Mon dernier jour de l'année est encore plus original, ne serait-ce que par l'heure de mon lever: presque 11h, et encore j'ai fait un effort.
J'étais convoqué à 15h au commissariat pour enregistrer ma déposition concernant l'accident de la route de novembre. Encore une fois, j'ai pu constater que les commissariats ne sont guère mieux lotis que les établissements scolaires en ce qui concerne le mobilier à disposition! Reçu par une jeune femme très douce et agréable avec qui l'entretien n'a pas pris trop de temps. J'étais heureux de terminer ainsi cette histoire dont je n'ai que trop entendu parler. Il est temps pour moi de tourner la page. Pendant que j'attendais, j'ai écouté ceux qui étaient avant moi au guichet: un vol de cave avec effraction, une perte de papier officiel (je n'ai pas compris lequel) et un abus de confiance sur un aveugle dont on avait imité la signature sur son chéquier pour lui escroquer de l'argent. La vie quotidienne ne s'arrête pas, même le dernier jour de l'année!
En sortant, je suis allé à la sépulture d'André et suis arrivé à la communion. Une trentaine de collègues, anciens et actuels avaient pris de leur temps pour cet au-revoir. Céline, sa fille, a maintenant trente-quatre ans. Je ne l'avais pas revue depuis ses quinze ans et pourtant je l'ai reconnue tout de suite. Perd-on jamais le visage de son enfance? A la sortie de l'église, j'ai appris le décès de la mère de Christian, un autre de mes collègues, le 23 décembre. Il va falloir s'habituer à tous les deuils à venir. Mais, au sortir de l'église, il y avait aussi un ciel somptueux, une lumière comme seule Lyon sait en accrocher certains jours à ses façades italiennes, un hommage de la clarté à l'année qui s'achève comme si elle voulait finir en beauté pour se faire regretter ou pour nous accorder un dernier cadeau.
Tout à l'heure, je vais chez Jean-Claude. Je m'y rendrai à pied, comme souvent ces derniers temps. J'aime voir ainsi arriver les temps de réjouissance, après avoir traversé le noir de certaines rues et côtoyer les silhouettes de gens qui, je le sais, sont loin de tous faire la fête ce soir. Ces quarante minutes de marche permettent de relativiser, de ne pas oublier trop vite que 2010 pour beaucoup sera semblable à 2009, ou pire, qui sait. Bonne soirée à tous, cependant, seul ou accompagné, gourmands ou raisonnables. Et à l'année prochaine.
jeudi 31 décembre 2009
364
Étrange mélange d'occupations en ces deux derniers jours de l'année.
364: visite in extremis de deux sites de la BAC avec J. et sa femme, après un rapide repas pris chez moi. Commençons par la Sucrière, où je n'avais jamais mis les pieds. Il se confirme que j'aime beaucoup ces anciens bâtiments industriels reconvertis en centres d'expositions, comme c'est aussi le cas du Musée des Moulages dont j'ai déjà parlé. La teneur de l'expo elle-même est assez inégale mais de bonne tenue, je trouve, dans l'ensemble. Rien de fascinant (comme au Musée des Moulages, encore une fois) mais beaucoup d'œuvres intéressantes, en particulier les Cabanes d'Agnès Varda, dont l'une aux bambous remplacés par des pellicules de cinéma déroulées, la salle ronde aux milliers de photos d'identité et une sorte d'immense sphère terrestre composée d'objets de récupération de la vie quotidienne.
J'ai aussi vu les livres dont a parlé Querelle et qui nous incitaient à les voler. Plutôt que de le faire, j'en ai retourné un, celui de l'angle gauche en bas, du côté de l'inscription en français: l'art n'aurait-il plus aujourd'hui qu'un seul langage: celui des anglo-saxons? Les descriptions de leurs photos par les photographes français de Flickr le laisseraient croire! Ainsi y voit-on apparaître "Group" au lieu de "Groupe". Tout de suite, bien sûr, c'est plus riche en charge émotionnelle!!!
Le deuxième site visité est celui du Musée d'Art Comporain, qui jouxte le parc de la Tête d'Or et où j'étais déjà allé, par deux fois, visiter l'exposition de Keith Haring. Les deux étages supérieurs présentent d'immenses plateaux quasi vides et pourtant très beaux. J'ai beaucoup aimé en particulier le mur de neige noire fait de cassettes vidéos déroulées depuis le haut jusqu'au sol. Sur un autre plateau, le vent soufflait, malmenant au sol des journaux éparpillés au gré de sa volonté. Au premier niveau, l'exposition se faisait plus dense et plus variée. Mention spéciale, selon moi, pour ce peintre asiatique, Wong Hoy Cheong, qui, ayant visité le Musée des Beaux-Arts (Saint-Pierre) de Lyon en a réinterprété quelques toiles en changeant les personnages d'origine par des personnages issus de la population française immigrée. Belle réussite, je trouve, et qui donne à réfléchir.
Le soir, rendez-vous avait été pris chez Marie-Claire, plus exactement dans son cabinet psy lyonnais pour "travailler" sur mon choc émotionnel au moment de l'accident de novembre. Je doutais un peu de la méthode mais si ça ne faisait pas de bien, ça ne pouvait pas faire de mal, et j'avais ainsi l'occasion de revoir Marie-Claire. Aujourd'hui, je ne suis toujours pas convaincu par cette "thérapie" mais beaucoup plus par les plats servis au restaurant asiatique où nous sommes allés ensuite terminer la soirée. De plus, si le patron semblait un peu glacé, et hautain, le garçon en revanche était un plaisir des yeux à lui tout seul.Être servi par ce jeune homme dans un cadre assez chic en noir et blanc m'a suffi pour rentrer tout guilleret chez moi et y passer une nuit excellente.
364: visite in extremis de deux sites de la BAC avec J. et sa femme, après un rapide repas pris chez moi. Commençons par la Sucrière, où je n'avais jamais mis les pieds. Il se confirme que j'aime beaucoup ces anciens bâtiments industriels reconvertis en centres d'expositions, comme c'est aussi le cas du Musée des Moulages dont j'ai déjà parlé. La teneur de l'expo elle-même est assez inégale mais de bonne tenue, je trouve, dans l'ensemble. Rien de fascinant (comme au Musée des Moulages, encore une fois) mais beaucoup d'œuvres intéressantes, en particulier les Cabanes d'Agnès Varda, dont l'une aux bambous remplacés par des pellicules de cinéma déroulées, la salle ronde aux milliers de photos d'identité et une sorte d'immense sphère terrestre composée d'objets de récupération de la vie quotidienne.
J'ai aussi vu les livres dont a parlé Querelle et qui nous incitaient à les voler. Plutôt que de le faire, j'en ai retourné un, celui de l'angle gauche en bas, du côté de l'inscription en français: l'art n'aurait-il plus aujourd'hui qu'un seul langage: celui des anglo-saxons? Les descriptions de leurs photos par les photographes français de Flickr le laisseraient croire! Ainsi y voit-on apparaître "Group" au lieu de "Groupe". Tout de suite, bien sûr, c'est plus riche en charge émotionnelle!!!
Le deuxième site visité est celui du Musée d'Art Comporain, qui jouxte le parc de la Tête d'Or et où j'étais déjà allé, par deux fois, visiter l'exposition de Keith Haring. Les deux étages supérieurs présentent d'immenses plateaux quasi vides et pourtant très beaux. J'ai beaucoup aimé en particulier le mur de neige noire fait de cassettes vidéos déroulées depuis le haut jusqu'au sol. Sur un autre plateau, le vent soufflait, malmenant au sol des journaux éparpillés au gré de sa volonté. Au premier niveau, l'exposition se faisait plus dense et plus variée. Mention spéciale, selon moi, pour ce peintre asiatique, Wong Hoy Cheong, qui, ayant visité le Musée des Beaux-Arts (Saint-Pierre) de Lyon en a réinterprété quelques toiles en changeant les personnages d'origine par des personnages issus de la population française immigrée. Belle réussite, je trouve, et qui donne à réfléchir.
Le soir, rendez-vous avait été pris chez Marie-Claire, plus exactement dans son cabinet psy lyonnais pour "travailler" sur mon choc émotionnel au moment de l'accident de novembre. Je doutais un peu de la méthode mais si ça ne faisait pas de bien, ça ne pouvait pas faire de mal, et j'avais ainsi l'occasion de revoir Marie-Claire. Aujourd'hui, je ne suis toujours pas convaincu par cette "thérapie" mais beaucoup plus par les plats servis au restaurant asiatique où nous sommes allés ensuite terminer la soirée. De plus, si le patron semblait un peu glacé, et hautain, le garçon en revanche était un plaisir des yeux à lui tout seul.Être servi par ce jeune homme dans un cadre assez chic en noir et blanc m'a suffi pour rentrer tout guilleret chez moi et y passer une nuit excellente.
mercredi 30 décembre 2009
Post-it
Retour d'une soirée avec Marie-Claire (séance façon psy dans son cabinet + resto) après une journée avec J. et sa femme (repas chez moi + Biennale de l'Art Contemporain: site de la Sucrière et MAC). Tout bien. Intéressant. Je raconterai demain. Ce soir, c'est dodo. Pas le courage. Même chose pour les photos. Bonne nuit.
mardi 29 décembre 2009
Nationale 86
J'avais promis, je l'ai fait, malgré mon manque de dynamisme. Hier, je suis allé à la campagne, déjeuner avec Georges, le mari de Kicou. Au lever, un ciel de plomb, et rien d'autre toute la journée. Un e grosse fatigue due à un léger ennui de santé ces derniers jours. En voilà assez pour prendre le téléphone et se décommander. Sauf que. Sauf que c'était Georges et que je n'avais pas envie de me décommander avec Georges.
Je suis entré dans la grande salle commune plus tôt qu'à l'heure du rendez-vous et, comme d'habitude, il m'a accueilli avec son traditionnel: "Je croyais que tu n'arriverais jamais!" C'est sa façon à lui de montrer sa tendresse. Il était seul. Je crois que c'est la première fois que nous sommes ainsi face à face, sans l'aide ni le secours de Pierre, de Kicou ou de tout autre. Et de l'aide, nous n'en avons pas eu besoin. Je suis heureux qu'une relation directe s'installe avec ce vieil ours qui se protège tant. Il m'a touché, dans la cuisine, lui qui, avant la maladie de sa femme, n'avait jamais touché une casserole ni préparé un seul repas. Pendant ses séjours à l'hôpital, Kicou lui avait noté des recettes sur des feuilles A4, de sa belle écriture à l'encre noire, belle et lisible comme celle des maîtresses d'autrefois lorsqu'elles écrivaient au haut du tableau la phrase résumé de la leçon de morale qui débutait la journée et que nous devions recopier sur un cahier spécial en variant la calligraphie: italiques, rondes, script, anglaises ....
Georges s'affairait tant qu'il en oublia et l'apéritif (il avait pourtant déjà installé les bouteilles sur la table) et l'entrée. Mais le plat principal fut très réussi dans sa simplicité: des côtes de porc aux oignons et à la tomate et une platée de spaghetti. Je l'ai rassuré sur la qualité du résultat. Nous avons même échangé quelques recettes d'hommes seuls, faciles à réaliser.
Après le repas, nous avons fait un tour sur le plateau, entre les vignes, d'où l'on apercevait à peine la vallée du Rhône, en bas. Nous avons parlé encore, de Kicou bien sûr, de sa peur de la mort, de sa vitalité surtout, coupant rapidement le silence lorsqu'on frôlait le sentiment de solitude qui envahit à la mort de l'autre. Il m'a dit qu'elle m'aimait beaucoup. Je le savais mais l'entendre de sa bouche à lui, si pudique, si réservé, m'a fait un immense plaisir.
Un chat nous a accompagné pendant toute notre virée, qu'il a fallu un peu écourter à cause de la pluie qui reprenait de plus bel. L'animal ne voulait plus nous lâcher: il a fallu le faire fuir en nous montrant menaçants. Je ne me suis ensuite guère attardé: Georges, qui va fêter ses 75 ans en janvier, me semblait un peu fatigué et le ciel était trop menaçant pour l'affronter qui plus est à la nuit tombée.
Je suis reparti avec, dans ma voiture, toutes les archives de la confrérie que, pour rire, nous avions montée, Kicou, Pierre et moi peu de temps avant qu'elle ne prenne sa retraite: une confrérie adoratrice du chou vert, où les intronisations s'accompagnaient d'épreuves "physiques" et "intellectuelles" qui étaient autant de prétextes à rire aux éclats. Toutes ses soirées passées dans la salle voûtée du sous-sol qui s'ouvrait, derrière, sur le jardin! Georges a voulu garder les photos. Je n'en ai pris qu'une où j'apparais, en 96, et où, miracle, je me trouve beau.
J'ai repris à l'envers, vers le nord, cette route que je continuerai jusqu'à la fin à appeler la N86 et qui, pour moi, est jalonnée des noms de mes amis morts: Kicou, Amédé et Paul. Je n'y ai plus personne aujourd'hui. Un seul, à qui je souhaite encore longue vie: ce vieux Georges que j'apprends chaque fois à connaître davantage.
Je suis entré dans la grande salle commune plus tôt qu'à l'heure du rendez-vous et, comme d'habitude, il m'a accueilli avec son traditionnel: "Je croyais que tu n'arriverais jamais!" C'est sa façon à lui de montrer sa tendresse. Il était seul. Je crois que c'est la première fois que nous sommes ainsi face à face, sans l'aide ni le secours de Pierre, de Kicou ou de tout autre. Et de l'aide, nous n'en avons pas eu besoin. Je suis heureux qu'une relation directe s'installe avec ce vieil ours qui se protège tant. Il m'a touché, dans la cuisine, lui qui, avant la maladie de sa femme, n'avait jamais touché une casserole ni préparé un seul repas. Pendant ses séjours à l'hôpital, Kicou lui avait noté des recettes sur des feuilles A4, de sa belle écriture à l'encre noire, belle et lisible comme celle des maîtresses d'autrefois lorsqu'elles écrivaient au haut du tableau la phrase résumé de la leçon de morale qui débutait la journée et que nous devions recopier sur un cahier spécial en variant la calligraphie: italiques, rondes, script, anglaises ....
Georges s'affairait tant qu'il en oublia et l'apéritif (il avait pourtant déjà installé les bouteilles sur la table) et l'entrée. Mais le plat principal fut très réussi dans sa simplicité: des côtes de porc aux oignons et à la tomate et une platée de spaghetti. Je l'ai rassuré sur la qualité du résultat. Nous avons même échangé quelques recettes d'hommes seuls, faciles à réaliser.
Après le repas, nous avons fait un tour sur le plateau, entre les vignes, d'où l'on apercevait à peine la vallée du Rhône, en bas. Nous avons parlé encore, de Kicou bien sûr, de sa peur de la mort, de sa vitalité surtout, coupant rapidement le silence lorsqu'on frôlait le sentiment de solitude qui envahit à la mort de l'autre. Il m'a dit qu'elle m'aimait beaucoup. Je le savais mais l'entendre de sa bouche à lui, si pudique, si réservé, m'a fait un immense plaisir.
Un chat nous a accompagné pendant toute notre virée, qu'il a fallu un peu écourter à cause de la pluie qui reprenait de plus bel. L'animal ne voulait plus nous lâcher: il a fallu le faire fuir en nous montrant menaçants. Je ne me suis ensuite guère attardé: Georges, qui va fêter ses 75 ans en janvier, me semblait un peu fatigué et le ciel était trop menaçant pour l'affronter qui plus est à la nuit tombée.
Je suis reparti avec, dans ma voiture, toutes les archives de la confrérie que, pour rire, nous avions montée, Kicou, Pierre et moi peu de temps avant qu'elle ne prenne sa retraite: une confrérie adoratrice du chou vert, où les intronisations s'accompagnaient d'épreuves "physiques" et "intellectuelles" qui étaient autant de prétextes à rire aux éclats. Toutes ses soirées passées dans la salle voûtée du sous-sol qui s'ouvrait, derrière, sur le jardin! Georges a voulu garder les photos. Je n'en ai pris qu'une où j'apparais, en 96, et où, miracle, je me trouve beau.
J'ai repris à l'envers, vers le nord, cette route que je continuerai jusqu'à la fin à appeler la N86 et qui, pour moi, est jalonnée des noms de mes amis morts: Kicou, Amédé et Paul. Je n'y ai plus personne aujourd'hui. Un seul, à qui je souhaite encore longue vie: ce vieux Georges que j'apprends chaque fois à connaître davantage.
André
André est mort, il y a deux jours. D'un cancer de la moelle osseuse. Après une courte amélioration entre deux séries de séances de chimio. André, c'était un de mes collègues, prof de français au collège. Il était né en 48. On avait fêté son départ à la retraite l'an dernier, pendant l'amélioration. Ce n'était pas un de mes amis mais je l'appréciais pour la qualité et le sérieux de son travail. Sa mort me touche. Peut-être aussi une question de génération commune.
Que dire d'André? Un petit bonhomme à grosses moustaches, toujours tiré à quatre épingles, avec attaché-case et parapluie qui lui donnaient une apparence un peu coincée. Un grand amoureux du sexe féminin qu'il n'hésitait pas à entreprendre malgré le handicap de sa taille et une épouse de longue date. Je me souviens encore de sa façon de faire l'éloge du bustier d'Élisabeth qui, sachant l'existence de cette épouse, n'en revenait pas de son audace.
André aimait paraître, physiquement comme socialement. Il disait connaître très bien Jeanne Moreau et Alain Prost. Pourquoi pas, après tout. Le hic, c'est que moi, je m'en fichais éperdument. Il n'écrivait qu'au stylo plume, ce que j'aimerais en revanche savoir faire. Il avait eu son moment de jalousie lorsque j'étais apparu dans l'équipe de français de sixième/cinquième où il régnait jusque-là en mâle unique. Il essaya un jour de me tester en entreprenant une conversation politique et en me confiant, tout fier, qu'il votait à l'extrême droite (ce dont je ne suis pas certain). Je me souviens encore de sa tête en entendant ma réponse: je lui répartis en effet, avec le ton le plus sacerdotal que je pus trouver que, décidément, chacun devait porter sa croix ici bas. Cet échange n'arrangea pas les affaires entre nous.
Pourtant le calme revint et nous apprîmes à nous respecter faute de réellement nous apprécier. Il nous arriva même d'avoir par la suite des échanges intéressants sur divers sujets littéraires ou artistiques. J'appris même, peu à peu, quelques détails de sa vie privée, de ses goûts en peintures et gravures que j'étais loin d'avoir pressentis.
André, pour moi, c'était un bon prof, un homme cultivé qui attachait de l'importance aux mots, une des dernières personnes au collège à garder une sorte d'aura de dignité,une sorte de noblesse, un des derniers pour qui la politesse était une chose aussi naturelle que manger ou respirer. Je ne sais s'il me manquera. C'est encore un maillon de moins à la chaîne qui me sépare du vide. J'hésitais à écrire ce billet. Je l'ai fait cependant, en cette fin de soirée, pour lui rendre hommage parce que, pour moi, il le valait bien.
Que dire d'André? Un petit bonhomme à grosses moustaches, toujours tiré à quatre épingles, avec attaché-case et parapluie qui lui donnaient une apparence un peu coincée. Un grand amoureux du sexe féminin qu'il n'hésitait pas à entreprendre malgré le handicap de sa taille et une épouse de longue date. Je me souviens encore de sa façon de faire l'éloge du bustier d'Élisabeth qui, sachant l'existence de cette épouse, n'en revenait pas de son audace.
André aimait paraître, physiquement comme socialement. Il disait connaître très bien Jeanne Moreau et Alain Prost. Pourquoi pas, après tout. Le hic, c'est que moi, je m'en fichais éperdument. Il n'écrivait qu'au stylo plume, ce que j'aimerais en revanche savoir faire. Il avait eu son moment de jalousie lorsque j'étais apparu dans l'équipe de français de sixième/cinquième où il régnait jusque-là en mâle unique. Il essaya un jour de me tester en entreprenant une conversation politique et en me confiant, tout fier, qu'il votait à l'extrême droite (ce dont je ne suis pas certain). Je me souviens encore de sa tête en entendant ma réponse: je lui répartis en effet, avec le ton le plus sacerdotal que je pus trouver que, décidément, chacun devait porter sa croix ici bas. Cet échange n'arrangea pas les affaires entre nous.
