Vu au cinéma I love you, Philip Morris. J'ai ri, un peu, parfois. A quelques bons mots ou situations inattendues. Mais je n'ai pas aimé ce film: stéréotypes sur les homos, mélange des genres qui ne prend pas, omniprésence un peu lourde de Jim Carrey. Je ne vois pas où se cache le talent de cet acteur. En revanche, je n'ai pas avalé que l'on transforme Ewan Mc gregor, que j'apprécie beaucoup dans de nombreux autres films, en folle blondasse trop éthérée dont les intonations de voix (peut-être simplement dans le doublage français) sont exaspérantes. Seule chose à l'actif de cette soirée: avoir retrouvé l'ambiance d'une salle de cinéma, le soir, avec des amis. J'aime toujours autant.
La tempête de vent de cette nuit a au moins un avantage: elle met clairement en évidence la crasse de nos villes, et donc de nos concitoyens. Je n'ai même pas eu envie d'en prendre des photos aujourd'hui, sous ce beau soleil printanier.
Vu à la télévision la soirée des Césars. Je ne comprends pas que l'on puisse donner neuf récompenses à un même film, aussi valable soit-il (sauf s'il y a chef-d'œuvre, ce qui, dans le cinéma français actuel, doit être assez rare), que l'on puisse attribuer au même jeune artiste (aussi doué soit-il, je veux bien le croire, je n'ai pas vu le film) le César du meilleur espoir masculin et celui du meilleur acteur: c'est l'un ou l'autre, ça ne peut pas être les deux! Et les autres productions nominées: elles ne valaient donc rien? Ou si peu? Le Concert, dont pourtant on dit grand bien, a-t-il reçu une seule distinction? Le seul moment intense de la soirée (et là-dessus, je suis entièrement d'accord avec Olivier Autissier), c'est la récompense (la cinquième, oui, mais en combien d'années? et pour quel talent!) qui nous a valu l'apparition d'Isabelle Adjani, belle et sincèrement émue, bouleversante dans son engagement et son merci aux enseignants, paroles, il faut en convenir, que l'on a rarement l'occasion d'entendre.
Fin des vacances. J'ai l'impression d'avoir quitté le travail depuis des siècles. Je ne sais pas s'il faut s'en affliger ou s'en réjouir.
dimanche 28 février 2010
samedi 27 février 2010
De quelques villes du sud.
Que croyez-vous qu'il fit pendant ce long silence?
Des rivages de Saône il alla en Provence
Là où de bons amis l'ont toujours bien reçu.
Je puis vous le confier en deux mots: il vécut.
Au point d'en oublier ce blog? Oui, et sans beaucoup de peine. Pas même de notes prises au cours du voyage pour les retranscrire ensuite. J'avais besoin de m'éloigner de Lyon et de changer d'air. Voilà qui est fait. Ce rapide séjour chez Jean-marc et Gilles en compagnie de Frédéric m'a fait le plus grand bien.
Un aller un peu laborieux par l'ancienne RN86 que j'aime tant d'habitude mais qui ne montra cette fois que de mauvais visages: une végétation encore trop endormie, aucune fleur, aucun bourgeon, et des travaux tout au long, rendus infaisables plus tôt par les rigueurs climatiques de cet hiver. Il a fallu quatre heures pour arriver à Pont-Saint-Esprit où nous avions rendez-vous avec Jean-Marc et où le repas rapide au Rosalbin fut aussi apprécié que l'an dernier.
Après-midi consacré à une promenade dans les rues de cette ville. J-M nous avait appris qu'il s'agit de la municipalité la plus endettée de France. Le maire y a même été démis de ses fonctions et c'est le préfet qui y gère les affaires courantes. Une ville triste sous le ciel gris de ce jour, une ville qui possède des merveilles architecturales et ne les entretient guère ou n'hésite pas à les flanquer de constructions hideuses en béton. Deux anecdotes de cette promenade: un maghrébin qui m'interpelle parce que je photographie un bel immeuble à côté d'une entrée de mosquée. Il prétend jouer son rôle de citoyen! J'étais tellement soufflé que la colère n'est montée que peu à peu, après. Il devient décidément dangereux de se servir de son appareil-photos! Un peu plus tard, trois gamins de dix ans à vélo qui m'insultent ("M'sieur, tu pues la merde!"), comme ça, gratuitement, dans la rue. Sans doute suite à un pari entre eux. Là aussi, il faut se pincer pour être sûr de ne pas rêver. Mention très bien cependant pour le Musée d'art sacré du Gard (ou Maison des chevaliers, autre nom du lieu), où nous sommes arrivés un quart d'heure avant la fermeture et où, au lieu de se faire éjecter comme cela aurait certainement été le cas à Lyon, nous avons eu droit à une visite guidée rapide mais efficace par un responsable du musée dont on ne put dire ce qui l'emportait, de l'intérêt de ses paroles ou de l'attrait de sa silhouette!
Le lendemain fut consacré à Uzès et Nîmes. J'aime retourner dans le 1er duché de France, même si un peu de nostalgie s'attache à chacune de mes visites. J'y ai passé de si belles soirées d'été sous les étoiles de la promenade Racine ou dans la cour de l'Évêché, à écouter un concert de musique classique ou celui, gratuit, des cigales amoureuses. Ce n'est pas sans un petit pincement que je revois la maison étroite (une pièce par étage) du Portalet où a vécu mon ami Paul. Quand nous sommes arrivés avec Frédéric, c'était jour de marché et la Place aux Herbes était encombrée d'étals au couleurs du midi: fleurs, agrumes, ail, miel, charcuterie, jusqu'à des huîtres de Bouzigues. La librairie Le Parefeuille, en revanche, était fermée, pour de courtes vacances. C'est là que la pluie est venue nous cueillir: de crachin réfrigérant, elle s'est bien vite transformée en orage antédiluvien qui nous transperça jusqu'aux os. Les rues en pente se transformèrent rapidement en véritables torrents et nous n'avions plus un poil de sec lorsque nous arrivâmes à la voiture. Je prédis en riant que nous aurions le soleil pour l'après-midi et, malgré les apparences contraires du matin, c'est bien ce qui arriva.
Jean-Marc se joignit à nous pour un repas pantagruélique dans un restaurant en bordure de route (le 86 à Saint-Gervasy, à recommander absolument) et pour la déambulation dans Nîmes. J'aime cette ville, beaucoup plus qu'Avignon dont je trouve la réputation surfaite. Nîmes me semble plus vivante et plus intéressante, moins axée sur une seule préoccupation comme l'est la Cité des papes avec son festival d'été. Soleil donc pour retrouver les jardins de la Fontaine et les rues avoisinantes dont j'avais oublié qu'elles étaient toutes dédiées à des romains "augustes", la Maison Carrée encore emmitouflée de toiles blanches et striée d'échafaudages (heureusement du côté opposé à celui de l'an dernier), le Carré d'Arts, la Cathédrale et les crocodiles suspendus dans le grand escalier de l'Hôtel de Ville.
Par hasard, j'ai retrouvé tout à l'heure dans les rayons de ma bibliothèque un petit livre, acheté je ne sais où, recensant et publiant les 24 Lettres écrites par Jean Racine lors de son séjour chez son oncle à Uzès. Voici quelques extraits des premières, où il parle de son voyage depuis Paris et des villes que j'ai évoquées précédemment.
Nous fûmes deux jours sur le Rhône, et nous couchâmes à Vienne et à Valence. J'avais commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n'être plus intelligible moi-même. Ce malheur s'accrut à Valence, et Dieu voulut qu'ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mon lit. Vous pouvez imaginer les suites de cette maudite aventure, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d'un réchaud dans ses nécessités de nuit.(...) Néanmoins je commence à m'apercevoir que c'est un langage mêlé d'espagnol et d'italien; et comme j'entends assez bien ces deux langues, j'y ai quelquefois recours pour entendre les autres, et pour me faire entendre.(...)
Au reste, pour la situation d'Uzès , vous saurez qu'elle est sur une montagne fort haute, et cette montagne n'est qu'un rocher continuel: si bien qu'en quelque temps qu'il fasse, on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers , qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis. J'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant, et on m'a appris depuis qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange.(...) Si le pays de soi avait un peu plus de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendrait pour un vrai pays de Cythère. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde.(...) Mais c'est la première chose dont on m'a dit de me donner de garde, je ne veux en parler davantage (...). On m'a dit: "Soyez aveugle." Si je ne le puis être tout à fait, il faut du moins que je sois muet.
(A La Fontaine, A Uzès, ce 11 novembre 1661)
Nîmes est à trois lieues d'ici, c'est-à-dire à sept ou huit bonnes lieues de France. Le chemin est plus diabolique mille fois que celui des diables à Nevers, et la rue d'Enfer, et tels autres chemins réprouvés; mais la ville est assurément aussi belle et aussi polide, comme on dit ici, qu'il y en ait dans le royaume. Il n'y a point de divertissements qui ne s'y trouvent:
Suoni, canti, vestir, giuochi, vivande
Quanto puo cor pensar, puo chieder bocca.
( De la musique, des chants, des toilettes, des jeux, des festins
Autant que l'esprit peut en imaginer et la bouche en demander. - L'Arioste)
(...) Mais j'y trouvai encore d'autres choses qui me plurent fort, surtout les Arènes. Vous en avez sans doute ouï parler. C'est un grand amphithéâtre, un peu en ovale, tout bâti de prodigieuses pierres, longues de deux toises, qui se tiennent là, depuis plus de seize cents ans, sans mortier et par leur seule pesanteur. Il est tout ouvert en dehors par de grandes arcades, et en dedans ce ne sont tout autour que de grands sièges de pierre, où tout le peuple s'asseyait pour voir les combats des bêtes et des gladiateurs.
(A Monsieur l'Abbé Le Vasseur, A Uzès, ce 24 novembre 1661)
Jean Racine, Ecrit d'Uzès, Préface de Rose Vincent, A la croisée)
Rien à changer à ces mots de Racine, à part peut-être pour ce qui touche au "pied sec"!
Des rivages de Saône il alla en Provence
Là où de bons amis l'ont toujours bien reçu.
Je puis vous le confier en deux mots: il vécut.
Au point d'en oublier ce blog? Oui, et sans beaucoup de peine. Pas même de notes prises au cours du voyage pour les retranscrire ensuite. J'avais besoin de m'éloigner de Lyon et de changer d'air. Voilà qui est fait. Ce rapide séjour chez Jean-marc et Gilles en compagnie de Frédéric m'a fait le plus grand bien.
Un aller un peu laborieux par l'ancienne RN86 que j'aime tant d'habitude mais qui ne montra cette fois que de mauvais visages: une végétation encore trop endormie, aucune fleur, aucun bourgeon, et des travaux tout au long, rendus infaisables plus tôt par les rigueurs climatiques de cet hiver. Il a fallu quatre heures pour arriver à Pont-Saint-Esprit où nous avions rendez-vous avec Jean-Marc et où le repas rapide au Rosalbin fut aussi apprécié que l'an dernier.
Après-midi consacré à une promenade dans les rues de cette ville. J-M nous avait appris qu'il s'agit de la municipalité la plus endettée de France. Le maire y a même été démis de ses fonctions et c'est le préfet qui y gère les affaires courantes. Une ville triste sous le ciel gris de ce jour, une ville qui possède des merveilles architecturales et ne les entretient guère ou n'hésite pas à les flanquer de constructions hideuses en béton. Deux anecdotes de cette promenade: un maghrébin qui m'interpelle parce que je photographie un bel immeuble à côté d'une entrée de mosquée. Il prétend jouer son rôle de citoyen! J'étais tellement soufflé que la colère n'est montée que peu à peu, après. Il devient décidément dangereux de se servir de son appareil-photos! Un peu plus tard, trois gamins de dix ans à vélo qui m'insultent ("M'sieur, tu pues la merde!"), comme ça, gratuitement, dans la rue. Sans doute suite à un pari entre eux. Là aussi, il faut se pincer pour être sûr de ne pas rêver. Mention très bien cependant pour le Musée d'art sacré du Gard (ou Maison des chevaliers, autre nom du lieu), où nous sommes arrivés un quart d'heure avant la fermeture et où, au lieu de se faire éjecter comme cela aurait certainement été le cas à Lyon, nous avons eu droit à une visite guidée rapide mais efficace par un responsable du musée dont on ne put dire ce qui l'emportait, de l'intérêt de ses paroles ou de l'attrait de sa silhouette!
Le lendemain fut consacré à Uzès et Nîmes. J'aime retourner dans le 1er duché de France, même si un peu de nostalgie s'attache à chacune de mes visites. J'y ai passé de si belles soirées d'été sous les étoiles de la promenade Racine ou dans la cour de l'Évêché, à écouter un concert de musique classique ou celui, gratuit, des cigales amoureuses. Ce n'est pas sans un petit pincement que je revois la maison étroite (une pièce par étage) du Portalet où a vécu mon ami Paul. Quand nous sommes arrivés avec Frédéric, c'était jour de marché et la Place aux Herbes était encombrée d'étals au couleurs du midi: fleurs, agrumes, ail, miel, charcuterie, jusqu'à des huîtres de Bouzigues. La librairie Le Parefeuille, en revanche, était fermée, pour de courtes vacances. C'est là que la pluie est venue nous cueillir: de crachin réfrigérant, elle s'est bien vite transformée en orage antédiluvien qui nous transperça jusqu'aux os. Les rues en pente se transformèrent rapidement en véritables torrents et nous n'avions plus un poil de sec lorsque nous arrivâmes à la voiture. Je prédis en riant que nous aurions le soleil pour l'après-midi et, malgré les apparences contraires du matin, c'est bien ce qui arriva.
Jean-Marc se joignit à nous pour un repas pantagruélique dans un restaurant en bordure de route (le 86 à Saint-Gervasy, à recommander absolument) et pour la déambulation dans Nîmes. J'aime cette ville, beaucoup plus qu'Avignon dont je trouve la réputation surfaite. Nîmes me semble plus vivante et plus intéressante, moins axée sur une seule préoccupation comme l'est la Cité des papes avec son festival d'été. Soleil donc pour retrouver les jardins de la Fontaine et les rues avoisinantes dont j'avais oublié qu'elles étaient toutes dédiées à des romains "augustes", la Maison Carrée encore emmitouflée de toiles blanches et striée d'échafaudages (heureusement du côté opposé à celui de l'an dernier), le Carré d'Arts, la Cathédrale et les crocodiles suspendus dans le grand escalier de l'Hôtel de Ville.
Par hasard, j'ai retrouvé tout à l'heure dans les rayons de ma bibliothèque un petit livre, acheté je ne sais où, recensant et publiant les 24 Lettres écrites par Jean Racine lors de son séjour chez son oncle à Uzès. Voici quelques extraits des premières, où il parle de son voyage depuis Paris et des villes que j'ai évoquées précédemment.
Nous fûmes deux jours sur le Rhône, et nous couchâmes à Vienne et à Valence. J'avais commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n'être plus intelligible moi-même. Ce malheur s'accrut à Valence, et Dieu voulut qu'ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mon lit. Vous pouvez imaginer les suites de cette maudite aventure, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d'un réchaud dans ses nécessités de nuit.(...) Néanmoins je commence à m'apercevoir que c'est un langage mêlé d'espagnol et d'italien; et comme j'entends assez bien ces deux langues, j'y ai quelquefois recours pour entendre les autres, et pour me faire entendre.(...)
Au reste, pour la situation d'Uzès , vous saurez qu'elle est sur une montagne fort haute, et cette montagne n'est qu'un rocher continuel: si bien qu'en quelque temps qu'il fasse, on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers , qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis. J'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant, et on m'a appris depuis qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange.(...) Si le pays de soi avait un peu plus de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendrait pour un vrai pays de Cythère. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde.(...) Mais c'est la première chose dont on m'a dit de me donner de garde, je ne veux en parler davantage (...). On m'a dit: "Soyez aveugle." Si je ne le puis être tout à fait, il faut du moins que je sois muet.
