Tacon: je savais ce que voulait dire ce nom, j'ignorais jusqu'à aujourd'hui qu'il venait du gaulois.
Ils sont bien peu nombreux, ces mots de notre langue primitive à avoir survécu peu ou prou dans notre langage moderne. Tous ou presque ont rapport à la nature. Ça me plaît assez qu'il en soit ainsi.
Targette: son mécanisme a longtemps représenté dans mes discours le symbole de l'ingéniosité humaine. Je dois être très naïf, voire un peu simplet, mais transformer un mouvement rotatif en mouvement rectiligne, moi ça m'épate et je dis bravo à celui qui a trouvé le système. On devrait ériger une stèle à l'inventeur (anonyme?) de la targette.
Téléphone: il n'y a rien de plus mal élevé. Vous êtes en train d'exposer votre problème à un employé lambda, son téléphone sonne, et vous devez attendre que l'appelant obtienne son renseignement pour espérer avoir le vôtre.
De même cette nécessité moderne de pouvoir être joint n'importe où, à n'importe quel moment! Quelle angoisse, si je ratais un coup de fil! Eh bien, tu rappelles, coco. Il y a parfois mieux à faire que de décrocher son téléphone. Moi, j'adore parfois passer inaperçu.
Tendresse: jamais assez.
Terrier: cela me fait penser à un très beau roman pour la jeunesse qu'il faut lire même adulte: La Rencontre, de Allan W. Eckert (Le livre de Poche Jeunesse n°810), rencontre de deux solitudes: celle d'un jeune garçon et d'une mère blaireau.
Théodolite: juste pour la belle sonorité du mot.
Toucan: une petite statuette de cet oiseau d'Amérique est toujours sur mon bureau depuis des années, depuis qu'une élève, de retour d'un voyage au Brésil, me l'a offerte comme porte-bonheur.
La Tempête(de Giogione): quel étrange petit tableau (Academia, Venise): en arrière plan, une ville italienne avec un pont; plus près, un pan de remparts et de grand arbres; au premier plan, de chaque côté d'un ruisseau deux (ou plutôt trois) personnages: à gauche, sur le chemin, un promeneur (pèlerin?), tenant à la main un grand bâton de marche sur lequel il s'appuie, le visage tourné vers l'autre rive; à droite, un peu plus haut, une femme à moitié nue allaitant un enfant qu'elle tient à côté d'elle et non dans son giron, laissant ainsi exposée ta toison pubienne. Que regarde le marcheur? Qui sont ces gens? Pourquoi cette femme est-elle autant dévêtue? Que signifie cette scène? Un très mauvais roman (espagnol, si je me souviens bien) voudrait l'expliquer par une représentation de la sainte famille: Marie allaitant Jésus et Joseph veillant à l'intimité du moment. Cette explication me semble totalement absurde.
De fait, je n'ai jamais oublié ce tableau depuis la première fois où je l'ai vu et où il m'a durablement impressionné (comme est impressionnée une rétine).
Théramène: c'est son monologue que j'ai présenté oralement au bac, longue tirade où il explique comment a succombé Hippolyte, sur la grève, assailli par un monstre marin convoqué par son père trompé par les paroles de Phèdre . Si j'avais été à la place de ce jeune homme, combien, au lieu de me glacer à l'amour platonique d'une Aricie, me serais-je volontiers brûlé à la braise de la passion de Phèdre! Et tant pis pour Thésée: il n'est pas lui-même exempt de tous reproches!
mercredi 31 octobre 2007
Abécédaire (T)
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Riens (21)
C'est les vacances. Impression justement de vacuité: rien n'est obligatoire, rien n'est programmé (hormis les visites chaque soir à ma mère). Plus de cours, J. en vacances lui-même, une journée entière à gérer.
Aucune difficulté à cela: je voudrais faire tant de choses, et c'est le temps qui manque. Vider l'appartement trop plein de babioles inutiles, objets auxquels on s'attache pour le souvenir et qui ne contribuent souvent qu'à rendre ce souvenir douloureux, me débarrasser vraiment de cette sensation de vivre dans un musée (alors que je rêve d'une cellule de moine), jeter, donner, vêtements, vaisselle, gadgets, livres, revues, meubles, vider, nettoyer, ouvrir grand les fenêtres, laisser entrer l'air frais, revivre. J'en ai vraiment de plus en plus besoin. Preuve que c'est en train d'arriver.