Pourtant le calme revint et nous apprîmes à nous respecter faute de réellement nous apprécier. Il nous arriva même d'avoir par la suite des échanges intéressants sur divers sujets littéraires ou artistiques. J'appris même, peu à peu, quelques détails de sa vie privée, de ses goûts en peintures et gravures que j'étais loin d'avoir pressentis.
André, pour moi, c'était un bon prof, un homme cultivé qui attachait de l'importance aux mots, une des dernières personnes au collège à garder une sorte d'aura de dignité,une sorte de noblesse, un des derniers pour qui la politesse était une chose aussi naturelle que manger ou respirer. Je ne sais s'il me manquera. C'est encore un maillon de moins à la chaîne qui me sépare du vide. J'hésitais à écrire ce billet. Je l'ai fait cependant, en cette fin de soirée, pour lui rendre hommage parce que, pour moi, il le valait bien.
lundi 28 décembre 2009
Les bons comptes...
Juste pendant du précédent: si j'oublie mon âge à moi, il me suffit, à la télévision, de regarder cinq minutes Le Combat des Idoles, titre d'occasion de l'émission Questions pour un Champion et d'y apercevoir Bobby Solo (Una Lacrima sul viso) et Georgette Lemaire (Vous étiez belle, Madame) pour retrouver la mémoire.
L'une a neuf ans de plus que moi, l'autre seulement sept.
Bon, lequel de ces deux succès vais-je chanter devant le miroir de ma salle de bains ce soir en me brossant les dents? A moins que je ne me brosse pas les dents, ou alors dans le noir...
L'une a neuf ans de plus que moi, l'autre seulement sept.
Bon, lequel de ces deux succès vais-je chanter devant le miroir de ma salle de bains ce soir en me brossant les dents? A moins que je ne me brosse pas les dents, ou alors dans le noir...
Jeannette et Lucienne
Non, ce n'est pas un pastiche de titre de Robert Guédiguian mais les prénoms de deux dames dont j'ai fait assez récemment la connaissance. Deux vieilles amies de Jean-Claude. Si elles savaient que je dis "vieilles amies" en les évoquant, je crois bien que tous les efforts de charme que j'ai déployés avec elles jusqu'à aujourd'hui pour les apprivoiser seraient réduits à néant. Pourtant chacune d'entre elles s'en va allégrement sur le chemin qui les mènera sous peu à leur octantième anniversaire.
Quand on les rencontre, on ne s'en rend pas du tout compte: elles sont joyeuses, sortent volontiers le soir, ne souffrent d'aucune maladie grave, pas même, apparemment, de douleurs qui pourraient embêter leur troisième âge. Rien de tout cela. Elles mangent toutes deux avec appétit, même si Jeannette arrive assez vite à satiété alors que Lucienne est plus délicate dans le choix de ce qu'elle ingère. J'ai cru comprendre que chacune a depuis longtemps un "chevalier servant" qui n'habite pas avec elles mais avec qui elles entretiennent parfois des relations "rapprochées". Elles apprécient l'alcool (avec modération) et ne s'effarouchent pas si la conversation glisse tout à coup vers des zones un peu chaudes où les hommes sont largement majoritaires.
Physiquement, elles ne se ressemblent guère: Jeannette est petite et menue, plate comme un discours de J-F Copé, si discrète parfois qu'elle pourrait passer inaperçue. Elle s'habille simplement, sans chercher l'effet. Lucienne, au contraire, cultive l'élégance et met en valeur son encore gracieuse poitrine dans des robes aux coloris clairs et à la taille ajustée. Elle est blonde, naturellement.
Lorsque je suis arrivé chez Jean-Claude après la messe à Sainte-Madeleine, elles étaient déjà là, assises toutes deux sur le canapé de cuir, m'installant entre elles en attendant que le premier bouchon saute. Je les avais déjà rencontrées deux ou trois fois auparavant et peu à peu mon charme naturel (!!!) et l'agrément de ma conversation (!!!!) ont eu raison de leurs réticences face à ce nouveau venu qui troublait un ordre établi depuis visiblement longtemps.
A cette veillée de Noël, elles furent particulièrement décontractées (effet des petites bulles?) et, au milieu du repas, n'hésitèrent plus à évoquer leurs souvenirs de la dernière guerre. Ce qui nous valut pendant quelques instants d'assister, pour notre plus grand plaisir, à un combat verbal à fleurets à peine mouchetés. Pour comprendre, il faut savoir que Jeannette et Lucienne sont amies d'enfance, de petite enfance si j'ai bien compris. Elles habitaient la même rue, sur les pentes de la Croix-Rousse, mais l'une ( Lucienne) était fille d'épicier alors que l'autre (Jeannette) était fille de client de ladite épicerie. Ce qui fait toute la différence.
Le feu prit avant même que l'on se soit rendu compte que l'on avait craqué l'allumette. Lucienne, en verve, voulut raconter une anecdote vécue un soir où elle était allée au cinéma. Elle n'en eut pas le temps. Jeannette bondit et ne la laissa pas finir sa phrase: Au cinéma, pendant la guerre! Alors que d'autres crevaient de faim! C'était bien le moment d'aller au cinéma! Lucienne, tout sourire, fit comme si elle n'avait rien entendu et poursuivit. Alors Jeannette s'énerva: bien sûr, quand on a une épicerie pendant ces temps de disette, on a la vie belle, on ne manque de rien. Le marché noir ne fut pas abordé mais il s'en fallut de peu.
Il faut bien dire que Jeannette n'avait pas tort et que tous, autour de la table, étaient d'accord avec elle au moins sur un point: Lucienne n'a aucune idée réelle, réaliste de ce qu'a été la guerre. Moi, en tant que petit dernier arrivé, je me gardai bien d'apporter mon grain de sel à la conversation. En réalité, je crois sincèrement que cette rixe n'inquiéta personne: les deux duettistes venaient de faire un numéro qu'elles avaient déjà maintes fois donné et dont elles savaient qu'il aurait un succès assuré. L'instant d'après, d'ailleurs, elles riaient de plus bel toutes les deux à la fois en évoquant un autre souvenir de cette époque glorieuse.
Moi, ces deux vieilles dames indignes, elles me plaisent bien. Je serais heureux qu'elles me racontent encore leur jeunesse sur les pentes, à l'ombre du Gros Caillou, en voisines de la Mère Cottivet et de Mame Craquelin, en dignes filles d'un Lyon qui n'existe presque déjà plus.
Quand on les rencontre, on ne s'en rend pas du tout compte: elles sont joyeuses, sortent volontiers le soir, ne souffrent d'aucune maladie grave, pas même, apparemment, de douleurs qui pourraient embêter leur troisième âge. Rien de tout cela. Elles mangent toutes deux avec appétit, même si Jeannette arrive assez vite à satiété alors que Lucienne est plus délicate dans le choix de ce qu'elle ingère. J'ai cru comprendre que chacune a depuis longtemps un "chevalier servant" qui n'habite pas avec elles mais avec qui elles entretiennent parfois des relations "rapprochées". Elles apprécient l'alcool (avec modération) et ne s'effarouchent pas si la conversation glisse tout à coup vers des zones un peu chaudes où les hommes sont largement majoritaires.
Physiquement, elles ne se ressemblent guère: Jeannette est petite et menue, plate comme un discours de J-F Copé, si discrète parfois qu'elle pourrait passer inaperçue. Elle s'habille simplement, sans chercher l'effet. Lucienne, au contraire, cultive l'élégance et met en valeur son encore gracieuse poitrine dans des robes aux coloris clairs et à la taille ajustée. Elle est blonde, naturellement.
Lorsque je suis arrivé chez Jean-Claude après la messe à Sainte-Madeleine, elles étaient déjà là, assises toutes deux sur le canapé de cuir, m'installant entre elles en attendant que le premier bouchon saute. Je les avais déjà rencontrées deux ou trois fois auparavant et peu à peu mon charme naturel (!!!) et l'agrément de ma conversation (!!!!) ont eu raison de leurs réticences face à ce nouveau venu qui troublait un ordre établi depuis visiblement longtemps.
A cette veillée de Noël, elles furent particulièrement décontractées (effet des petites bulles?) et, au milieu du repas, n'hésitèrent plus à évoquer leurs souvenirs de la dernière guerre. Ce qui nous valut pendant quelques instants d'assister, pour notre plus grand plaisir, à un combat verbal à fleurets à peine mouchetés. Pour comprendre, il faut savoir que Jeannette et Lucienne sont amies d'enfance, de petite enfance si j'ai bien compris. Elles habitaient la même rue, sur les pentes de la Croix-Rousse, mais l'une ( Lucienne) était fille d'épicier alors que l'autre (Jeannette) était fille de client de ladite épicerie. Ce qui fait toute la différence.
Le feu prit avant même que l'on se soit rendu compte que l'on avait craqué l'allumette. Lucienne, en verve, voulut raconter une anecdote vécue un soir où elle était allée au cinéma. Elle n'en eut pas le temps. Jeannette bondit et ne la laissa pas finir sa phrase: Au cinéma, pendant la guerre! Alors que d'autres crevaient de faim! C'était bien le moment d'aller au cinéma! Lucienne, tout sourire, fit comme si elle n'avait rien entendu et poursuivit. Alors Jeannette s'énerva: bien sûr, quand on a une épicerie pendant ces temps de disette, on a la vie belle, on ne manque de rien. Le marché noir ne fut pas abordé mais il s'en fallut de peu.
Il faut bien dire que Jeannette n'avait pas tort et que tous, autour de la table, étaient d'accord avec elle au moins sur un point: Lucienne n'a aucune idée réelle, réaliste de ce qu'a été la guerre. Moi, en tant que petit dernier arrivé, je me gardai bien d'apporter mon grain de sel à la conversation. En réalité, je crois sincèrement que cette rixe n'inquiéta personne: les deux duettistes venaient de faire un numéro qu'elles avaient déjà maintes fois donné et dont elles savaient qu'il aurait un succès assuré. L'instant d'après, d'ailleurs, elles riaient de plus bel toutes les deux à la fois en évoquant un autre souvenir de cette époque glorieuse.
Moi, ces deux vieilles dames indignes, elles me plaisent bien. Je serais heureux qu'elles me racontent encore leur jeunesse sur les pentes, à l'ombre du Gros Caillou, en voisines de la Mère Cottivet et de Mame Craquelin, en dignes filles d'un Lyon qui n'existe presque déjà plus.
dimanche 27 décembre 2009
L'appareil manducateur
Commençons savamment cet article par un petit emprunt à la bible de certains internautes, j'entends Wikipédia. (J'espère que les éléments copiés-collés ici sont exacts, sans en être vraiment sûr. Excusez-moi, Monsieur ou Madame Wikipédia, mais il y a de nombreuses erreurs chez vous!)
Par définition, l'appareil manducateur est l'appareil servant à manger, fonction comprenant: - la préhension de l'aliment pour le porter dans la cavité buccale, - la mastication, - la salivation, - la déglutition, - la respiration.
L'appareil manducateur est la première étape de la communication de l'individu avec le monde extérieur : parler, manger, boire, etc. C'est un système constitué des arcades dentaires de la mandibule et des maxillaires, de la langue et du palais. L'articulation temporo-mandibulaire et les muscles maxillaires sont les rouages du mécanisme de mastication ou de posture.
Les muscles permettant la fermeture de la bouche sont :
* le muscle masséter
* le muscle temporal
* le muscle ptérygoïdien médial
* le muscle ptérygoïdien latéral
Les muscles permettant l'ouverture de la bouche sont :
* le muscle mylo-hyoïdien
* le muscle génio-hyoïdien
Les muscles permettant la déglutition sont :
* le muscle digastrique
Eh bien, je peux vous dire maintenant que j'ai fait beaucoup travailler ces muscles ces derniers jours, même sans connaître le nom d'aucun d'entre eux jusqu'à il y a deux minutes. J'ai donc, en être humain à l'appareil manducateur extrêmement sollicité depuis quelques temps, beaucoup communiqué avec le monde extérieur. J'ai bien parlé, j'ai bien mangé et j'ai bien bu, faisant donc à égalité travailler le masséter, le temporal, les deux ptérygoïdiens ( penser, dès la rentrée, à conseiller à certaines de mes collègues le recours plus fréquent à ces muscles-là, qui, chez elles, vont finir par s'atrophier faute d'être utilisés), le mylo-hyoïdien et le génio-hyoïdien et celui sans qui rien ne serait pareil: le digastrique dont, par sa sonorité, on voit bien où il mène.
Je rêve maintenant de salades fraîches et légères et de yaourts nature arrosés d'une aqua simplex. Mais j'ai bien peur que ce ne soit pas fini. Tiens, rien que demain, je file à la campagne: je suis invité par le mari de Kicou à partager son déjeuner . J'ai eu beau dire qu'il fallait du léger, je crains le pire! Mardi, avant d'aller chez ma mère, je consacrerais bien l'après-midi, à une visite avec J. à la Biennale d'Arts Contemporains, projet mûri depuis longtemps et jamais réalisé à ce jour. Or l'exposition se termine début janvier: il est temps de se prendre par la main!
Et puis, à nouveau, à la fin de la semaine, la fête aux ptérygoîdiens et hyoïdiens de tous poils pour enterrer l'année en beauté avant que l'excès de nourriture ne nous enterre nous-mêmes. Cette fois-ci, les mandibules fonctionneront chez Frédéric avec approximativement la même petite bande qu'à Noël.
Après? Eh bien après, l'appareil sera encore mis à contribution, principalement pour parler cette fois-ci, mais là j'ai une excuse: c'est mon métier, n'est-ce pas?
Par définition, l'appareil manducateur est l'appareil servant à manger, fonction comprenant: - la préhension de l'aliment pour le porter dans la cavité buccale, - la mastication, - la salivation, - la déglutition, - la respiration.
L'appareil manducateur est la première étape de la communication de l'individu avec le monde extérieur : parler, manger, boire, etc. C'est un système constitué des arcades dentaires de la mandibule et des maxillaires, de la langue et du palais. L'articulation temporo-mandibulaire et les muscles maxillaires sont les rouages du mécanisme de mastication ou de posture.
Les muscles permettant la fermeture de la bouche sont :
* le muscle masséter
* le muscle temporal
* le muscle ptérygoïdien médial
* le muscle ptérygoïdien latéral
Les muscles permettant l'ouverture de la bouche sont :
* le muscle mylo-hyoïdien
* le muscle génio-hyoïdien
Les muscles permettant la déglutition sont :
* le muscle digastrique
Eh bien, je peux vous dire maintenant que j'ai fait beaucoup travailler ces muscles ces derniers jours, même sans connaître le nom d'aucun d'entre eux jusqu'à il y a deux minutes. J'ai donc, en être humain à l'appareil manducateur extrêmement sollicité depuis quelques temps, beaucoup communiqué avec le monde extérieur. J'ai bien parlé, j'ai bien mangé et j'ai bien bu, faisant donc à égalité travailler le masséter, le temporal, les deux ptérygoïdiens ( penser, dès la rentrée, à conseiller à certaines de mes collègues le recours plus fréquent à ces muscles-là, qui, chez elles, vont finir par s'atrophier faute d'être utilisés), le mylo-hyoïdien et le génio-hyoïdien et celui sans qui rien ne serait pareil: le digastrique dont, par sa sonorité, on voit bien où il mène.
Je rêve maintenant de salades fraîches et légères et de yaourts nature arrosés d'une aqua simplex. Mais j'ai bien peur que ce ne soit pas fini. Tiens, rien que demain, je file à la campagne: je suis invité par le mari de Kicou à partager son déjeuner . J'ai eu beau dire qu'il fallait du léger, je crains le pire! Mardi, avant d'aller chez ma mère, je consacrerais bien l'après-midi, à une visite avec J. à la Biennale d'Arts Contemporains, projet mûri depuis longtemps et jamais réalisé à ce jour. Or l'exposition se termine début janvier: il est temps de se prendre par la main!
Et puis, à nouveau, à la fin de la semaine, la fête aux ptérygoîdiens et hyoïdiens de tous poils pour enterrer l'année en beauté avant que l'excès de nourriture ne nous enterre nous-mêmes. Cette fois-ci, les mandibules fonctionneront chez Frédéric avec approximativement la même petite bande qu'à Noël.
Après? Eh bien après, l'appareil sera encore mis à contribution, principalement pour parler cette fois-ci, mais là j'ai une excuse: c'est mon métier, n'est-ce pas?
Milarepa
Eric-Emmanuel Schmitt: Milarepa
Bof! La grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf.
Depuis la lecture de ce livre, j'ai ai entamé trois ou quatre autres pour les abandonner aussitôt. Rien qui m'accroche en ce moment.
Bof! La grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf.
Depuis la lecture de ce livre, j'ai ai entamé trois ou quatre autres pour les abandonner aussitôt. Rien qui m'accroche en ce moment.
samedi 26 décembre 2009
Quand on brûlait pour des livres
Hasard du calendrier: ce samedi 26 décembre, jour de la Saint Étienne (également nom de ma ville natale),j'ai rencontré un Étienne. A vrai dire, je le connais depuis très longtemps. La première fois, cela devait être pendant mes études, à la Faculté de Lettres de Lyon. Quelqu'un qui m'avait intrigué, par sa réputation sulfureuse. Mais à l'époque, c'était surtout son ami François que j'avais fréquenté.
François, c'est François Rabelais, l'auteur de la Renaissance que tout le monde connaît. Étienne, lui, est moins célèbre, et pourtant. Étienne Dolet fut un très grand imprimeur de ces temps de renouveau, sous le règne de François Ier qui, malheureusement pour Dolet, n'alla pas jusqu'au bout de sa volonté d'ouverture, surtout dans le domaine religieux, et permit qu'on le brûle (brûlât, pour les puristes) à Paris en 1546.
Né à Orléans en 1509, il arrive à Lyon en 1534 et rencontre tout de suite le grand imprimeur d'origine allemande Sébastien Gryphe qui devient son ami. Après avoir obtenu du roi, en 1558, un privilège exceptionnel pour l'impression des œuvres "des auteurs modernes et antiques", il ouvre un atelier rue Mercière, à l'enseigne de la Doloire (une sorte de petite hache). Du latin, il se tourne alors vers le français qu'il veut, comme bon nombre de ses concitoyens, "défendre et illustrer". D'ailleurs, la préface de son Manière de bien traduire est adressé au "peuple français", terminologie gaulliste bien nouvelle à l'époque. Cette langue encore balbutiante dans sa forme écrite lui permet pourtant de toucher immédiatement un plus vaste public. Malheureusement, son succès lui attire les jalousies de ses confrères lyonnais que lui-même ne ménage pas en les traitant ouvertement d'"ivrognes" et de "paresseux".
Dolet dut subir trois procès pour meurtre d'abord puis hérésie et perdit peu à peu ses amis et ses protections, en particulier celle du cardinal de Tournon, également évêque de Lyon. Son dernier emprisonnement se conclura par sa mise à mort sur un bûcher Place Maubert à Paris.
Ce libre penseur n'a par la suite reçu que peu d'honneurs. Sa statue Place Maubert fut fondue, j'ai oublié à quelle occasion (une guerre, il me semble). A Lyon, on lui a dédié un petit bout de rue de rien du tout, tout près de chez moi d'ailleurs, dans le troisième arrondissement, et un square qui vient d'être rénové. Seule Orléans, sa ville natale, possède un buste de lui dans le jardin de l'Hôtel de Ville. Mais on peut aussi dire que la rue Sébastien Gryphe n'est pas une des plus cossue de Lyon. Je regrette ce désintérêt des municipalités pour des hommes tels que ces littérateurs et imprimeurs de la Renaissance. Lyon particulièrement, à cette époque ville prospère, principale place financière et banquière du royaume (d'où la présence répétée dans ses murs de François Ier, qui y venait emprunter de quoi payer des campagnes militaires en Italie voisine), devrait, à l'occasion du 500° anniversaire de la naissance de l'un d'eux, Étienne Dolet, ne pas se contenter de cette exposition, si intéressante soit-elle, à la Bibliothèque de la Part-Dieu.
Si vous êtes intéressés, dépêchez-vous: la clôture en est prévue le 2 janvier 2010. Moi, je me suis régalé. Et puis, en sortant du centre commercial surpeuplé en ces temps de fêtes de fin d'année, quel repos: nous étions trois (plus une gardienne très occupée à jouer avec son téléphone portable).