(A La Fontaine, A Uzès, ce 11 novembre 1661)
Nîmes est à trois lieues d'ici, c'est-à-dire à sept ou huit bonnes lieues de France. Le chemin est plus diabolique mille fois que celui des diables à Nevers, et la rue d'Enfer, et tels autres chemins réprouvés; mais la ville est assurément aussi belle et aussi polide, comme on dit ici, qu'il y en ait dans le royaume. Il n'y a point de divertissements qui ne s'y trouvent:
Suoni, canti, vestir, giuochi, vivande
Quanto puo cor pensar, puo chieder bocca.
( De la musique, des chants, des toilettes, des jeux, des festins
Autant que l'esprit peut en imaginer et la bouche en demander. - L'Arioste)
(...) Mais j'y trouvai encore d'autres choses qui me plurent fort, surtout les Arènes. Vous en avez sans doute ouï parler. C'est un grand amphithéâtre, un peu en ovale, tout bâti de prodigieuses pierres, longues de deux toises, qui se tiennent là, depuis plus de seize cents ans, sans mortier et par leur seule pesanteur. Il est tout ouvert en dehors par de grandes arcades, et en dedans ce ne sont tout autour que de grands sièges de pierre, où tout le peuple s'asseyait pour voir les combats des bêtes et des gladiateurs.
(A Monsieur l'Abbé Le Vasseur, A Uzès, ce 24 novembre 1661)
Jean Racine, Ecrit d'Uzès, Préface de Rose Vincent, A la croisée)
Rien à changer à ces mots de Racine, à part peut-être pour ce qui touche au "pied sec"!
lundi 22 février 2010
Raison et sentiments
Sortir de devant le petit écran (pourquoi garder cette appellation alors que celui de l'ordinateur est encore plus petit, bien plus petit?) en se disant que l'on n'a pas perdu sa soirée, que l'on a vu, à une heure décente, quelque chose d'intelligent, est assez rare. Et voilà que cela m'arrive pour la deuxième fois en peu de temps. Après Les Fraises Sauvages, c'était ce soir au tour de Raison et Sentiments de me tenir assis (et éveillé) devant la télévision.
Raison et sentiments, c'est un film de Ang Lee, le réalisateur du Secret de Brokeback Mountains. Raison et sentiments, c'est aussi un roman de la britannique Jane Austen dont j'avais beaucoup apprécié la lecture d'un autre de ses livres: Orgueil et préjugés. Mais tout le monde sait cela.
Ce que tout le monde ne sait pas, c'est le plaisir que je ressens à me retrouver par la lecture ou le cinéma dans cet aristocratique univers anglais, dans les riches demeures londoniennes ou les tout aussi opulentes résidences du Devon ou d'autres comtés de la vieille Angleterre. Ce soir, particulièrement, les images étaient belles, les dialogues légers et intelligents, le jeu des acteurs à tout moment crédible et jamais outré, la musique à tirer des larmes (ce pour quoi elle semble justement avoir été composée). Emma Thomson a su, en écrivant son scénario, préserver tout ce qui fait la beauté et la nostalgie de cet univers suranné où le libertin cupide est toujours démasqué, où la parole donnée prime le sentiment profond et où tout se termine par un mariage devant le porche moussu d'une vieille église de campagne.
Raison et sentiments, c'est un film de Ang Lee, le réalisateur du Secret de Brokeback Mountains. Raison et sentiments, c'est aussi un roman de la britannique Jane Austen dont j'avais beaucoup apprécié la lecture d'un autre de ses livres: Orgueil et préjugés. Mais tout le monde sait cela.
Ce que tout le monde ne sait pas, c'est le plaisir que je ressens à me retrouver par la lecture ou le cinéma dans cet aristocratique univers anglais, dans les riches demeures londoniennes ou les tout aussi opulentes résidences du Devon ou d'autres comtés de la vieille Angleterre. Ce soir, particulièrement, les images étaient belles, les dialogues légers et intelligents, le jeu des acteurs à tout moment crédible et jamais outré, la musique à tirer des larmes (ce pour quoi elle semble justement avoir été composée). Emma Thomson a su, en écrivant son scénario, préserver tout ce qui fait la beauté et la nostalgie de cet univers suranné où le libertin cupide est toujours démasqué, où la parole donnée prime le sentiment profond et où tout se termine par un mariage devant le porche moussu d'une vieille église de campagne.
En Marge des jours
La machine à lire s'est remise en route. Heureusement! Je croyais en avoir perdu l'appétence, tant ce que je lis m'ennuie souvent. Mais cet ennui, j'en suis presque sûr maintenant, est dû davantage à la médiocrité de ce qui paraît qu'à un désintérêt de ma part.
Pour me remettre en selle, un autre Pontalis, En Marge des jours (Gallimard,Folio), fragments divers, courtes notes prises au fil des jours, non datés si ce n'est pour l'auteur, évoquant son métier de psychanalyste, certains de ses patients ou de ses collègues, montrant son attachement au travail de Freud et en même temps la distance qu'il tient à garder avec tout système trop rigide, comparant rêve et mémoire, parfois relatant un moment, intime, de la vie de tous les jours comme il l'aurait fait dans un journal.
Le plaisir à le lire vient pour moi de son style, bien sûr, toujours clair et concis, de la diversité de ces approches et de ses intérêts, qui fait que l'on n'a pas le temps de se lasser et surtout de ce double plus âgé que je retrouve en lui ou plutôt en son mode d'être et de se dire sans se clamer, une pudeur qui n'a pourtant jamais le voile de la pudibonderie.
"La nostalgie vient de l'incapacité à haïr" me dit F. M'a-t-elle destiné la formule? Si j'ai déjà bien du mal à me sentir objet de haine, j'ai encore beaucoup plus de mal à me reconnaître sujet haïssant; à vrai dire, je n'y parviens pas. Pour ce qui est de la nostalgie, je connais.
Pour me remettre en selle, un autre Pontalis, En Marge des jours (Gallimard,Folio), fragments divers, courtes notes prises au fil des jours, non datés si ce n'est pour l'auteur, évoquant son métier de psychanalyste, certains de ses patients ou de ses collègues, montrant son attachement au travail de Freud et en même temps la distance qu'il tient à garder avec tout système trop rigide, comparant rêve et mémoire, parfois relatant un moment, intime, de la vie de tous les jours comme il l'aurait fait dans un journal.
Le plaisir à le lire vient pour moi de son style, bien sûr, toujours clair et concis, de la diversité de ces approches et de ses intérêts, qui fait que l'on n'a pas le temps de se lasser et surtout de ce double plus âgé que je retrouve en lui ou plutôt en son mode d'être et de se dire sans se clamer, une pudeur qui n'a pourtant jamais le voile de la pudibonderie.
"La nostalgie vient de l'incapacité à haïr" me dit F. M'a-t-elle destiné la formule? Si j'ai déjà bien du mal à me sentir objet de haine, j'ai encore beaucoup plus de mal à me reconnaître sujet haïssant; à vrai dire, je n'y parviens pas. Pour ce qui est de la nostalgie, je connais.
dimanche 21 février 2010
Momentini
Repas chez mon frère. Ma mère, grognon au départ, a bu une goutte de vin rouge, du Fitou. Je vous recommande la recette: après ça, charmante, pétillante, pleine d'esprit, bavarde. Des lustres que je ne l'avais vue comme ça: un sourire magnifique, sans dents mais jusqu'aux oreilles.
Plus je regarde la nouvelle tour de la Part-Dieu, la Tour Oxygène, plus je la trouve belle. Ça doit se soigner. Sûrement.
Repris un Pontalis. Retrouvé le même plaisir, comme à chaque fois.
L'autre soir, une femme croisée m'a interpellé dans la rue. Elle m'avait pris pour un de ses amis médecins. Pourquoi me prend-on toujours pour un médecin ou, lorsque je dis que je suis professeur, pour un de maths ou de gymnastique ? Pourquoi veut-on toujours me prénommer Claude ou Bernard? Pourquoi ma mère, constamment, m'appelle par le prénom de mon père? Pourquoi toujours autre chose, quelqu'un d'autre? Mais qui suis-je, au fait?
Entendu à la radio, relevé par un journaliste: Monsieur X. tient à remercier toutes les personnes qui ont participé au décès de son épouse. Ça, ça me fait rire.
Plus je regarde la nouvelle tour de la Part-Dieu, la Tour Oxygène, plus je la trouve belle. Ça doit se soigner. Sûrement.
Repris un Pontalis. Retrouvé le même plaisir, comme à chaque fois.
L'autre soir, une femme croisée m'a interpellé dans la rue. Elle m'avait pris pour un de ses amis médecins. Pourquoi me prend-on toujours pour un médecin ou, lorsque je dis que je suis professeur, pour un de maths ou de gymnastique ? Pourquoi veut-on toujours me prénommer Claude ou Bernard? Pourquoi ma mère, constamment, m'appelle par le prénom de mon père? Pourquoi toujours autre chose, quelqu'un d'autre? Mais qui suis-je, au fait?
Entendu à la radio, relevé par un journaliste: Monsieur X. tient à remercier toutes les personnes qui ont participé au décès de son épouse. Ça, ça me fait rire.
Mégère me gêne
Un tour rapide ce matin aux Puces du canal. Beaucoup de monde avec le soleil réapparu. Beaucoup de stands ouverts aussi, et toujours cette aimable mégère qui n'a pas encore vendu son tableau des sons. J'en profite pour compléter mon portrait: elle a un piercing à la paupière, ce que je n'apprécie pas particulièrement et qui d'ailleurs lui va comme une paire de mitaines à un taureau en rut.
Mais cette gorgone a tout de même réussi son coup: j'ai hésité ce matin à sortir l'appareil et à prendre quelques photos. Je n'étais plus très à l'aise et le plaisir n'y était pas. Pas le temps d'ajuster, de cadrer non plus, un photographe à la sauvette, voilà en quoi je m'étais transformé. Comme d'habitude, je n'ai rien acheté: que ferais-je de l'un quelconque de ces objets, moi qui chez moi ai de quoi ouvrir un stand fourni? Demain d'ailleurs, je continue le tri.
Mais cette gorgone a tout de même réussi son coup: j'ai hésité ce matin à sortir l'appareil et à prendre quelques photos. Je n'étais plus très à l'aise et le plaisir n'y était pas. Pas le temps d'ajuster, de cadrer non plus, un photographe à la sauvette, voilà en quoi je m'étais transformé. Comme d'habitude, je n'ai rien acheté: que ferais-je de l'un quelconque de ces objets, moi qui chez moi ai de quoi ouvrir un stand fourni? Demain d'ailleurs, je continue le tri.
La Chambre des parents
C'est en voulant faire un cadeau à ma sœur que j'ai connu cette écrivain, Brigitte Giraud, qui vit actuellement à Bron, dans la proche banlieue lyonnaise, où elle œuvre pour l'annuelle Fête du livre.
La Chambre des parents, paru en Livre de poche, raconte en alternance la jeunesse d'un homme et son séjour à l'âge adulte entre les murs d'une prison, plus exactement les derniers instants de ce séjour en prison, au moment où il va devoir quitter son compagnon de cellule, Mario, dont on peut dire que c'est devenu un ami, son ami, le seul, à qui petit à petit, il confie tout, sauf une chose, son secret que l'on n'apprend seulement dans les dernières pages du livre.
Côté positif: c'est un petit livre vite lu où le fait que l'écrivain soit une femme ne gêne en rien la crédibilité du personnage-narrateur masculin. Un style froid et neutre, ne cherchant jamais l'effet appuyé ou l'émotion bon marché.
Côté négatif: c'est un petit livre vite lu et donc aussi vite oublié, où l'on retrouve pour le énième fois le ressort dramatique du secret.
Qu'il y ait trois lignes de positif contre deux de négatif poussent à croire que j'ai aimé ce livre. C'est allé un peu vite. Disons qu'il est comme certains papes: de transition.
La Chambre des parents, paru en Livre de poche, raconte en alternance la jeunesse d'un homme et son séjour à l'âge adulte entre les murs d'une prison, plus exactement les derniers instants de ce séjour en prison, au moment où il va devoir quitter son compagnon de cellule, Mario, dont on peut dire que c'est devenu un ami, son ami, le seul, à qui petit à petit, il confie tout, sauf une chose, son secret que l'on n'apprend seulement dans les dernières pages du livre.
Côté positif: c'est un petit livre vite lu où le fait que l'écrivain soit une femme ne gêne en rien la crédibilité du personnage-narrateur masculin. Un style froid et neutre, ne cherchant jamais l'effet appuyé ou l'émotion bon marché.
Côté négatif: c'est un petit livre vite lu et donc aussi vite oublié, où l'on retrouve pour le énième fois le ressort dramatique du secret.
Qu'il y ait trois lignes de positif contre deux de négatif poussent à croire que j'ai aimé ce livre. C'est allé un peu vite. Disons qu'il est comme certains papes: de transition.
samedi 20 février 2010
Quelque part en Russie, au début du siècle
Russie. Deux mille et quelque chose. Début d'un siècle. Une ville dans la banlieue lointaine de Saint-Pétersbourg. Mon dernier voyage avec les enfants. Un concert prévu là dont j'ai oublié le nom. Une longue route rectiligne dans cette plaine laide. Est-ce ce jour- là que nous avons longé Tsarkoïe Selo sans nous y arrêter? J'étais sans doute le seul à savoir ce qui s'y était passé, le sang versé au début d'un autre siècle.
A l'entrée de la ville, escorte d'officiels qui accompagnent le car en voitures. Comme si nous étions importants. Comme si nous n'avions pas le droit de nous égarer. Par la fenêtre, je vois apparaître au loin les premiers bâtiments, béton gris sans rien autour. Seul ornement de la cité: le bloc massif, à l'entrée, d'un marteau et d'une faucille dans leur accouplement gigantesque, énorme rut enfantant la laideur.
Le palais de la culture est laid à l'extérieur, la salle de spectacle fonctionnelle, le repas servi socialiste. Il n'y a rien à voir, rien à acheter, ce qui ne me gêne pas, rien à admirer.
Et puis, dans la salle, elles apparaissent, s'installent au rang derrière le nôtre. Dans leur costume traditionnel, éclatant de couleurs dans la grisaille uniforme. L'envers de cette mort. Des rires, en éclats, des mimiques, des chamailleries de toutes jeunes filles. Elles veulent nous connaître, nous parler malgré nos langues si différentes. Plus tard, après le spectacle, on prendra des photos, devant le parking des cars. Comme elles sont belles, ces filles de l'est de ce qui s'appelait encore il y a peu de temps l'URSS! Elles viennent de l'Orient, en ont le regard plissé et la pommette haute, les cheveux noirs de jais tressés sur leur front blanc. Tatarstan ou, plus loin, Kirghistan, je ne sais plus.
On se sourit, on se serre pour entrer sur la photo, on pouffe encore à un mot de l'un, à une plaisanterie de l'autre, que personne ne comprendra, mais qu'importe. On sait que l'on ne se reverra jamais, que Kazan ou Bichkek sont bien loin de Lyon, que les cars vont repartir et qu'il ne restera bientôt que le souvenirs des sourires, de la pétillance des regards et de la joie de s'être croisés pour quelques heures, d'avoir vécu son humanité, la même, au milieu de presque rien.
A l'entrée de la ville, escorte d'officiels qui accompagnent le car en voitures. Comme si nous étions importants. Comme si nous n'avions pas le droit de nous égarer. Par la fenêtre, je vois apparaître au loin les premiers bâtiments, béton gris sans rien autour. Seul ornement de la cité: le bloc massif, à l'entrée, d'un marteau et d'une faucille dans leur accouplement gigantesque, énorme rut enfantant la laideur.
Le palais de la culture est laid à l'extérieur, la salle de spectacle fonctionnelle, le repas servi socialiste. Il n'y a rien à voir, rien à acheter, ce qui ne me gêne pas, rien à admirer.