Hier matin, grand nettoyage de la cuisine avec Maria, ma femme de ménage. Nous aimons nous retrouver ainsi trois ou quatre fois par an pour des récurages de fond. Nous nous entendons très bien, et empoignons chaque fois chiffons à poussière, éponges et serpillières avec entrain. Le ménage devient un jeu entre nous, où nous faisons semblant de nous chamailler, de nous brouiller puis de nous réconcilier. Parfois, nous parlons longuement, parfois tout se passe dans le silence, chacun plongé dans ses pensées.
Je sais, c'est surprenant comme rapports avec sa femme de ménage, mais nous nous connaissons depuis environ trente ans, et je peux dire, sans beaucoup me tromper, que nous sommes maintenant des amis. Elle est plein de délicatesse pour moi. La dernière en date: passer à la cire la table ronde en bois, non qu'elle en ait vraiment besoin, mais parce que Maria sait que j'aime cette odeur d'encaustique, qu'elle est pour moi comme l'odeur du propre.
Je sais aussi que, sans qu'il soit besoin d'en parler, elle a bien compris la profondeur de mon amour pour Pierre (même si elle n'emploierait pas le mot "amour" pour l'évoquer), et qu'elle a réellement partagé ma peine au moment de son départ.
Aucune difficulté à cela: je voudrais faire tant de choses, et c'est le temps qui manque. Vider l'appartement trop plein de babioles inutiles, objets auxquels on s'attache pour le souvenir et qui ne contribuent souvent qu'à rendre ce souvenir douloureux, me débarrasser vraiment de cette sensation de vivre dans un musée (alors que je rêve d'une cellule de moine), jeter, donner, vêtements, vaisselle, gadgets, livres, revues, meubles, vider, nettoyer, ouvrir grand les fenêtres, laisser entrer l'air frais, revivre. J'en ai vraiment de plus en plus besoin. Preuve que c'est en train d'arriver.
Hier matin, grand nettoyage de la cuisine avec Maria, ma femme de ménage. Nous aimons nous retrouver ainsi trois ou quatre fois par an pour des récurages de fond. Nous nous entendons très bien, et empoignons chaque fois chiffons à poussière, éponges et serpillières avec entrain. Le ménage devient un jeu entre nous, où nous faisons semblant de nous chamailler, de nous brouiller puis de nous réconcilier. Parfois, nous parlons longuement, parfois tout se passe dans le silence, chacun plongé dans ses pensées.
Je sais, c'est surprenant comme rapports avec sa femme de ménage, mais nous nous connaissons depuis environ trente ans, et je peux dire, sans beaucoup me tromper, que nous sommes maintenant des amis. Elle est plein de délicatesse pour moi. La dernière en date: passer à la cire la table ronde en bois, non qu'elle en ait vraiment besoin, mais parce que Maria sait que j'aime cette odeur d'encaustique, qu'elle est pour moi comme l'odeur du propre.
Je sais aussi que, sans qu'il soit besoin d'en parler, elle a bien compris la profondeur de mon amour pour Pierre (même si elle n'emploierait pas le mot "amour" pour l'évoquer), et qu'elle a réellement partagé ma peine au moment de son départ.
lundi 29 octobre 2007
Abécédaire (S)
Salières: Que les baisers y sont doux, comme au creux des poignets ou au pli de l'aine! Il faut y rajouter la nuque et le parfum de .... Mais je m'égare!
Saponaire: comme nous avons joué, enfants, avec ces plantes qui, si on les mouille, font de la mousse. Nous étions épicier à tour de rôle et vendions aussi du cacao préparé avec de la brique pilée et du vin provenant de grappes de sureau écrasées.
Sexe: un des plus grands plaisirs, une des plus importantes occupations et en même temps une des plus ténébreuses questions de ma vie. Entre les premiers émois de préadolescent avec Y. et mes pratiques de quinquagénaire, qu'y a-t-il de commun? Tout et rien.
Tout parce que c'est toujours au coeur de mes pensées, qu'aucune relation avec un homme (mâle) ne peut faire l'économie de ce sous-entendu, qu'il suffit que l'occasion se présente pour que je saute dessus, que j'aime toujours autant ça et que je ne conçois pas un instant qu'il faudra sans doute un jour s'en passer.
