardifs de conseils de classe, quand on a faim mais la flemme de se préparer quelque chose de plus élaboré. Il s'agissait d'un "lapin aux deux moutardes et son riz", que je n'ai finalement pas ouvert.
Outre l'appellation toujours un peu pompeuse et drôle à la fois (le "son" retrouvé là comme à la carte des grands restaurants m'a toujours fait sourire), j'ai pris le temps de lire la date de péremption: le 14 janvier 2011. Rien à craindre donc. Ou plutôt tout. Je me suis tout à coup demandé ce que je ferai le 14 janvier 2011. Je ne peux bien sûr pas le savoir. Serai-je encore en vie? Et les gens qui m'entourent? Ma famille? Mes amis? Combien auront disparu, morts ou en allés, y compris parmi ceux pour qui je ne m'y attends pas?
Ce sera le milieu de l'hiver. Si les petites cellules de ma prostate se tiennent tranquilles, je serai encore au travail, à débuter un second trimestre, après des vacances d'hiver à peine reposantes. La contrainte des cadeaux sera passée. Content ou moins enthousiaste, tout le monde aura été servi. Comme d'habitude, je me dirai que j'ai encore le temps de répondre aux quelques cartes de vœux qui me parviennent parfois par la poste. Il fera froid et gris ou bien froid et limpide, avec une lumière magnifique sur la ville. Je serai heureux ou triste, fatigué ou souriant, j'aurai le temps de prendre quelques photos de la ville que j'aime ou pas, j'aurai repris la course à pieds ou bien j'hésiterai encore à cause du dos et de ce fichu disque qui ne veut plus se faire oublier. Tout est possible ou bien il n'y aura rien, qu'un drap sur le visage et de la terre gelée sur tout le corps.
Si j'inverse le raisonnement, je ne suis pas plus avancé: nous sommes le 5 mai 2010. Il est probable que, il y a quelques mois, j'ai manipulé un produit, j'ai mangé de la nourriture qui aurait sans cela fini son temps de fraîcheur aujourd'hui. C'est même presque certain. Est-ce que je m'en souviens? Aucunement. Ce n'était pas important, je n'y ai pas pris garde. Et pourtant j'y pense aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui est présent pour moi et qu'à l'époque, cette date n'aurait représenté qu'un avenir encore lointain et totalement incertain.
Je sais que ces réflexions ont un côté un peu "décalé", que certains se diront qu'il ne faut rien avoir à faire pour penser de telles choses, que la vie, c'est plus important qu'un produit tout prêt à être ingéré, quelle que soit sa date de péremption. Mais je dis simplement ce que j'ai pensé en voyant cette conserve. Alors quoi? L'avenir et le passé ne sont pas plus sûrs l'un que l'autre, et finalement n'ont pas plus d'importance? Carpe diem? C'est la seule philosophie acceptable pour tenter de se préserver un semblant de bonheur ou, pour ne pas employer de grands mots, de bien-être? J'ai encore du mal à m'en persuader.
Outre l'appellation toujours un peu pompeuse et drôle à la fois (le "son" retrouvé là comme à la carte des grands restaurants m'a toujours fait sourire), j'ai pris le temps de lire la date de péremption: le 14 janvier 2011. Rien à craindre donc. Ou plutôt tout. Je me suis tout à coup demandé ce que je ferai le 14 janvier 2011. Je ne peux bien sûr pas le savoir. Serai-je encore en vie? Et les gens qui m'entourent? Ma famille? Mes amis? Combien auront disparu, morts ou en allés, y compris parmi ceux pour qui je ne m'y attends pas?
Ce sera le milieu de l'hiver. Si les petites cellules de ma prostate se tiennent tranquilles, je serai encore au travail, à débuter un second trimestre, après des vacances d'hiver à peine reposantes. La contrainte des cadeaux sera passée. Content ou moins enthousiaste, tout le monde aura été servi. Comme d'habitude, je me dirai que j'ai encore le temps de répondre aux quelques cartes de vœux qui me parviennent parfois par la poste. Il fera froid et gris ou bien froid et limpide, avec une lumière magnifique sur la ville. Je serai heureux ou triste, fatigué ou souriant, j'aurai le temps de prendre quelques photos de la ville que j'aime ou pas, j'aurai repris la course à pieds ou bien j'hésiterai encore à cause du dos et de ce fichu disque qui ne veut plus se faire oublier. Tout est possible ou bien il n'y aura rien, qu'un drap sur le visage et de la terre gelée sur tout le corps.