Et puis, dans la salle, elles apparaissent, s'installent au rang derrière le nôtre. Dans leur costume traditionnel, éclatant de couleurs dans la grisaille uniforme. L'envers de cette mort. Des rires, en éclats, des mimiques, des chamailleries de toutes jeunes filles. Elles veulent nous connaître, nous parler malgré nos langues si différentes. Plus tard, après le spectacle, on prendra des photos, devant le parking des cars. Comme elles sont belles, ces filles de l'est de ce qui s'appelait encore il y a peu de temps l'URSS! Elles viennent de l'Orient, en ont le regard plissé et la pommette haute, les cheveux noirs de jais tressés sur leur front blanc. Tatarstan ou, plus loin, Kirghistan, je ne sais plus.
On se sourit, on se serre pour entrer sur la photo, on pouffe encore à un mot de l'un, à une plaisanterie de l'autre, que personne ne comprendra, mais qu'importe. On sait que l'on ne se reverra jamais, que Kazan ou Bichkek sont bien loin de Lyon, que les cars vont repartir et qu'il ne restera bientôt que le souvenirs des sourires, de la pétillance des regards et de la joie de s'être croisés pour quelques heures, d'avoir vécu son humanité, la même, au milieu de presque rien.
vendredi 19 février 2010
Il a plu
Aujourd'hui, il a plu. Pas trop mais suffisamment pour ne pas sortir. Jean-Claude a terminé. Il travaille vite et bien. J'ai trié, jeté, rangé. Sans envie. Mais c'est bien beau tout de même. Enfin, je trouve, moi. Les pièces retrouvent une allure plus orthodoxe. Je finirai demain, placard et copies. La semaine prochaine, sans doute quelques petits jours ailleurs. J'en ai grand besoin. Il me tarde de voir la campagne. J'espère que les premiers amandiers seront en fleurs. Je les ai vus une autre fois, avec Amédé. Il y a des siècles.
Les Fraises sauvages
Il est difficile de parler d'un film d'Ingmar Bergman. Les uns, en lisant le nom de ce réalisateur, vont sans doute fuir tout de suite, les autres m'attendre au tournant car on ne touche pas impunément à un mythe.
Depuis Cris et Chuchotements en 1972 (je suis allé chercher l'année sur Google qui m'a cité d'abord un club de fétichistes et adeptes du SM!!!), je n'avais vu aucun film du suédois. La télévision, cette semaine, a passé Les Fraises sauvages(1957) que je ne connaissais que de réputation.
Dès le "prologue", j'ai su que je n'allais pas m'endormir devant l'écran. Un vieux médecin misanthrope, Isak Borg (Victor Sjöskom), doit aller à Stockholm pour y recevoir une distinction honorifique et s'y rend en voiture, accompagné de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin). Auparavant, dans ce prologue, une voix off nous dit l'existence de cet homme froid et solitaire qui ne supporte qu'une présence auprès de lui: celle de sa gouvernante au caractère bien trempé. Monologue magnifiquement littéraire, découverte de cet homme, de son visage buriné, du décor de sa vie, en de longs plans noirs et blancs: des images qui, une fois vues, ne s'oublient pas de si tôt.
Le voyage sera l'occasion pour le vieillard de rencontrer trois jeunes auto stoppeurs sympathiques, un couple en complète perdition et de revoir des lieux et des personnes de son enfance ou du début de son âge adulte, en particulier sa mère, vieille dame égoïste et peu aimante et sa femme, morte depuis bien longtemps, qui le trompa dans les bras d'un autre, pourtant plus frustre. Isak Borg va peu à peu renouer les liens avec la famille qui lui reste, cette belle-fille qui l'accompagne et qu'il apprend à aimer en la découvrant, et le mari de celle-ci, son propre fils auquel il a prêté une assez,forte somme d'argent.
La merveille, dans ce film, c'est l'économie de dialogues dont il est peu besoin pour comprendre les sentiments des uns vis à vis des autres, et le jeu étourdissant avec le noir et blanc, jeu qui m'a littéralement subjugué, en particulier dans un des épisodes de rêves: le vieil homme se retrouve par hasard dans un quartier qu'il ne connaît pas, étrangement silencieux et délabré. Une horloge, en hauteur, n'indique aucune heure: elle n'a plus d'aiguilles. Quand il tente de la vérifier sur sa montre-oignon, celle-ci n'a plus d'aiguilles non plus. Enfin apparaît au bout de la rue une silhouette de dos. Lorsqu'il se rapproche et l'oblige à se retourner, il se rend compte que ce n'est qu'une image, rien moins qu'un homme vivant. A ce moment-là on entend le pas de deux chevaux qui apparaissent bientôt, traînant derrière eux un cercueil déposé sur une charrette. Une des roues de la charrette percute un lampadaire et roule jusqu'au vieillard aux pieds duquel elle vient se désagréger. Les chevaux arrivent à se dégager mais le cercueil, pendant leur fuite, tombe sur la chaussée et s'ouvre. Borg alors se penche et reconnaît le mort qui le prend par le bras et tente de l'attirer: c'est lui-même, dont la dépouille a été déposée dans ce cercueil. C'est une scène admirable. Il n'y a rien de trop, pas d'appel aux sentiments ou à la frayeur, pas de leçon tirée, rien que des images dont chacune est un chef-d'œuvre.
Curieusement, j'ai plusieurs fois pensé à une certaine littérature japonaise que j'aime tant, en particulier aux romans de Yoko Ogawa, dont l'atmosphère, parfois, est proche de celle du maître suédois.
Depuis Cris et Chuchotements en 1972 (je suis allé chercher l'année sur Google qui m'a cité d'abord un club de fétichistes et adeptes du SM!!!), je n'avais vu aucun film du suédois. La télévision, cette semaine, a passé Les Fraises sauvages(1957) que je ne connaissais que de réputation.
Dès le "prologue", j'ai su que je n'allais pas m'endormir devant l'écran. Un vieux médecin misanthrope, Isak Borg (Victor Sjöskom), doit aller à Stockholm pour y recevoir une distinction honorifique et s'y rend en voiture, accompagné de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin). Auparavant, dans ce prologue, une voix off nous dit l'existence de cet homme froid et solitaire qui ne supporte qu'une présence auprès de lui: celle de sa gouvernante au caractère bien trempé. Monologue magnifiquement littéraire, découverte de cet homme, de son visage buriné, du décor de sa vie, en de longs plans noirs et blancs: des images qui, une fois vues, ne s'oublient pas de si tôt.
Le voyage sera l'occasion pour le vieillard de rencontrer trois jeunes auto stoppeurs sympathiques, un couple en complète perdition et de revoir des lieux et des personnes de son enfance ou du début de son âge adulte, en particulier sa mère, vieille dame égoïste et peu aimante et sa femme, morte depuis bien longtemps, qui le trompa dans les bras d'un autre, pourtant plus frustre. Isak Borg va peu à peu renouer les liens avec la famille qui lui reste, cette belle-fille qui l'accompagne et qu'il apprend à aimer en la découvrant, et le mari de celle-ci, son propre fils auquel il a prêté une assez,forte somme d'argent.
La merveille, dans ce film, c'est l'économie de dialogues dont il est peu besoin pour comprendre les sentiments des uns vis à vis des autres, et le jeu étourdissant avec le noir et blanc, jeu qui m'a littéralement subjugué, en particulier dans un des épisodes de rêves: le vieil homme se retrouve par hasard dans un quartier qu'il ne connaît pas, étrangement silencieux et délabré. Une horloge, en hauteur, n'indique aucune heure: elle n'a plus d'aiguilles. Quand il tente de la vérifier sur sa montre-oignon, celle-ci n'a plus d'aiguilles non plus. Enfin apparaît au bout de la rue une silhouette de dos. Lorsqu'il se rapproche et l'oblige à se retourner, il se rend compte que ce n'est qu'une image, rien moins qu'un homme vivant. A ce moment-là on entend le pas de deux chevaux qui apparaissent bientôt, traînant derrière eux un cercueil déposé sur une charrette. Une des roues de la charrette percute un lampadaire et roule jusqu'au vieillard aux pieds duquel elle vient se désagréger. Les chevaux arrivent à se dégager mais le cercueil, pendant leur fuite, tombe sur la chaussée et s'ouvre. Borg alors se penche et reconnaît le mort qui le prend par le bras et tente de l'attirer: c'est lui-même, dont la dépouille a été déposée dans ce cercueil. C'est une scène admirable. Il n'y a rien de trop, pas d'appel aux sentiments ou à la frayeur, pas de leçon tirée, rien que des images dont chacune est un chef-d'œuvre.
Curieusement, j'ai plusieurs fois pensé à une certaine littérature japonaise que j'aime tant, en particulier aux romans de Yoko Ogawa, dont l'atmosphère, parfois, est proche de celle du maître suédois.
jeudi 18 février 2010
Post-scriptum
Au billet d'hier.
En prenant la photo du panneau scolaire des sons, j'en ai entendu d'autres, dissonants et criards provenant de la sorte de pochetronne qui tenait le stand en plein air. Déjà, lors de ma précédente visite aux puces, j'avais repéré ce texte et je voulais le photographier mais la trogne renfrognée de la maîtresse des lieux m'en avait dissuadé. Prémonition? La fois suivante, profitant qu'elle était occupée avec un client, j'ai fait la photo.... et me suis attiré la foudre céleste.
Zeus dans sa grande ire, c'est du pipi de chat à côté de la rombière: la face, déjà rougie par le froid et sans doute aussi les (nombreuses) boissons alcoolisées ingurgitées pour se réchauffer, a viré au violet sombre. Pas beau à voir dépassant d'un anorak informe qui avait connu des jours meilleurs dans un autre siècle. Pas beau surtout à entendre, cette voix dont le rauque millésimait à coup sûr la première cigarette à bien des années écoulées. Et que des mots choisis. Je n'avais pas le droit de photographier, c'était une œuvre d'art, il y avait des droits d'auteur, elle même, Madame, était une photographe professionnelle, etc, etc.
J'avoue n'avoir pas été très poli sur le coup mais cette nouvelle manie qu'on les gens de se prendre pour des artistes et de considérer tout ce qui les touche ou tout ce qu'ils touchent comme sacré, basta! J'avais eu, il y a quelques temps, la même réaction de la part d'un tenancier de bar lorsque je photographiais la façade de l'immeuble où se trouvait son établissement. J'ai continué mon chemin sans me démonter en lui lançant par dessus mes épaules que si ça ne lui plaisait pas, elle n'avait qu'à appeler quelqu'un pour faire respecter ses droits. J'ai été gratifié du doux nom de connard et l'affaire en est restée là.
Après un deuxième petit incident le même jour, mais avec une personne beaucoup moins agressive, j'ai préféré ensuite, en cas de présence de l'occupant des lieux, demander si je pouvais photographier les stands. Aucun refus et même des mines surprises: pourquoi quémandais-je une permission pour une chose aussi naturelle? Où va se nicher la bêtise? Frédéric et Jean-Claude qui étaient avec moi en avaient bien ri.
En prenant la photo du panneau scolaire des sons, j'en ai entendu d'autres, dissonants et criards provenant de la sorte de pochetronne qui tenait le stand en plein air. Déjà, lors de ma précédente visite aux puces, j'avais repéré ce texte et je voulais le photographier mais la trogne renfrognée de la maîtresse des lieux m'en avait dissuadé. Prémonition? La fois suivante, profitant qu'elle était occupée avec un client, j'ai fait la photo.... et me suis attiré la foudre céleste.
Zeus dans sa grande ire, c'est du pipi de chat à côté de la rombière: la face, déjà rougie par le froid et sans doute aussi les (nombreuses) boissons alcoolisées ingurgitées pour se réchauffer, a viré au violet sombre. Pas beau à voir dépassant d'un anorak informe qui avait connu des jours meilleurs dans un autre siècle. Pas beau surtout à entendre, cette voix dont le rauque millésimait à coup sûr la première cigarette à bien des années écoulées. Et que des mots choisis. Je n'avais pas le droit de photographier, c'était une œuvre d'art, il y avait des droits d'auteur, elle même, Madame, était une photographe professionnelle, etc, etc.
J'avoue n'avoir pas été très poli sur le coup mais cette nouvelle manie qu'on les gens de se prendre pour des artistes et de considérer tout ce qui les touche ou tout ce qu'ils touchent comme sacré, basta! J'avais eu, il y a quelques temps, la même réaction de la part d'un tenancier de bar lorsque je photographiais la façade de l'immeuble où se trouvait son établissement. J'ai continué mon chemin sans me démonter en lui lançant par dessus mes épaules que si ça ne lui plaisait pas, elle n'avait qu'à appeler quelqu'un pour faire respecter ses droits. J'ai été gratifié du doux nom de connard et l'affaire en est restée là.
Après un deuxième petit incident le même jour, mais avec une personne beaucoup moins agressive, j'ai préféré ensuite, en cas de présence de l'occupant des lieux, demander si je pouvais photographier les stands. Aucun refus et même des mines surprises: pourquoi quémandais-je une permission pour une chose aussi naturelle? Où va se nicher la bêtise? Frédéric et Jean-Claude qui étaient avec moi en avaient bien ri.
mercredi 17 février 2010
Ac, oc, ic, uc, as, os, is, us.
Que dit cet ancien panneau que l'on accrochait autrefois aux murs des salles de classe et que j'ai découvert aux Puces? Pour ceux qui n'y voient guère, il s'agit d'une leçon sur les sons "ac, oc, ic, uc, as, os, is, us:
aline porte au facteur une carte postale - elle flâne sur le bord du lac et regarde victor et gustave grimpant dans le bac du père pascalou - la promenade sera courte car le bac heurte un roc et bascule sous la cascade - plic! ploc! sous le choc rude les lascars coulent à pic - ils accostent, le costume ruisselant - ils seront punis! le bac dérive à la cascade et bascule
Transcription moderne:
Typ-ic att-ac: sous le ch-oc, Kevin est aus-ol - le flic a levé sa matr-ac et le tab-as - mais une pét-as lui chope le pén-is et le tord comme une v-is. le flic a la tr-ic - elle dit au g-us qu'il est pédé comme un ph-oc et que ce f-uc-ing collège, ça devient craign-os. Mais que fait L-uc ou Sarc-os? - ils seront punis! le p-ack dérive, ya comme un -os!
Ah! la jeunesse, ma brav'dame! (orthographe garantie)
aline porte au facteur une carte postale - elle flâne sur le bord du lac et regarde victor et gustave grimpant dans le bac du père pascalou - la promenade sera courte car le bac heurte un roc et bascule sous la cascade - plic! ploc! sous le choc rude les lascars coulent à pic - ils accostent, le costume ruisselant - ils seront punis! le bac dérive à la cascade et bascule
Transcription moderne:
Typ-ic att-ac: sous le ch-oc, Kevin est aus-ol - le flic a levé sa matr-ac et le tab-as - mais une pét-as lui chope le pén-is et le tord comme une v-is. le flic a la tr-ic - elle dit au g-us qu'il est pédé comme un ph-oc et que ce f-uc-ing collège, ça devient craign-os. Mais que fait L-uc ou Sarc-os? - ils seront punis! le p-ack dérive, ya comme un -os!
Ah! la jeunesse, ma brav'dame! (orthographe garantie)
Journal: arrêt de publication
Sevran, dernier tome, posthume. Les Petits Bals perdus (Livre de poche, Albin Michel). La maladie présente tout au long, bien qu'il n'en prononce pas le nom. Ses nouvelles amitiés au sommet de l'état aussi, pas si surprenantes que ça. Et puis ses amitiés, ses amours ou leur souvenir, ses inimitiés, un long silence de quatre mois, entre le 30 mars et le 1er août (à 18h30, précise-t-il). Je m'y reconnais, je ne m'y reconnais pas: c'est le propre des journaux intimes, je pense. Sinon, quel intérêt?
On m'a offert une centaine de jonquilles, du jaune partout dans la maison. Ça intéresse qui, exactement, ce que je viens de noter? On m'a offert des jonquilles, bon, très bien, pas de quoi en faire un roman.