François, c'est François Rabelais, l'auteur de la Renaissance que tout le monde connaît. Étienne, lui, est moins célèbre, et pourtant. Étienne Dolet fut un très grand imprimeur de ces temps de renouveau, sous le règne de François Ier qui, malheureusement pour Dolet, n'alla pas jusqu'au bout de sa volonté d'ouverture, surtout dans le domaine religieux, et permit qu'on le brûle (brûlât, pour les puristes) à Paris en 1546.
Né à Orléans en 1509, il arrive à Lyon en 1534 et rencontre tout de suite le grand imprimeur d'origine allemande Sébastien Gryphe qui devient son ami. Après avoir obtenu du roi, en 1558, un privilège exceptionnel pour l'impression des œuvres "des auteurs modernes et antiques", il ouvre un atelier rue Mercière, à l'enseigne de la Doloire (une sorte de petite hache). Du latin, il se tourne alors vers le français qu'il veut, comme bon nombre de ses concitoyens, "défendre et illustrer". D'ailleurs, la préface de son Manière de bien traduire est adressé au "peuple français", terminologie gaulliste bien nouvelle à l'époque. Cette langue encore balbutiante dans sa forme écrite lui permet pourtant de toucher immédiatement un plus vaste public. Malheureusement, son succès lui attire les jalousies de ses confrères lyonnais que lui-même ne ménage pas en les traitant ouvertement d'"ivrognes" et de "paresseux".
Dolet dut subir trois procès pour meurtre d'abord puis hérésie et perdit peu à peu ses amis et ses protections, en particulier celle du cardinal de Tournon, également évêque de Lyon. Son dernier emprisonnement se conclura par sa mise à mort sur un bûcher Place Maubert à Paris.
Ce libre penseur n'a par la suite reçu que peu d'honneurs. Sa statue Place Maubert fut fondue, j'ai oublié à quelle occasion (une guerre, il me semble). A Lyon, on lui a dédié un petit bout de rue de rien du tout, tout près de chez moi d'ailleurs, dans le troisième arrondissement, et un square qui vient d'être rénové. Seule Orléans, sa ville natale, possède un buste de lui dans le jardin de l'Hôtel de Ville. Mais on peut aussi dire que la rue Sébastien Gryphe n'est pas une des plus cossue de Lyon. Je regrette ce désintérêt des municipalités pour des hommes tels que ces littérateurs et imprimeurs de la Renaissance. Lyon particulièrement, à cette époque ville prospère, principale place financière et banquière du royaume (d'où la présence répétée dans ses murs de François Ier, qui y venait emprunter de quoi payer des campagnes militaires en Italie voisine), devrait, à l'occasion du 500° anniversaire de la naissance de l'un d'eux, Étienne Dolet, ne pas se contenter de cette exposition, si intéressante soit-elle, à la Bibliothèque de la Part-Dieu.
Si vous êtes intéressés, dépêchez-vous: la clôture en est prévue le 2 janvier 2010. Moi, je me suis régalé. Et puis, en sortant du centre commercial surpeuplé en ces temps de fêtes de fin d'année, quel repos: nous étions trois (plus une gardienne très occupée à jouer avec son téléphone portable).
jeudi 24 décembre 2009
Nous sommes tous les petits-enfants d'une étoile filante
J'apprends, j'apprends. Où çà? Partout, oui, mais surtout à la radio. Et je vais vous faire un aveu: j'y préfère les émissions scientifiques aux émissions littéraires. Vocation manquée? Je ne crois pas. Simplement la littérature, ceci dit sans aucune vanité personnelle, m'apporte moins de nouvelles connaissances que la science, que je connais peu bien qu'ayant toujours aimé ce domaine. Alors aujourd'hui, qu'ai-je appris? Des choses étonnantes, deux pour être exact.
La première, c'est qu'il y a plus d'atomes dans le corps de chacun de nous que d'étoiles dans l'univers (et on ne peut déjà pas les compter!). A notre mort, ces atomes sont destinés à disparaître bien sûr. C'est bien ce que vous pensez, tout comme moi? Eh bien nous nous trompons: tout ne disparaît pas. Pour comprendre, il faut prendre l'exemple d'une goutte d'eau. En faire disparaître entièrement la trace nécessiterait de la dissoudre dans la totalité de l'élément liquide présent sur la planète. Sinon, des molécules de cette goutte subsistent, quelque part, identifiables si on cherche bien.
Il en est de même pour les atomes: ceux qui ne sont pas détruits sont reconvertis: ainsi chacun de nous peut-il être sûr de posséder en lui (souvent bien dissimulé, c'est vrai, pour les trois premiers exemples!) quelque chose d'un roi mage, de Jésus, de Einstein ou du premier ex-imbécile venu. D'ailleurs Johnny l'avait bien deviné, lui. Rappelez- vous quand il s'est mis à bêler: On a tous en nous quelque chose de Tennessee! Du coup, je me regarde autrement: elle est où, ma part d'Einstein? ou du Concombre Masqué?
La seconde découverte, c'est que la vie est apparue sur terre suite à une pluie de météorites charriant avec elles les molécules indispensables à l'apparition de cette vie. L'émission passait un extrait du dialogue de l'excellent film d'animation: La Prophétie des Grenouilles. Un vieil homme explique à un enfant d'où vient toute vie sur terre. L'extrait se terminait par une phrase que je trouve admirable:
" Nous sommes tous les petits-enfants d'une étoile filante."
Bon, une étoile filante pour aïeule et, dans la parenté plus rapprochée, un savant et un Messie, moi, ça me va. Je sens que Noël va être bon cette année.
Au fait, en parlant d'étoile filante,c'était surtout pour ça que j'étais venu. J'allais oublié. Oui, je sais, pas grave, on n'a que faire des traditions. On peut vivre sans. Pourtant, pourtant, j'en connais, et des plus féroces, qui s'y conforment, même si ça leur semble bête.
Moi, je n'ai pas peur d'être bête (surtout maintenant que je sais, tonton Einstein, cousin Melchior, mémé Lucie, tatie Duras - non, là, il ne faut pas pousser-,....). Alors, je le dis, et du fond du cœur: Bon Noël à tous!
La première, c'est qu'il y a plus d'atomes dans le corps de chacun de nous que d'étoiles dans l'univers (et on ne peut déjà pas les compter!). A notre mort, ces atomes sont destinés à disparaître bien sûr. C'est bien ce que vous pensez, tout comme moi? Eh bien nous nous trompons: tout ne disparaît pas. Pour comprendre, il faut prendre l'exemple d'une goutte d'eau. En faire disparaître entièrement la trace nécessiterait de la dissoudre dans la totalité de l'élément liquide présent sur la planète. Sinon, des molécules de cette goutte subsistent, quelque part, identifiables si on cherche bien.
Il en est de même pour les atomes: ceux qui ne sont pas détruits sont reconvertis: ainsi chacun de nous peut-il être sûr de posséder en lui (souvent bien dissimulé, c'est vrai, pour les trois premiers exemples!) quelque chose d'un roi mage, de Jésus, de Einstein ou du premier ex-imbécile venu. D'ailleurs Johnny l'avait bien deviné, lui. Rappelez- vous quand il s'est mis à bêler: On a tous en nous quelque chose de Tennessee! Du coup, je me regarde autrement: elle est où, ma part d'Einstein? ou du Concombre Masqué?
La seconde découverte, c'est que la vie est apparue sur terre suite à une pluie de météorites charriant avec elles les molécules indispensables à l'apparition de cette vie. L'émission passait un extrait du dialogue de l'excellent film d'animation: La Prophétie des Grenouilles. Un vieil homme explique à un enfant d'où vient toute vie sur terre. L'extrait se terminait par une phrase que je trouve admirable:
" Nous sommes tous les petits-enfants d'une étoile filante."
Bon, une étoile filante pour aïeule et, dans la parenté plus rapprochée, un savant et un Messie, moi, ça me va. Je sens que Noël va être bon cette année.
Au fait, en parlant d'étoile filante,c'était surtout pour ça que j'étais venu. J'allais oublié. Oui, je sais, pas grave, on n'a que faire des traditions. On peut vivre sans. Pourtant, pourtant, j'en connais, et des plus féroces, qui s'y conforment, même si ça leur semble bête.
Moi, je n'ai pas peur d'être bête (surtout maintenant que je sais, tonton Einstein, cousin Melchior, mémé Lucie, tatie Duras - non, là, il ne faut pas pousser-,....). Alors, je le dis, et du fond du cœur: Bon Noël à tous!
mercredi 23 décembre 2009
Le Vol de l'Ange (Conte de Noël)
J'ai volé un ange. Non, non, je ne suis pas folle. Je sais bien que les anges, ça n'existe pas, enfin pas réellement, pas physiquement, qu'on ne peut pas les toucher. Il parait qu'ils n'ont pas de sexe, ni homme ni femme, alors, vous pensez, pas de poches non plus, dans leur bel habit blanc, où aller dérober quelque argent. D'ailleurs, qu'en feraient-ils de cet argent, au Paradis? Les boutiques, ça ne doit pas courir les rues, enfin, les nuages, et quand il suffit de taper dans ses mains pour avoir ce que l'on veut, on ne doit plus avoir envie de grand chose. Un peu l'inverse de moi...
Moi, j'ai été longtemps heureuse, et puis ça c'est gâté. Je l'aimais pourtant, mon Louis, mais ce n'est pas ce qui l'a empêché de partir: il avait trouvé mieux ailleurs sans doute, ou plus jeune. Je l'imagine bien avec une jeunesse, lui qui arrivait à peine à tenir les yeux ouverts cinq minutes après la fin du repas. Et les ronflements! Les ronflements! Bon courage, la nouvelle! Je ne l'ai jamais revu. Peut-être qu'il a changé de ville, de pays, de continent, va savoir: il me parlait souvent d'un cousin à lui qui avait émigré en Argentine et y avait fait fortune dans l'élevage bovin. Et s'il était allé le rejoindre avec sa gamine?
Moi, depuis, je suis seule. Je n'ai jamais eu beaucoup de plaisir au lit et ça ne me manque pas. Alors pourquoi chercher un autre homme? Pour avoir le plaisir de laver ses chaussettes puantes et de le servir à table, en constatant chaque soir qu'il ne fait même pas attention à ce qui lui est présenté, sauf si c'est trop chaud ou pas assez salé? Non, merci. Je préfère ma solitude. En tout cas de ce côté là. Car autrement, parfois, elle me pèse. Rentrer et fermer sa porte jusqu'au lendemain, ne plus rien dire, n'avoir personne pour écouter. Tiens, par exemple, il y a un mois, j'ai été témoin d'un accident, près de chez moi. J'en suis revenue toute bouleversée. Et à qui le raconter? A qui dire sa peur pour s'en débarrasser? J'ai bien essayé, à la boulangerie, mais on ne peut pas s'attarder, il y a tout le temps du monde. Et puis la boulangère n'est pas causeuse.
Alors, j'ai eu une idée: ma compagnie, je me la suis inventée. Quel est, à votre avis, le meilleur endroit pour parler sans risquer d'être interrompu? Où est-on entouré de tas de gens qui ne vous couperont jamais la parole? Vous avez deviné? Moi, la première fois que j'ai vu une vieille parler toute seule devant une tombe, ça m'a fait sourire. Qu'est-ce qu'elle s'imaginait, celle-là? J'espère au moins qu'elle n'attendait pas une réponse! Une illuminée, sans doute.
Mais finalement, l'idée n'était pas si stupide que ça! Je pouvais m'arrêter devant n'importe quelle sépulture, une de préférence dont les inscriptions gravées dans la pierre m'inspiraient un début de sentiment: celle-ci parce que l'enfant était morte jeune, cette autre parce que le nom de famille sonnait bien, cette troisième parce qu'elle me rappelait, alors que j'égrenais les prénoms, une autre famille que j'avais connue dans mon enfance. Il arrivait aussi que ce soit le monument funéraire lui-même qui détermine mon choix: tel granit dont la couleur semblait changer au soleil, telle volute imaginée par le sculpteur pour alléger les lignes. Ou tout simplement le moment de la journée et le besoin ou non de m'exposer un instant au soleil.
Mes monologues ont duré plusieurs mois et je dois dire que j'ai rarement été importunée. Au début, le gardien rodait bien un peu autour de moi, histoire de se rassurer sur mes intentions véritables. Mais, quand il a vu que je n'étais ni une tagueuse ni une profanatrice de tombes, il a fini par me laisser tranquille.
Une fois, il y a eu un exhibitionniste: il s'était mis derrière une colonne, bien caché aux yeux de tous les autres mais volontairement bien visible aux miens. Il a sorti son engin de sa braguette et s'est mis à l'astiquer frénétiquement. Un peu plus il s'écorchait la peau à y mettre tant d'ardeur. Moi, un sexe d'homme, je n'ai jamais trouvé ça beau. A regarder de prêt, c'est même franchement ridicule, surtout quand ça pend mollement en reposant sur son lit de couilles. Louis voulait que je me mette le sien dans la bouche. J'ai essayé une fois, pour lui faire plaisir. Ce n'est pas désagréable mais ça a tout de même un arrière-goût de pipi. En tout cas celui de Louis ce jour-là. Louis, il avait un beau morceau. Il le disait assez mais, sans avoir beaucoup de points de comparaison, je crois que c'était vrai. L'autre, l'exhibitionniste, il en avait une toute tordue, pas bien grande et toute rouge à force d'être frottée. Elle a fini par ressembler à un petit piment rouge et ça m'a fait rire: je l'imaginais dans la salade. Ça a vexé le vieux sale et il est parti. Je ne l'ai jamais revu. De toutes façons, ils doivent sûrement changé souvent de lieu, pour ne pas se faire prendre.
Et puis, un jour, j'en ai eu assez de mes monologues. Je me souviens: il faisait beau, chaud même, et un oiseau chantait à s'égosiller dans l'arbre un peu plus loin. Ses cris ont fini par m'agacer. Mais c'est ça qui m'a fait arrêter. On est toujours l'oiseau jacasseur de quelqu'un! Je suis revenu pourtant au cimetière, sans cesse: le pli était pris. Je me taisais mais je ne pouvais arrêter ces visites parce que, je crois, le cimetière était devenu le deuxième chez moi. Alors, je me suis un temps occupé autrement.
Les jardinières qui manquaient d'eau, je les arrosais; les fleurs fanées depuis longtemps, je les portais à la benne à ordures; si le vent avait soufflé particulièrement fort la veille, je relevais les pots renversés. J'arrachais les mauvaises herbes, je restaurais l'équilibre d'une composition florale. Un jour, je me souviens, c'était la sainte Agnès et justement, ce jour-là, j'avais nettoyé une tombe d'une certaine Agnès Lefort, une tombe inconnue placée de telle sorte qu'elle récoltait immanquablement toutes les feuilles mortes tombées des platanes avoisinants. Quand j'ai vu le prénom de la morte (décédée à quatre-vingt dix huit ans, donc pas de quoi s'émouvoir) et que je me suis souvenue de la sainte du jour, je suis allée jusqu'à la boutique du fleuriste, à l'entrée, et je lui ai acheté un petit bouquet, comme ça, parce que c'était la sainte Agnès et que personne ne viendrait saluer Agnès Lefort ce jour-là. Les fleurs, c'étaient des anémones.
Le lendemain, je suis retournée sur cette tombe, parce que les anémones, ça consomme beaucoup d'eau et que le vase où j'avais arrangé le bouquet me semblait bien petit. Je voulais que mon cadeau fasse au moins plusieurs jours. Pour Agnès mais pour moi aussi. Quand j'ai relevé la tête et l'ai secoué sur le côté pour chasser une mèche de cheveux qui me gênait devant les yeux, je l'ai vu, à côté, sur la tombe voisine.
Il était sûrement là déjà la veille mais je ne l'avais pas remarqué. Pourtant, qu'il était beau! Un charmant petit ange blanc, si gracieux, si fragile qu'on aurait dit du biscuit. Un ange garçon, ça se voyait sur son visage même s'il était encore bien lisse et enfantin. Un ange représenté assis, les deux mains jointes devant lui, simplement, sans ostentation. Pas un de ces anges musiciens qui pendent au plafond des églises baroques et que l'on dirait gavés au lait Neslé tant leurs joues rubicondes sont gonflées même lorsqu'ils ne soufflent pas dans des trompettes d'or.
Le mien, d'ange, parce que j'ai tout de suite su qu'il allait être à moi, est un ange discret, pudique dans sa longue robe blanche qui le recouvre jusqu'aux les pieds, un ange comme l'on aimerait avoir un fils, au moins dans les premières années de sa vie, un ange de jeunesse et de sagesse.
Je l'ai volé, cet ange. Hier. Je le fréquente depuis plus d'un mois. Je n'ai réussi à me décider qu'hier après-midi. J'ai apporté un grand sac pour le camoufler en sortant du cimetière. Même si le gardien me connaît bien maintenant et me salue parfois gentiment quand il est devant la porte de sa loge, je ne pouvais tout de même pas le passer à sa barbe sans qu'il réagisse. Enfin, j'imagine. J'ai bien attendu qu'il n'y ait personne en vue. Oh! ça n'a pas pris des heures: on ne se bouscule pas dans les allées des cimetières. A part à la période de la Toussaint, bien sûr, où ils se croient tous obligés de retrouver la mémoire. Et moi, ça me décuple mon travail, avec tout ce qu'ensuite il faut trier, jeter, transporter jusqu'au bout des allées pour en remplir les poubelles en plastique qui sont si laides à mon avis.
Dès que j'ai pu, je l'ai subtilisé. J'avais apporté dans le sac un vieux journal pour l'envelopper: ainsi on le verrait encore moins et il risquerait moins les chocs. Maintenant que je m'étais décidé à le voler, ce n'était pas le moment de le casser ou même de l'ébrécher. Il m'a paru plus léger que je ne l'imaginais ou bien la peur a augmenté mes forces. Parce que oui, j'avais peur. Peur d'un témoin éventuel qui aurait pu remarquer mon manège et peur de Dieu surtout et du mort qui, depuis son lit de terre sous la dalle, m'observait sans doute à ce moment-là. Pour apaiser ses mânes et donner à mes mains le temps de calmer un peu leur tremblement qui ne serait pas passé inaperçu, j'ai récité la première prière qui m'est venue en tête. C'était le Notre Père. Ça n'a rien d'étonnant, c'est celle que je préfère, celle que Jésus lui même nous a enseigné, dit-on, celle qui me vient toujours en premier. Et puis je suis partie, comme une voleuse. Enfin, je croyais que ça se voyait comme un nez au milieu de la figure, mais personne n'a rien remarqué.
Aujourd'hui, il est là, chez moi, sur le buffet de la cuisine. Ce n'est pas forcément une place très digne pour un ange mais comme c'est dans cette pièce que je passe la plupart de mon temps, je peux le voir tout le temps et lui parler. Ah oui! ce que je lui parle. Je l'ai lavé d'abord, au savon de Marseille, rien que du naturel pour ne pas l'abîmer, je l'ai essuyé délicatement avec un linge sorti exprès de mon armoire, une belle serviette qui est devenue la sienne, j'en suis sûre. Il ne me répond pas mais lorsque je veux savoir s'il est d'accord avec ce que je dis, je lève les yeux vers les siens et ils sourient, ses yeux, comme les coins de sa bouche, un sourire pareil à celui de la Joconde, au Louvre, où j'étais allée en voyage scolaire quand j'étais petite.
Je lui ai déjà donné un nom. Forcément, j'ai d'abord pensé à Louis, à cause de mon homme d'autrefois. Mais je me suis dit que c'était lui faire beaucoup d'honneur et qu'il ne le méritait pas ("il", c'est mon homme bien sûr, pas mon ange!). Mon père s'appelait Eusèbe: pas merveilleux pour un être aussi gracieux que mon nouveau compagnon. Comment peut bien s'appeler un ange? Ils n'ont pas plus de noms que de sexes, ces bêtes-là. Et puis si, bien sûr que si, il y a des anges qui ont un prénom, des super anges mêmes, un peu les chefs des anges comme qui dirait.