Si j'inverse le raisonnement, je ne suis pas plus avancé: nous sommes le 5 mai 2010. Il est probable que, il y a quelques mois, j'ai manipulé un produit, j'ai mangé de la nourriture qui aurait sans cela fini son temps de fraîcheur aujourd'hui. C'est même presque certain. Est-ce que je m'en souviens? Aucunement. Ce n'était pas important, je n'y ai pas pris garde. Et pourtant j'y pense aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui est présent pour moi et qu'à l'époque, cette date n'aurait représenté qu'un avenir encore lointain et totalement incertain.
Je sais que ces réflexions ont un côté un peu "décalé", que certains se diront qu'il ne faut rien avoir à faire pour penser de telles choses, que la vie, c'est plus important qu'un produit tout prêt à être ingéré, quelle que soit sa date de péremption. Mais je dis simplement ce que j'ai pensé en voyant cette conserve. Alors quoi? L'avenir et le passé ne sont pas plus sûrs l'un que l'autre, et finalement n'ont pas plus d'importance? Carpe diem? C'est la seule philosophie acceptable pour tenter de se préserver un semblant de bonheur ou, pour ne pas employer de grands mots, de bien-être? J'ai encore du mal à m'en persuader.
mardi 4 mai 2010
L'Hydre
Étrange réalité que de se réveiller de mauvaise humeur. On s'est couché à une heure encore acceptable, on a (à peu près) bien dormi, sans cauchemars, sans mouvements intempestifs dont les draps froissés sont les témoins du matin, et pourtant, au réveil, à peine a-t-on mis le pied par terre que l'on en veut au monde entier.
En général, les objets se mettent aussi de la partie: une pantoufle a profité de l'obscurité pour se couler sous le lit jusqu'en un point inatteignable sans déplacer le meuble, l'ampoule électrique du couloir claque lorsque, machinalement, on appuie sur l'interrupteur et l'on se rend compte, au bout d'un long moment d'attente passé à essayer d'émerger des brouillards de la nuit, que l'on n'a pas mis d'eau dans le réservoir de la cafetière.
Parfois l'agacement face à ces imprévus suffit à remettre la tête à l'endroit: c'est tellement bête que c'en est drôle. Parfois, non. Autrefois, j'avais les matins taciturnes et agressifs. Il ne fallait pas m'adresser la parole avant que café et première(s) cigarette(s) n'aient produit leur effet. Si l'on transgressait cette règle du silence, on s'exposait à des réponses plus que sèches et cinglantes, lapidaires et pour la concision et pour la dureté. Peu à peu, je me suis pourtant civilisé. Aimant les autres, j'ai appris à les entendre, à les écouter même (sauf voix trop forte ou timbre trop aigu), et c'est souvent moi maintenant qui lance les premières plaisanteries.
Mais quelquefois, tout cela ne fonctionne pas. La bouche reste close et le sourire se fiche avant de se former. Même son propre silence, on ne le supporte pas. Dans ce cas-là, avant, je promenais mon humeur maussade toute la journée, en trouvant autour de moi d'excellents prétextes à la prolonger: un surplus de travail, une répartie mal acceptée, un agencement des événements qui contrarie l'emploi du temps que j'avais imaginé, un temps gris, les odeurs des transports en commun, la circulation intense et chaotique... J'ai encore souvent ce vieux réflexe d'aller chercher à l'extérieur de moi-même ce qui perturbe mon humeur.
Pourtant, de plus en plus, j'essaie de mieux comprendre et de retourner le miroir de mon côté. Je connais mon défaut, car c'en est un au bout du compte, de ne pas me laisser arrêter par les aléas de la vie, de les ingérer comme sans y penser pour avancer, passer à autre chose qui me semble plus urgent à ce moment-là (oui, oui, mon côté Scarlett O'Hara), et ensuite de me rendre compte que ces contrariétés ne se sont pas évanouies comme espéré et cru un moment, mais ont même plutôt du mal à être digérées. L'ennui, c'est que, plusieurs heures après, on garde le poids gênant du problème tout en en ayant, consciemment, oublié l'origine.