Les journaux de Madeleine Chapsal et de Jean Chalon que je lis en ce moment sont pleins de ce genre de petits détails de rien du tout qui m'intéressent beaucoup. C'est le travers et le charme des journaux intimes, presque rien pour pas grand chose, mais la vie pourtant qui passe ici et là, le chagrin et la pitié. Les journaux intimes n'ont aucun succès car les lecteurs veulent qu'on leur raconte des histoires d'amour de préférence, même tristes, mais d'amour, parce qu'ils ne reçoivent jamais de jonquilles à leur petit déjeuner. (10 mars 2007)
4 janvier 2008: avant, sur la dernière page qu'il ne faut pas tourner, un paragraphe sur Delon et, plus loin, ceux de Philippe Besson, ces presque derniers mots:
Stéphane aurait quarante-cinq ans aujourd'hui. J'ai dû m'y reprendre à deux fois en comptant sur mes doigts pour tomber sur ce chiffre-là qui est le bon et me fait mal... Quarante-cinq ans! Comme il serait beau encore, même avec des cheveux blancs.
Fidèle, bien sûr.
On m'a offert une centaine de jonquilles, du jaune partout dans la maison. Ça intéresse qui, exactement, ce que je viens de noter? On m'a offert des jonquilles, bon, très bien, pas de quoi en faire un roman.
Les journaux de Madeleine Chapsal et de Jean Chalon que je lis en ce moment sont pleins de ce genre de petits détails de rien du tout qui m'intéressent beaucoup. C'est le travers et le charme des journaux intimes, presque rien pour pas grand chose, mais la vie pourtant qui passe ici et là, le chagrin et la pitié. Les journaux intimes n'ont aucun succès car les lecteurs veulent qu'on leur raconte des histoires d'amour de préférence, même tristes, mais d'amour, parce qu'ils ne reçoivent jamais de jonquilles à leur petit déjeuner. (10 mars 2007)
4 janvier 2008: avant, sur la dernière page qu'il ne faut pas tourner, un paragraphe sur Delon et, plus loin, ceux de Philippe Besson, ces presque derniers mots:
Stéphane aurait quarante-cinq ans aujourd'hui. J'ai dû m'y reprendre à deux fois en comptant sur mes doigts pour tomber sur ce chiffre-là qui est le bon et me fait mal... Quarante-cinq ans! Comme il serait beau encore, même avec des cheveux blancs.
Fidèle, bien sûr.
mardi 16 février 2010
Félix et Léo
Cela pourrait être deux copains jouant dans une cours de récréation, ou deux chats de la même portée qui s'essaient avec espièglerie à la découverte du monde, ou le titre du sempiternel Disney de Noël, celui que l'on sort pour les fêtes et où les mamies en mal d'imagination emmènent leurs petits-enfants, engraissant ainsi la niaiserie américaine, pardon: états-unienne. Rien de tout cela. Et bien pire.
Félix et Léo, ce sont les deux héros d'un joli conte proposé par Sébastien Watel dans un film d'animation d'une petite demi-heure. Félix et Léo, ce sont respectivement un poisson-chat (forcément, quand on s'appelle Félix) et un poisson-lune. Félix et Léo, ce sont deux poissons garçons. Et Félix et Léo s'aiment!
Horreur, damnation, censure, interdiction. Les bien-pensants au cul serré n'ont pas tardé à lever le bouclier de la décence et de la protection de l'enfance. Quoi, violer ainsi la conscience de nos enfants! Le film, Le Baiser de la lune, destiné à lutter à la base contre l'homophobie ambiante, restera donc dans les tiroirs pour l'instant, en tout cas ne sera pas diffusé dans les écoles.
Une dame très célèbre pour ses prises de position radicales au moment de l'installation du pacs a encore fait entendre sa voix dans le concert des brebis outragées: "On ne peut pas imposer des préoccupations d'adultes à de jeunes enfants." Ah bon! C'est nouveau, ça! Mais alors que de voiles il faudra tendre dans les rues, sur l'écran de télévision ou de l'ordinateur, sur les publicités dans nos villes, sur les illustrations enjolivant nos produits alimentaires! Des voiles épais pour cacher toute la pornographie qui s'y déploie à longueur d'année. Il faudra aussi ne pas lever les enfants trop tôt sous prétexte que les parents travaillent, ne pas leur imposer les disputes d'un couple en désaccord de plus en plus prononcé, ne pas leur partager les semaines entre deux habitats, entre deux familles, entre deux univers. Dieu, que le monde des adultes est laid. Cachons-le leur et faisons de notre progéniture des oies blanches.
D'autre part, les enfants à qui devait être projeté le film sont des CM1 et CM2, donc plus de la toute prime enfance et, à mon avis, déjà un peu grands pour un conte plus en accord avec le monde des 5 ou 6 ans qu'avec le leur, déjà plus déluré. Est-il si impensable que cela, dans une société qui, en paroles souvent à défaut des actes, tient à se battre officiellement contre toute forme de discrimination, de montrer que l'amour entre deux êtres du même sexe n'est pas sale et peut amener, pour peu qu'on lui laisse sa chance, à l'épanouissement et au bonheur de ceux qui le vivent? Craint-on une contagion, une contamination, un prosélytisme? Pour qui? Pour quoi? Ne sait-on pas tous aujourd'hui qu'être homosexuel n'est pas un choix mais un état de nature, qu'aucun vice, qu'aucune tare ni maladie ne se cachent derrière cette réalité-là?
Je suis profondément écœuré et déçu que la France, nation des Lumières il y a à peine trois siècles, en soit descendue à ce degré d'obscurantisme. Allez, Félix et Léo, vous repasserez, allez nager dans d'autres eaux. Ici, les nôtres sont décidément trop troubles.
Félix et Léo, ce sont les deux héros d'un joli conte proposé par Sébastien Watel dans un film d'animation d'une petite demi-heure. Félix et Léo, ce sont respectivement un poisson-chat (forcément, quand on s'appelle Félix) et un poisson-lune. Félix et Léo, ce sont deux poissons garçons. Et Félix et Léo s'aiment!
Horreur, damnation, censure, interdiction. Les bien-pensants au cul serré n'ont pas tardé à lever le bouclier de la décence et de la protection de l'enfance. Quoi, violer ainsi la conscience de nos enfants! Le film, Le Baiser de la lune, destiné à lutter à la base contre l'homophobie ambiante, restera donc dans les tiroirs pour l'instant, en tout cas ne sera pas diffusé dans les écoles.
Une dame très célèbre pour ses prises de position radicales au moment de l'installation du pacs a encore fait entendre sa voix dans le concert des brebis outragées: "On ne peut pas imposer des préoccupations d'adultes à de jeunes enfants." Ah bon! C'est nouveau, ça! Mais alors que de voiles il faudra tendre dans les rues, sur l'écran de télévision ou de l'ordinateur, sur les publicités dans nos villes, sur les illustrations enjolivant nos produits alimentaires! Des voiles épais pour cacher toute la pornographie qui s'y déploie à longueur d'année. Il faudra aussi ne pas lever les enfants trop tôt sous prétexte que les parents travaillent, ne pas leur imposer les disputes d'un couple en désaccord de plus en plus prononcé, ne pas leur partager les semaines entre deux habitats, entre deux familles, entre deux univers. Dieu, que le monde des adultes est laid. Cachons-le leur et faisons de notre progéniture des oies blanches.
D'autre part, les enfants à qui devait être projeté le film sont des CM1 et CM2, donc plus de la toute prime enfance et, à mon avis, déjà un peu grands pour un conte plus en accord avec le monde des 5 ou 6 ans qu'avec le leur, déjà plus déluré. Est-il si impensable que cela, dans une société qui, en paroles souvent à défaut des actes, tient à se battre officiellement contre toute forme de discrimination, de montrer que l'amour entre deux êtres du même sexe n'est pas sale et peut amener, pour peu qu'on lui laisse sa chance, à l'épanouissement et au bonheur de ceux qui le vivent? Craint-on une contagion, une contamination, un prosélytisme? Pour qui? Pour quoi? Ne sait-on pas tous aujourd'hui qu'être homosexuel n'est pas un choix mais un état de nature, qu'aucun vice, qu'aucune tare ni maladie ne se cachent derrière cette réalité-là?
Je suis profondément écœuré et déçu que la France, nation des Lumières il y a à peine trois siècles, en soit descendue à ce degré d'obscurantisme. Allez, Félix et Léo, vous repasserez, allez nager dans d'autres eaux. Ici, les nôtres sont décidément trop troubles.
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lundi 15 février 2010
Infos
Exceptionnellement, ce soir, j'ai regardé le journal de 20h à la télévision, sur TF1 en plus. Une fois n'est pas coutume. Quelle misère! Chaque fois qu'un journaliste traite d'un sujet que je connais un peu, je me rends compte de la pauvreté de l'investigation et de la naïveté (ou de la malhonnêteté) des analyses. Tout à l'heure, il s'agissait de l'utilisation de l'internet dans l'enseignement en France. J'en parlerai sans doute une autre fois, je n'ai pas envie de m'exciter juste avant d'aller au lit. Mais tout de même: il paraît que notre pays est à la traîne en Europe et qu'il faudra mettre les bouchées doubles pour rattraper notre retard. Pourquoi? C'est une course?
Mille e tre
Mes amants n'appartiennent pas aux classes riches:
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux,
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêts, sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros.
Je les goûte en habits de travail, cotte et veste;
Ils ne sentent pas l'ambre et fleurent de santé
Pure et simple; leur marche un peu lourde, va preste
Pourtant, car jeune, et grave en l'élasticité;
(...)
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cu;
Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu.
(...)
Antoine, encor, proverbial quant à la queue,
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu,
Taraudant tout mon cœur de sa prunelle bleue
Et tout mon cul de son épouvantable épieu.
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes
Poitrine blanche, aux durs boutons sucés ainsi
Que le bon bout; François, souple comme des gerbes
Ses jambes de danseur, et beau, son chibre aussi!
(...)
Et vous tous à la file ou confondus en bande
Ou seuls, vision si nette des jours passés,
Passions du présent, futur qui croît et bande,
Chéris sans nombre qui n'êtes jamais assez!
Paul Verlaine, Hombres, 1891, in Poèmes érotiques, JC Lattès 1979.
A quoi sert de ranger des placards!
" Si l'on accepte la liberté d'expression, on s'aperçoit que toute vulgarité est bannie de ces vers." (Marcel Béalu). Qui en effet aujourd'hui pourrait écrire cela?
PS: Le titre, traduisible prosaïquement par 1003, est sans doute inspiré par un air de Don Juan de Mozart, quand son valet, Leporello, déroule le catalogue des conquêtes (féminines) de son maître.
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux,
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêts, sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros.
Je les goûte en habits de travail, cotte et veste;
Ils ne sentent pas l'ambre et fleurent de santé
Pure et simple; leur marche un peu lourde, va preste
Pourtant, car jeune, et grave en l'élasticité;
(...)
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cu;
Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu.
(...)
Antoine, encor, proverbial quant à la queue,
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu,
Taraudant tout mon cœur de sa prunelle bleue
Et tout mon cul de son épouvantable épieu.
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes
Poitrine blanche, aux durs boutons sucés ainsi
Que le bon bout; François, souple comme des gerbes
Ses jambes de danseur, et beau, son chibre aussi!
(...)
Et vous tous à la file ou confondus en bande
Ou seuls, vision si nette des jours passés,
Passions du présent, futur qui croît et bande,
Chéris sans nombre qui n'êtes jamais assez!
Paul Verlaine, Hombres, 1891, in Poèmes érotiques, JC Lattès 1979.
A quoi sert de ranger des placards!
" Si l'on accepte la liberté d'expression, on s'aperçoit que toute vulgarité est bannie de ces vers." (Marcel Béalu). Qui en effet aujourd'hui pourrait écrire cela?
PS: Le titre, traduisible prosaïquement par 1003, est sans doute inspiré par un air de Don Juan de Mozart, quand son valet, Leporello, déroule le catalogue des conquêtes (féminines) de son maître.
Elle et lui
Elle: en jean bleu clair et T-shirt rose pâle, blonde comme il se doit, coupe emmêlée, jeune. Elle est légèrement penchée en avant, la main gauche tentant de maintenir fermement la planche épaisse de bois clair qu'elle coupe, la droite tenant en biais la scie neuve qu'elle utilise à cet effet. Dans son effort, elle ne tire pas la langue mais le cœur y est.
Lui: jean plus foncé, bleu toujours, T-shirt blanc immaculé, coupe moyen-court ébouriffée comme elle. Il est appuyé sur le bout de la planche, de chaque côté de l'appui d'un tréteau, les deux bras verrouillés au niveau du coude. Lui aussi est un peu penché mais dans une attitude plus de repos que d'extrême concentration. Il a, posés devant lui, une feuille de papier et un crayon (un autre est à peine visible dans la main droite), sans doute pour les notes prises des dimensions à respecter.
Un jeune couple qui s'installe et a fait appel à une grande surface du bricolage, celle où j'ai passé des heures ces derniers jours tant je m'y sens bien (!!!), deux êtres qui vont entamer la vie commune et ne savent sans doute pas encore que les travaux, ça salit, et que la vie commune, ça peut user. La photo sur le catalogue est idyllique: souhaitons-leur tout le bonheur du monde et même un peu plus, puisqu'il s'agit d'eux et de personne d'autre. Pourtant...
Pourtant, à y regarder d'un peu plus près, le tableau n'est pas aussi parfait qu'il en a l'air. On peut à bon droit se demander s'il n'y a pas une pointe d'humour dans cette photo publicitaire, certes pas de l'humour voulu par la grande surface qui compte bien s'en tenir à "tu verras, mon p'tit loup, comme on va être bien, à tout partager!" mais peut-être un clin d'œil discret de la part du photographe. Ou alors c'est un hasard ou un effet de mon esprit tordu. Moi, ce qui m'attire l'œil, c'est le sourire de l'homme: j'ai vraiment l'impression qu'au lieu du sourire de satisfaction béate de celui qui voit sa compagne si habile aux travaux manuels, on lit sur ce visage , sur ces lèvres plissées, une sorte de rictus de moquerie, une condescendance mal dissimulée, le sentiment profond qu'il va se passer quelque chose, que sa compagne sera incapable de mener à bien la tâche entreprise, qu'elle finira par lui demander son aide, à lui, l'homme, de l'espèce de ceux qui savent de tout temps se servir de leurs mains.
Mais je me trompe, peut-être.
Lui: jean plus foncé, bleu toujours, T-shirt blanc immaculé, coupe moyen-court ébouriffée comme elle. Il est appuyé sur le bout de la planche, de chaque côté de l'appui d'un tréteau, les deux bras verrouillés au niveau du coude. Lui aussi est un peu penché mais dans une attitude plus de repos que d'extrême concentration. Il a, posés devant lui, une feuille de papier et un crayon (un autre est à peine visible dans la main droite), sans doute pour les notes prises des dimensions à respecter.
Un jeune couple qui s'installe et a fait appel à une grande surface du bricolage, celle où j'ai passé des heures ces derniers jours tant je m'y sens bien (!!!), deux êtres qui vont entamer la vie commune et ne savent sans doute pas encore que les travaux, ça salit, et que la vie commune, ça peut user. La photo sur le catalogue est idyllique: souhaitons-leur tout le bonheur du monde et même un peu plus, puisqu'il s'agit d'eux et de personne d'autre. Pourtant...
Pourtant, à y regarder d'un peu plus près, le tableau n'est pas aussi parfait qu'il en a l'air. On peut à bon droit se demander s'il n'y a pas une pointe d'humour dans cette photo publicitaire, certes pas de l'humour voulu par la grande surface qui compte bien s'en tenir à "tu verras, mon p'tit loup, comme on va être bien, à tout partager!" mais peut-être un clin d'œil discret de la part du photographe. Ou alors c'est un hasard ou un effet de mon esprit tordu. Moi, ce qui m'attire l'œil, c'est le sourire de l'homme: j'ai vraiment l'impression qu'au lieu du sourire de satisfaction béate de celui qui voit sa compagne si habile aux travaux manuels, on lit sur ce visage , sur ces lèvres plissées, une sorte de rictus de moquerie, une condescendance mal dissimulée, le sentiment profond qu'il va se passer quelque chose, que sa compagne sera incapable de mener à bien la tâche entreprise, qu'elle finira par lui demander son aide, à lui, l'homme, de l'espèce de ceux qui savent de tout temps se servir de leurs mains.