Rien parce que j'ai vécu l'histoire d'amour de ma vie avec P., que j'ai eu la chance de côtoyer quelqu'un journellement pendant 33 ans, avec tout ce que ça implique de grand et aussi de bassement quotidien, banal, que cette relation n'a que très peu été fondée sur le sexe, dont j'allais assouvir la tyrannie ailleurs.
Le sexe est à la fois central et totalement périphérique dans ma vie. Je ne peux m'en passer mais ce n'est pas ce que je privilégie dans une relation que je veux ou que je trouve profonde.
Est-ce un refus du côté animal en moi, refus découlant d'une éducation judéochrétienne assez poussée? Je ne crois pas si je songe un instant aux positions prises et aux cris poussés parfois pendant que je fais l'amour.
Simplement le sexe n'est que le sexe. Jamais (ou seulement quelques petits mois) je n'ai été fidèle sexuellement à Pierre. A ceux qui me le reprochaient, je disais que s'ils mettaient la fidélité au niveau du cul, ils la mettaient bien bas. Après le cul (simultanément parfois, pour quelques temps), il y a la tendresse, la sensualité (qui n'est pas la même chose que le sexe), la connivence, la complicité et la douceur des souvenirs communs. Tous points qui me provoquent plus que du plaisir: du bonheur. Alors que j'ai souvent envie de baiser lorsque je suis très tendu ou angoissé, comme si j'obéissais à une loi animale très ancienne qui voudrait que, face au mystère de la mort, je veuille participer, par instinct de survie, à la propagation de l'espèce.( Attention: il m'arrive aussi de baiser en plein bien être!)
Alors? Je ne choisirai pas entre le janséniste et l'épicurien, quitte à passer pour un homme bourré de contradictions.
Les Sabines: tableau de L. David qui, par le magnifique cul de romain qu'il présente au centre, a largement participé à l'éveil de mes sens autour de mes douze ans.
Saint-Exupéry (Antoine de ): ras le bol de la PetitPrinçolâtrie actuelle. D'accord, ce livre est mignon, mais ce n'est tout de même pas le chef-d'oeuvre du siècle. Moi, à regarder tous ceux qui en parlent tant, je ne vois bien souvent que mièvrerie et pauvreté littéraire.
Saint-Saëns (Camille): c'est Pierre qui m'a fait connaître sa symphonie avec orgue. Il l'avait découverte en écoutant la radio à Briançon, alors qu'il se relevait difficilement, dans une maison de convalescence, d'une terrible hépatite qui avait failli le tuer.
Assis dans sa chambre du "Bois du Loup" (comment, pourquoi le nom de cette maison de convalescence est-il resté dans ma mémoire depuis tant d'années?), il avait entendu cette symphonie, à jamais liée pour lui au sentiment de déréliction qui l'habitait alors.
Maurice et moi étions descendus le voir un samanche d'hiver. De ce séjour, je me souviens particulièrement du retour pour une raison bien précise: la neige empêchait pratiquement tout déplacement en voiture. Maurice et moi avons été parmi les rares entêtés à poursuivre notre chemin coûte que coûte. Huit heures pour rentrer à Lyon. Mais, pendant ce temps, Maurice m'a fait découvrir les idées de Teilhard de Chardin et ses conceptions sur l'évolution . Je me suis promis d'approfondir (à la retraite, sans doute).
C'est au retour de cette cure que nous avons décidé, Pierre et moi, de quitter la communauté dont nous partagions la vie pour nous installer tous les deux, seuls dans un appartement à nous.
Je n'ai jamais eu conscience à l'époque du pas immense que je faisais faire à Pierre en l'engageant ainsi ouvertement à mes côtés. Je sais aujourd'hui ce qu'il a dû lui en coûter de stress et de questionnement intérieur.
Saponaire: comme nous avons joué, enfants, avec ces plantes qui, si on les mouille, font de la mousse. Nous étions épicier à tour de rôle et vendions aussi du cacao préparé avec de la brique pilée et du vin provenant de grappes de sureau écrasées.
Sexe: un des plus grands plaisirs, une des plus importantes occupations et en même temps une des plus ténébreuses questions de ma vie. Entre les premiers émois de préadolescent avec Y. et mes pratiques de quinquagénaire, qu'y a-t-il de commun? Tout et rien.