Et c'est à ce stade, en général, que les choses se gâtent. En réfléchissant, on croit retrouver dans telle ou telle circonstance de la journée la source du mal être alors que cette circonstance n'est qu'un épiphénomène, on en veut à quelqu'un pour un mot, une attitude, une réaction alors que ce mot, cette attitude, cette réaction ont été chez lui provoqués par ses propres mots à soi, ses propres attitudes, ses propres réactions. On ne peut trancher dans le vif, mais ce nœud gordien, qu'il est difficile à dénouer! Je n'y parviens pas toujours et me laisse enlacer par les spirales écœurantes de cette Hydre de Lerne aux têtes éternellement repoussant. Que voulez-vous, je ne suis pas Hercule. Même lui a eu besoin de l'aide d'un compagnon, Iolaos.
En général, les objets se mettent aussi de la partie: une pantoufle a profité de l'obscurité pour se couler sous le lit jusqu'en un point inatteignable sans déplacer le meuble, l'ampoule électrique du couloir claque lorsque, machinalement, on appuie sur l'interrupteur et l'on se rend compte, au bout d'un long moment d'attente passé à essayer d'émerger des brouillards de la nuit, que l'on n'a pas mis d'eau dans le réservoir de la cafetière.
Parfois l'agacement face à ces imprévus suffit à remettre la tête à l'endroit: c'est tellement bête que c'en est drôle. Parfois, non. Autrefois, j'avais les matins taciturnes et agressifs. Il ne fallait pas m'adresser la parole avant que café et première(s) cigarette(s) n'aient produit leur effet. Si l'on transgressait cette règle du silence, on s'exposait à des réponses plus que sèches et cinglantes, lapidaires et pour la concision et pour la dureté. Peu à peu, je me suis pourtant civilisé. Aimant les autres, j'ai appris à les entendre, à les écouter même (sauf voix trop forte ou timbre trop aigu), et c'est souvent moi maintenant qui lance les premières plaisanteries.
Mais quelquefois, tout cela ne fonctionne pas. La bouche reste close et le sourire se fiche avant de se former. Même son propre silence, on ne le supporte pas. Dans ce cas-là, avant, je promenais mon humeur maussade toute la journée, en trouvant autour de moi d'excellents prétextes à la prolonger: un surplus de travail, une répartie mal acceptée, un agencement des événements qui contrarie l'emploi du temps que j'avais imaginé, un temps gris, les odeurs des transports en commun, la circulation intense et chaotique... J'ai encore souvent ce vieux réflexe d'aller chercher à l'extérieur de moi-même ce qui perturbe mon humeur.
Pourtant, de plus en plus, j'essaie de mieux comprendre et de retourner le miroir de mon côté. Je connais mon défaut, car c'en est un au bout du compte, de ne pas me laisser arrêter par les aléas de la vie, de les ingérer comme sans y penser pour avancer, passer à autre chose qui me semble plus urgent à ce moment-là (oui, oui, mon côté Scarlett O'Hara), et ensuite de me rendre compte que ces contrariétés ne se sont pas évanouies comme espéré et cru un moment, mais ont même plutôt du mal à être digérées. L'ennui, c'est que, plusieurs heures après, on garde le poids gênant du problème tout en en ayant, consciemment, oublié l'origine.
Et c'est à ce stade, en général, que les choses se gâtent. En réfléchissant, on croit retrouver dans telle ou telle circonstance de la journée la source du mal être alors que cette circonstance n'est qu'un épiphénomène, on en veut à quelqu'un pour un mot, une attitude, une réaction alors que ce mot, cette attitude, cette réaction ont été chez lui provoqués par ses propres mots à soi, ses propres attitudes, ses propres réactions. On ne peut trancher dans le vif, mais ce nœud gordien, qu'il est difficile à dénouer! Je n'y parviens pas toujours et me laisse enlacer par les spirales écœurantes de cette Hydre de Lerne aux têtes éternellement repoussant. Que voulez-vous, je ne suis pas Hercule. Même lui a eu besoin de l'aide d'un compagnon, Iolaos.
lundi 3 mai 2010
Demi-saisons
Il paraît que les demi-saisons et les changements de temps fatiguent les personnes âgées. Alors, je dois commencer à prendre sérieusement de l'âge, parce que je suis absolument claqué depuis deux jours.