Et j'en connaissais au moins deux: Michel, celui qui tient la tête fulminante du dragon sous son talon aussi facilement que s'il s'agissait d'écraser une mouche déjà endormie par le froid de l'hiver. Michel? Non, pas Michel: une institutrice qui m'a détestée parce que je n'apprenais pas assez vite mes tables à son goût portait ce prénom au féminin. Et je ne veux pas que, chaque fois, que j'appellerai, ce soit sa silhouette que je vois apparaître dans ma mémoire. Alors l'autre, celui du message, le facteur à Marie, l'archange qui vient lui annoncer qu'elle est enceinte sans même avoir fauté. Moi j'aurais bien aimé que ça m'arrive, d'être enceinte, que ce soit de cette façon ou d'une autre. Mais bon, inutile de parler de ça, ça me donne encore des aigreurs. Alors, j'ai décidé de l'appeler Gabriel. C'est beau, non? Je trouve que ça lui va bien.
Là, en ce moment, je suis à ma table de cuisine, je racle des carottes sur une page du Progrès. Je veux les faire en Béchamel, comme ma mère les faisait dans mon enfance. On ne disait pas Béchamel à l'époque, pas chez nous, on disait sauce blanche. Je sens sa présence dans mon dos, chaude, rassurante. J'imagine qu'avec ses ailes, il me caresse les cheveux, qu'il me dit que je travaille bien, que mes plats sont bons, que je peux m'arrêter un instant si je veux, pour me reposer, que je l'ai bien mérité, bref tout ce que personne ne m'a jamais dit. Ça, c'est la petite conversation de la journée, la légère, la futile. Mais le soir, je sais que je ne m'ennuierai plus jamais maintenant, qu'il me lira des histoires, qu'il me dira des poèmes, composés juste pour moi, avec sa voix d'ange, que je fermerai les yeux pour mieux l'entendre, jusqu'à ce que je m'endorme auprès de lui, rassurée. Ah! ce que je vais être heureuse!
(Cette histoire m'a été inspirée par un fait divers relaté à la radio tout à l'heure: une femme, dans le nord de la France a été surprise alors qu'elle volait une composition florale dans un cimetière. La police, lors de la perquisition à son domicile, a découvert plus d'une centaine d'objets dérobés sur des tombes. La femme, interrogée, a déclarée que si elle volait, c'était pour se sentir moins seule.)
Moi, j'ai été longtemps heureuse, et puis ça c'est gâté. Je l'aimais pourtant, mon Louis, mais ce n'est pas ce qui l'a empêché de partir: il avait trouvé mieux ailleurs sans doute, ou plus jeune. Je l'imagine bien avec une jeunesse, lui qui arrivait à peine à tenir les yeux ouverts cinq minutes après la fin du repas. Et les ronflements! Les ronflements! Bon courage, la nouvelle! Je ne l'ai jamais revu. Peut-être qu'il a changé de ville, de pays, de continent, va savoir: il me parlait souvent d'un cousin à lui qui avait émigré en Argentine et y avait fait fortune dans l'élevage bovin. Et s'il était allé le rejoindre avec sa gamine?
Moi, depuis, je suis seule. Je n'ai jamais eu beaucoup de plaisir au lit et ça ne me manque pas. Alors pourquoi chercher un autre homme? Pour avoir le plaisir de laver ses chaussettes puantes et de le servir à table, en constatant chaque soir qu'il ne fait même pas attention à ce qui lui est présenté, sauf si c'est trop chaud ou pas assez salé? Non, merci. Je préfère ma solitude. En tout cas de ce côté là. Car autrement, parfois, elle me pèse. Rentrer et fermer sa porte jusqu'au lendemain, ne plus rien dire, n'avoir personne pour écouter. Tiens, par exemple, il y a un mois, j'ai été témoin d'un accident, près de chez moi. J'en suis revenue toute bouleversée. Et à qui le raconter? A qui dire sa peur pour s'en débarrasser? J'ai bien essayé, à la boulangerie, mais on ne peut pas s'attarder, il y a tout le temps du monde. Et puis la boulangère n'est pas causeuse.
Alors, j'ai eu une idée: ma compagnie, je me la suis inventée. Quel est, à votre avis, le meilleur endroit pour parler sans risquer d'être interrompu? Où est-on entouré de tas de gens qui ne vous couperont jamais la parole? Vous avez deviné? Moi, la première fois que j'ai vu une vieille parler toute seule devant une tombe, ça m'a fait sourire. Qu'est-ce qu'elle s'imaginait, celle-là? J'espère au moins qu'elle n'attendait pas une réponse! Une illuminée, sans doute.
Mais finalement, l'idée n'était pas si stupide que ça! Je pouvais m'arrêter devant n'importe quelle sépulture, une de préférence dont les inscriptions gravées dans la pierre m'inspiraient un début de sentiment: celle-ci parce que l'enfant était morte jeune, cette autre parce que le nom de famille sonnait bien, cette troisième parce qu'elle me rappelait, alors que j'égrenais les prénoms, une autre famille que j'avais connue dans mon enfance. Il arrivait aussi que ce soit le monument funéraire lui-même qui détermine mon choix: tel granit dont la couleur semblait changer au soleil, telle volute imaginée par le sculpteur pour alléger les lignes. Ou tout simplement le moment de la journée et le besoin ou non de m'exposer un instant au soleil.
Mes monologues ont duré plusieurs mois et je dois dire que j'ai rarement été importunée. Au début, le gardien rodait bien un peu autour de moi, histoire de se rassurer sur mes intentions véritables. Mais, quand il a vu que je n'étais ni une tagueuse ni une profanatrice de tombes, il a fini par me laisser tranquille.
Une fois, il y a eu un exhibitionniste: il s'était mis derrière une colonne, bien caché aux yeux de tous les autres mais volontairement bien visible aux miens. Il a sorti son engin de sa braguette et s'est mis à l'astiquer frénétiquement. Un peu plus il s'écorchait la peau à y mettre tant d'ardeur. Moi, un sexe d'homme, je n'ai jamais trouvé ça beau. A regarder de prêt, c'est même franchement ridicule, surtout quand ça pend mollement en reposant sur son lit de couilles. Louis voulait que je me mette le sien dans la bouche. J'ai essayé une fois, pour lui faire plaisir. Ce n'est pas désagréable mais ça a tout de même un arrière-goût de pipi. En tout cas celui de Louis ce jour-là. Louis, il avait un beau morceau. Il le disait assez mais, sans avoir beaucoup de points de comparaison, je crois que c'était vrai. L'autre, l'exhibitionniste, il en avait une toute tordue, pas bien grande et toute rouge à force d'être frottée. Elle a fini par ressembler à un petit piment rouge et ça m'a fait rire: je l'imaginais dans la salade. Ça a vexé le vieux sale et il est parti. Je ne l'ai jamais revu. De toutes façons, ils doivent sûrement changé souvent de lieu, pour ne pas se faire prendre.
Et puis, un jour, j'en ai eu assez de mes monologues. Je me souviens: il faisait beau, chaud même, et un oiseau chantait à s'égosiller dans l'arbre un peu plus loin. Ses cris ont fini par m'agacer. Mais c'est ça qui m'a fait arrêter. On est toujours l'oiseau jacasseur de quelqu'un! Je suis revenu pourtant au cimetière, sans cesse: le pli était pris. Je me taisais mais je ne pouvais arrêter ces visites parce que, je crois, le cimetière était devenu le deuxième chez moi. Alors, je me suis un temps occupé autrement.
Les jardinières qui manquaient d'eau, je les arrosais; les fleurs fanées depuis longtemps, je les portais à la benne à ordures; si le vent avait soufflé particulièrement fort la veille, je relevais les pots renversés. J'arrachais les mauvaises herbes, je restaurais l'équilibre d'une composition florale. Un jour, je me souviens, c'était la sainte Agnès et justement, ce jour-là, j'avais nettoyé une tombe d'une certaine Agnès Lefort, une tombe inconnue placée de telle sorte qu'elle récoltait immanquablement toutes les feuilles mortes tombées des platanes avoisinants. Quand j'ai vu le prénom de la morte (décédée à quatre-vingt dix huit ans, donc pas de quoi s'émouvoir) et que je me suis souvenue de la sainte du jour, je suis allée jusqu'à la boutique du fleuriste, à l'entrée, et je lui ai acheté un petit bouquet, comme ça, parce que c'était la sainte Agnès et que personne ne viendrait saluer Agnès Lefort ce jour-là. Les fleurs, c'étaient des anémones.
Le lendemain, je suis retournée sur cette tombe, parce que les anémones, ça consomme beaucoup d'eau et que le vase où j'avais arrangé le bouquet me semblait bien petit. Je voulais que mon cadeau fasse au moins plusieurs jours. Pour Agnès mais pour moi aussi. Quand j'ai relevé la tête et l'ai secoué sur le côté pour chasser une mèche de cheveux qui me gênait devant les yeux, je l'ai vu, à côté, sur la tombe voisine.
Il était sûrement là déjà la veille mais je ne l'avais pas remarqué. Pourtant, qu'il était beau! Un charmant petit ange blanc, si gracieux, si fragile qu'on aurait dit du biscuit. Un ange garçon, ça se voyait sur son visage même s'il était encore bien lisse et enfantin. Un ange représenté assis, les deux mains jointes devant lui, simplement, sans ostentation. Pas un de ces anges musiciens qui pendent au plafond des églises baroques et que l'on dirait gavés au lait Neslé tant leurs joues rubicondes sont gonflées même lorsqu'ils ne soufflent pas dans des trompettes d'or.
Le mien, d'ange, parce que j'ai tout de suite su qu'il allait être à moi, est un ange discret, pudique dans sa longue robe blanche qui le recouvre jusqu'aux les pieds, un ange comme l'on aimerait avoir un fils, au moins dans les premières années de sa vie, un ange de jeunesse et de sagesse.
Je l'ai volé, cet ange. Hier. Je le fréquente depuis plus d'un mois. Je n'ai réussi à me décider qu'hier après-midi. J'ai apporté un grand sac pour le camoufler en sortant du cimetière. Même si le gardien me connaît bien maintenant et me salue parfois gentiment quand il est devant la porte de sa loge, je ne pouvais tout de même pas le passer à sa barbe sans qu'il réagisse. Enfin, j'imagine. J'ai bien attendu qu'il n'y ait personne en vue. Oh! ça n'a pas pris des heures: on ne se bouscule pas dans les allées des cimetières. A part à la période de la Toussaint, bien sûr, où ils se croient tous obligés de retrouver la mémoire. Et moi, ça me décuple mon travail, avec tout ce qu'ensuite il faut trier, jeter, transporter jusqu'au bout des allées pour en remplir les poubelles en plastique qui sont si laides à mon avis.
Dès que j'ai pu, je l'ai subtilisé. J'avais apporté dans le sac un vieux journal pour l'envelopper: ainsi on le verrait encore moins et il risquerait moins les chocs. Maintenant que je m'étais décidé à le voler, ce n'était pas le moment de le casser ou même de l'ébrécher. Il m'a paru plus léger que je ne l'imaginais ou bien la peur a augmenté mes forces. Parce que oui, j'avais peur. Peur d'un témoin éventuel qui aurait pu remarquer mon manège et peur de Dieu surtout et du mort qui, depuis son lit de terre sous la dalle, m'observait sans doute à ce moment-là. Pour apaiser ses mânes et donner à mes mains le temps de calmer un peu leur tremblement qui ne serait pas passé inaperçu, j'ai récité la première prière qui m'est venue en tête. C'était le Notre Père. Ça n'a rien d'étonnant, c'est celle que je préfère, celle que Jésus lui même nous a enseigné, dit-on, celle qui me vient toujours en premier. Et puis je suis partie, comme une voleuse. Enfin, je croyais que ça se voyait comme un nez au milieu de la figure, mais personne n'a rien remarqué.
Aujourd'hui, il est là, chez moi, sur le buffet de la cuisine. Ce n'est pas forcément une place très digne pour un ange mais comme c'est dans cette pièce que je passe la plupart de mon temps, je peux le voir tout le temps et lui parler. Ah oui! ce que je lui parle. Je l'ai lavé d'abord, au savon de Marseille, rien que du naturel pour ne pas l'abîmer, je l'ai essuyé délicatement avec un linge sorti exprès de mon armoire, une belle serviette qui est devenue la sienne, j'en suis sûre. Il ne me répond pas mais lorsque je veux savoir s'il est d'accord avec ce que je dis, je lève les yeux vers les siens et ils sourient, ses yeux, comme les coins de sa bouche, un sourire pareil à celui de la Joconde, au Louvre, où j'étais allée en voyage scolaire quand j'étais petite.
Je lui ai déjà donné un nom. Forcément, j'ai d'abord pensé à Louis, à cause de mon homme d'autrefois. Mais je me suis dit que c'était lui faire beaucoup d'honneur et qu'il ne le méritait pas ("il", c'est mon homme bien sûr, pas mon ange!). Mon père s'appelait Eusèbe: pas merveilleux pour un être aussi gracieux que mon nouveau compagnon. Comment peut bien s'appeler un ange? Ils n'ont pas plus de noms que de sexes, ces bêtes-là. Et puis si, bien sûr que si, il y a des anges qui ont un prénom, des super anges mêmes, un peu les chefs des anges comme qui dirait.
Et j'en connaissais au moins deux: Michel, celui qui tient la tête fulminante du dragon sous son talon aussi facilement que s'il s'agissait d'écraser une mouche déjà endormie par le froid de l'hiver. Michel? Non, pas Michel: une institutrice qui m'a détestée parce que je n'apprenais pas assez vite mes tables à son goût portait ce prénom au féminin. Et je ne veux pas que, chaque fois, que j'appellerai, ce soit sa silhouette que je vois apparaître dans ma mémoire. Alors l'autre, celui du message, le facteur à Marie, l'archange qui vient lui annoncer qu'elle est enceinte sans même avoir fauté. Moi j'aurais bien aimé que ça m'arrive, d'être enceinte, que ce soit de cette façon ou d'une autre. Mais bon, inutile de parler de ça, ça me donne encore des aigreurs. Alors, j'ai décidé de l'appeler Gabriel. C'est beau, non? Je trouve que ça lui va bien.
Là, en ce moment, je suis à ma table de cuisine, je racle des carottes sur une page du Progrès. Je veux les faire en Béchamel, comme ma mère les faisait dans mon enfance. On ne disait pas Béchamel à l'époque, pas chez nous, on disait sauce blanche. Je sens sa présence dans mon dos, chaude, rassurante. J'imagine qu'avec ses ailes, il me caresse les cheveux, qu'il me dit que je travaille bien, que mes plats sont bons, que je peux m'arrêter un instant si je veux, pour me reposer, que je l'ai bien mérité, bref tout ce que personne ne m'a jamais dit. Ça, c'est la petite conversation de la journée, la légère, la futile. Mais le soir, je sais que je ne m'ennuierai plus jamais maintenant, qu'il me lira des histoires, qu'il me dira des poèmes, composés juste pour moi, avec sa voix d'ange, que je fermerai les yeux pour mieux l'entendre, jusqu'à ce que je m'endorme auprès de lui, rassurée. Ah! ce que je vais être heureuse!
(Cette histoire m'a été inspirée par un fait divers relaté à la radio tout à l'heure: une femme, dans le nord de la France a été surprise alors qu'elle volait une composition florale dans un cimetière. La police, lors de la perquisition à son domicile, a découvert plus d'une centaine d'objets dérobés sur des tombes. La femme, interrogée, a déclarée que si elle volait, c'était pour se sentir moins seule.)
mardi 22 décembre 2009
Prévenir mais pas guérir
Quelqu'un pourrait-il m'expliquer à quoi peuvent bien servir ces panneaux stupides? Celui-ci se trouve au deuxième niveau du centre commercial de la Part-Dieu, juste devant la Fnac, à l'entrée de l'escalier roulant descendant.
"Attention: les enfants doivent obligatoirement être accompagnés." En plus du fait qu'aucun des logos présents sous ce texte ne vient illustrer cette interdiction (on y voit un fauteuil roulant, un caddie et une poussette pour bébé mais pas d'enfants seuls), je ne comprends pas la logique qui a présidé à leur installation. En effet, qui sont les enfants qui ne doivent pas être seuls sur ce genre d'appareils?
Principalement les petits et les tout petits. Mais ceux-ci, par définition, ne savent pas lire, ou si peu. A quoi leur sert donc le panneau leur interdisant l'accès? Pour les plus grands, il faudrait que soit précisé l'âge à partir duquel ils ont l'autorisation de passer. On ne le voit nulle part. Donc, cet avertissement ne semble concerner que les parents. Mais si les parents sont là, à lire le panneau, les enfants ne sont pas seuls. C'est logique, non? Par conséquent ce panneau ne sert strictement à rien, si ce n'est à se dédouaner (probablement au regard de la loi) en cas d'accident survenu à un mineur. Mais même dans ce cas-là, n'y aurait-il pas procès de la part de la famille de la victime?
Tout ceci me fait penser à l'hypocrisie de notre société qui se défausse bien souvent par les mots, rien que les mots, au déprofit des actes. Ainsi sur les paquets de cigarettes prévient-on les fumeurs que "Fumer tue" mais on continue à leur vendre leur drogue quotidienne, en faisant le bonheur des grandes compagnies et des caisses de l'état.
Je serais d'accord pour que vite, avant que la justice ne s'en mêle, on oblige les médecins accoucheurs, les sages-femmes, tous ceux que la nouvelle mère côtoie au moment de la naissance, à prévenir la famille que ce n'est que du provisoire, que ce souffle de vie, il faudra bien un jour le rendre et que ces professionnels ne peuvent en aucun cas être considérés comme responsables de la mort des gens des décennies après qu'ils soient passés entre leurs mains. On ne sait jamais: quelqu'un pourrait porter plainte pour tromperie sur la marchandise.
(PS qui a tout à voir: on peut classer dans la même catégorie de mots inutiles et pratiques pour se dégager ce que, parfois, on lit de la part des professeurs sur les bulletins trimestriels de certains élèves: "Il faut progresser!" Yaka!).
"Attention: les enfants doivent obligatoirement être accompagnés." En plus du fait qu'aucun des logos présents sous ce texte ne vient illustrer cette interdiction (on y voit un fauteuil roulant, un caddie et une poussette pour bébé mais pas d'enfants seuls), je ne comprends pas la logique qui a présidé à leur installation. En effet, qui sont les enfants qui ne doivent pas être seuls sur ce genre d'appareils?
Principalement les petits et les tout petits. Mais ceux-ci, par définition, ne savent pas lire, ou si peu. A quoi leur sert donc le panneau leur interdisant l'accès? Pour les plus grands, il faudrait que soit précisé l'âge à partir duquel ils ont l'autorisation de passer. On ne le voit nulle part. Donc, cet avertissement ne semble concerner que les parents. Mais si les parents sont là, à lire le panneau, les enfants ne sont pas seuls. C'est logique, non? Par conséquent ce panneau ne sert strictement à rien, si ce n'est à se dédouaner (probablement au regard de la loi) en cas d'accident survenu à un mineur. Mais même dans ce cas-là, n'y aurait-il pas procès de la part de la famille de la victime?
Tout ceci me fait penser à l'hypocrisie de notre société qui se défausse bien souvent par les mots, rien que les mots, au déprofit des actes. Ainsi sur les paquets de cigarettes prévient-on les fumeurs que "Fumer tue" mais on continue à leur vendre leur drogue quotidienne, en faisant le bonheur des grandes compagnies et des caisses de l'état.
Je serais d'accord pour que vite, avant que la justice ne s'en mêle, on oblige les médecins accoucheurs, les sages-femmes, tous ceux que la nouvelle mère côtoie au moment de la naissance, à prévenir la famille que ce n'est que du provisoire, que ce souffle de vie, il faudra bien un jour le rendre et que ces professionnels ne peuvent en aucun cas être considérés comme responsables de la mort des gens des décennies après qu'ils soient passés entre leurs mains. On ne sait jamais: quelqu'un pourrait porter plainte pour tromperie sur la marchandise.
(PS qui a tout à voir: on peut classer dans la même catégorie de mots inutiles et pratiques pour se dégager ce que, parfois, on lit de la part des professeurs sur les bulletins trimestriels de certains élèves: "Il faut progresser!" Yaka!).
lundi 21 décembre 2009
Tags à gogo
En fait, c'est Flickr qui a eu la préférence.
J'ai mis de l'ordre dans les tags de mes photos car ils en avaient bien besoin: entre les inversions de lettres dues au fait que je tape sans doute plus vite d'une main que de l'autre, le choix tantôt du pluriel et tantôt du singulier, plus quelques tags ne portant que sur une seule photo et pouvant être remplacés par d'autres plus employés, il fallait corriger, simplifier, bref: faire le ménage.