Tout parce que c'est toujours au coeur de mes pensées, qu'aucune relation avec un homme (mâle) ne peut faire l'économie de ce sous-entendu, qu'il suffit que l'occasion se présente pour que je saute dessus, que j'aime toujours autant ça et que je ne conçois pas un instant qu'il faudra sans doute un jour s'en passer.
Rien parce que j'ai vécu l'histoire d'amour de ma vie avec P., que j'ai eu la chance de côtoyer quelqu'un journellement pendant 33 ans, avec tout ce que ça implique de grand et aussi de bassement quotidien, banal, que cette relation n'a que très peu été fondée sur le sexe, dont j'allais assouvir la tyrannie ailleurs.
Le sexe est à la fois central et totalement périphérique dans ma vie. Je ne peux m'en passer mais ce n'est pas ce que je privilégie dans une relation que je veux ou que je trouve profonde.
Est-ce un refus du côté animal en moi, refus découlant d'une éducation judéochrétienne assez poussée? Je ne crois pas si je songe un instant aux positions prises et aux cris poussés parfois pendant que je fais l'amour.
Simplement le sexe n'est que le sexe. Jamais (ou seulement quelques petits mois) je n'ai été fidèle sexuellement à Pierre. A ceux qui me le reprochaient, je disais que s'ils mettaient la fidélité au niveau du cul, ils la mettaient bien bas. Après le cul (simultanément parfois, pour quelques temps), il y a la tendresse, la sensualité (qui n'est pas la même chose que le sexe), la connivence, la complicité et la douceur des souvenirs communs. Tous points qui me provoquent plus que du plaisir: du bonheur. Alors que j'ai souvent envie de baiser lorsque je suis très tendu ou angoissé, comme si j'obéissais à une loi animale très ancienne qui voudrait que, face au mystère de la mort, je veuille participer, par instinct de survie, à la propagation de l'espèce.( Attention: il m'arrive aussi de baiser en plein bien être!)
Alors? Je ne choisirai pas entre le janséniste et l'épicurien, quitte à passer pour un homme bourré de contradictions.
Les Sabines: tableau de L. David qui, par le magnifique cul de romain qu'il présente au centre, a largement participé à l'éveil de mes sens autour de mes douze ans.
Saint-Exupéry (Antoine de ): ras le bol de la PetitPrinçolâtrie actuelle. D'accord, ce livre est mignon, mais ce n'est tout de même pas le chef-d'oeuvre du siècle. Moi, à regarder tous ceux qui en parlent tant, je ne vois bien souvent que mièvrerie et pauvreté littéraire.
Saint-Saëns (Camille): c'est Pierre qui m'a fait connaître sa symphonie avec orgue. Il l'avait découverte en écoutant la radio à Briançon, alors qu'il se relevait difficilement, dans une maison de convalescence, d'une terrible hépatite qui avait failli le tuer.
Assis dans sa chambre du "Bois du Loup" (comment, pourquoi le nom de cette maison de convalescence est-il resté dans ma mémoire depuis tant d'années?), il avait entendu cette symphonie, à jamais liée pour lui au sentiment de déréliction qui l'habitait alors.
Maurice et moi étions descendus le voir un samanche d'hiver. De ce séjour, je me souviens particulièrement du retour pour une raison bien précise: la neige empêchait pratiquement tout déplacement en voiture. Maurice et moi avons été parmi les rares entêtés à poursuivre notre chemin coûte que coûte. Huit heures pour rentrer à Lyon. Mais, pendant ce temps, Maurice m'a fait découvrir les idées de Teilhard de Chardin et ses conceptions sur l'évolution . Je me suis promis d'approfondir (à la retraite, sans doute).
C'est au retour de cette cure que nous avons décidé, Pierre et moi, de quitter la communauté dont nous partagions la vie pour nous installer tous les deux, seuls dans un appartement à nous.
Je n'ai jamais eu conscience à l'époque du pas immense que je faisais faire à Pierre en l'engageant ainsi ouvertement à mes côtés. Je sais aujourd'hui ce qu'il a dû lui en coûter de stress et de questionnement intérieur.
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Riens (20)
Quel bel automne! J'ai vécu samedi et dimanche avec ce refrain dans la tête, l'oeil rivé sur les lointains brumeux.