Mais je me trompe, peut-être.
dimanche 14 février 2010
Scènes de rames
Dans la rame du métro. Une vieille folle parlait à tous et à personne. Pas de délire, non, un discours construit et logique mais à sens unique.
A une jeune fille qui lui cédait sa place, elle a commencé par dire qu'elle ne voulait pas, que ce n'était pas la peine pour deux stations, qu'elle venait de sortir du lit et qu'elle pouvait fort bien rester debout. Une fois assise, elle ne s'est pas pour autant arrêter de parler. Elle passait d'un sujet à l'autre, de fil en aiguille, avec une voix monocorde, une voix de femme qui a l'habitude de se plaindre et que l'on a l'habitude de ne pas écouter. Visiblement d'ailleurs, elle dissertait dans le vide: les autres voyageurs, dont l'attention avait au début été détournée sur elle, s'en sont vite désintéressés avant de replonger dans leurs rêves moroses.
Moi pourtant, je l'écoutais, en regardant ailleurs pour éviter d'être pris à témoin. Bien sûr, aujourd'hui, seuls les hommes et les jeunes sont assis. De son temps, les hommes cédaient leurs places aux femmes. Son père n'y manquait pas, même au profit de très jeunes filles. C'était ça, l'éducation. Aujourd'hui, l'éducation, tout le monde s'en fout. Elle s'est mise à évoquer sa fille qui, toute petite déjà, à treize ou quatorze ans, se levait d'elle-même, sans qu'il soit besoin de le lui rappeler. Ah! Tout avait bien changé. C'était ça, la vie en ville. Elle avait des cousins à la campagne, qu'elle enviait. Elle leur disait souvent combien ils étaient heureux sans le savoir, à avoir été bien éduqués, à manger bon. La ville, sa ville, elle ne la reconnaissait plus. Autrefois, on s'y promenait à pied, à bicyclette. Maintenant, tout le monde était pressé. Les voitures, les voitures. Et pourtant, tous des fainéants, à vouloir de l'argent sans rien faire pour le gagner. Il n'y avait plus que çà qui comptait aujourd'hui: l'argent;, toujours plus d'argent. Mais surtout sans travailler. D'ailleurs, tout ce monde! On était beaucoup trop nombreux sur terre...
Un flot de paroles pas agressives, acides seulement, terriblement acides et à jamais acides: le monde pour elle ne pouvait connaître de rédemption. Trois stations et les couloirs de la station Bellecour où, dans la foule, je l'entendais encore raisonner à l'infini. Ensuite? Ensuite, l'anonymat stérile retrouvé dans le bus, avec un chauffeur pressé d'arriver à destination, totalement indifférent à la façon dont les voyageurs pouvaient encore tenir debout dans les virages de Choulans qu'il prenait beaucoup trop vite. Retour à l'état de viande transportable et transportée. Qu'est-ce qui est mieux?
Autre petite scène: un papa debout dans la rame, lisant un des gratuits distribués à l'entrée de la station. A l'étage en dessous, contre lui, son fils de sept/huit ans tenant le même gratuit ouvert à une autre page. "Papa, c'est quoi, une maison d'arrêt?" Un qui fait attention aux mots! J'ai souri, intérieurement bien sûr. Sinon, sourire dans le métro, le matin de bonne heure! On m'aurait pris pour un fou!
A une jeune fille qui lui cédait sa place, elle a commencé par dire qu'elle ne voulait pas, que ce n'était pas la peine pour deux stations, qu'elle venait de sortir du lit et qu'elle pouvait fort bien rester debout. Une fois assise, elle ne s'est pas pour autant arrêter de parler. Elle passait d'un sujet à l'autre, de fil en aiguille, avec une voix monocorde, une voix de femme qui a l'habitude de se plaindre et que l'on a l'habitude de ne pas écouter. Visiblement d'ailleurs, elle dissertait dans le vide: les autres voyageurs, dont l'attention avait au début été détournée sur elle, s'en sont vite désintéressés avant de replonger dans leurs rêves moroses.
Moi pourtant, je l'écoutais, en regardant ailleurs pour éviter d'être pris à témoin. Bien sûr, aujourd'hui, seuls les hommes et les jeunes sont assis. De son temps, les hommes cédaient leurs places aux femmes. Son père n'y manquait pas, même au profit de très jeunes filles. C'était ça, l'éducation. Aujourd'hui, l'éducation, tout le monde s'en fout. Elle s'est mise à évoquer sa fille qui, toute petite déjà, à treize ou quatorze ans, se levait d'elle-même, sans qu'il soit besoin de le lui rappeler. Ah! Tout avait bien changé. C'était ça, la vie en ville. Elle avait des cousins à la campagne, qu'elle enviait. Elle leur disait souvent combien ils étaient heureux sans le savoir, à avoir été bien éduqués, à manger bon. La ville, sa ville, elle ne la reconnaissait plus. Autrefois, on s'y promenait à pied, à bicyclette. Maintenant, tout le monde était pressé. Les voitures, les voitures. Et pourtant, tous des fainéants, à vouloir de l'argent sans rien faire pour le gagner. Il n'y avait plus que çà qui comptait aujourd'hui: l'argent;, toujours plus d'argent. Mais surtout sans travailler. D'ailleurs, tout ce monde! On était beaucoup trop nombreux sur terre...
Un flot de paroles pas agressives, acides seulement, terriblement acides et à jamais acides: le monde pour elle ne pouvait connaître de rédemption. Trois stations et les couloirs de la station Bellecour où, dans la foule, je l'entendais encore raisonner à l'infini. Ensuite? Ensuite, l'anonymat stérile retrouvé dans le bus, avec un chauffeur pressé d'arriver à destination, totalement indifférent à la façon dont les voyageurs pouvaient encore tenir debout dans les virages de Choulans qu'il prenait beaucoup trop vite. Retour à l'état de viande transportable et transportée. Qu'est-ce qui est mieux?
Autre petite scène: un papa debout dans la rame, lisant un des gratuits distribués à l'entrée de la station. A l'étage en dessous, contre lui, son fils de sept/huit ans tenant le même gratuit ouvert à une autre page. "Papa, c'est quoi, une maison d'arrêt?" Un qui fait attention aux mots! J'ai souri, intérieurement bien sûr. Sinon, sourire dans le métro, le matin de bonne heure! On m'aurait pris pour un fou!
samedi 13 février 2010
Momentini
Il y a une quinzaine de jours, j'avais intitulé une de mes photos: la Der des der, pensant que la vue de Lyon enneigé ne se représenterait pas de sitôt. Pourtant chaque semaine, après quelques jours où elle disparaît presque entièrement, elle refait vite son apparition, plus compacte, plus dangereuse lorsqu'elle recouvre d'anciennes plaques de verglas qui n'ont pas eu la bonne grâce de fondre.
Aurélien est parti, hier soir. J'ai été le dernier à le voir, à l'embrasser après que nous somme allés acheter le vin que je voulais lui offrir. Je l'ai laissé choisir: il a opté pour une bouteille de Saint-Emilion, une de Gigondas (à moins que ce ne soit de Châteauneuf-du-Pape) et un Pinot gris d'Alsace. Nous n'avons pas appuyé sur l'au revoir. Simplement dit mutuellement que nous voulions poursuivre cette relation d'amitié profonde. Je crois que cela se fera.
Dernières heures de cours de février en collaboration avec ma collègue d'Arts. Séance consacrée à différents aspects de la satire et de la caricature du Moyen-Age à nos jours à travers la littérature, la peinture, le dessin ou la sculpture. Cours non pas improvisé car nous en connaissions la structure et les fondements mais suffisamment libre pour que la prise de parole de l'un ou de l'autre se fasse naturellement et sans heurt, sans crainte non plus de se voir lésé d'un temps consacré à sa matière propre. J'aime lorsque cela se passe ainsi. Jusque-là, je n'avais connu cette simplicité qu'avec Stéphane. Je suis heureux de voir que nous y parvenons aussi avec cette collègue qui a pourtant la réputation de ne pas être facile. Peut-être parce que je partage de plus en plus son amour pour la réflexion sur l'art.
Un conseil de discipline, ce n'est jamais drôle. D'abord parce que l'on y est souvent amené à prononcer des paroles très dures, d'un côté comme de l'autre, parce que voir un élève en position d'accusé, debout pour entendre la sentence qu'on lui a réservé après délibération, n'est pas un de mes spectacles préférés, enfin et surtout parce qu'en arriver à cette procédure, qui devrait être exceptionnellement et qui l'est malheureusement de moins en moins, c'est faire le constat d'un échec, d'une incapacité d'aller plus loin avec l'enfant concerné. Celui d'hier m'a surpris par la qualité des interventions et la dignité de tous et s'est terminé par une exclusion définitive avec sursit: la prochaine faute grave sera immédiatement suivie d'un renvoi sans condition. Plutôt qu'une mise à pieds d'une semaine au moment de la rentrée de mars, j'ai proposé que l'on impose à cet élève, très méprisant et injurieux vis à vis de ses camarades surtout filles, un travail de type "social": se mettre au service par exemple des "handicapés", qui ne sauraient manquer au retour des séjour de ski, en leur portant leur cartable ou en les aidant à monter les hauts escaliers du couvent. Au cours suivant, auquel il assistait sagement, je lui ai, sans un mot, tendu la main. Il l'a prise et l'a serrée. Nous verrons bien la suite.
Ce blog ressemble de plus en plus à un journal intime. Pourquoi pas, après tout? N'est-ce pas ce qu'il a été, peu ou prou, depuis le début?
Aurélien est parti, hier soir. J'ai été le dernier à le voir, à l'embrasser après que nous somme allés acheter le vin que je voulais lui offrir. Je l'ai laissé choisir: il a opté pour une bouteille de Saint-Emilion, une de Gigondas (à moins que ce ne soit de Châteauneuf-du-Pape) et un Pinot gris d'Alsace. Nous n'avons pas appuyé sur l'au revoir. Simplement dit mutuellement que nous voulions poursuivre cette relation d'amitié profonde. Je crois que cela se fera.
Dernières heures de cours de février en collaboration avec ma collègue d'Arts. Séance consacrée à différents aspects de la satire et de la caricature du Moyen-Age à nos jours à travers la littérature, la peinture, le dessin ou la sculpture. Cours non pas improvisé car nous en connaissions la structure et les fondements mais suffisamment libre pour que la prise de parole de l'un ou de l'autre se fasse naturellement et sans heurt, sans crainte non plus de se voir lésé d'un temps consacré à sa matière propre. J'aime lorsque cela se passe ainsi. Jusque-là, je n'avais connu cette simplicité qu'avec Stéphane. Je suis heureux de voir que nous y parvenons aussi avec cette collègue qui a pourtant la réputation de ne pas être facile. Peut-être parce que je partage de plus en plus son amour pour la réflexion sur l'art.
Un conseil de discipline, ce n'est jamais drôle. D'abord parce que l'on y est souvent amené à prononcer des paroles très dures, d'un côté comme de l'autre, parce que voir un élève en position d'accusé, debout pour entendre la sentence qu'on lui a réservé après délibération, n'est pas un de mes spectacles préférés, enfin et surtout parce qu'en arriver à cette procédure, qui devrait être exceptionnellement et qui l'est malheureusement de moins en moins, c'est faire le constat d'un échec, d'une incapacité d'aller plus loin avec l'enfant concerné. Celui d'hier m'a surpris par la qualité des interventions et la dignité de tous et s'est terminé par une exclusion définitive avec sursit: la prochaine faute grave sera immédiatement suivie d'un renvoi sans condition. Plutôt qu'une mise à pieds d'une semaine au moment de la rentrée de mars, j'ai proposé que l'on impose à cet élève, très méprisant et injurieux vis à vis de ses camarades surtout filles, un travail de type "social": se mettre au service par exemple des "handicapés", qui ne sauraient manquer au retour des séjour de ski, en leur portant leur cartable ou en les aidant à monter les hauts escaliers du couvent. Au cours suivant, auquel il assistait sagement, je lui ai, sans un mot, tendu la main. Il l'a prise et l'a serrée. Nous verrons bien la suite.
Ce blog ressemble de plus en plus à un journal intime. Pourquoi pas, après tout? N'est-ce pas ce qu'il a été, peu ou prou, depuis le début?
Débarras
Depuis quelques jours, mon appartement s'est à nouveau transformé en véritable capharnaüm. Tout cela pour aménager une petite pièce débarras et la doter d'un grand placard mural où je pourrai ranger proprement ce qui restera après le tri draconien que je vais devoir faire.
Une nouvelle fois, comme après le vidage de la maison de Haute-Savoie, plusieurs pièces, celles dont je me sers le moins, c'est-à-dire principalement la salle à manger et la chambre d'amis, sont encombrées d'un bric-à-brac innommable d'objets hétéroclites et pour la plupart inutiles. En vidant le débarras, j'ai été effaré par leur nombre. Combien, par exemple, ai-je de chemises? Plus de cent, à première vue. Je n'ai pas le courage de les compter. Sur ce total, combien en mettrai-je avant que ma famille ou des inconnus se posent la question de la dernière qui m'accompagnera sous terre? Il faut que je jette, que je donne, que je me débarrasse du trop-plein.
Certains de mes amis croient que je suis attaché aux objets, que je les thésaurise pour leur valeur. Aucunement! Quelle valeur a un vieux plat ébréché ou le survivant unique d'une série de verres tous cassés sauf celui-là? La plupart de ces objets qui m'encombrent sont attachés à un souvenir précis, à un moment qu'ils me rappellent lorsque je les manipule, ce que je fais le moins souvent possible parce que je connais la part en moi de nostalgie ou de mélancolie et que je ne tiens pas à y céder trop souvent. Une part importante mais qui pourtant s'évanouit lorsque je me suis défait de son support. Je n'ai jamais rien regretté de ce dont je me suis débarrassé.
C'est la quantité de choses à trier qui me fait peur. Alors, cet après-midi, comme d'habitude, j'ai regardé l'amoncellement poussiéreux dont j'ai bien pris garde qu'émergent les plantes vertes, j'ai pris le Journal de Sevran et je me suis allongé pour la sieste. Au réveil, je me retrouve ici, devant l'ordinateur, et je sais déjà qu'après, s'il fait encore un peu de clarté dans la rue, je sortirai, prenant le prétexte de quelques courses alimentaires ou d'une ou deux photos à prendre, pour échapper encore un instant à ce que je dois pourtant faire.
Une nouvelle fois, comme après le vidage de la maison de Haute-Savoie, plusieurs pièces, celles dont je me sers le moins, c'est-à-dire principalement la salle à manger et la chambre d'amis, sont encombrées d'un bric-à-brac innommable d'objets hétéroclites et pour la plupart inutiles. En vidant le débarras, j'ai été effaré par leur nombre. Combien, par exemple, ai-je de chemises? Plus de cent, à première vue. Je n'ai pas le courage de les compter. Sur ce total, combien en mettrai-je avant que ma famille ou des inconnus se posent la question de la dernière qui m'accompagnera sous terre? Il faut que je jette, que je donne, que je me débarrasse du trop-plein.
Certains de mes amis croient que je suis attaché aux objets, que je les thésaurise pour leur valeur. Aucunement! Quelle valeur a un vieux plat ébréché ou le survivant unique d'une série de verres tous cassés sauf celui-là? La plupart de ces objets qui m'encombrent sont attachés à un souvenir précis, à un moment qu'ils me rappellent lorsque je les manipule, ce que je fais le moins souvent possible parce que je connais la part en moi de nostalgie ou de mélancolie et que je ne tiens pas à y céder trop souvent. Une part importante mais qui pourtant s'évanouit lorsque je me suis défait de son support. Je n'ai jamais rien regretté de ce dont je me suis débarrassé.