Voilà qui est fait. Et même plus rapidement que prévu. J. a bien raison quand il dit que je suis trop pressé et que je ne regarde pas assez ce qui s'affiche sur l'écran. Ce soir, j'ai pris la peine d'être plus attentif et j'ai gagné un temps considérable grâce à des manipulations très simplifiées. Je vais me coucher assez satisfait du boulot accompli.
Lancelot est surpris de mon activité débordante pendant les vacances. Je ne sais si débordante est le mot, il ne me semble pas en ce moment, mais l'anxiété que je ressens à chaque début de congés tient peut-être là son origine: j'ai peur de n'avoir rien à faire. C'est grave, docteur? Mais je le redis, ce soir, je suis assez content de moi et le petit coup de spleen de tout à l'heure a complètement disparu. Merci, Nicéphore!
J'ai mis de l'ordre dans les tags de mes photos car ils en avaient bien besoin: entre les inversions de lettres dues au fait que je tape sans doute plus vite d'une main que de l'autre, le choix tantôt du pluriel et tantôt du singulier, plus quelques tags ne portant que sur une seule photo et pouvant être remplacés par d'autres plus employés, il fallait corriger, simplifier, bref: faire le ménage.
Voilà qui est fait. Et même plus rapidement que prévu. J. a bien raison quand il dit que je suis trop pressé et que je ne regarde pas assez ce qui s'affiche sur l'écran. Ce soir, j'ai pris la peine d'être plus attentif et j'ai gagné un temps considérable grâce à des manipulations très simplifiées. Je vais me coucher assez satisfait du boulot accompli.
Lancelot est surpris de mon activité débordante pendant les vacances. Je ne sais si débordante est le mot, il ne me semble pas en ce moment, mais l'anxiété que je ressens à chaque début de congés tient peut-être là son origine: j'ai peur de n'avoir rien à faire. C'est grave, docteur? Mais je le redis, ce soir, je suis assez content de moi et le petit coup de spleen de tout à l'heure a complètement disparu. Merci, Nicéphore!
Coup de pompe
On commence parfois ses vacances avec la gueule de bois. La gueule de bois du travail. C'est ce qui m'arrive cette fois-ci. J'avais prévu de faire aujourd'hui des tas de choses, en particulier de m'avancer dans les corrections et préparations scolaires pour en être rapidement débarrassé. Je n'ai pas fait la moitié de la tâche que je m'étais fixée.
Les plantes, la lessive, les courses ont occupé la matinée. Ensuite déjeuner avec J., toujours bavard (le déjeuner!), et départ chez le kiné. En principe je devrais arrêter les séances cette semaine. Revenu par un temps de chien: la pluie annoncée s'était transformée en grand vent du sud, violent par instant et qui, comme chaque fois, fait remonter dans l'immeuble de mauvaises odeurs des canalisations. Il faudra que je rouspète encore plus fort à la prochaine AG de copropriété.
Devant mon bureau, j'ai dû m'arrêter deux fois dans la correction des copies tant ma tête avait tendance à plonger un peu trop souvent et un peu trop près des pattes de mouches de mes élèves. Par deux fois, j'ai écarté les copies pour faire un petit somme, le visage appuyé sur les avant-bras. La deuxième fois même, je me suis profondément endormi. Aucune envie de sortir, aucune envie de quoi que ce soit.
En mangeant tout à l'heure, j'ai pensé aux morts, à Pierre, à mon père, à Kicou. Ils sont sous la neige (qu'est-ce que ça change?), quelque part, ailleurs. Il arrive que l'on ait mal aux morts. Je me suis secoué. Petit moment de déprime de début de vacances. Rien de vraiment nouveau, rien d'alarmant, c'est sûr. Demain, je finirai le scolaire et entreprendrai un peu de rangement. En principe, ça me remet d'aplomb.
Ce soir, ou je finis mes envois de photos sur Flickr, ou je regarde la télévision (j'en ai presque envie), ou je change encore d'avis. Liberté, liberté chérie...
Les plantes, la lessive, les courses ont occupé la matinée. Ensuite déjeuner avec J., toujours bavard (le déjeuner!), et départ chez le kiné. En principe je devrais arrêter les séances cette semaine. Revenu par un temps de chien: la pluie annoncée s'était transformée en grand vent du sud, violent par instant et qui, comme chaque fois, fait remonter dans l'immeuble de mauvaises odeurs des canalisations. Il faudra que je rouspète encore plus fort à la prochaine AG de copropriété.
Devant mon bureau, j'ai dû m'arrêter deux fois dans la correction des copies tant ma tête avait tendance à plonger un peu trop souvent et un peu trop près des pattes de mouches de mes élèves. Par deux fois, j'ai écarté les copies pour faire un petit somme, le visage appuyé sur les avant-bras. La deuxième fois même, je me suis profondément endormi. Aucune envie de sortir, aucune envie de quoi que ce soit.
En mangeant tout à l'heure, j'ai pensé aux morts, à Pierre, à mon père, à Kicou. Ils sont sous la neige (qu'est-ce que ça change?), quelque part, ailleurs. Il arrive que l'on ait mal aux morts. Je me suis secoué. Petit moment de déprime de début de vacances. Rien de vraiment nouveau, rien d'alarmant, c'est sûr. Demain, je finirai le scolaire et entreprendrai un peu de rangement. En principe, ça me remet d'aplomb.
Ce soir, ou je finis mes envois de photos sur Flickr, ou je regarde la télévision (j'en ai presque envie), ou je change encore d'avis. Liberté, liberté chérie...
dimanche 20 décembre 2009
Pontalis et d'autres, au féminin.
Je tourne depuis trop longtemps autour du pot. Il serait temps que je fasse un compte rendu de lecture sur le livre de Pontalis que j'ai terminé il y a déjà plusieurs jours: L'Amour des commencements.
J'ai déjà parlé du choc ressenti au premier chapitre, L'Amour du lycée, comme un écho retrouvé de mes années d'adolescence studieuses. Anna avait justement pointé, quant à elle, le dernier, Au Bout du fil, comme en parallèle à la situation que je vis avec ma mère.
Je crois que je n'arriverai pas à parler davantage de ces pages. Peut-être m'est-il trop proche pour que je puisse le faire. Lisez-le, il y a tout, la beauté des mots comme celle des idées, la justesse de l'analyse comme l'humanité de l'auteur, une humanité intelligente et tendre à la fois. Après cela, il faut savoir se taire.
Petit coup de fil à D. sur son lit d'hôpital Je partage avec elle, grâce à la photo, la vue qu'elle a depuis sa fenêtre. Heureux de l'entendre, elle si rare et qui a peur de m'envahir. Nous sommes si proches, sans nous connaître! Elle a tous les livres de Pontalis. Un jour, sans doute, je la rencontrerai.
Depuis hier, Noëlle a Internet. Bienvenue, ma Nono. Nous allons pouvoir communiquer plus facilement, malgré les kilomètres. Je t'imagine, en ce moment, bloquée dans ton chalet, avec un bon livre et ta joie de vivre qui tient si chaud au cœur de tes amis. Je suis sûr que ton jardin est magnifique couvert de neige. Embrasse pour moi la dernière rose.
J'ai déjà parlé du choc ressenti au premier chapitre, L'Amour du lycée, comme un écho retrouvé de mes années d'adolescence studieuses. Anna avait justement pointé, quant à elle, le dernier, Au Bout du fil, comme en parallèle à la situation que je vis avec ma mère.
Je crois que je n'arriverai pas à parler davantage de ces pages. Peut-être m'est-il trop proche pour que je puisse le faire. Lisez-le, il y a tout, la beauté des mots comme celle des idées, la justesse de l'analyse comme l'humanité de l'auteur, une humanité intelligente et tendre à la fois. Après cela, il faut savoir se taire.
Petit coup de fil à D. sur son lit d'hôpital Je partage avec elle, grâce à la photo, la vue qu'elle a depuis sa fenêtre. Heureux de l'entendre, elle si rare et qui a peur de m'envahir. Nous sommes si proches, sans nous connaître! Elle a tous les livres de Pontalis. Un jour, sans doute, je la rencontrerai.
Depuis hier, Noëlle a Internet. Bienvenue, ma Nono. Nous allons pouvoir communiquer plus facilement, malgré les kilomètres. Je t'imagine, en ce moment, bloquée dans ton chalet, avec un bon livre et ta joie de vivre qui tient si chaud au cœur de tes amis. Je suis sûr que ton jardin est magnifique couvert de neige. Embrasse pour moi la dernière rose.
samedi 19 décembre 2009
Messe blanche
Ce matin, à Francheville. Retrouver la jésuitière, où je ne suis pas allé depuis plus de vingt ans. Se repérer malgré la neige, abondante dans la campagne. Marie-Claire m'avait récupéré Place Jean Macé, elle aussi bien enneigée. Il faisait chaud dans sa voiture. Le voyage prétexte à une longue discussion. Son calme me fait du bien. Nous avons en commun les derniers moments conscients de Kicou. Ça, nous ne l'oublierons pas. Nous étions en retard, un petit quart-d'heure. Pas grave: le trajet lui-même était aussi une messe pour Kicou, quelque chose qu'elle aurait apprécié.
L'assistance réunie dans l'oratoire des Jésuites. Pour la plupart, je les connaissais, famille ou anciens collègues qui n'en finissent pas de blanchir. Au-delà des particularités de chacun, des histoires vécues en commun, des antagonismes plus ou moins apaisés, impression de grande sérénité, comme dans un cocon familial apaisant. Est-ce cela, être croyant? Appartenir à une famille, malgré tout? Pour la première fois ce matin d'une manière aussi consciente, je n'ai pas rejeté cette idée.
Revu aussi Françoise qui n'a jamais autant travaillé que depuis qu'elle est en retraite. Beau visage de presque vieille dame avec toujours le même regard pétillant d'intelligence vive. J'aime la façon dont elle serre dans ses bras celui qui arrive, chaleureuse sans accaparer. En nous voyant avec Marie-Claire, elle nous a dit: "Quelle équipe nous faisions!" Je n'avais jamais remarqué au collège combien sa foi l'illumine. C'est Kicou qui m'a mis sur la voie. Je la reverrai sans doute, pour parler de tout ça.
Contraste entre la chaleur du soleil le jour de l'enterrement et la froidure du vent aujourd'hui. Mais Kicou, où était-elle à ce moment-là? Je n'ai que peu pensé à elle. Plutôt observé Marie-Claire qui renouait avec son ancien milieu de travail dont elle avait été expulsée salement il y a quinze ans. Elle était prête: rancœur apaisée et émotion plus aisée à contenir maintenant. Elle a réussi: elle est repartie heureuse en ayant aussi montré à tous qu'elle s'était réalisée. Cela lui tenait à cœur. Nous avons ensuite grignoté chez moi, comme deux vieux amis.
L'assistance réunie dans l'oratoire des Jésuites. Pour la plupart, je les connaissais, famille ou anciens collègues qui n'en finissent pas de blanchir. Au-delà des particularités de chacun, des histoires vécues en commun, des antagonismes plus ou moins apaisés, impression de grande sérénité, comme dans un cocon familial apaisant. Est-ce cela, être croyant? Appartenir à une famille, malgré tout? Pour la première fois ce matin d'une manière aussi consciente, je n'ai pas rejeté cette idée.
Revu aussi Françoise qui n'a jamais autant travaillé que depuis qu'elle est en retraite. Beau visage de presque vieille dame avec toujours le même regard pétillant d'intelligence vive. J'aime la façon dont elle serre dans ses bras celui qui arrive, chaleureuse sans accaparer. En nous voyant avec Marie-Claire, elle nous a dit: "Quelle équipe nous faisions!" Je n'avais jamais remarqué au collège combien sa foi l'illumine. C'est Kicou qui m'a mis sur la voie. Je la reverrai sans doute, pour parler de tout ça.
Contraste entre la chaleur du soleil le jour de l'enterrement et la froidure du vent aujourd'hui. Mais Kicou, où était-elle à ce moment-là? Je n'ai que peu pensé à elle. Plutôt observé Marie-Claire qui renouait avec son ancien milieu de travail dont elle avait été expulsée salement il y a quinze ans. Elle était prête: rancœur apaisée et émotion plus aisée à contenir maintenant. Elle a réussi: elle est repartie heureuse en ayant aussi montré à tous qu'elle s'était réalisée. Cela lui tenait à cœur. Nous avons ensuite grignoté chez moi, comme deux vieux amis.
vendredi 18 décembre 2009
Flocons épars
V-A-C-A-N-C-E-S !!!!!!
Oui, je sais, encore. Et même pas honte! Je les attendais avec gourmandise.
Ce soir, la neige se déchaîne à Lyon et les automobiles s'enchaînent. En ce moment, il neige à gros flocons serrés. J'ai l'impression d'être encore plus en vacances.
Dès mon retour à la maison, en début d'après-midi, je suis allé au parc de la Tête d'Or mais l'épaisseur tombée ce matin avait déjà largement fondu et la lumière faible n'était que peu propice aux photographies. Pas grave: j'avais posé le cartable, pris le vélo et je me sentais déjà libre dans les allées désertes.
Tout à l'heure, je repartirai à pied, même si, surtout si, la neige recouvre tout. Ce soir, c'est tournoi de dames chinoises avec Frédéric et Jean-Claude. En passant à la Part-Dieu, quelques photos sans doute et peut-être les premiers achats de cadeaux. Mais quoi? Je n'ai pas la moindre idée, comme toujours. Demain matin, grasse matinée, j'espère, avant d'aller à la messe à Francheville, dite par les jésuites, pour Kicou.
La neige s'est presque arrêtée de tomber. Elle ne tient pas au sol. Je voudrais connaître les quantités de sel déversé sur les routes pendant ces périodes d'hiver!
J'ai fini hier le livre de Pontalis. Difficile de choisir le suivant après une telle lecture. J'aimerais avoir encore l'enthousiasme de mes sixièmes qui se battaient presque pour me dire ce qu'ils avaient choisi de lire pendant ces vacances. A certains, les livres sont des gourmandises, autant que le chocolat ou les bonbons.
A moi aussi mais je suis sans doute devenu moins gourmand.
Oui, je sais, encore. Et même pas honte! Je les attendais avec gourmandise.
Ce soir, la neige se déchaîne à Lyon et les automobiles s'enchaînent. En ce moment, il neige à gros flocons serrés. J'ai l'impression d'être encore plus en vacances.
Dès mon retour à la maison, en début d'après-midi, je suis allé au parc de la Tête d'Or mais l'épaisseur tombée ce matin avait déjà largement fondu et la lumière faible n'était que peu propice aux photographies. Pas grave: j'avais posé le cartable, pris le vélo et je me sentais déjà libre dans les allées désertes.
Tout à l'heure, je repartirai à pied, même si, surtout si, la neige recouvre tout. Ce soir, c'est tournoi de dames chinoises avec Frédéric et Jean-Claude. En passant à la Part-Dieu, quelques photos sans doute et peut-être les premiers achats de cadeaux. Mais quoi? Je n'ai pas la moindre idée, comme toujours. Demain matin, grasse matinée, j'espère, avant d'aller à la messe à Francheville, dite par les jésuites, pour Kicou.
La neige s'est presque arrêtée de tomber. Elle ne tient pas au sol. Je voudrais connaître les quantités de sel déversé sur les routes pendant ces périodes d'hiver!
J'ai fini hier le livre de Pontalis. Difficile de choisir le suivant après une telle lecture. J'aimerais avoir encore l'enthousiasme de mes sixièmes qui se battaient presque pour me dire ce qu'ils avaient choisi de lire pendant ces vacances. A certains, les livres sont des gourmandises, autant que le chocolat ou les bonbons.
A moi aussi mais je suis sans doute devenu moins gourmand.
jeudi 17 décembre 2009
Mort d'un homme illustre.
Le professeur entre dans la salle, un paquet de photocopies sous le bras. Les élèves sont déjà installés, tables séparées: ce matin, c'est version latine. Il se dirige vers son bureau, lentement se défait de sa veste de velours noire qu'il accroche au porte-manteaux qui lui est destiné, jette un coup d'œil rapide sur l'horizon où ne perce pas encore les boucles de l'aurore: pas de photos donc aujourd'hui.
Puis solennellement, il permet d'un geste de la main à ces adolescents de s'asseoir, reste, lui, debout, les bras tendus appuyés sur le bois du bureau, la mine sévère et triste:
- Mes enfants, je dois vous annoncer une mauvaise nouvelle. Je ne voulais pas vous en parler mais les circonstances m'y obligent. De toute façon, vous l'auriez appris en lisant cette feuille imprimée que je tiens et que je vais distribuer à chacun. Voilà: Cicéron est mort!
Alors, du fond de la salle, une douce voix de fille, l'une des meilleures de la classe, se fait entendre:
- C'est terrible, Monsieur! Je suis tellement bouleversée que je ne vais sans doute pas pouvoir faire cette traduction!
J'aime quand les élèves ont de la répartie et qu'ils sont drôles. C'était ce matin, à 8h, dans ma salle. Il y a eu un grand éclat de rires puis le silence, comme chaque fois. A les voir penchés sur leur travail, concentrés, attentifs, j'en ai déduit que, malgré tout, Cicéron n'était pas tout à fait mort.
Puis solennellement, il permet d'un geste de la main à ces adolescents de s'asseoir, reste, lui, debout, les bras tendus appuyés sur le bois du bureau, la mine sévère et triste:
- Mes enfants, je dois vous annoncer une mauvaise nouvelle. Je ne voulais pas vous en parler mais les circonstances m'y obligent. De toute façon, vous l'auriez appris en lisant cette feuille imprimée que je tiens et que je vais distribuer à chacun. Voilà: Cicéron est mort!
Alors, du fond de la salle, une douce voix de fille, l'une des meilleures de la classe, se fait entendre:
- C'est terrible, Monsieur! Je suis tellement bouleversée que je ne vais sans doute pas pouvoir faire cette traduction!
J'aime quand les élèves ont de la répartie et qu'ils sont drôles. C'était ce matin, à 8h, dans ma salle. Il y a eu un grand éclat de rires puis le silence, comme chaque fois. A les voir penchés sur leur travail, concentrés, attentifs, j'en ai déduit que, malgré tout, Cicéron n'était pas tout à fait mort.
mercredi 16 décembre 2009
Traitrise
Je pense que celui qui a inventé les blagues dans les papillotes l'a fait pour que l'on mange davantage de ces petits morceaux de chocolat.
Non pas que ces histoires soient à ce point hilarantes que l'on veuille à tout prix connaître toutes celles du paquet (et quand le vin est tiré, c'est à dire en l'occurrence les papiers dépliés, il faut le boire!). On peut, dès l'âge de dix ans, il me semble, résister assez facilement à cette pulsion, d'autant plus qu'elles reviennent identiques d'une papillote à l'autre, d'un paquet à l'autre et d'une année sur l'autre.
En fait, je pense que le but est de détourner l'attention. Quand on a déplié le papier doré et mis dans sa bouche le malakof ou la truffe au chocolat noir (ce sont là mes deux préférés), on a beau savoir que c'est nul, on ne peut s'empêcher pour le lire de défroisser l'autre papier, celui sur lequel est inscrit l'aphorisme ou le jeu de mots. Et pendant qu'on lit et que l'on se trouve stupide d'avoir lu, on ne pense pas au plaisir que l'on était venu rechercher dans cette friandise, on la mâche, on l'avale sans y prendre garde, sans en retirer tous les sucs, sans en goûter vraiment tous les parfums. Quand on revient à la réalité R du moment M, il est trop tard: il ne reste du plaisir que quelques traces sur les dents un peu retirées du fond, là où la langue explore moins facilement.
Alors, que fait-on quand on se sent frustré? On en reprend une autre, en veillant à ne pas se faire avoir une deuxième fois, en froissant emballage et écriture que l'on jette sur la table, que l'on tente d'oublier, de ne pas regarder ...et qu'en général, on reprend quelques secondes plus tard pour, tout de même, vérifier si, par hasard, cette fois-ci, exceptionnellement, le message n'est pas plus relevé. Estimons-nous encore bien heureux si le plaisir goûté dans l'ingestion du deuxième chocolat n'a pas éveillé en nous le désir d'en prolonger la jouissance en en enfournant un troisième. Enfin là, je parle pour moi....