Et demain sera une journée sans voiture. Non pas que ce soit pour suivre une de ces absurdes idées venues dont ne sait où qui préconisent d'honorer tel jour les secrétaires, tel autre les grand-mères, de ne pas utiliser son véhicule un troisième ou d'être particulièrement à l'écoute et aux petits soins des femmes à une date précise. De cela, je me fiche bien. Je dois tout simplement la laisser dans un garage pour un pré contrôle technique gratuit afin d'éviter d'avoir à payer la "contre-visite". Je sais déjà que la plaque d'immatriculation à l'avant doit être changée car trop endommagée par ceux qui ne peuvent se passer d'un crochet à l'arrière et l'oublient totalement au moment de reculer sur un autre véhicule.
Ce sera donc métro et bus, ou peut-être funiculaire s'il est vrai que celui de Saint-Just a rouvert ses portes aujourd'hui après sa cure de jouvence habituelle. Moi qui n'aimais pas le bus avant, je finis par le préférer au métro pour la possibilité qu'il laisse de voir Lyon la belle, comme cet hiver avec la neige ou demain en pleine reverdure.
Je n'ai en ce moment aucun enthousiasme à aller au travail: les élèves m'ennuient, les collègues, pour la plupart, aussi. A partir de jeudi et toute la semaine prochaine, je suis convoqué pour corriger les copies d'un examen important. Je sais, pour l'avoir déjà vécu l'an dernier, que cela va être fatigant, que je n'aurai pas une seule demi-journée de repos, mais je suis presque heureux d'y aller, pour changer d'air et de visages. C'est dire.
Et demain sera une journée sans voiture. Non pas que ce soit pour suivre une de ces absurdes idées venues dont ne sait où qui préconisent d'honorer tel jour les secrétaires, tel autre les grand-mères, de ne pas utiliser son véhicule un troisième ou d'être particulièrement à l'écoute et aux petits soins des femmes à une date précise. De cela, je me fiche bien. Je dois tout simplement la laisser dans un garage pour un pré contrôle technique gratuit afin d'éviter d'avoir à payer la "contre-visite". Je sais déjà que la plaque d'immatriculation à l'avant doit être changée car trop endommagée par ceux qui ne peuvent se passer d'un crochet à l'arrière et l'oublient totalement au moment de reculer sur un autre véhicule.
Ce sera donc métro et bus, ou peut-être funiculaire s'il est vrai que celui de Saint-Just a rouvert ses portes aujourd'hui après sa cure de jouvence habituelle. Moi qui n'aimais pas le bus avant, je finis par le préférer au métro pour la possibilité qu'il laisse de voir Lyon la belle, comme cet hiver avec la neige ou demain en pleine reverdure.
Je n'ai en ce moment aucun enthousiasme à aller au travail: les élèves m'ennuient, les collègues, pour la plupart, aussi. A partir de jeudi et toute la semaine prochaine, je suis convoqué pour corriger les copies d'un examen important. Je sais, pour l'avoir déjà vécu l'an dernier, que cela va être fatigant, que je n'aurai pas une seule demi-journée de repos, mais je suis presque heureux d'y aller, pour changer d'air et de visages. C'est dire.
dimanche 2 mai 2010
Petit lexique à l'usage de tous (sauf de mes élèves) (6)
Retour sur l'ordre alphabétique pour évoquer un autre nom d'animal généralement employé comme insulte:
BLAIREAU: en noms d'oiseaux, cela signifie "m'as-tu vu", quelqu'un qui se la joue, un "cave", comme aurait fait dire Audiard dans un de ses dialogues. Pourtant à moi, ce nom évoque plutôt l'instrument ressemblant à un pinceau ventru dont mon père encore se servait pour faire mousser la crème destinée au rasage. J'en aimais l'odeur et aussi le toucher, doux et qui chatouille agréablement. Image aussi du roman de Allan W. Eckert, La Rencontre, dont j'ai déjà dit dans ce blog tout le bien que je pensais.