C'est la quantité de choses à trier qui me fait peur. Alors, cet après-midi, comme d'habitude, j'ai regardé l'amoncellement poussiéreux dont j'ai bien pris garde qu'émergent les plantes vertes, j'ai pris le Journal de Sevran et je me suis allongé pour la sieste. Au réveil, je me retrouve ici, devant l'ordinateur, et je sais déjà qu'après, s'il fait encore un peu de clarté dans la rue, je sortirai, prenant le prétexte de quelques courses alimentaires ou d'une ou deux photos à prendre, pour échapper encore un instant à ce que je dois pourtant faire.
vendredi 12 février 2010
Demain
Un tout petit mot ce soir. C'est vrai qu'il n'est pas habituel que je me taise deux jours de suite sans raison valable. Eh bien, rien de grave: je ne suis pas malade, je n'ai pas décidé d'arrêter ce blog. Juste un gros coup de fatigue avant les vacances et un peu de flottement dans le moral, comme annoncé précédemment.
Reprise des "publications" annoncée pour demain, après une bonne nuit réparatrice sans radio-réveil (ni mauvais rêve, j'espère) pour la perturber. Merci encore une fois aux deux femmes qui se sont inquiétées et dont cette preuve d'amitié m'a touché: Anna, ma douce Anna, présente depuis si longtemps, fidèle toujours, et Karregwenn, plus nouvelle venue et déjà tendrement maternelle. A demain, tous.
Reprise des "publications" annoncée pour demain, après une bonne nuit réparatrice sans radio-réveil (ni mauvais rêve, j'espère) pour la perturber. Merci encore une fois aux deux femmes qui se sont inquiétées et dont cette preuve d'amitié m'a touché: Anna, ma douce Anna, présente depuis si longtemps, fidèle toujours, et Karregwenn, plus nouvelle venue et déjà tendrement maternelle. A demain, tous.
mardi 9 février 2010
Médailles et autres broutilles
Encore de la neige. Depuis ce matin, à gros flocons, en tout cas sur la colline. Les élèves sont excités: perspective des vacances toutes proches et boules de neige interdites. On sent leur état électrique. En sixième, l'écriture du conte avance lentement. Cette année, je les ai mis en tandem, un conte à rédiger à deux. C'est, à mon avis, plus difficile, malgré les apparences. Et il faut sans cesse veiller à ce que les deux travaillent. On est d'ailleurs parfois surpris du résultat: ce ne sont pas forcément les meilleurs qui s'impliquent le plus. Demain, ils devront me rendre leurs copies. Du travail pour mes vacances.
J'espère profiter de ces quelques jours de repos pour quitter Lyon, changer le rythme, briser les habitudes. J'étouffe un peu en ce moment. Je n'ai pas bougé, sauf erreur, depuis août dernier. Peut-être dans le Gard, chez Jean-Marc.
Un collègue a été décoré des insignes de Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres, sous les cristaux et les ors de la République. Pas un seul instant, je ne me suis senti impliqué. Revu des gens que j'ai beaucoup fréquenté autrefois. Ni chaud ni froid. A la plupart d'entre eux, je n'ai plus rien à dire. L'accueil très amical de l'ancien comptable de l'association m'a pourtant fait chaud au cœur. Impression qu'il aurait voulu parler davantage (de son divorce peut-être) mais on ne nous en a pas laissé l'occasion. Valse des mondanités, victoire de l'inutile sur le peu de mots qu'on aurait aimé dire ou entendre. Je suis reparti seul, une boule dans la gorge. Rentré à vélo. Trop fatigué pour faire le chemin à pied. Comme d'habitude, les photos que j'ai prises sont ratées: je ne sais pas photographier les gens. Je crois que c'est tout simplement parce que ça ne m'intéresse pas.
Mon frère, après une énième série de chimios doit se faire réinstaller (comme tous les deux mois) une nouvelle sonde. Sa femme est tout près de lui. J'admire leur courage. Tant de choses battent de l'aile en ce moment. Comment ai-je pu vivre tant d'années de bonheur sans jamais avoir un seul instant la moindre conscience d'être un privilégié? J'ai entamé le dernier tome, posthume, du journal de Sevran. Est-ce cela qui me ternit un peu le moral en ce moment? Il y parle de sa maladie sans jamais l'appeler par son nom. Je ne le suis pas sur cette voie-là. J'aime nommer un chat un chat. Un mot n'a jamais rendu personne malade, même si certains blessent. Il en d'autres, pourtant, qui guérissent.
A midi, mes collègues fêtaient le départ d'Aurélien. Je n'ai pas pu être présent. Rendez-vous de parents. Ce n'est pas plus mal: je n'aime pas les adieux officiels. Regret cependant de n'avoir fait qu'apercevoir Nicolas qui s'est trouvé là un peu par hasard. Les deux rendez-vous de début d'après-midi: parfaitement calmes et détendus. On m'avait pourtant prédit la difficulté. On apprend sans doute à bien faire, avec l'âge. Ou à bien cacher.
Un proverbe africain, pour finir, trouvé dans une papillote et que j'aimerais voir médité par certains de mes collègues: Que celui qui n'a pas traversé ne se moque pas de celui qui s'est noyé.
J'espère profiter de ces quelques jours de repos pour quitter Lyon, changer le rythme, briser les habitudes. J'étouffe un peu en ce moment. Je n'ai pas bougé, sauf erreur, depuis août dernier. Peut-être dans le Gard, chez Jean-Marc.
Un collègue a été décoré des insignes de Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres, sous les cristaux et les ors de la République. Pas un seul instant, je ne me suis senti impliqué. Revu des gens que j'ai beaucoup fréquenté autrefois. Ni chaud ni froid. A la plupart d'entre eux, je n'ai plus rien à dire. L'accueil très amical de l'ancien comptable de l'association m'a pourtant fait chaud au cœur. Impression qu'il aurait voulu parler davantage (de son divorce peut-être) mais on ne nous en a pas laissé l'occasion. Valse des mondanités, victoire de l'inutile sur le peu de mots qu'on aurait aimé dire ou entendre. Je suis reparti seul, une boule dans la gorge. Rentré à vélo. Trop fatigué pour faire le chemin à pied. Comme d'habitude, les photos que j'ai prises sont ratées: je ne sais pas photographier les gens. Je crois que c'est tout simplement parce que ça ne m'intéresse pas.
Mon frère, après une énième série de chimios doit se faire réinstaller (comme tous les deux mois) une nouvelle sonde. Sa femme est tout près de lui. J'admire leur courage. Tant de choses battent de l'aile en ce moment. Comment ai-je pu vivre tant d'années de bonheur sans jamais avoir un seul instant la moindre conscience d'être un privilégié? J'ai entamé le dernier tome, posthume, du journal de Sevran. Est-ce cela qui me ternit un peu le moral en ce moment? Il y parle de sa maladie sans jamais l'appeler par son nom. Je ne le suis pas sur cette voie-là. J'aime nommer un chat un chat. Un mot n'a jamais rendu personne malade, même si certains blessent. Il en d'autres, pourtant, qui guérissent.
A midi, mes collègues fêtaient le départ d'Aurélien. Je n'ai pas pu être présent. Rendez-vous de parents. Ce n'est pas plus mal: je n'aime pas les adieux officiels. Regret cependant de n'avoir fait qu'apercevoir Nicolas qui s'est trouvé là un peu par hasard. Les deux rendez-vous de début d'après-midi: parfaitement calmes et détendus. On m'avait pourtant prédit la difficulté. On apprend sans doute à bien faire, avec l'âge. Ou à bien cacher.
Un proverbe africain, pour finir, trouvé dans une papillote et que j'aimerais voir médité par certains de mes collègues: Que celui qui n'a pas traversé ne se moque pas de celui qui s'est noyé.
lundi 8 février 2010
En terres burgondes
Lorsque j'ai connu Pierre, il habitait Montceau-les-Mines, non loin d'un petit lac à la sortie de la ville. Il louait le haut mansardé d'une villa occupée par une riche veuve dont le mari avait fait fortune dans le tissage, ce qui valait à Pierre le don régulier de grosses chaussettes de laine aux couleurs toujours sinistres. Il n'y avait qu'une seule pièce avec, sur l'un des deux côtés où le toit s'incurvait, un minuscule réduit qui servait de cuisine. Il me semble qu'il existait aussi un semblant de jardinet mais je n'en ai guère de souvenir: sans doute était-il réservé à la propriétaire des lieux. Le tout faisait penser à une chambre d'étudiant et c'est bien ainsi que madame X. traitait Pierre, bien qu'à l'époque il ait déjà dépassé la trentaine.
Si intellectuellement, la région lui "parlait" (Abbaye de Cluny, Autun, passé industriel prestigieux du Creusot), il se considérait cependant en exil, lui originaire de Haute-Savoie, dans ces terres aux dangereux verglas et aux brouillards tenaces. Il redescendait presque chaque fin de semaine à Lyon où l'attendaient ses amis de la Communauté qui m'accueillit par la suite.
Quelques images me restent de cette période et de cette région. Outre la naissance d'un attachement très fort dont j'ai déjà parlé, des fragments épars reliés entre eux par un sentiment heureux: celui d'avoir commencé là ma vie, en terre burgonde. Un petit lit d'abord, où nous avions du mal à bien dormir (mais en avions-nous vraiment envie?), le Journal d'un Séducteur de Kierkegaard, qu'il faudra bien un jour que je lise, des poèmes d'Aragon publiés chez Seghers je crois, un portrait de Pierre au crayon, œuvre de jeunesse de sa sœur qui peignit de longues années durant avant de s'en lasser, et de la musique: au piano lorsque la propriétaire déverrouillait la porte de communication avec la deuxième pièce de l'étage, où se trouvait l'instrument. C'est sur ce clavier qu'il me dédicaça un jour Rêveries de Schumann. ou bien sur un vieux tourne-disques aux hauts-parleurs rafistolés par ses soins. Nous écoutions souvent Ferré chantant ses textes ou ceux des poètes du XIX°. L'Étang chimérique est celui qui m'a le plus longtemps marqué.
Pierre me fit aussi non pas découvrir Bach mais m'enthousiasmer pour ce compositeur qu'il jouait à l'orgue parfois, lorsqu'un prêtre compréhensif acceptait de lui autorisait l'accès à la tribune de son église.
Il me reste aussi les merveilleux paysages de l'automne bourguignon, les couleurs d'or et rouille autour des ruines de Cluny, le concert des Saisons de Haydn à Saint-Lazare d'Autun, les bons restaurants dans la campagne grasse. Lors de notre journée en Bourgogne avec J., il y a de cela deux ans, j'ai retrouvé cette opulence agricole, la splendeur architecturale de ces vaisseaux romans. Je n'habiterais pas dans ces lieux mais j'aime y passer parfois car ils gardent, par la douceur des lignes de leurs paysages, une sorte de sérénité que l'on croirait liée aux siècles des bâtisseurs de cathédrales, quand la beauté était un idéal à atteindre. (En clin d'œil à Cornus.)
Nos plus beaux souvenirs fleurissent sur l'étang
Dans le lointain château d'une lointaine Espagne
Ils nous disent le temps perdu ô ma compagne
Et ce blanc nénuphar c'est ton cœur de vingt ans
Un jour nous nous embarquerons
Sur l'étang de nos souvenirs
Et referons pour le plaisir
Le voyage doux de la vie
Un jour nous nous embarquerons
Mon doux Pierrot ma grande amie
Pour ne plus jamais revenir.
Nos mauvais souvenirs se noieront dans l'étang
De ce lointain château d'une lointaine Espagne
Et nous ne garderons pour nous ô ma compagne
Que ce nénuphar et ton cœur de vingt ans
Si intellectuellement, la région lui "parlait" (Abbaye de Cluny, Autun, passé industriel prestigieux du Creusot), il se considérait cependant en exil, lui originaire de Haute-Savoie, dans ces terres aux dangereux verglas et aux brouillards tenaces. Il redescendait presque chaque fin de semaine à Lyon où l'attendaient ses amis de la Communauté qui m'accueillit par la suite.
Quelques images me restent de cette période et de cette région. Outre la naissance d'un attachement très fort dont j'ai déjà parlé, des fragments épars reliés entre eux par un sentiment heureux: celui d'avoir commencé là ma vie, en terre burgonde. Un petit lit d'abord, où nous avions du mal à bien dormir (mais en avions-nous vraiment envie?), le Journal d'un Séducteur de Kierkegaard, qu'il faudra bien un jour que je lise, des poèmes d'Aragon publiés chez Seghers je crois, un portrait de Pierre au crayon, œuvre de jeunesse de sa sœur qui peignit de longues années durant avant de s'en lasser, et de la musique: au piano lorsque la propriétaire déverrouillait la porte de communication avec la deuxième pièce de l'étage, où se trouvait l'instrument. C'est sur ce clavier qu'il me dédicaça un jour Rêveries de Schumann. ou bien sur un vieux tourne-disques aux hauts-parleurs rafistolés par ses soins. Nous écoutions souvent Ferré chantant ses textes ou ceux des poètes du XIX°. L'Étang chimérique est celui qui m'a le plus longtemps marqué.
Pierre me fit aussi non pas découvrir Bach mais m'enthousiasmer pour ce compositeur qu'il jouait à l'orgue parfois, lorsqu'un prêtre compréhensif acceptait de lui autorisait l'accès à la tribune de son église.
Il me reste aussi les merveilleux paysages de l'automne bourguignon, les couleurs d'or et rouille autour des ruines de Cluny, le concert des Saisons de Haydn à Saint-Lazare d'Autun, les bons restaurants dans la campagne grasse. Lors de notre journée en Bourgogne avec J., il y a de cela deux ans, j'ai retrouvé cette opulence agricole, la splendeur architecturale de ces vaisseaux romans. Je n'habiterais pas dans ces lieux mais j'aime y passer parfois car ils gardent, par la douceur des lignes de leurs paysages, une sorte de sérénité que l'on croirait liée aux siècles des bâtisseurs de cathédrales, quand la beauté était un idéal à atteindre. (En clin d'œil à Cornus.)
Nos plus beaux souvenirs fleurissent sur l'étang
Dans le lointain château d'une lointaine Espagne
Ils nous disent le temps perdu ô ma compagne
Et ce blanc nénuphar c'est ton cœur de vingt ans
Un jour nous nous embarquerons
Sur l'étang de nos souvenirs
Et referons pour le plaisir
Le voyage doux de la vie
Un jour nous nous embarquerons
Mon doux Pierrot ma grande amie
Pour ne plus jamais revenir.
Nos mauvais souvenirs se noieront dans l'étang
De ce lointain château d'une lointaine Espagne
Et nous ne garderons pour nous ô ma compagne
Que ce nénuphar et ton cœur de vingt ans
Idée d'après sieste
Tout à l'heure, après le repas, en quittant J., je lui ai dit: "D'abord une petite sieste, et puis je finis de corriger un contrôle de latin." Le soleil brillait, il brille toujours, je voyais cette correction comme une contrainte.
En me réveillant, un quart d'heure plus tard, j'ai eu cette idée bizarre qui m'a traversé la tête: et après, à la retraite, quand je n'aurai plus ce genre de contrainte, quand je ne regarderai plus d'un œil torve les paquets de rédactions attendant sur mon bureau, quand la tablette de ce même bureau pourra être tout aussi plane et vide qu'un désert idéalisé, en serai-je plus heureux? Après la mort de Pierre, j'ai su quel prix il fallait payer pour gérer sa liberté. En sera-t-il de même pour ma cessation d'activité? La vie me laissera-t-elle le temps d'organiser cette inactivité, moi qui suis, j'en suis sûr maintenant, un actif invétéré. Je n'en sais rien, nul ne le sait. Pourtant il va falloir préparer ce nouvel âge...