Non pas que ces histoires soient à ce point hilarantes que l'on veuille à tout prix connaître toutes celles du paquet (et quand le vin est tiré, c'est à dire en l'occurrence les papiers dépliés, il faut le boire!). On peut, dès l'âge de dix ans, il me semble, résister assez facilement à cette pulsion, d'autant plus qu'elles reviennent identiques d'une papillote à l'autre, d'un paquet à l'autre et d'une année sur l'autre.
En fait, je pense que le but est de détourner l'attention. Quand on a déplié le papier doré et mis dans sa bouche le malakof ou la truffe au chocolat noir (ce sont là mes deux préférés), on a beau savoir que c'est nul, on ne peut s'empêcher pour le lire de défroisser l'autre papier, celui sur lequel est inscrit l'aphorisme ou le jeu de mots. Et pendant qu'on lit et que l'on se trouve stupide d'avoir lu, on ne pense pas au plaisir que l'on était venu rechercher dans cette friandise, on la mâche, on l'avale sans y prendre garde, sans en retirer tous les sucs, sans en goûter vraiment tous les parfums. Quand on revient à la réalité R du moment M, il est trop tard: il ne reste du plaisir que quelques traces sur les dents un peu retirées du fond, là où la langue explore moins facilement.
Alors, que fait-on quand on se sent frustré? On en reprend une autre, en veillant à ne pas se faire avoir une deuxième fois, en froissant emballage et écriture que l'on jette sur la table, que l'on tente d'oublier, de ne pas regarder ...et qu'en général, on reprend quelques secondes plus tard pour, tout de même, vérifier si, par hasard, cette fois-ci, exceptionnellement, le message n'est pas plus relevé. Estimons-nous encore bien heureux si le plaisir goûté dans l'ingestion du deuxième chocolat n'a pas éveillé en nous le désir d'en prolonger la jouissance en en enfournant un troisième. Enfin là, je parle pour moi....
La laveuse
De loin, je l'ai d'abord prise pour un touriste. Mais il était un peu tôt pour cette catégorie de marcheurs. Et puis elle était seule. Alors une originale, une lève-tôt, une indépendante décidée à profiter du calme de la ville avant le réveil de tous les autres? J'ai continué à l'observer uniquement parce que j'attendais d'elle l'occasion d'une bonne photo, d'un geste inattendu que je m'empresserais de voler. Et sur ce dernier point, j'ai été exaucé, grandement.
Elle a continué à avancer, et moi aussi. Le zoom de mon appareil me permettait peu à peu de distinguer plus finement ses traits. Son allure générale me fit changer d'avis: ce n'était pas un touriste. Plutôt une femme de l'est, une slave, russe ou bulgare, nouvellement arrivée avec l'ouverture des frontières de l'ex bloc communiste. Elle était courte sur pattes et légèrement enveloppée, à moins que ce ne soit son âge, une petite soixantaine, qui ait déformé son corps sans doute autrefois robuste. Son habit était simple sans toutefois dénoncer la pauvreté. Elle semblait chercher quelque chose au bord de l'eau. Avait-elle laissé échapper deux ou trois centimes d'euros qu'elle ne parvenait à retrouver ni sur l'allée goudronnée ni dans le bassin?
Elle avançait de quelques pas puis recommençait le même cérémonial: regarder à terre, regarder l'eau, puis à nouveau la terre, puis l'eau encore et encore. J'ai pourtant vite constaté qu'elle ajoutait à ces deux gestes une troisième attitude que je ne compris qu'ensuite et qui d'abord me fit douter encore de mes déductions: de façon très discrète, mais répétitive, elle s'arrangeait pour observer à la dérobée tout ce qui se passait autour d'elle. Jamais franchement, toujours en ayant l'air de faire autre chose.
Quand elle fut sûre d'être seule (les autres piétons présents sur le bas-port marchaient à plusieurs centaines de mètres d'elle. Je l'épiais, quant à moi, du mail supérieur, longue promenade qui borde les voies de circulation), elle se mit rapidement à la tâche: elle sortit de son sac ce qui, de loin, paraissait être un chiffon assez grand, le trempa dans l'eau du bassin, plusieurs fois pour bien l'imbiber, se redressa pour observer une fois encore les alentours, replia son vieux corps pour à nouveau mouiller le chiffon puis, consciencieusement, sans plus rien regarder, sans s'occuper de la ville qui l'entourait, comme si elle œuvrait le matin dans sa salle de bains, elle se le passa sur les jambes, d'abord les mollets et les chevilles, qu'elles frotta plusieurs fois, puis, après avoir rincé au bassin le morceau de tissu, le devant des cuisses, de plus en plus haut, en relevant sa robe d'une main pendant qu'elle passait l'autre bras sous le vêtement.
C'était il y a une quinzaine de jours. Le temps était clément cette semaine-là. Comment fait-elle aujourd'hui, pauvre et propre, pour parvenir à rester présentable?
Je suis parti avant qu'elle ne termine. J'avais un peu honte.
Elle a continué à avancer, et moi aussi. Le zoom de mon appareil me permettait peu à peu de distinguer plus finement ses traits. Son allure générale me fit changer d'avis: ce n'était pas un touriste. Plutôt une femme de l'est, une slave, russe ou bulgare, nouvellement arrivée avec l'ouverture des frontières de l'ex bloc communiste. Elle était courte sur pattes et légèrement enveloppée, à moins que ce ne soit son âge, une petite soixantaine, qui ait déformé son corps sans doute autrefois robuste. Son habit était simple sans toutefois dénoncer la pauvreté. Elle semblait chercher quelque chose au bord de l'eau. Avait-elle laissé échapper deux ou trois centimes d'euros qu'elle ne parvenait à retrouver ni sur l'allée goudronnée ni dans le bassin?
Elle avançait de quelques pas puis recommençait le même cérémonial: regarder à terre, regarder l'eau, puis à nouveau la terre, puis l'eau encore et encore. J'ai pourtant vite constaté qu'elle ajoutait à ces deux gestes une troisième attitude que je ne compris qu'ensuite et qui d'abord me fit douter encore de mes déductions: de façon très discrète, mais répétitive, elle s'arrangeait pour observer à la dérobée tout ce qui se passait autour d'elle. Jamais franchement, toujours en ayant l'air de faire autre chose.
Quand elle fut sûre d'être seule (les autres piétons présents sur le bas-port marchaient à plusieurs centaines de mètres d'elle. Je l'épiais, quant à moi, du mail supérieur, longue promenade qui borde les voies de circulation), elle se mit rapidement à la tâche: elle sortit de son sac ce qui, de loin, paraissait être un chiffon assez grand, le trempa dans l'eau du bassin, plusieurs fois pour bien l'imbiber, se redressa pour observer une fois encore les alentours, replia son vieux corps pour à nouveau mouiller le chiffon puis, consciencieusement, sans plus rien regarder, sans s'occuper de la ville qui l'entourait, comme si elle œuvrait le matin dans sa salle de bains, elle se le passa sur les jambes, d'abord les mollets et les chevilles, qu'elles frotta plusieurs fois, puis, après avoir rincé au bassin le morceau de tissu, le devant des cuisses, de plus en plus haut, en relevant sa robe d'une main pendant qu'elle passait l'autre bras sous le vêtement.
C'était il y a une quinzaine de jours. Le temps était clément cette semaine-là. Comment fait-elle aujourd'hui, pauvre et propre, pour parvenir à rester présentable?
Je suis parti avant qu'elle ne termine. J'avais un peu honte.
mardi 15 décembre 2009
Crépuscule
Aujourd'hui, toute la journée dans l'enceinte du collège: j'avais un dernier conseil de classe ce soir et de quoi m'occuper en travaux divers (téléphones, rendez-vous, corrections) sur place. Je suis donc resté plus longtemps que de coutume dans notre nouvelle salle des profs.
Nouvelle, elle n'en a que le titre, puisque nous y avons emménagé à la rentrée de septembre mais que rien n'y a été fait pour rendre plus présentable cette ancienne salle de réunions des religieuses au plafond tellement lointain que, par temps de brume, il se pourrait que l'on ne l'aperçoive plus. Des murs tapissés d'un antique papier beige qui a depuis longtemps tourné à l'innommable et où les traces d'anciens tableaux emportés par les précédentes occupantes laissent seules entrevoir la couleur d'origine.
Face à l'entrée, dans le pan de mur laissé libre par les deux immenses fenêtres donnant sur le feuillage des arbres, hélas trop proche pour fournir autre chose que de l'obscurité, un grand crucifix un peu doloriste se demande sans doute ce qu'il fait encore là. De chaque côté de la salle, sur les murs latéraux, d'anciens bancs de bois vernis fixés à la paroi s'avèrent plus encombrants que réellement beaux. Au-dessus de l'un de ces longs bancs usés par de si chastes derrières féminins, un portrait très sombre: une ancienne religieuse, de trois-quarts, regarde du côté de la lumière comme si le spectacle quotidien de l'agitation des pédagogues l'agaçait prodigieusement.
Il faut ajouter à cela des casiers pour le courrier et les copies, en bois clair sans harmonie avec les vieilles boiseries patinées, de petites tables rondes disséminées un peu partout dans l'immense espace central que l'on pourrait facilement transformer en piste de danse ( souvenir rapide du Bal, d'Ettore Scola, 1983). Tables en matériau moderne, relativement récentes et pourtant déjà bancales, mais qui sont, à l'usage, autant de petits points d'ancrage pour sous-groupes de discussions.
J'ai, en début d'année, largement contribué, avec quelques collègues, mais très peu, à donner un semblant d'humanité à cette pièce. Nous avons essayé divers aménagements avant de choisir celui qui est encore en place aujourd'hui et, si le placard métallique où les collègues de langues rangent leurs électrophones n'est pas du meilleur effet esthétique près de l'entrée, c'est tout de même mieux que ce que nous avons découvert brutalement au retour des grandes vacances.
En y travaillant tout à l'heure, alors que la lumière extérieure baissait rapidement en fin d'après-midi, je me suis pris un moment à rêver, à lever le nez de mon paquet de copies pour observer ce qui se dégageait de ce lieu à cette heure où je n'ai pas l'habitude d'y être. J'ai découvert que je m'y sentais bien. L'obscurité croissante estompait les trop grandes dimensions de cette pièce, faisait des taches de poussière et autres coulées suspectes une patine propice au calme du travail. Le crucifix n'avait plus l'air de grimacer et la religieuse, déçue sans doute par la disparition de la clarté sur les carreaux des fenêtres, acceptait, du haut de son cadre doré, de nous jeter un bref regard que je devinais attendri. Mes quelques collègues présents avaient tous le dos penché sur leur copies ou sur l'écran d'un ordinateur. Il n'y avait plus un bruit.
Alors, en regardant à nouveau le papier quadrillé que j'avais sous les yeux, j'ai compris pourquoi j'étais bien. Dans ce silence studieux, cette odeur de bois et de poussière, cette lumière chiche mais protectrice, cette chaleur reposante, je me retrouvais enfant, dans une de ces grandes salles d'étude du lycée où j'allais tous les soirs avant de rejoindre le car qui me ramenait dans ma campagne. J'y ai passé tant d'heures, à rédiger un devoir écrit, à apprendre une leçon, ou bien à composer en cachette des poèmes ou du théâtre en vers qu'un jour, un surveillant ( qu'il était beau!) avait surpris et lus. Alors que je tremblais de honte et de terreur (la discipline était si rigoureuse!), il me les avait rendus en m'encourageant à poursuivre.
Ces fins d'après-midi que, je ne sais pourquoi, j'associe toujours à l'hiver et au jour déclinant m'ont fait aimer mon lycée, au même titre que la science immense des maîtres que j'y ai eus et que la beauté des livres que j'y ai découverts. Et ce soir, c'est un peu de cet "humanisme" que j'ai senti flotter dans l'air, un instant, avant que la porte ne s'ouvre sur un nouvel arrivant qui en rompit le charme. Mais, alors que je me levais pour rejoindre la salle de classe où devait se tenir le conseil, une ancienne collègue, celle qui justement m'a le plus aidé en début d'année pour l'agencement actuel de la pièce, me sourit en me voyant passer près d'elle et me murmura ces mots, à moi uniquement destinés: "Finalement, on est bien, ici."
Nouvelle, elle n'en a que le titre, puisque nous y avons emménagé à la rentrée de septembre mais que rien n'y a été fait pour rendre plus présentable cette ancienne salle de réunions des religieuses au plafond tellement lointain que, par temps de brume, il se pourrait que l'on ne l'aperçoive plus. Des murs tapissés d'un antique papier beige qui a depuis longtemps tourné à l'innommable et où les traces d'anciens tableaux emportés par les précédentes occupantes laissent seules entrevoir la couleur d'origine.
Face à l'entrée, dans le pan de mur laissé libre par les deux immenses fenêtres donnant sur le feuillage des arbres, hélas trop proche pour fournir autre chose que de l'obscurité, un grand crucifix un peu doloriste se demande sans doute ce qu'il fait encore là. De chaque côté de la salle, sur les murs latéraux, d'anciens bancs de bois vernis fixés à la paroi s'avèrent plus encombrants que réellement beaux. Au-dessus de l'un de ces longs bancs usés par de si chastes derrières féminins, un portrait très sombre: une ancienne religieuse, de trois-quarts, regarde du côté de la lumière comme si le spectacle quotidien de l'agitation des pédagogues l'agaçait prodigieusement.
Il faut ajouter à cela des casiers pour le courrier et les copies, en bois clair sans harmonie avec les vieilles boiseries patinées, de petites tables rondes disséminées un peu partout dans l'immense espace central que l'on pourrait facilement transformer en piste de danse ( souvenir rapide du Bal, d'Ettore Scola, 1983). Tables en matériau moderne, relativement récentes et pourtant déjà bancales, mais qui sont, à l'usage, autant de petits points d'ancrage pour sous-groupes de discussions.
J'ai, en début d'année, largement contribué, avec quelques collègues, mais très peu, à donner un semblant d'humanité à cette pièce. Nous avons essayé divers aménagements avant de choisir celui qui est encore en place aujourd'hui et, si le placard métallique où les collègues de langues rangent leurs électrophones n'est pas du meilleur effet esthétique près de l'entrée, c'est tout de même mieux que ce que nous avons découvert brutalement au retour des grandes vacances.
En y travaillant tout à l'heure, alors que la lumière extérieure baissait rapidement en fin d'après-midi, je me suis pris un moment à rêver, à lever le nez de mon paquet de copies pour observer ce qui se dégageait de ce lieu à cette heure où je n'ai pas l'habitude d'y être. J'ai découvert que je m'y sentais bien. L'obscurité croissante estompait les trop grandes dimensions de cette pièce, faisait des taches de poussière et autres coulées suspectes une patine propice au calme du travail. Le crucifix n'avait plus l'air de grimacer et la religieuse, déçue sans doute par la disparition de la clarté sur les carreaux des fenêtres, acceptait, du haut de son cadre doré, de nous jeter un bref regard que je devinais attendri. Mes quelques collègues présents avaient tous le dos penché sur leur copies ou sur l'écran d'un ordinateur. Il n'y avait plus un bruit.
Alors, en regardant à nouveau le papier quadrillé que j'avais sous les yeux, j'ai compris pourquoi j'étais bien. Dans ce silence studieux, cette odeur de bois et de poussière, cette lumière chiche mais protectrice, cette chaleur reposante, je me retrouvais enfant, dans une de ces grandes salles d'étude du lycée où j'allais tous les soirs avant de rejoindre le car qui me ramenait dans ma campagne. J'y ai passé tant d'heures, à rédiger un devoir écrit, à apprendre une leçon, ou bien à composer en cachette des poèmes ou du théâtre en vers qu'un jour, un surveillant ( qu'il était beau!) avait surpris et lus. Alors que je tremblais de honte et de terreur (la discipline était si rigoureuse!), il me les avait rendus en m'encourageant à poursuivre.
Ces fins d'après-midi que, je ne sais pourquoi, j'associe toujours à l'hiver et au jour déclinant m'ont fait aimer mon lycée, au même titre que la science immense des maîtres que j'y ai eus et que la beauté des livres que j'y ai découverts. Et ce soir, c'est un peu de cet "humanisme" que j'ai senti flotter dans l'air, un instant, avant que la porte ne s'ouvre sur un nouvel arrivant qui en rompit le charme. Mais, alors que je me levais pour rejoindre la salle de classe où devait se tenir le conseil, une ancienne collègue, celle qui justement m'a le plus aidé en début d'année pour l'agencement actuel de la pièce, me sourit en me voyant passer près d'elle et me murmura ces mots, à moi uniquement destinés: "Finalement, on est bien, ici."
lundi 14 décembre 2009
Momentini
- Découvert lors d'un rendez-vous de parents que ceux-ci étaient les meilleurs amis d'un de mes amis. A leur question: "Comment vous êtes-vous rencontrés?", que répondre?
"Par des amis communs." Il va falloir que je le prévienne rapidement. Nous en avons profité pour évoquer le Liban et ses paysages. Elle, Libanaise d'origine, a voulu à tout prix m'embrasser. C'est la première fois qu'un parent me saute au cou pendant un entretien. Pourtant, plusieurs fois par le passé, je n'aurais pas dit non...
- Entendu hier sur France Inter la critique du film La Route, tiré du roman de Cormac Mac Carthy que j'avais beaucoup aimé. Hormis les décors, le reste semble bien en dessous du livre. Je n'avais de toute façon pas l'intention d'aller le voir. Quand j'ai apprécié une lecture, je préfère garder ma propre vision des choses.
- Le kiné m'a conseillé de me remettre à la course à pied. Commencer par une demi-heure, pas plus, et voir ce que ça donne. Si j'ai mal, il est prêt à me recevoir, même en fin de semaine. Maintenant que l'échéance est proche, j'ai une sorte d'appréhension. Et si cela ne marchait plus? Pourtant je sais bien que j'irai, un jour ou l'autre de cette semaine.
- Toujours émerveillé par certaines pages de L'amour des Commencements de Pontalis. Voilà un livre que j'aurai du mal à refermer.
- "Toi évidemment, tu ne peux pas savoir, avec le charme que tu as." Cette phrase m'était adressée. Par une collègue, devant la photocopieuse. Endroit romantique s'il en est, ce qui m'a permis de cacher ma gêne (et mon plaisir) derrière une boutade.
J., à qui je racontais la scène, m'a répondu: " Et je suis d'accord avec elle!". Quand je pense qu'il y en a qui disent qu'il ne faisait pas beau aujourd'hui...
- Ma mère et ma sœur hier chez moi, au déjeuner. Faire la cuisine ne me fait plus peur. Je crois même que j'y éprouve un certain plaisir. Ma mère ayant oublié la sienne, j'ai ressorti la canne de mon père. On l'oublie souvent, lui, face à elle qui tient tellement de place.
- La bruyère taillée sur la tombe de Pierre est en train de prendre quelques petites repousses vertes. Et les cyclamens déposés par je ne sais qui sont magnifiques. Pendant les vacances qui s'annoncent, il faudra que je m'occupe un peu plus de mes plantes d'appartement que je néglige en ce moment.
- Il faut aussi que j'accélère côté postage de photos. Je ne peux tout de même pas afficher celles prises lors la fête des Lumières pour le dimanche de Pâques!
"Par des amis communs." Il va falloir que je le prévienne rapidement. Nous en avons profité pour évoquer le Liban et ses paysages. Elle, Libanaise d'origine, a voulu à tout prix m'embrasser. C'est la première fois qu'un parent me saute au cou pendant un entretien. Pourtant, plusieurs fois par le passé, je n'aurais pas dit non...
- Entendu hier sur France Inter la critique du film La Route, tiré du roman de Cormac Mac Carthy que j'avais beaucoup aimé. Hormis les décors, le reste semble bien en dessous du livre. Je n'avais de toute façon pas l'intention d'aller le voir. Quand j'ai apprécié une lecture, je préfère garder ma propre vision des choses.
- Le kiné m'a conseillé de me remettre à la course à pied. Commencer par une demi-heure, pas plus, et voir ce que ça donne. Si j'ai mal, il est prêt à me recevoir, même en fin de semaine. Maintenant que l'échéance est proche, j'ai une sorte d'appréhension. Et si cela ne marchait plus? Pourtant je sais bien que j'irai, un jour ou l'autre de cette semaine.