Samedi, J. m'a proposé de passer la journée avec lui: je n'ai pas dit non! Le matin, temps couvert, ciel gris, mais pas froid: l'idéal pour mes trois tours de Parc. Puis j'ai rejoint J. chez lui, où il m'attendait pour déjeuner avec son fils S.
Je suis émerveillé de leur tendresse réciproque: là, c'est la main de J. qui ébouriffait la tignasse de S. bougonnant, bien que visiblement ravi. Je suis toujours ému d'assister à ces petits gestes entre un père et son fils.
Puis nous sommes partis tous les deux direction mon collège pour prendre des photos des lieux et de Lyon. Le soleil était encore bien timide mais s'affirmait de plus en plus. Je lui ai fait visiter les locaux, très heureux de lui présenter mon cadre de travail et en même temps gêné, pas préparé à ce que ces deux univers se rencontrent. C'est pourtant moi qui le lui avait proposé. J'avais aussi emporté mon nouvel appareil photos. Peu à peu, je me suis senti plus à l'aise et nous avons alterné flashs et bisous.
Le vendredi soir, nous avions eu une longue conversation téléphonique où il était question de notre relation. Je n'en parlerai pas ici: elle a été sincère des deux côtés et restera intime. Je crois que nous avons parfaitement réussi à nous comprendre, même si parfois, comme le dit Aragon, "les mots sont des oiseaux blessés."
Le soir, côte à côte sur le lit, nous avons feuilleté un très beau livre de plans de Lyon qui a été offert à J. pour son anniversaire. Avec le recul, je crois que si quelqu'un nous avait filmés à ce moment-là, nous devions ressembler à deux enfants, deux frères désireux de s'instruire, comparant leur remarques, leurs points de vue très sérieusement et en même temps riant comme des fous quand il fallait changer de paires de lunettes ou les enlever pour pouvoir lire les tout petits caractères. Ah! La tête de coquin que te font tes lunettes bleues, J.! Merci pour la belle journée.
Dimanche, c'est la vue du massif du Pilat, face au cimetière où se trouve le caveau de ma famille, qui m'a ébloui. Là encore, le temps était légèrement brumeux et les reliefs s'estompaient un peu dans les lointains. Mais quelle beauté! Nous avons déposé les chrysanthèmes sur les tombes puis sommes rentré à Lyon par le chemin des écoliers, repassant dans le village où nous avons vécu notre enfance et sur les routes qui nous ont vu grandir.
Mais, pour moi, cet univers n'est plus le mien depuis longtemps, même si j'ai du plaisir à le retrouver. Depuis longtemps, je suis parti, j'ai fait ma vie ailleurs, j'ai aimé ailleurs, et je serai enterré ailleurs, même si je me prive pour l'éternité de la vue si paisible des sommets du Pilat.
Samedi, J. m'a proposé de passer la journée avec lui: je n'ai pas dit non! Le matin, temps couvert, ciel gris, mais pas froid: l'idéal pour mes trois tours de Parc. Puis j'ai rejoint J. chez lui, où il m'attendait pour déjeuner avec son fils S.
Je suis émerveillé de leur tendresse réciproque: là, c'est la main de J. qui ébouriffait la tignasse de S. bougonnant, bien que visiblement ravi. Je suis toujours ému d'assister à ces petits gestes entre un père et son fils.
Puis nous sommes partis tous les deux direction mon collège pour prendre des photos des lieux et de Lyon. Le soleil était encore bien timide mais s'affirmait de plus en plus. Je lui ai fait visiter les locaux, très heureux de lui présenter mon cadre de travail et en même temps gêné, pas préparé à ce que ces deux univers se rencontrent. C'est pourtant moi qui le lui avait proposé. J'avais aussi emporté mon nouvel appareil photos. Peu à peu, je me suis senti plus à l'aise et nous avons alterné flashs et bisous.
Le vendredi soir, nous avions eu une longue conversation téléphonique où il était question de notre relation. Je n'en parlerai pas ici: elle a été sincère des deux côtés et restera intime. Je crois que nous avons parfaitement réussi à nous comprendre, même si parfois, comme le dit Aragon, "les mots sont des oiseaux blessés."