En me réveillant, un quart d'heure plus tard, j'ai eu cette idée bizarre qui m'a traversé la tête: et après, à la retraite, quand je n'aurai plus ce genre de contrainte, quand je ne regarderai plus d'un œil torve les paquets de rédactions attendant sur mon bureau, quand la tablette de ce même bureau pourra être tout aussi plane et vide qu'un désert idéalisé, en serai-je plus heureux? Après la mort de Pierre, j'ai su quel prix il fallait payer pour gérer sa liberté. En sera-t-il de même pour ma cessation d'activité? La vie me laissera-t-elle le temps d'organiser cette inactivité, moi qui suis, j'en suis sûr maintenant, un actif invétéré. Je n'en sais rien, nul ne le sait. Pourtant il va falloir préparer ce nouvel âge...
dimanche 7 février 2010
Bien avec eux
Il y a plus d'un an déjà, la dernière fois que je suis allé au sauna, j'ai rencontré Frédéric. Par lui, j'ai renoué une très ancienne relation avec un garçon que j'avais connu dans les années soixante-dix, alors qu'il vivait avec son ami. Les aléas de la vie avaient fait que nous nous étions perdus de vue mais je gardais un très bon souvenir de lui. Or voilà qu'il se trouve être le meilleur ami de Frédéric.
Alors, peu à peu, les liens se sont retissés et nous passons maintenant tous les trois de très nombreux moments ensemble. Cette fin de semaine, par exemple: vendredi après-midi avec J-C dans les magasins de la périphérie pour choisir les éléments du placard mural qu'il va m'installer. Le soir, repas avec le même, plus Frédéric: langue de bœuf et légumes bouillis préparés par mes soins. Hier matin, virée à trois dans une exposition de peintures du 3°arrondissement puis promenade sur le marché de Monchat. Hier soir, repas chez Jean-Claude mais organisé par F. Excellent: rôti, frites légères et haricots verts. Ce matin, petit tour aux Puces du Canal , avec un temps nettement refroidi, où personne n'a rien acheté mais où nous nous sommes réchauffés dans l'ambiance populaire d'un bar du site.
Je suis heureux de les avoir près de moi tous les deux. J'aime les soirées de fin de semaine où, après le repas, nous regardons tranquillement la télévision, et où il n'est pas rare que l'un de nous, voire deux, s'endorme et pousse un léger ronflement. Ils me font du bien et je suis bien avec eux. Le téléphone sonne souvent en début de soirée: c'est Frédéric et ses plaisanteries à deux balles, c'est Jean-Claude qui prend la suite avant de me repasser Frédéric. On ne dit souvent rien de très important, on est même parfois très près des pâquerettes, mais que c'est bon, un téléphone qui sonne juste comme ça, gratuitement. Je sais que l'un des deux au moins me lit. Alors, voilà, je voulais juste leur dire merci.
Alors, peu à peu, les liens se sont retissés et nous passons maintenant tous les trois de très nombreux moments ensemble. Cette fin de semaine, par exemple: vendredi après-midi avec J-C dans les magasins de la périphérie pour choisir les éléments du placard mural qu'il va m'installer. Le soir, repas avec le même, plus Frédéric: langue de bœuf et légumes bouillis préparés par mes soins. Hier matin, virée à trois dans une exposition de peintures du 3°arrondissement puis promenade sur le marché de Monchat. Hier soir, repas chez Jean-Claude mais organisé par F. Excellent: rôti, frites légères et haricots verts. Ce matin, petit tour aux Puces du Canal , avec un temps nettement refroidi, où personne n'a rien acheté mais où nous nous sommes réchauffés dans l'ambiance populaire d'un bar du site.
Je suis heureux de les avoir près de moi tous les deux. J'aime les soirées de fin de semaine où, après le repas, nous regardons tranquillement la télévision, et où il n'est pas rare que l'un de nous, voire deux, s'endorme et pousse un léger ronflement. Ils me font du bien et je suis bien avec eux. Le téléphone sonne souvent en début de soirée: c'est Frédéric et ses plaisanteries à deux balles, c'est Jean-Claude qui prend la suite avant de me repasser Frédéric. On ne dit souvent rien de très important, on est même parfois très près des pâquerettes, mais que c'est bon, un téléphone qui sonne juste comme ça, gratuitement. Je sais que l'un des deux au moins me lit. Alors, voilà, je voulais juste leur dire merci.
samedi 6 février 2010
Momentini
Revu Nicolas, jeudi midi. Nous avons déjeuné ensemble dans une sympathique brasserie du 7°,près de Saint-Louis: "Caviar pour le autres". Déjeuner rapide car ses cours reprenaient à 14h. Toujours même plaisir et intérêt à échanger mais frustration du temps trop court. Une sorte d'apéritif pour une autre rencontre plus détendue. Il m'a paru préoccupé et un peu taciturne. Avons parlé de la violence que chacun a en lui et de la meilleure façon de la gérer, sans la renier et sans lui laisser trop souvent libre cours.
L'après-midi, temps consacré à vider mon "dressing", une petite pièce débarras où, outre une armoire penderie, s'entassait (et s'entasse toujours en partie) une multitude d'objets aussi hétéroclites qu'une paire de bottes en caoutchouc (qui ont dû servir deux fois en vingt ans) et des socles de cafetières électriques dont le récipient a été brisé. Redécouvert ainsi des lambeaux oubliés de ma vie remis au jour après des années de poussière, comme ce sous-verre de trois dessins à l'encre de Chine acheté avec Pierre dans les années soixante-dix à deux filles, deux amies qui, à l'époque, tenaient un restaurant dans le Vieux Lyon et exposaient les œuvres d'un artiste: Yvon Traineau. Qu'en est-il de lui aujourd'hui? Jean-Claude va commencer les travaux pour m'installer un parquet flottant et un grand placard mural occupant tout un pan de la pièce.
Mon compte Flickr proposait hier 332 pages de photos. Celui de J. 664: coïndence! Il arrive parfois que nous ayons le même cliché: pas coïncidence.
PS: après recherche sur Google, j'ai découvert qu'Yvon Traineau (apparemment décédé, bien que cela ne soit pas très clair) était un ami de Gaston Planet (1938-81), un autre peintre, que "sa peinture figurative touche à l'abstraction" (ce qui est vrai pour mes dessins à l'encre) et qu'une de ses toiles a été acquise auprès d'un particulier par le Musée de l' Abbaye Sainte-Croix aux Sables d'Olonne. Mes lecteurs bretons pourraient-ils me donner plus de précisions sur ce monsieur? Je les en remercie d'avance.
L'après-midi, temps consacré à vider mon "dressing", une petite pièce débarras où, outre une armoire penderie, s'entassait (et s'entasse toujours en partie) une multitude d'objets aussi hétéroclites qu'une paire de bottes en caoutchouc (qui ont dû servir deux fois en vingt ans) et des socles de cafetières électriques dont le récipient a été brisé. Redécouvert ainsi des lambeaux oubliés de ma vie remis au jour après des années de poussière, comme ce sous-verre de trois dessins à l'encre de Chine acheté avec Pierre dans les années soixante-dix à deux filles, deux amies qui, à l'époque, tenaient un restaurant dans le Vieux Lyon et exposaient les œuvres d'un artiste: Yvon Traineau. Qu'en est-il de lui aujourd'hui? Jean-Claude va commencer les travaux pour m'installer un parquet flottant et un grand placard mural occupant tout un pan de la pièce.
Mon compte Flickr proposait hier 332 pages de photos. Celui de J. 664: coïndence! Il arrive parfois que nous ayons le même cliché: pas coïncidence.
PS: après recherche sur Google, j'ai découvert qu'Yvon Traineau (apparemment décédé, bien que cela ne soit pas très clair) était un ami de Gaston Planet (1938-81), un autre peintre, que "sa peinture figurative touche à l'abstraction" (ce qui est vrai pour mes dessins à l'encre) et qu'une de ses toiles a été acquise auprès d'un particulier par le Musée de l' Abbaye Sainte-Croix aux Sables d'Olonne. Mes lecteurs bretons pourraient-ils me donner plus de précisions sur ce monsieur? Je les en remercie d'avance.
vendredi 5 février 2010
Les Pornographes
Voilà le livre que j'ai mis deux mois à lire. Trois cents petites pages en soixante jours. Un record! C'est dire ma passion pour la chose écrite en ce moment. Le roman n'y est pour rien: il est bon, sinon je l'aurais abandonné en cours de route. De facture et d'écriture classiques, il est sans doute plus dilué que La tombe des lucioles du même auteur, mais se lit avec intérêt.
Surtout ne pas s'arrêter au titre, plutôt aguicheur pour un lectorat français. Y a-t-il la même provocation dans le titre original japonais? Pas de scènes érotiques ou pornographiques complaisamment décrites pour exciter l'imagination. Les moments chauds sont abordés crument mais avec une sorte de recul, d'un point de vue clinique qui désamorce tout potentiel salace. Il ne s'agit pas, de la part de Nosaka, d'une forme de pudibonderie, je ne crois pas en tout cas, mais plutôt d'une volonté de s'en tenir à ce qui me semble être son propos, c'est-à-dire l'exposition d'une fable morale. Je prends ici le mot fable au sens étymologique latin d'histoire racontée.
Un homme, petit revendeur de clichés osés, décide un jour de se mettre à son compte pour gagner plus d'argent plus facilement et se lance dans le tournage de films pornographiques puis l'organisation de soirées à thème où l'élément féminin est recruté, sous de faux prétextes, par deux de ses amis plus jeunes. Alors que cette bande s'organise, la femme de Subuyan, l'homme mûr, meurt, lui laissant à charge sa fille à elle qu'il convoite rapidement. Mais rien ne semble tout à fait marcher comme il l'aurait souhaité: un des membres de la bande le double et s'installe à son propre compte, les soirées organisées qu'il aurait voulues un feu d'artifice des sens se transforment chaque fois en échanges bestiaux et sales, l'unique occasion de copuler avec sa belle-fille aboutit à un fiasco complet pour déficience physique de sa part, déficience qui le poursuivra tout au long du livre alors que l'ardeur qu'il mettra à réchauffer sa libido ne servira à rien. Lui-même tire une sorte de leçon de ses expériences et se demande si, en fin de compte, l'amour de la pornographie chez un homme n'est pas un indice de son impuissance.
Implacable réquisitoire contre l'animal humain, qu'il soit homme ou femme, le roman se termine pourtant par une belle page "poétique": Subuyan, qui avait toujours espéré retrouver sa virilité en retrouvant sa belle-fille disparue après leur "nuit d'amour", est étendu, mort, sur un lit. Cette belle-fille tant désirée et tant fantasmée, découvre, interloquée, quand enfin elle vient le voir à l'hôpital, dépassant du sous-vêtement du cadavre, un spectacle inattendu: le sexe de son beau-père dans un état de splendide turgescence.
Les Pornographes, Nosaka Akiyuki. Roman traduit du japonais par Jacques Lalloz, Picquier poche.
Surtout ne pas s'arrêter au titre, plutôt aguicheur pour un lectorat français. Y a-t-il la même provocation dans le titre original japonais? Pas de scènes érotiques ou pornographiques complaisamment décrites pour exciter l'imagination. Les moments chauds sont abordés crument mais avec une sorte de recul, d'un point de vue clinique qui désamorce tout potentiel salace. Il ne s'agit pas, de la part de Nosaka, d'une forme de pudibonderie, je ne crois pas en tout cas, mais plutôt d'une volonté de s'en tenir à ce qui me semble être son propos, c'est-à-dire l'exposition d'une fable morale. Je prends ici le mot fable au sens étymologique latin d'histoire racontée.
Un homme, petit revendeur de clichés osés, décide un jour de se mettre à son compte pour gagner plus d'argent plus facilement et se lance dans le tournage de films pornographiques puis l'organisation de soirées à thème où l'élément féminin est recruté, sous de faux prétextes, par deux de ses amis plus jeunes. Alors que cette bande s'organise, la femme de Subuyan, l'homme mûr, meurt, lui laissant à charge sa fille à elle qu'il convoite rapidement. Mais rien ne semble tout à fait marcher comme il l'aurait souhaité: un des membres de la bande le double et s'installe à son propre compte, les soirées organisées qu'il aurait voulues un feu d'artifice des sens se transforment chaque fois en échanges bestiaux et sales, l'unique occasion de copuler avec sa belle-fille aboutit à un fiasco complet pour déficience physique de sa part, déficience qui le poursuivra tout au long du livre alors que l'ardeur qu'il mettra à réchauffer sa libido ne servira à rien. Lui-même tire une sorte de leçon de ses expériences et se demande si, en fin de compte, l'amour de la pornographie chez un homme n'est pas un indice de son impuissance.
Implacable réquisitoire contre l'animal humain, qu'il soit homme ou femme, le roman se termine pourtant par une belle page "poétique": Subuyan, qui avait toujours espéré retrouver sa virilité en retrouvant sa belle-fille disparue après leur "nuit d'amour", est étendu, mort, sur un lit. Cette belle-fille tant désirée et tant fantasmée, découvre, interloquée, quand enfin elle vient le voir à l'hôpital, dépassant du sous-vêtement du cadavre, un spectacle inattendu: le sexe de son beau-père dans un état de splendide turgescence.
Les Pornographes, Nosaka Akiyuki. Roman traduit du japonais par Jacques Lalloz, Picquier poche.
jeudi 4 février 2010
Des chansons d'chez nous.
Pour ceux qui voudraient entendre quelques petits airs du folklore lyonnais, il y en a cachés derrière un commentaire de mon dernier billet. Cliquez sur le nom de Piergil et vous verrez ce qu'il nous offre: tout un répertoire de lyonnaiseries chantées par le trio Jorogil et accompagnées à l'orgue de Barbarie. J'en connaissais moi-même quelques-unes mais pas toutes, bien sûr.
En voici deux extraits, le premier inconnu mais qui me touche directement puisqu'il parle de mon quartier, le deuxième mondialement célèbre, je pense.
A La Guille
Il était né Rue d'la Bannière
C'était un drôle de citoyen
Dans l'quartier de la Guillotière
On l'appelait l'grand Sébastien
Sans domicile et sans famille
il menait une vie de chien
Mais c'était un beau troubadour
Qui chantait des chansons d'amour
Dans les bistrots et dans les cours
A la Gui-i-lle, à la Gui-i-lle.
Les Canuts
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, Grands de l'Église
Et nous, pauvres Canuts, n'avons pas de chemise
C'est nous les Canuts, nous sommes tout nus.
Comme tout le monde ne peut pas être lyonnais (moi le premier), voici de quoi éclairer le sens de deux mots:
- la Guille est l'abréviation populaire du nom de mon quartier: la Guillotière, longtemps commune indépendante et rattachée définitivement à Lyon en 1852. A noter que dans la région, une guille est également un morceau de bois de chêne effilé qui se trouvait sur la partie haute des foudres et permettait au vin de s'écouler dans la tassée, l'ancêtre du robinet dégustateur en quelque sorte.
- les canuts sont les ouvriers de la soie à Lyon, particulièrement sur les pentes de la colline de la Croix-Rousse et dont les révoltes ont été sauvagement matées dans le sang en 1831, 1834, 1848 et 1849. Au XX° siècle, Joseph Kosma leur a consacré un Oratorio.
En voici deux extraits, le premier inconnu mais qui me touche directement puisqu'il parle de mon quartier, le deuxième mondialement célèbre, je pense.
A La Guille
Il était né Rue d'la Bannière
C'était un drôle de citoyen
Dans l'quartier de la Guillotière
On l'appelait l'grand Sébastien
Sans domicile et sans famille
il menait une vie de chien
Mais c'était un beau troubadour
Qui chantait des chansons d'amour
Dans les bistrots et dans les cours
A la Gui-i-lle, à la Gui-i-lle.
Les Canuts
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, Grands de l'Église
Et nous, pauvres Canuts, n'avons pas de chemise
C'est nous les Canuts, nous sommes tout nus.
Comme tout le monde ne peut pas être lyonnais (moi le premier), voici de quoi éclairer le sens de deux mots:
- la Guille est l'abréviation populaire du nom de mon quartier: la Guillotière, longtemps commune indépendante et rattachée définitivement à Lyon en 1852. A noter que dans la région, une guille est également un morceau de bois de chêne effilé qui se trouvait sur la partie haute des foudres et permettait au vin de s'écouler dans la tassée, l'ancêtre du robinet dégustateur en quelque sorte.