BUTOR: Le Petit Larousse en dit qu'outre l'oiseau échassier voisin du héron, il s'agit d'un homme grossier et stupide. Quel âge avais-je lorsque je découvris ce nom, mais avec une majuscule et accolé au prénom Michel, en lisant un roman que je n'ai jamais oublié: La Modification? 18 ans? 20 ans? Et le film: Emmanuelle Riva, Maurice Ronet, les deux amants, lui quittant sa femme et prenant le train pour Rome afin de la rejoindre! "Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant." J'envie mes enthousiasmes de cette époque.
CHIEN: je l'aime, cet ami de l'homme, le meilleur selon moi. Je n'ai jamais compris qu'il puisse être détrôné par le cheval. "Nom d'un chien", "un temps de chien" (expression étrange puisque la "canicule", l'inverse du temps de chien, a pour étymologie "la petite chienne", une constellation dont on disait que son apparition annonçait de fortes chaleurs. Mais n'anticipons pas: "chien" n'est pas "chienne" et rendez-vous au prochain mot). Traiter quelqu'un de chien , c'est dire son avarice. Pourquoi? Bizarrement, le chien, selon les époques ou les lieux, évoque un aspect bénéfique ou maléfique. Deux exemples seulement: dans le culte à Mythra, le chien est associé, en tant que symbole du mal, à deux autres animaux dont on comprend mieux qu'ils se trouvent là: le serpent et le scorpion. Pourtant, dans la religion chrétienne, c'est lui qui apporta à Saint Roch malade de la peste et réfugié dans une forêt de quoi se nourrir quotidiennement. On ne peut imaginer une statue de Saint Roch sans son chien à ses côtés.
CHIENNE: variante du précédent? Pas vraiment! "Chienne de vie!", mais aussi femme un peu trop chaude, un peu trop empressée à satisfaire le désir de ces messieurs qui, ensuite, les ingrats, lui lanceront cette insulte au visage. Si ça vous intéresse, tapez "chienne" sur Google et vous verrez: c'est impressionnant!
CHAMEAU: méchant, désagréable, cherchant à faire mal. Pour moi, c'est aussi l'animal en carton mâché recouvert d'une sorte de texture veloutée que nous mettions dans la Crèche quand j'étais petit, au moment de Noël, ou un peu après, lors de l'arrivée des Rois Mages. Le bœuf et l'âne tenaient le devant de la scène et jouaient les importants, couchés dans la paille. Lui, le chameau, était toujours debout, un peu en retrait, et il fallait le caler contre le papier rocher qui abritait la Sainte Famille et figurait davantage une grotte qu'une étable: dans ses nombreux voyages, dans ses nombreux Noëls, il avait perdu une patte, un bout de patte, que nous avions plusieurs fois tenté de réparer avec une allumette mais sans résultat probant. Je n'ai jamais su à quel moment mes parents se sont débarrassés de cette crèche et de l'ensemble de ses personnages. Auquel de leurs nombreux déménagements? Pour quelle raison? Aujourd'hui, je ne sais plus à quoi ressemblaient les autres. Seule me reste en mémoire la figure de ce chameau boiteux. Il était mon préféré. J'aurais dû me méfier.
BLAIREAU: en noms d'oiseaux, cela signifie "m'as-tu vu", quelqu'un qui se la joue, un "cave", comme aurait fait dire Audiard dans un de ses dialogues. Pourtant à moi, ce nom évoque plutôt l'instrument ressemblant à un pinceau ventru dont mon père encore se servait pour faire mousser la crème destinée au rasage. J'en aimais l'odeur et aussi le toucher, doux et qui chatouille agréablement. Image aussi du roman de Allan W. Eckert, La Rencontre, dont j'ai déjà dit dans ce blog tout le bien que je pensais.
BUTOR: Le Petit Larousse en dit qu'outre l'oiseau échassier voisin du héron, il s'agit d'un homme grossier et stupide. Quel âge avais-je lorsque je découvris ce nom, mais avec une majuscule et accolé au prénom Michel, en lisant un roman que je n'ai jamais oublié: La Modification? 18 ans? 20 ans? Et le film: Emmanuelle Riva, Maurice Ronet, les deux amants, lui quittant sa femme et prenant le train pour Rome afin de la rejoindre! "Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant." J'envie mes enthousiasmes de cette époque.