- Toujours émerveillé par certaines pages de L'amour des Commencements de Pontalis. Voilà un livre que j'aurai du mal à refermer.
- "Toi évidemment, tu ne peux pas savoir, avec le charme que tu as." Cette phrase m'était adressée. Par une collègue, devant la photocopieuse. Endroit romantique s'il en est, ce qui m'a permis de cacher ma gêne (et mon plaisir) derrière une boutade.
J., à qui je racontais la scène, m'a répondu: " Et je suis d'accord avec elle!". Quand je pense qu'il y en a qui disent qu'il ne faisait pas beau aujourd'hui...
- Ma mère et ma sœur hier chez moi, au déjeuner. Faire la cuisine ne me fait plus peur. Je crois même que j'y éprouve un certain plaisir. Ma mère ayant oublié la sienne, j'ai ressorti la canne de mon père. On l'oublie souvent, lui, face à elle qui tient tellement de place.
- La bruyère taillée sur la tombe de Pierre est en train de prendre quelques petites repousses vertes. Et les cyclamens déposés par je ne sais qui sont magnifiques. Pendant les vacances qui s'annoncent, il faudra que je m'occupe un peu plus de mes plantes d'appartement que je néglige en ce moment.
- Il faut aussi que j'accélère côté postage de photos. Je ne peux tout de même pas afficher celles prises lors la fête des Lumières pour le dimanche de Pâques!
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commentaires
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dimanche 13 décembre 2009
Arrêt sur image
Je suis toujours étonné, et pour tout dire assez content, de voir les nombreuses réactions que ne manque pas de susciter un billet sur le fait religieux. Celui que j'ai écrit hier en est encore une belle illustration. Cependant, je me dois ce soir d'apporter quelques précisions supplémentaires car, hormis Karregwenn qui semble avoir perçu l'esprit de mon écrit, j'ai l'impression pour les autres de ne pas avoir été suffisamment clair, ce que d'ailleurs je ressentais moi-même dès la dernière phrase hier soir. Quelques éclaircissements donc que je vais tenter de présenter du moins important pour moi à celui qui me tient le plus à cœur:
- Le 8 décembre est la fête de l'Immaculée Conception. Ce dogme de l'église catholique est assez tardif puisqu'il date de 1854. Il institutionnalise le fait que Marie fut, dès sa naissance, exempte de la souillure du péché originel. Il n'a donc rien à voir avec la virginité de Marie lors de la naissance du Christ.
- Je n'écris pas pour rallumer de quelque façon que ce soit la querelle, pour moi stérile, entre croyants et incroyants. Je n'ai jamais imposé à qui que ce soit mes convictions (qui, d'ailleurs, ont parfois du mal à s'imposer à moi, tant j'ai besoin de doute et de réflexion pour avancer sur mon chemin) et je supporte très mal les certitudes des uns et des autres, d'autant plus si elles s'accompagnent de sarcasmes et de mépris. Ce ne fut pas le cas dans les commentaires au billet d'hier mais je tenais tout de même à le préciser. Chaque homme a le droit de prendre la route qu'il désire pour accomplir sa vie, même si cette route parait un mirage pour celui qui chemine à côté de lui.
- Mon propos d'hier n'était en aucune façon d'aborder la question de la virginité de Marie. Pour tout vous dire, je m'en moque éperdument. Ma foi, ou plutôt ce en quoi je crois (mais je ne sais pas s'il s'agit de foi), n'a que faire de cela. Je ne me plaçais pas sur le plan du religieux mais plutôt de l'humain et particulièrement du philosophique et je crois que catholique ou protestant, athée, agnostique ou croyant, ou qui que l'on soit et quelles que soient nos lumières de vie, tous nous pouvons débattre calmement sur ce plan là.
En fait, deux points m'intéressaient:
- le premier, c'est la réaction de cette enfant devant l'immensité de ce qui lui est annoncé. Une fois la parole entendue et comprise, comment continuer à vivre, poursuivre la litanie des jours en voyant son ventre s'arrondir sans, peut-être, avoir bien compris la portée du message reçu? Je pense à l'annonce de la mort d'un proche, d'un très proche: j'ai appris celle de Pierre, que j'avais quitté depuis une heure, devant le supermarché où je venais de faire quelques courses parce qu'il faut bien continuer à se nourrir. Mais je suis incapable, encore aujourd'hui d'analyser (ou je ne le veux pas) ma réaction de ce moment-là où, pour moi, la vie basculait. Le message à Marie était, lui, un message de vie mais l'enfant qu'elle était dut, en un instant, accepter la mort d'une grande part d'elle-même jusqu'à ce jour.
- le deuxième point qui m'intéressait, qui m'a toujours intéressé et que je n'arrive pas à cerner de façon très clair, pas plus le fait lui-même que ce pour quoi il m'intéresse, c'est l'instant ténu d'avant le basculement. Instant qui n'appartient plus au passé mais qui n'est pas encore de l'avenir. J'ai pris comme exemple la scène de l'Annonciation parce qu'elle me semble connue de tous mais des moments comme celui-ci, chacun de nous en vit plusieurs dans sa vie, moment ou l'on peut dire oui ou non, accepter son destin ou lui tourner le dos, moment où les lèvres s'entrouvrent pour prononcer les mots définitifs mais où ces mots ne sont pas encore dits. J'ai écrit hier moment figé mais fort de mouvements futurs, on pourrait dire mouvement dynamique de contemplation. Encore une fois ce soir, je ne suis pas très clair. Je pense aussi à la prise d'une photo, au moment où l'on va appuyer sur le bouton, où le mouvement qui vit devant l'objectif va se figer, se mémoriser dans un seul de ses aspects dans l'appareil, alors que l'homme ou la femme en mouvement finira sa marche, sa danse, son sourire et s'en ira, sans parfois savoir qu'on lui a pris un instant de son geste. Le choix du photographe est approchant de ce que je ressens: il peut immobiliser définitivement ce geste, l'immortaliser pour certains, ou bien décider de le laisser fuir, satisfait de l'avoir remarqué pour lui seul. Je crois qu'il faudra, la prochaine fois que je reviendrai sur ce sujet, que je dissocie deux aspects de la question: d'une part le basculement et son rapport avec la vie et la mort, et d'autre part la réflexion sur le choix qui mène à ce basculement. Peut-être alors parviendrai-je à être plus clair.
Voilà donc ce qu'il me semblait important de rajouter ce soir afin de ne pas retrouver des gens que j'aime sur des chemins de traverse sans issue. Merci à tous, pour finir, de l'intérêt que vous avez porté à ces quelques lignes d'hier: je ne répondrai exceptionnellement pas individuellement à tous les commentaires mais je les apprécie, quelle que soit leur "religion"!
- Le 8 décembre est la fête de l'Immaculée Conception. Ce dogme de l'église catholique est assez tardif puisqu'il date de 1854. Il institutionnalise le fait que Marie fut, dès sa naissance, exempte de la souillure du péché originel. Il n'a donc rien à voir avec la virginité de Marie lors de la naissance du Christ.
- Je n'écris pas pour rallumer de quelque façon que ce soit la querelle, pour moi stérile, entre croyants et incroyants. Je n'ai jamais imposé à qui que ce soit mes convictions (qui, d'ailleurs, ont parfois du mal à s'imposer à moi, tant j'ai besoin de doute et de réflexion pour avancer sur mon chemin) et je supporte très mal les certitudes des uns et des autres, d'autant plus si elles s'accompagnent de sarcasmes et de mépris. Ce ne fut pas le cas dans les commentaires au billet d'hier mais je tenais tout de même à le préciser. Chaque homme a le droit de prendre la route qu'il désire pour accomplir sa vie, même si cette route parait un mirage pour celui qui chemine à côté de lui.
- Mon propos d'hier n'était en aucune façon d'aborder la question de la virginité de Marie. Pour tout vous dire, je m'en moque éperdument. Ma foi, ou plutôt ce en quoi je crois (mais je ne sais pas s'il s'agit de foi), n'a que faire de cela. Je ne me plaçais pas sur le plan du religieux mais plutôt de l'humain et particulièrement du philosophique et je crois que catholique ou protestant, athée, agnostique ou croyant, ou qui que l'on soit et quelles que soient nos lumières de vie, tous nous pouvons débattre calmement sur ce plan là.
En fait, deux points m'intéressaient:
- le premier, c'est la réaction de cette enfant devant l'immensité de ce qui lui est annoncé. Une fois la parole entendue et comprise, comment continuer à vivre, poursuivre la litanie des jours en voyant son ventre s'arrondir sans, peut-être, avoir bien compris la portée du message reçu? Je pense à l'annonce de la mort d'un proche, d'un très proche: j'ai appris celle de Pierre, que j'avais quitté depuis une heure, devant le supermarché où je venais de faire quelques courses parce qu'il faut bien continuer à se nourrir. Mais je suis incapable, encore aujourd'hui d'analyser (ou je ne le veux pas) ma réaction de ce moment-là où, pour moi, la vie basculait. Le message à Marie était, lui, un message de vie mais l'enfant qu'elle était dut, en un instant, accepter la mort d'une grande part d'elle-même jusqu'à ce jour.
- le deuxième point qui m'intéressait, qui m'a toujours intéressé et que je n'arrive pas à cerner de façon très clair, pas plus le fait lui-même que ce pour quoi il m'intéresse, c'est l'instant ténu d'avant le basculement. Instant qui n'appartient plus au passé mais qui n'est pas encore de l'avenir. J'ai pris comme exemple la scène de l'Annonciation parce qu'elle me semble connue de tous mais des moments comme celui-ci, chacun de nous en vit plusieurs dans sa vie, moment ou l'on peut dire oui ou non, accepter son destin ou lui tourner le dos, moment où les lèvres s'entrouvrent pour prononcer les mots définitifs mais où ces mots ne sont pas encore dits. J'ai écrit hier moment figé mais fort de mouvements futurs, on pourrait dire mouvement dynamique de contemplation. Encore une fois ce soir, je ne suis pas très clair. Je pense aussi à la prise d'une photo, au moment où l'on va appuyer sur le bouton, où le mouvement qui vit devant l'objectif va se figer, se mémoriser dans un seul de ses aspects dans l'appareil, alors que l'homme ou la femme en mouvement finira sa marche, sa danse, son sourire et s'en ira, sans parfois savoir qu'on lui a pris un instant de son geste. Le choix du photographe est approchant de ce que je ressens: il peut immobiliser définitivement ce geste, l'immortaliser pour certains, ou bien décider de le laisser fuir, satisfait de l'avoir remarqué pour lui seul. Je crois qu'il faudra, la prochaine fois que je reviendrai sur ce sujet, que je dissocie deux aspects de la question: d'une part le basculement et son rapport avec la vie et la mort, et d'autre part la réflexion sur le choix qui mène à ce basculement. Peut-être alors parviendrai-je à être plus clair.
Voilà donc ce qu'il me semblait important de rajouter ce soir afin de ne pas retrouver des gens que j'aime sur des chemins de traverse sans issue. Merci à tous, pour finir, de l'intérêt que vous avez porté à ces quelques lignes d'hier: je ne répondrai exceptionnellement pas individuellement à tous les commentaires mais je les apprécie, quelle que soit leur "religion"!
Merci d'avoir dit oui.
Il est tard et j'écris. J'ai pensé à tout cela tout à l'heure. L'idée m'en est venue sans doute après la messe dite pour le collège à Saint-Irénée le huit décembre. Vincent a fait venir à l'autel quatre ou cinq enfants qui ont tous dit, dans une langue différente, la même phrase: "Merci, Marie, d'avoir dit oui." Il m'avait demandé de traduire ces mots en latin, et j'avais un peu interprété en écrivant: "Ave Maria, tibi gratiam habeo per laetitiam tuam" (Je te salue, Marie, et te remercie de ta joie.)
Mais Marie éprouva-t-elle de la joie à ce moment-là? Lorsque Gabriel lui annonça la bonne nouvelle et lui dit qu'elle enfanterait, bien que vierge, parce que l'ombre de l'Esprit Saint la recouvrirait et que la puissance de Dieu la féconderait, n'est-ce pas plutôt de la peur qu'elle dut éprouver face à l'ampleur du prodige? Si l'on fait abstraction de ce qui suivit, du message d'amour et de douceur de l'Évangile, cette scène ne peut-elle apparaître comme un rite archaïque, sacrifiant une jeune vierge aux instincts sanguinaires et bestiaux d'un Moloch assoiffé de puissance destructrice? Cette ombre qui recouvre tout a de quoi effrayer, terrifier même cette fille sage que rien n'est venu jusque là troubler.
Imaginer cette enfant juive à ce moment précis m'a toujours fasciné. Ce court instant, ces minutes, ces secondes ultimes où tout se décide. Et si elle avait dit non. Si elle s'était enfuie terrorisée et refusant à la fois la grâce présente et les souffrances à venir? Le moment de l'Annonciation ne peut être que figé (et pourtant plein de mouvement en devenir), le temps que le message pénètre le cerveau de Marie et qu'elle acquiesce. Ce moment est la juste coupure entre avant et après, le juste basculement d'un monde païen archaïque à un monde chrétien qui a pour intention de transformer l'humanité.
Je pense que, dans la vie d'un homme, chaque moment de choix est de la même essence. Ne pouvant voir l'avenir, on choisit en aveugle et du choix que l'on fait de cette manière si peu certaine, dépendent des conséquences engageant toute notre vie et celle des autres. Mais peut-on être ensuite désavoué pour un mauvais choix? J'ai en tête ici particulièrement tous ces gens, comme mes parents, qui ont vécu la guerre, qui en ont souffert mais qui n'ont pas eu à partir dans des wagons plombés vers de lointains camps dont bien peu savaient de quoi il s'agissait. Ils ont sans doute fait le choix du quotidien, - qu'allons-nous manger? Comment nous vêtir? -, plutôt que celui de l'héroïsme. Peut-on le leur reprocher aujourd'hui?
J'ai entendu tout à l'heure que des lycéens qui manifestaient pacifiquement devant leur établissement ont été chargés par un nombre impressionnant de policiers dont certains portant mitraillettes au poing. Peut-on, sans réagir, laisser passer de tels comportements? C'est pourtant ce que nous faisons, en majorité. Et ne pourra-t-on pas nous le reprocher dans quelques dizaines d'années? Comment sera l'avenir? Suffisamment radieux pour faire oublier des actes aussi violents? Ou au contraire si encadré que l'on regrettera de ne pas avoir réagi tant qu'il en était encore temps? N'ayant pas la grâce de la petite juive, nous ne savons pas ce qui adviendra. Elle-même le savait-elle? Si non, elle a eu bien du courage. Si oui, nous sortons totalement de la dimension humaine car aucun humain ne pourrait accepter le sacrifice futur de son seul enfant.
Ce qui m'émeut le plus, c'est la solitude de cette enfant au moment le plus crucial de sa vie. Personne à qui demander conseil, personne à qui en référer. Il fallait répondre tout de suite (en tout cas, on l'imagine) et donner sa confiance (et sa vie). Lorque Gabriel s'en fut allé, lorsque la pièce où venait de se nouer le sort de l'humanité retrouva son aspect habituel, que ressentit-elle? Que fit-elle? Dans de nombreux tableaux de la Renaissance, on représente le moment de l'Annonciation dans un décor intime, où, par exemple, un chat aux pieds de Marie joue avec une pelote de laine. La jeune fille reprit-elle sa tache de tricot en se baissant pour retrouver la laine que le chat avait fait rouler plus loin, s'asseyant devant la fenêtre pour profiter de la clarté, maniant un instant les aiguilles puis relevant la tête vers la lumière en imprimant à son visage enfantin un sourire de madone? C'est ainsi que j'aime m'imaginer la scène. Le choix a été fait, reste à l'assumer, ce qui n'est pas le plus difficile une fois la décision prise.
Ai-je réussi à dire ce que je voulais dire ici? Je n'en suis pas sûr. Tant pis. Il faudra que je réessaie.
Mais Marie éprouva-t-elle de la joie à ce moment-là? Lorsque Gabriel lui annonça la bonne nouvelle et lui dit qu'elle enfanterait, bien que vierge, parce que l'ombre de l'Esprit Saint la recouvrirait et que la puissance de Dieu la féconderait, n'est-ce pas plutôt de la peur qu'elle dut éprouver face à l'ampleur du prodige? Si l'on fait abstraction de ce qui suivit, du message d'amour et de douceur de l'Évangile, cette scène ne peut-elle apparaître comme un rite archaïque, sacrifiant une jeune vierge aux instincts sanguinaires et bestiaux d'un Moloch assoiffé de puissance destructrice? Cette ombre qui recouvre tout a de quoi effrayer, terrifier même cette fille sage que rien n'est venu jusque là troubler.
Imaginer cette enfant juive à ce moment précis m'a toujours fasciné. Ce court instant, ces minutes, ces secondes ultimes où tout se décide. Et si elle avait dit non. Si elle s'était enfuie terrorisée et refusant à la fois la grâce présente et les souffrances à venir? Le moment de l'Annonciation ne peut être que figé (et pourtant plein de mouvement en devenir), le temps que le message pénètre le cerveau de Marie et qu'elle acquiesce. Ce moment est la juste coupure entre avant et après, le juste basculement d'un monde païen archaïque à un monde chrétien qui a pour intention de transformer l'humanité.
Je pense que, dans la vie d'un homme, chaque moment de choix est de la même essence. Ne pouvant voir l'avenir, on choisit en aveugle et du choix que l'on fait de cette manière si peu certaine, dépendent des conséquences engageant toute notre vie et celle des autres. Mais peut-on être ensuite désavoué pour un mauvais choix? J'ai en tête ici particulièrement tous ces gens, comme mes parents, qui ont vécu la guerre, qui en ont souffert mais qui n'ont pas eu à partir dans des wagons plombés vers de lointains camps dont bien peu savaient de quoi il s'agissait. Ils ont sans doute fait le choix du quotidien, - qu'allons-nous manger? Comment nous vêtir? -, plutôt que celui de l'héroïsme. Peut-on le leur reprocher aujourd'hui?
J'ai entendu tout à l'heure que des lycéens qui manifestaient pacifiquement devant leur établissement ont été chargés par un nombre impressionnant de policiers dont certains portant mitraillettes au poing. Peut-on, sans réagir, laisser passer de tels comportements? C'est pourtant ce que nous faisons, en majorité. Et ne pourra-t-on pas nous le reprocher dans quelques dizaines d'années? Comment sera l'avenir? Suffisamment radieux pour faire oublier des actes aussi violents? Ou au contraire si encadré que l'on regrettera de ne pas avoir réagi tant qu'il en était encore temps? N'ayant pas la grâce de la petite juive, nous ne savons pas ce qui adviendra. Elle-même le savait-elle? Si non, elle a eu bien du courage. Si oui, nous sortons totalement de la dimension humaine car aucun humain ne pourrait accepter le sacrifice futur de son seul enfant.
Ce qui m'émeut le plus, c'est la solitude de cette enfant au moment le plus crucial de sa vie. Personne à qui demander conseil, personne à qui en référer. Il fallait répondre tout de suite (en tout cas, on l'imagine) et donner sa confiance (et sa vie). Lorque Gabriel s'en fut allé, lorsque la pièce où venait de se nouer le sort de l'humanité retrouva son aspect habituel, que ressentit-elle? Que fit-elle? Dans de nombreux tableaux de la Renaissance, on représente le moment de l'Annonciation dans un décor intime, où, par exemple, un chat aux pieds de Marie joue avec une pelote de laine. La jeune fille reprit-elle sa tache de tricot en se baissant pour retrouver la laine que le chat avait fait rouler plus loin, s'asseyant devant la fenêtre pour profiter de la clarté, maniant un instant les aiguilles puis relevant la tête vers la lumière en imprimant à son visage enfantin un sourire de madone? C'est ainsi que j'aime m'imaginer la scène. Le choix a été fait, reste à l'assumer, ce qui n'est pas le plus difficile une fois la décision prise.
Ai-je réussi à dire ce que je voulais dire ici? Je n'en suis pas sûr. Tant pis. Il faudra que je réessaie.
jeudi 10 décembre 2009
mercredi 9 décembre 2009
Blessure
Je ne pensais pas pouvoir être blessé facilement. Je l'ai été, à mon travail. Pas volontairement. Quelqu'un sans faire attention, qui ne s'en est même pas rendu compte. C'est pire.