- les canuts sont les ouvriers de la soie à Lyon, particulièrement sur les pentes de la colline de la Croix-Rousse et dont les révoltes ont été sauvagement matées dans le sang en 1831, 1834, 1848 et 1849. Au XX° siècle, Joseph Kosma leur a consacré un Oratorio.
mercredi 3 février 2010
Il y a des jours...
Il y a des jours comme ça, de pur bonheur. Ce jour, aujourd'hui, c'était un après-midi: bien être absolu.
Après une tentative de sieste perturbée par le coup de fil d'une collègue pour notre prochain travail Français/Arts sur la satire au Moyen Age et la caricature plus généralement, je me suis dis que je perdais mon temps avec ce beau soleil. Direction d'abord la pharmacie parce qu'on a beau être très fort, très beau, très intelligent comme c'est mon cas, un rhume, c'est un rhume et, à ce point d'humeur liquide, ça ne passe pas tout seul.
Puis la descente de Gambetta, comme on dirait la descente de l'Orénoque: mêmes surprises, mêmes mouvements, mêmes explosions de couleurs. Je suis sûr maintenant que c'est ma rue préférée à Lyon, bien loin devant les artères de la presqu'île, faussement snobs et pétillantes. Ici, rien n'est feint, tout s'expose, du petit salon de coiffure qui jouxte un supermarché indien au vieux magasin de vêtements qui se dit spécialiste des grandes tailles et a conservé sa longue banque de bois lissé où, sans doute, autrefois, un tailleur prenait la mesure de son mètre, au café si petit que l'on s'y tient debout. J'aime cette artère pour sa vie incessante, bigarrée, aux multiples ethnies se côtoyant sans se heurter. Je l'aime aussi car, le soir, au soleil couchant, elle est dans l'axe de la chute et recueille, bien après les autres, les derniers rayons de lumière.
Et puis, au bout, c'est l'ouverture, comme un delta, une embouchure donnant sur le Rhône et ses berges et, au-delà du pont, sur les immeubles bourgeois de la Presqu'île et les hauteurs de Fourvière dominées par la Basilique. Dans cet espace soudain retrouvé, qui, après l'agitation de la rue, prend son temps au bord de l'eau en terrasses, péniches et bassins reflétant les nuages, la lumière n'est jamais banale: elle éclabousse le Rhône en scintillements aquatiques éclairant jusqu'au dessous des ponts, elle caresse les toits d'ardoise de l'Université, cisèle les ombres sur les degrés de l'amphithéâtre des berges où elle attire des couples qui oublient qu'ils n'y sont pas seuls, elle découpe avec une netteté de glacier les lignes géométriques de l'architecture des quais, précisant les couleurs pastel, ou noie l'horizon dans une brume que les Romantiques n'auraient pu que célébrer. Voilà pourquoi j'aime ce coin de Lyon, la Guillotière, la populaire, la belle que je ne me lasse jamais de photographier.
Passé le pont, je suis allé m'acheter des livres, geste habituellement assimilable chez moi à un moment de manque, un sentiment de vide. Aujourd'hui, l'inverse: j'avais, au début de ma sieste, fini enfin un roman que j'avais entre les mains depuis près de deux mois. Le roman n'est pour rien dans ce long temps de lecture: je n'avais pas envie, simplement. Mais cet après-midi, en marchant, j'ai pensé que le dernier tome du journal de Pascal Sevran, celui qu'il rédigeait au moment de sa mort devait être sorti en poche. A peine cette idée en tête, j'en ai eu la certitude absolue et je l'ai trouvé, je dirais, pour moi, naturellement. Et ma joie fut décuplée car, en parcourant les rayons, j'y ai découvert un nouveau Pontalis, des petits récits de Kawabata que je ne connaissais pas et un gros recueil de nouvelles policières narrant les Untold Stories de ce cher Watson, enquêtes de son ami Holmes jamais racontées par le docteur, le tout par un auteur français, René Reouven, qui a sans doute volé l'idée à l'américain John Dickson Carr qui fit de même en collaboration avec Adrian Conan Doyle.
Au retour, des photos, des photos encore dans le splendide éclairage de fin d'après-midi. Lyon est toujours belle, il y a des jours, comme ça, où elle est sublime.
Après une tentative de sieste perturbée par le coup de fil d'une collègue pour notre prochain travail Français/Arts sur la satire au Moyen Age et la caricature plus généralement, je me suis dis que je perdais mon temps avec ce beau soleil. Direction d'abord la pharmacie parce qu'on a beau être très fort, très beau, très intelligent comme c'est mon cas, un rhume, c'est un rhume et, à ce point d'humeur liquide, ça ne passe pas tout seul.
Puis la descente de Gambetta, comme on dirait la descente de l'Orénoque: mêmes surprises, mêmes mouvements, mêmes explosions de couleurs. Je suis sûr maintenant que c'est ma rue préférée à Lyon, bien loin devant les artères de la presqu'île, faussement snobs et pétillantes. Ici, rien n'est feint, tout s'expose, du petit salon de coiffure qui jouxte un supermarché indien au vieux magasin de vêtements qui se dit spécialiste des grandes tailles et a conservé sa longue banque de bois lissé où, sans doute, autrefois, un tailleur prenait la mesure de son mètre, au café si petit que l'on s'y tient debout. J'aime cette artère pour sa vie incessante, bigarrée, aux multiples ethnies se côtoyant sans se heurter. Je l'aime aussi car, le soir, au soleil couchant, elle est dans l'axe de la chute et recueille, bien après les autres, les derniers rayons de lumière.
Et puis, au bout, c'est l'ouverture, comme un delta, une embouchure donnant sur le Rhône et ses berges et, au-delà du pont, sur les immeubles bourgeois de la Presqu'île et les hauteurs de Fourvière dominées par la Basilique. Dans cet espace soudain retrouvé, qui, après l'agitation de la rue, prend son temps au bord de l'eau en terrasses, péniches et bassins reflétant les nuages, la lumière n'est jamais banale: elle éclabousse le Rhône en scintillements aquatiques éclairant jusqu'au dessous des ponts, elle caresse les toits d'ardoise de l'Université, cisèle les ombres sur les degrés de l'amphithéâtre des berges où elle attire des couples qui oublient qu'ils n'y sont pas seuls, elle découpe avec une netteté de glacier les lignes géométriques de l'architecture des quais, précisant les couleurs pastel, ou noie l'horizon dans une brume que les Romantiques n'auraient pu que célébrer. Voilà pourquoi j'aime ce coin de Lyon, la Guillotière, la populaire, la belle que je ne me lasse jamais de photographier.
Passé le pont, je suis allé m'acheter des livres, geste habituellement assimilable chez moi à un moment de manque, un sentiment de vide. Aujourd'hui, l'inverse: j'avais, au début de ma sieste, fini enfin un roman que j'avais entre les mains depuis près de deux mois. Le roman n'est pour rien dans ce long temps de lecture: je n'avais pas envie, simplement. Mais cet après-midi, en marchant, j'ai pensé que le dernier tome du journal de Pascal Sevran, celui qu'il rédigeait au moment de sa mort devait être sorti en poche. A peine cette idée en tête, j'en ai eu la certitude absolue et je l'ai trouvé, je dirais, pour moi, naturellement. Et ma joie fut décuplée car, en parcourant les rayons, j'y ai découvert un nouveau Pontalis, des petits récits de Kawabata que je ne connaissais pas et un gros recueil de nouvelles policières narrant les Untold Stories de ce cher Watson, enquêtes de son ami Holmes jamais racontées par le docteur, le tout par un auteur français, René Reouven, qui a sans doute volé l'idée à l'américain John Dickson Carr qui fit de même en collaboration avec Adrian Conan Doyle.
Au retour, des photos, des photos encore dans le splendide éclairage de fin d'après-midi. Lyon est toujours belle, il y a des jours, comme ça, où elle est sublime.
mardi 2 février 2010
Un seul être vous manque.....
Dans un peu plus d'une semaine, Aurélien ne sera plus au collège. Aurélien, c'est un surveillant, un pion comme on disait autrefois, mais c'est bien plus que cela.
Comment il est arrivé jusque chez nous, lui originaire de l'Ain, je n'en sais rien. D'abord sous les "ordres" d'un conseiller d'éducation, il a, au moment du licenciement de ce dernier, très vite pris la charge de travail sans toutefois en avoir le salaire. Levé à cinq heures tous les matins, affrontant pour venir les routes verglacées ces derniers temps, il est toujours là, et presque toujours souriant. A son âge, à peine plus de vingt ans, c'est assez rare.
Il a une sorte de contact naturel avec les enfants et les ados: à la fois ferme et accueillant, proche d'eux sans être leur copain, il a su établir des relations d'un autre ordre que celles habituellement de règle entre le chat et les souris. Beaucoup d'élèves, quand ils ont appris son départ prochain, en ont été très peinés et le lui ont dit.
Pour moi, Aurélien, c'était aussi un peu plus que cela: d'une relation purement professionnelle, nous sommes vite passés à quelque chose de tendre et de sain à la fois. Lorsque mon ancien cartable a rendu l'âme sous le poids des livres, il m'a offert le sien, prétextant que maintenant, il ne lui servirait plus à rien. Un jour, comme ça, sans prévenir, il s'est mis à me faire la bise le matin, en arrivant, ou plutôt lorsque, moi, j'arrive car il arpente la cour et les couloirs bien avant moi. Je pourrais presque parler, si je ne risquais pas d'être ridicule, d'une relation comme de père à fils avec l'amitié en plus.
Dire que son départ me touche et m'ennuie, c'est peu dire. Il sera remplacé par un militaire à la retraite. Pourquoi pas! Bienvenue! Cependant ses gestes d'affection vont me manquer terriblement et, au-delà de ce sentiment purement égoïste, je crains que le collège ne soit pas près de retrouver un garçon de cette valeur humaine.
Une enveloppe est déjà en train de circuler entre adultes pour lui offrir un cadeau de départ. Moi, j'ai décidé de faire bande à part. Pour lui, je ne me contenterai pas d'une participation à une collecte générale. J'ai déjà l'idée de lui offrir quelques bonnes bouteilles de vin, à lui qui fait bien la cuisine et me semble fin gourmet et puis autre chose (mais quoi?) de plus durable, qu'il conservera en souvenir de notre amitié. Enfin,, je l'espère, comme j'espère bien aller faire de temps en temps quelques virées au pays des Ventres Jaunes.
Comment il est arrivé jusque chez nous, lui originaire de l'Ain, je n'en sais rien. D'abord sous les "ordres" d'un conseiller d'éducation, il a, au moment du licenciement de ce dernier, très vite pris la charge de travail sans toutefois en avoir le salaire. Levé à cinq heures tous les matins, affrontant pour venir les routes verglacées ces derniers temps, il est toujours là, et presque toujours souriant. A son âge, à peine plus de vingt ans, c'est assez rare.
Il a une sorte de contact naturel avec les enfants et les ados: à la fois ferme et accueillant, proche d'eux sans être leur copain, il a su établir des relations d'un autre ordre que celles habituellement de règle entre le chat et les souris. Beaucoup d'élèves, quand ils ont appris son départ prochain, en ont été très peinés et le lui ont dit.
Pour moi, Aurélien, c'était aussi un peu plus que cela: d'une relation purement professionnelle, nous sommes vite passés à quelque chose de tendre et de sain à la fois. Lorsque mon ancien cartable a rendu l'âme sous le poids des livres, il m'a offert le sien, prétextant que maintenant, il ne lui servirait plus à rien. Un jour, comme ça, sans prévenir, il s'est mis à me faire la bise le matin, en arrivant, ou plutôt lorsque, moi, j'arrive car il arpente la cour et les couloirs bien avant moi. Je pourrais presque parler, si je ne risquais pas d'être ridicule, d'une relation comme de père à fils avec l'amitié en plus.
Dire que son départ me touche et m'ennuie, c'est peu dire. Il sera remplacé par un militaire à la retraite. Pourquoi pas! Bienvenue! Cependant ses gestes d'affection vont me manquer terriblement et, au-delà de ce sentiment purement égoïste, je crains que le collège ne soit pas près de retrouver un garçon de cette valeur humaine.
Une enveloppe est déjà en train de circuler entre adultes pour lui offrir un cadeau de départ. Moi, j'ai décidé de faire bande à part. Pour lui, je ne me contenterai pas d'une participation à une collecte générale. J'ai déjà l'idée de lui offrir quelques bonnes bouteilles de vin, à lui qui fait bien la cuisine et me semble fin gourmet et puis autre chose (mais quoi?) de plus durable, qu'il conservera en souvenir de notre amitié. Enfin,, je l'espère, comme j'espère bien aller faire de temps en temps quelques virées au pays des Ventres Jaunes.
lundi 1 février 2010
Théorème
Curieux comme je n'aime plus épuiser les choses. Une fête, un film, une émission de radio, un article de journal: je pars toujours avant la fin, même si, surtout si ça m'intéresse. J'ai déjà fait cela aussi avec quelques livres. Volonté de prolonger le plaisir à ma seule guise, de préserver et prolonger le rêve ébauché ou la réflexion entreprise.
Ce soir, pourtant, le sujet de L'Humeur vagabonde me touchait particulièrement. On y apprenait en début d'émission la nouvelle sortie du film, remasterisé, de Per paolo Pasolini, Théorème (Teorema,en italien). Je ne l'ai pas vu en 68, à sa sortie où il provoqua, en Italie surtout, un énorme scandale mais eut l'honneur du prix de l'OCIC (Office Catholique International du Cinéma), mais quatre ou cinq ans plus tard, à mon arrivée à Lyon. C'est Pierre qui le premier me parla de ce film qui l'avait bouleversé. Ma réaction fut la même que la sienne. L'histoire de cet inconnu beau comme le jour arrivant dans une riche famille bourgeoise d'industriels du nord de l'Italie, ne prononçant pratiquement pas une parole et bouleversant profondément la vie et l'être même de chacun des membres de cette famille, père, mère, fille, fils et bonne comprise, avant de s'en retourner, me marqua à un point tel qu'encore aujourd'hui, j'ai des fulgurances d'images qui me viennent (les nuages caressant le sommet des monts pelés, la brume d'une jachère au bord d'une rivière,...), des souvenirs de musique (Requiem de Mozart) ou de longues citations en voix off (extraites du prophète Osée, si j'ai bonne mémoire).
Sans doute ces images ont-elles vieillies, le jeu des acteurs en particulier, même si l'affiche réunit de grands noms de cette époque: Terence Stamp, Silvana Mangano, Laura Betti, Massimo Girotti et ce fou de Ninetto, acteur fétiche de Pasolini dans le personnage d'Angelino, le messager. Anne Wiazemsky, la petite-fille de François Mauriac, alors même pas âgée de vingt ans, y tenait le rôle de la fille, un an après avoir tourné La Chinoise avec Godard. Elle était d'ailleurs l'invitée de L'Humeur vagabonde ce soir sur France Inter.
Vieilli tout cela sans doute et Wiazemsky, trop jeune à l'époque, n'a pas apporté un témoignage très détaillé en début d'émission. Deux plaisirs immenses tout de même: celui d'avoir entendu pour la première fois de ma vie, je crois, la voix de Pasolini, s'exprimant, très bien, en français, voix jeune et légère collant mal avec le personnage tourmenté; celui, d'autre part, de retrouver deux personnages inoubliables des ondes dans ces années-là: Jean-Louis Bory et Georges Charensol, dans une émission du Masque et la Plume où les deux critiques s'écharpaient de connivence sur le film de Pasolini.
Vieilli? Et pourtant: le message de ce film n'est-il pas toujours d'actualité? Cette théophanie, cette hiérophanie dont Pasolini lui-même parlait dans une interview, nombreux sont ceux qui l'attendent, comme un bouleversement, comme une remise en cause totale de l'être et de l'avoir, comme un retour sur le chemin qui nous était destiné.
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