CHIEN: je l'aime, cet ami de l'homme, le meilleur selon moi. Je n'ai jamais compris qu'il puisse être détrôné par le cheval. "Nom d'un chien", "un temps de chien" (expression étrange puisque la "canicule", l'inverse du temps de chien, a pour étymologie "la petite chienne", une constellation dont on disait que son apparition annonçait de fortes chaleurs. Mais n'anticipons pas: "chien" n'est pas "chienne" et rendez-vous au prochain mot). Traiter quelqu'un de chien , c'est dire son avarice. Pourquoi? Bizarrement, le chien, selon les époques ou les lieux, évoque un aspect bénéfique ou maléfique. Deux exemples seulement: dans le culte à Mythra, le chien est associé, en tant que symbole du mal, à deux autres animaux dont on comprend mieux qu'ils se trouvent là: le serpent et le scorpion. Pourtant, dans la religion chrétienne, c'est lui qui apporta à Saint Roch malade de la peste et réfugié dans une forêt de quoi se nourrir quotidiennement. On ne peut imaginer une statue de Saint Roch sans son chien à ses côtés.
CHIENNE: variante du précédent? Pas vraiment! "Chienne de vie!", mais aussi femme un peu trop chaude, un peu trop empressée à satisfaire le désir de ces messieurs qui, ensuite, les ingrats, lui lanceront cette insulte au visage. Si ça vous intéresse, tapez "chienne" sur Google et vous verrez: c'est impressionnant!
CHAMEAU: méchant, désagréable, cherchant à faire mal. Pour moi, c'est aussi l'animal en carton mâché recouvert d'une sorte de texture veloutée que nous mettions dans la Crèche quand j'étais petit, au moment de Noël, ou un peu après, lors de l'arrivée des Rois Mages. Le bœuf et l'âne tenaient le devant de la scène et jouaient les importants, couchés dans la paille. Lui, le chameau, était toujours debout, un peu en retrait, et il fallait le caler contre le papier rocher qui abritait la Sainte Famille et figurait davantage une grotte qu'une étable: dans ses nombreux voyages, dans ses nombreux Noëls, il avait perdu une patte, un bout de patte, que nous avions plusieurs fois tenté de réparer avec une allumette mais sans résultat probant. Je n'ai jamais su à quel moment mes parents se sont débarrassés de cette crèche et de l'ensemble de ses personnages. Auquel de leurs nombreux déménagements? Pour quelle raison? Aujourd'hui, je ne sais plus à quoi ressemblaient les autres. Seule me reste en mémoire la figure de ce chameau boiteux. Il était mon préféré. J'aurais dû me méfier.
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samedi 1 mai 2010
Le prêtre au roseau
Avec des jours gris comme aujourd'hui, on a intérêt à s'inventer un modus Vivaldi. Le problème avec ça, c'est qu'il faut en changer à chaque saison.
La dame de pique
Dans le courant de la semaine, grâce à une collègue qui a pu obtenir des places bon marché, nous sommes allés assister à l'Opéra de Lyon à la générale de La Dame de pique (1890), de Piotr Illitch Tchaïkovski.
C'était la première fois que je pénétrais dans la salle depuis qu'elle a été refaite entièrement par Jean Nouvel et inaugurée en.... 1993. Presque vingt ans sans y mettre les pieds alors qu'auparavant je renouvelais chaque année mon abonnement! Fichtre!
Fichtre encore quant à l'esthétique de cette nouvelle salle, autrefois théâtre à l'italienne comme l'est restée la salle des Célestins. J'aime beaucoup le système d'escaliers et d'escalators qui permet d'y accéder et desquels on a des vues intéressantes sur l'ensemble de l'atrium, mais la salle elle-même m'est apparue abominablement laide: entièrement noire, sauf le rideau de scène écarlate, des balcons ressemblant davantage à des avancées de bunkers, des sièges que l'on trouverait mieux à leur place dans une salle de quartier, une place réduite et un confort minimum. J'en reviens à ma question de l'époque: pourquoi ne pas avoir conservé ce bâtiment tel quel, avec son côté suranné, et construit un ensemble entièrement moderne ailleurs? N'y a-t-il pas à Lyon le public nécessaire à faire vivre autant de salles de spectacle, Auditorium Maurice Ravel compris?