Une fête chasse l'autre
Voilà. C'était hier soir. C'est reparti pour un an. Aujourd'hui, il a fallu laver les verres à lumignons, en décoller la cire restante qui s'accroche toujours un peu au fond même si l'on y met de l'eau, les ranger ensuite dans leurs alvéoles de carton ou leur emballage de papier journal, remonter la vieille glacière de plastique au couvercle bleu qui leur sert de coffre sur la plus haute étagère de mon débarras, juste à côté des cartons de Noël. J'ai failli en descendre la crèche et puis non, c'est trop tôt.
En rentrant de chez ma mère, hier soir, le vrai soir des illuminations, j'ai traversé à vélo une partie de la Guillotière. J'ai eu l'impression que les fenêtres illuminées étaient plus nombreuses que les années précédentes. Peut-être est-ce simplement dû à un peu plus de ferveur ou de respect des traditions dans ce quartier populaire de Lyon.
Sur le rebord de mes fenêtres, les lumignons ont éclairé un instant la nuit. Comme l'année dernière, comme l'année précédente. Même tranquille bonheur à sacrifier au rite, même douceur à les regarder briller. Ces gestes simples me font du bien avant la période qui s'annonce et que je n'aime pas sur tant d'aspects. Ce soir, la ville a repris un profil plus familier mais déjà, au loin, du côté du centre, brillent les premières guirlandes de Noël, les premières vitrines débordant de marchandises ou de victuailles. Et je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux par qui le déploiement de ce luxe doit être vécu comme une insulte à leur précarité grandissante.
En rentrant de chez ma mère, hier soir, le vrai soir des illuminations, j'ai traversé à vélo une partie de la Guillotière. J'ai eu l'impression que les fenêtres illuminées étaient plus nombreuses que les années précédentes. Peut-être est-ce simplement dû à un peu plus de ferveur ou de respect des traditions dans ce quartier populaire de Lyon.
Sur le rebord de mes fenêtres, les lumignons ont éclairé un instant la nuit. Comme l'année dernière, comme l'année précédente. Même tranquille bonheur à sacrifier au rite, même douceur à les regarder briller. Ces gestes simples me font du bien avant la période qui s'annonce et que je n'aime pas sur tant d'aspects. Ce soir, la ville a repris un profil plus familier mais déjà, au loin, du côté du centre, brillent les premières guirlandes de Noël, les premières vitrines débordant de marchandises ou de victuailles. Et je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux par qui le déploiement de ce luxe doit être vécu comme une insulte à leur précarité grandissante.
mardi 8 décembre 2009
Promotion
Je l'ai enfin en main, ce petit papier de rien du tout que j'attendais depuis si longtemps. Certes pas l'officiel, seulement celui envoyé par un syndicat présent à la commission de décembre, mais il n'y a que peu de risque d'erreur. Je suis promis au rang suprême, à la catégorie des certifiés hors-classe. 20° sur une promotion de 90 pour 2009/2010.
Et cela sans même l'aide de ma nouvelle note pédagogique obtenue suite à l'inspection que j'avais demandée l'an dernier. Allez, je vais être immodeste jusqu'au bout: cette note aussi est arrivée (enfin! au bout de plus d'un an!) il y a quelques semaines. L'inspectrice qui m'avait promis un décollage façon fusée Ariane a tenu ses promesses, et largement: 55/60 soit, pour ceux qui, comme moi, sont habitués aux notes sur vingt, un score de 18,33/20 si je ne me trompe pas.
Si de jeunes collègues me lisent, je vais leur faire un aveu: tout cela, j'en ai rêvé. Au début de ma carrière, j'observais, du bas de l'échelle, les échelons qu'il me restait à gravir. J'en avais un peu le vertige. Certains jours, je doutais de parvenir jusqu'en haut. Le sommet me paraissait tellement éloigné dans le temps. Aujourd'hui, j'y suis et cela me paraît bien banal! La joie est certes là, mais plus mince que prévue et motivée principalement par la perspective de pouvoir mettre un peu plus de beurre, pardon, de Pro-activ, dans mes épinards. Ce que j'entrevois surtout, c'est que ça sent fort la fin de carrière. Et je pense tout de même qu'au final, ce sera une joie de quitter ce métier que j'ai pourtant tant aimé. Mais ceci est une autre histoire....que je raconterai peut-être.....sûrement!
Et cela sans même l'aide de ma nouvelle note pédagogique obtenue suite à l'inspection que j'avais demandée l'an dernier. Allez, je vais être immodeste jusqu'au bout: cette note aussi est arrivée (enfin! au bout de plus d'un an!) il y a quelques semaines. L'inspectrice qui m'avait promis un décollage façon fusée Ariane a tenu ses promesses, et largement: 55/60 soit, pour ceux qui, comme moi, sont habitués aux notes sur vingt, un score de 18,33/20 si je ne me trompe pas.
Si de jeunes collègues me lisent, je vais leur faire un aveu: tout cela, j'en ai rêvé. Au début de ma carrière, j'observais, du bas de l'échelle, les échelons qu'il me restait à gravir. J'en avais un peu le vertige. Certains jours, je doutais de parvenir jusqu'en haut. Le sommet me paraissait tellement éloigné dans le temps. Aujourd'hui, j'y suis et cela me paraît bien banal! La joie est certes là, mais plus mince que prévue et motivée principalement par la perspective de pouvoir mettre un peu plus de beurre, pardon, de Pro-activ, dans mes épinards. Ce que j'entrevois surtout, c'est que ça sent fort la fin de carrière. Et je pense tout de même qu'au final, ce sera une joie de quitter ce métier que j'ai pourtant tant aimé. Mais ceci est une autre histoire....que je raconterai peut-être.....sûrement!
lundi 7 décembre 2009
Portées de lumière
Avez-vous jamais eu l'impression d'entrer dans la sérénité, comme on pénètre dans une pièce ou comme on plonge en religion? C'est ce que j'ai ressenti ce soir en poussant la porte du Musée des Moulages. Je pensais trouver derrière les murs de cette ancienne usine quelques petits amusements de quartier pour marquer l'événement, pour dire que, même de l'autre côté du Rhône, on avait essayé de se mettre au diapason de la fête. Et c'est bien plus que ça que j'ai trouvé.
Ça s'appelle Portées de lumière, installation de Denys Vinzant. Le jeu se joue entre les vieilles statues de plâtre, qui ornaient autrefois les combles de l'Université où je suivais en archéologie quelques cours en commun avec les étudiants en histoire de l'art, et des partitions en miroirs, mises en lumière et mises en espace sonore dans la "nef" centrale (D'Ore et d'Espace), dans les "travées" adjacentes (Le Livre de verre et Partitions Cristal) ou dans la salle inférieure (Sources, installation à l'origine de toutes les autres).
Mais trêve de mots savants. Ce qui importe, c'est ce que l'on perçoit en entrant: la beauté des formes et de la lumière, changeante au gré des balancements, des oscillations des plaques de verre suspendues, la beauté des sons comme ceux d'un rêve ou plutôt d'une méditation intérieure qui fait que l'on a du mal à quitter cet espace, à franchir à nouveau la porte donnant sur une arrière-cour. C'est peu dire que j'ai été subjugué. J'avais déjà vu tout récemment au même endroit l'exposition des estampes de Milshtein qui m'avait beaucoup accroché d'un point de vue intellectuel. Mais ce soir c'est plus mon corps qui a réagi, qui a aimé se trouver dans cette paix, cette cathédrale de verre aux résonances de transcendance.
En conclusion de la plaquette de présentation, Patrice Charavel écrit ces quelques mots dont, ce soir, de retour chez moi, je partage entièrement le message:
" Ses créations sont à proprement parler une mise en vibration des espaces dans lesquelles elles sont présentées. Elles incitent tout à la fois à l'écoute sensible du lieu et à l'observation méditative des effets rayonnants et vibrants de la lumière."
Portées de lumière
Musée des Moulages, 3 rue Rachais 69003 Lyon
du 5 au 8 décembre de 17 à 23 h
du 9 au 11 décembre de 17 à 21 h
Entrée libre
Ça s'appelle Portées de lumière, installation de Denys Vinzant. Le jeu se joue entre les vieilles statues de plâtre, qui ornaient autrefois les combles de l'Université où je suivais en archéologie quelques cours en commun avec les étudiants en histoire de l'art, et des partitions en miroirs, mises en lumière et mises en espace sonore dans la "nef" centrale (D'Ore et d'Espace), dans les "travées" adjacentes (Le Livre de verre et Partitions Cristal) ou dans la salle inférieure (Sources, installation à l'origine de toutes les autres).
Mais trêve de mots savants. Ce qui importe, c'est ce que l'on perçoit en entrant: la beauté des formes et de la lumière, changeante au gré des balancements, des oscillations des plaques de verre suspendues, la beauté des sons comme ceux d'un rêve ou plutôt d'une méditation intérieure qui fait que l'on a du mal à quitter cet espace, à franchir à nouveau la porte donnant sur une arrière-cour. C'est peu dire que j'ai été subjugué. J'avais déjà vu tout récemment au même endroit l'exposition des estampes de Milshtein qui m'avait beaucoup accroché d'un point de vue intellectuel. Mais ce soir c'est plus mon corps qui a réagi, qui a aimé se trouver dans cette paix, cette cathédrale de verre aux résonances de transcendance.
En conclusion de la plaquette de présentation, Patrice Charavel écrit ces quelques mots dont, ce soir, de retour chez moi, je partage entièrement le message:
" Ses créations sont à proprement parler une mise en vibration des espaces dans lesquelles elles sont présentées. Elles incitent tout à la fois à l'écoute sensible du lieu et à l'observation méditative des effets rayonnants et vibrants de la lumière."
Portées de lumière
Musée des Moulages, 3 rue Rachais 69003 Lyon
du 5 au 8 décembre de 17 à 23 h
du 9 au 11 décembre de 17 à 21 h
Entrée libre
Gastronomie et marche à pied
Bon, me revoilà, après une petite absence d'une soirée occupée à arpenter la ville, comme prévu chaque année en cette période. A quoi ai-je passé cette fin de semaine? En simplifiant: à engranger dans ma panse rebondie des quantités de boissons et de nourriture dans un premier temps puis à parcourir des kilomètres à pied pour tenter ensuite d'éliminer les calories superflues.
Pour la partie nutrition, il faut parler de haute gastronomie lorsqu'on a la chance, comme moi, d'être invité à la table d'Apartés uchroniques. Le monsieur est un fin maître queux et j'ai eu l'occasion de le vérifier hier en compagnie d'un autre blogueur, son ami d'enfance, Le Coq du Causse. Au menu, noix de Saint-Jacques sur un lit d'endives et de fenouil au balsamique, volaille de Bresse à la crème et aux morilles, plateau de fromages de la Mère Richard et tarte Tatin. Le tout, après apéritif au champagne, arrosé de ce qui se fait de mieux en blanc de Loire ou du Jura. Je faisais en parallèle la connaissance du Coq du Cause dont le plumage et le ramage me parurent fort sympathiques et conformes à l'image que je m'en étais formé.
A quatre heures de l'après-midi, nous avons quitté la table, un peu ensommeillés mais décidés (au moins deux sur les trois) à faire jouer d'autres muscles que ceux de nos mâchoires. Passage rapide à Ainay puis marché de Noël, place Carnot. Foule dense mais pénétrable. Mais même déception que la veille, à Villeurbanne: les chalets de bois n'abritent bien souvent que churos et merguez, beaucoup de vendeurs de vin chaud également, mais peu d'objets en rapport avec la fête de Nöel. Tout au plus deux étals de santons, prêts à l'emploi ou à peindre, dont les prix m'ont semblé bien élevés.
La marche à pied occupa la deuxième partie de la journée. Départ de Bellecour pour la Croix-Rousse pour y retrouver J. et sa famille avec qui nous avions projeté d'assister au feu d'artifice initialement prévu pour le 14 juillet et reporté en décembre pour cause de pluie. Il s'en est fallu sans doute de peu que les mêmes raisons produisent les mêmes effets hier soir car les trottoirs de la ville étaient bien humides. Magnifique spectacle que ce feu tiré depuis Fourvière et contemplé des pentes de la Croix-Rousse.
Ensuite redescente en ville jusqu'à Saint-Jean dont nous avons pu nous approcher en nous faufilant à travers une assistance nombreuse. L'effort en valait la peine car la mise en lumières de la cathédrale était tout aussi réussie que l'an dernier et portait cette année sur les bâtisseurs de cathédrales. Derrière nous, un "fil" de lumière reliait les deux monuments religieux de la cathédrale Saint-Jean Baptiste et de la basilique Notre-Dame de Fourvière.
A Bellecour, j'ai quitté, à regret, mes compagnons de virée pour poursuivre seul mes pérégrinations: un instant devant la grande roue dont le centre, tendu d'un écran géant, permettait d'admirer quelques-uns des chef-d'œuvre de la peinture exposés au musée des Beaux-Arts (Saint-Pierre) puis passage rapide aux Jacobins (sans intérêt) et aux Cordeliers (intérêt limité, malgré le thème du cinéma italien). Vaine tentative pour accéder à la cour de l'Hôtel-Dieu: la file d'attente était trop longue.
Alors remontée vers les Terreaux qui proposaient une illumination des façades de l'Hôtel de Ville et du Musée sur le thème de la fuite du temps: bien! Au passage, un beau visage de CRS, au corps d'athlète et au visage encore pas tout à fait sorti des rêves de l'enfance.
Traversée de l'atrium de l'Hôtel de Ville et errance sur la place de la Comédie où, pour la deuxième fois en quelques années, avaient poussé de drôles de végétaux lumineux aux couleurs étonnantes. J'ai été heureux de les retrouver là car ils m'avaient déjà bien attiré l'œil à leur première exposition.
L'autre côté du Rhône ne fut pour moi que le prétexte à mettre mon derrière endolori sur un vélov qui me ramena tranquillement jusque chez moi. En effet, la veille au soir, j'avais déjà parcouru, cette fois-ci avec Frédéric (et déjà après un repas bien copieux et bien arrosé chez Jean-Claude), les berges du Rhône depuis la place Liautey jusqu'au parc de la Tête d'or. J'avoue ne guère avoir apprécié l'ambiance de boîte de nuit qui y régnait de part les lumières au laser et la musique techno omniprésente, non que je sois sectaire mais simplement parce que ce programme faisait vraiment figure de parent pauvre par rapport à tout le reste que j'ai vu. Les abords du lac, au parc, nous plongeaient, eux, dans les débuts de l'humanité, à l'époque où les ours des cavernes et les loups gigantesques terrorisaient ces pauvres créatures qui nous ont cependant tenu lieu d'ancêtres.
De retour à la maison, ce fut grignotage d'une pomme, rapide crochet par ici et dodo.
Je vais peut-être ce soir compléter un peu ma vision d'ensemble en m'intéressant à mon quartier: il y a quelque chose au Musée des Moulages et le nouveau quartier de la Buire propose un cheminement lumineux à travers le jardin récemment crée. Pourquoi pas? Je ne m'engage pas beaucoup: l'un et l'autre sont à une beurlée d'âne (comme disait mon père) de chez moi.
(Pour ceux qui voudraient voir davantage de photos de ces soirées d'illuminations, elles seront chez moi sur Flickr dans un jour ou deux, le temps de faire, quoi!)
Pour la partie nutrition, il faut parler de haute gastronomie lorsqu'on a la chance, comme moi, d'être invité à la table d'Apartés uchroniques. Le monsieur est un fin maître queux et j'ai eu l'occasion de le vérifier hier en compagnie d'un autre blogueur, son ami d'enfance, Le Coq du Causse. Au menu, noix de Saint-Jacques sur un lit d'endives et de fenouil au balsamique, volaille de Bresse à la crème et aux morilles, plateau de fromages de la Mère Richard et tarte Tatin. Le tout, après apéritif au champagne, arrosé de ce qui se fait de mieux en blanc de Loire ou du Jura. Je faisais en parallèle la connaissance du Coq du Cause dont le plumage et le ramage me parurent fort sympathiques et conformes à l'image que je m'en étais formé.
A quatre heures de l'après-midi, nous avons quitté la table, un peu ensommeillés mais décidés (au moins deux sur les trois) à faire jouer d'autres muscles que ceux de nos mâchoires. Passage rapide à Ainay puis marché de Noël, place Carnot. Foule dense mais pénétrable. Mais même déception que la veille, à Villeurbanne: les chalets de bois n'abritent bien souvent que churos et merguez, beaucoup de vendeurs de vin chaud également, mais peu d'objets en rapport avec la fête de Nöel. Tout au plus deux étals de santons, prêts à l'emploi ou à peindre, dont les prix m'ont semblé bien élevés.
La marche à pied occupa la deuxième partie de la journée. Départ de Bellecour pour la Croix-Rousse pour y retrouver J. et sa famille avec qui nous avions projeté d'assister au feu d'artifice initialement prévu pour le 14 juillet et reporté en décembre pour cause de pluie. Il s'en est fallu sans doute de peu que les mêmes raisons produisent les mêmes effets hier soir car les trottoirs de la ville étaient bien humides. Magnifique spectacle que ce feu tiré depuis Fourvière et contemplé des pentes de la Croix-Rousse.
Ensuite redescente en ville jusqu'à Saint-Jean dont nous avons pu nous approcher en nous faufilant à travers une assistance nombreuse. L'effort en valait la peine car la mise en lumières de la cathédrale était tout aussi réussie que l'an dernier et portait cette année sur les bâtisseurs de cathédrales. Derrière nous, un "fil" de lumière reliait les deux monuments religieux de la cathédrale Saint-Jean Baptiste et de la basilique Notre-Dame de Fourvière.
A Bellecour, j'ai quitté, à regret, mes compagnons de virée pour poursuivre seul mes pérégrinations: un instant devant la grande roue dont le centre, tendu d'un écran géant, permettait d'admirer quelques-uns des chef-d'œuvre de la peinture exposés au musée des Beaux-Arts (Saint-Pierre) puis passage rapide aux Jacobins (sans intérêt) et aux Cordeliers (intérêt limité, malgré le thème du cinéma italien). Vaine tentative pour accéder à la cour de l'Hôtel-Dieu: la file d'attente était trop longue.
Alors remontée vers les Terreaux qui proposaient une illumination des façades de l'Hôtel de Ville et du Musée sur le thème de la fuite du temps: bien! Au passage, un beau visage de CRS, au corps d'athlète et au visage encore pas tout à fait sorti des rêves de l'enfance.
Traversée de l'atrium de l'Hôtel de Ville et errance sur la place de la Comédie où, pour la deuxième fois en quelques années, avaient poussé de drôles de végétaux lumineux aux couleurs étonnantes. J'ai été heureux de les retrouver là car ils m'avaient déjà bien attiré l'œil à leur première exposition.
L'autre côté du Rhône ne fut pour moi que le prétexte à mettre mon derrière endolori sur un vélov qui me ramena tranquillement jusque chez moi. En effet, la veille au soir, j'avais déjà parcouru, cette fois-ci avec Frédéric (et déjà après un repas bien copieux et bien arrosé chez Jean-Claude), les berges du Rhône depuis la place Liautey jusqu'au parc de la Tête d'or. J'avoue ne guère avoir apprécié l'ambiance de boîte de nuit qui y régnait de part les lumières au laser et la musique techno omniprésente, non que je sois sectaire mais simplement parce que ce programme faisait vraiment figure de parent pauvre par rapport à tout le reste que j'ai vu. Les abords du lac, au parc, nous plongeaient, eux, dans les débuts de l'humanité, à l'époque où les ours des cavernes et les loups gigantesques terrorisaient ces pauvres créatures qui nous ont cependant tenu lieu d'ancêtres.
De retour à la maison, ce fut grignotage d'une pomme, rapide crochet par ici et dodo.
Je vais peut-être ce soir compléter un peu ma vision d'ensemble en m'intéressant à mon quartier: il y a quelque chose au Musée des Moulages et le nouveau quartier de la Buire propose un cheminement lumineux à travers le jardin récemment crée. Pourquoi pas? Je ne m'engage pas beaucoup: l'un et l'autre sont à une beurlée d'âne (comme disait mon père) de chez moi.
(Pour ceux qui voudraient voir davantage de photos de ces soirées d'illuminations, elles seront chez moi sur Flickr dans un jour ou deux, le temps de faire, quoi!)
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