La Dame de pique? J'avais lu il y a très longtemps l'œuvre de Pouchkine dont l'opéra est tiré et n'en gardais qu'un souvenir vague, où se mêlaient fantôme et cartes à jouer. Ce que je ne savais pas, c'est que le livret de Pikovaïa Dama (son titre russe) est du frère même du compositeur, Modeste Illitch, tellement en harmonie avec son prénom que son existence m'avait échappé jusqu'à aujourd'hui. Cette présentation s'inscrit dans le cadre d'une série de manifestations pour l'Année France-Russie 2010 (Festival Pouchkine, du 29 avril au 21 mai). L'Orchestre, les Chœurs et la Maîtrise étaient ceux de Lyon, la distribution russe et la direction musicale confiée à Kirill Petrenko.
Une soirée fort agréable in fine, même si le premier acte fut un peu indigeste (fatigue? mise en scène? lenteur obligée des scènes d'exposition?). Les voix, toutes, étaient agréables et de même qualité, les seconds rôles n'avaient pas été sacrifiés sur l'autel d'une diva ou d'un ténor à promouvoir. L'ensemble est assez académique, sans grande surprise, mais, je le répète, très agréable à voir et à entendre. Au point de nous faire oublier un voisin de fauteuil grossier et mal élevé. Mention spéciale pour la vieille Contesse, Marianna Tarasova, blême à souhait, dont on croyait réellement que chacun de ses pas serait le dernier tant la cantatrice mimait à la perfection cette aristocrate francophile finissante. Une grande actrice au service d'une grande voix.
C'était la première fois que je pénétrais dans la salle depuis qu'elle a été refaite entièrement par Jean Nouvel et inaugurée en.... 1993. Presque vingt ans sans y mettre les pieds alors qu'auparavant je renouvelais chaque année mon abonnement! Fichtre!
Fichtre encore quant à l'esthétique de cette nouvelle salle, autrefois théâtre à l'italienne comme l'est restée la salle des Célestins. J'aime beaucoup le système d'escaliers et d'escalators qui permet d'y accéder et desquels on a des vues intéressantes sur l'ensemble de l'atrium, mais la salle elle-même m'est apparue abominablement laide: entièrement noire, sauf le rideau de scène écarlate, des balcons ressemblant davantage à des avancées de bunkers, des sièges que l'on trouverait mieux à leur place dans une salle de quartier, une place réduite et un confort minimum. J'en reviens à ma question de l'époque: pourquoi ne pas avoir conservé ce bâtiment tel quel, avec son côté suranné, et construit un ensemble entièrement moderne ailleurs? N'y a-t-il pas à Lyon le public nécessaire à faire vivre autant de salles de spectacle, Auditorium Maurice Ravel compris?
La Dame de pique? J'avais lu il y a très longtemps l'œuvre de Pouchkine dont l'opéra est tiré et n'en gardais qu'un souvenir vague, où se mêlaient fantôme et cartes à jouer. Ce que je ne savais pas, c'est que le livret de Pikovaïa Dama (son titre russe) est du frère même du compositeur, Modeste Illitch, tellement en harmonie avec son prénom que son existence m'avait échappé jusqu'à aujourd'hui. Cette présentation s'inscrit dans le cadre d'une série de manifestations pour l'Année France-Russie 2010 (Festival Pouchkine, du 29 avril au 21 mai). L'Orchestre, les Chœurs et la Maîtrise étaient ceux de Lyon, la distribution russe et la direction musicale confiée à Kirill Petrenko.
Une soirée fort agréable in fine, même si le premier acte fut un peu indigeste (fatigue? mise en scène? lenteur obligée des scènes d'exposition?). Les voix, toutes, étaient agréables et de même qualité, les seconds rôles n'avaient pas été sacrifiés sur l'autel d'une diva ou d'un ténor à promouvoir. L'ensemble est assez académique, sans grande surprise, mais, je le répète, très agréable à voir et à entendre. Au point de nous faire oublier un voisin de fauteuil grossier et mal élevé. Mention spéciale pour la vieille Contesse, Marianna Tarasova, blême à souhait, dont on croyait réellement que chacun de ses pas serait le dernier tant la cantatrice mimait à la perfection cette aristocrate francophile finissante. Une grande actrice au service d'une grande voix.
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