Le soir, côte à côte sur le lit, nous avons feuilleté un très beau livre de plans de Lyon qui a été offert à J. pour son anniversaire. Avec le recul, je crois que si quelqu'un nous avait filmés à ce moment-là, nous devions ressembler à deux enfants, deux frères désireux de s'instruire, comparant leur remarques, leurs points de vue très sérieusement et en même temps riant comme des fous quand il fallait changer de paires de lunettes ou les enlever pour pouvoir lire les tout petits caractères. Ah! La tête de coquin que te font tes lunettes bleues, J.! Merci pour la belle journée.
Dimanche, c'est la vue du massif du Pilat, face au cimetière où se trouve le caveau de ma famille, qui m'a ébloui. Là encore, le temps était légèrement brumeux et les reliefs s'estompaient un peu dans les lointains. Mais quelle beauté! Nous avons déposé les chrysanthèmes sur les tombes puis sommes rentré à Lyon par le chemin des écoliers, repassant dans le village où nous avons vécu notre enfance et sur les routes qui nous ont vu grandir.
Mais, pour moi, cet univers n'est plus le mien depuis longtemps, même si j'ai du plaisir à le retrouver. Depuis longtemps, je suis parti, j'ai fait ma vie ailleurs, j'ai aimé ailleurs, et je serai enterré ailleurs, même si je me prive pour l'éternité de la vue si paisible des sommets du Pilat.
vendredi 26 octobre 2007
Abécédaire (R)
Recklinghausen (maladie de):neurofibromatose.
A quoi sert ce genre d'articles dans le dictionnaire? Les patients atteints de cette maladie ont sans doute d'autre sources de renseignements plus intéressantes et surtout plus précises. Les autres, ça ne les concerne pas, et, à supposer qu'ils soient curieux, ils ne trouveront guère leur pitance dans cette définition tout aussi hermétique que le nom de la maladie.
Rêve: en voici un que j'ai fait de nombreuses nuits quand j'étais enfant, particulièrement en période de maladie et de fièvre.
Devant moi, rien d'autre qu'une fenêtre de chalet, avec ses petits carreaux et ses montants de bois. A l'extérieur, sur le rebord, un pot de fleurs, ou plutôt un pot de fleur, car il n'en contenait qu'une, inconnue de moi, à longue tige, sans feuilles. Je regardais fixement cette fenêtre et cette plante, sans aucune perception du reste du décor.
Peu à peu résonnait un bruit sourd de pas qui se rapprochaient lentement: des pas d'éléphant, lourds et pesants. Je savais que ces pas se dirigeaient vers la fenêtre, mais je ne pouvais rien faire, spectateur de l'inéluctable. Lorsque les pas étaient tout proches, l'image de la fenêtre et de la fleur se troublait: elle se mettait comme en surbrillance, et se décomposait en milliers de petites points noirs qui fourmillaient, donnant l'impression désagréable d'une volonté d'hypnose, rappelant les photographies dans les anciens journaux. Alors, juste avant que je me réveille en sueur, la patte de l'éléphant écrasait la fleur.
On m'a dit (qui?) que ce rêve était lié à la peur de la castration. Les psys sans doute en feraient leurs choux gras. A moi, il suffit que ce cauchemar ait disparu depuis bien des années.
Robinier: en fait, c'est ce que nous appelons abusivement acacia. Il paraît qu'il n'y a pas de vrais acacias en France: est-ce vrai?
Ruelle: j'aime bien rappelé qu'outre une petite rue, il s'agit aussi de l'espace, en général étroit, entre les côtés du lit et le mur. On peut dire que j'y ai souvent "fait le trottoir"!
Racine (Jean): s'il fallait tout laisser et partir sur une île déserte avec un seul livre, je crois bien qu'encore aujourd'hui, ce serait Phèdre. Pour moi, il contient tous les autres.
Ravachol: un gars bien de chez moi.
Rome: non, je n'en parlerai pas, ce serait trop long, et pas du tout objectif: c'est mon vrai chez moi, ma patrie, ma terre. La plus belle ville au monde, quoi! Un simple conseil: si vous vous déambulez Place Navone, passez derrière l'église Ste Agnès d'Agone, rendez vous Via della Pace, vous y trouverez un petit café reconnaissable à son gros pied de glycine. Installez-vous: c'est presque la campagne, et chaque fois que je m'y suis arrêté, dégustant une bonne bière bien fraîche à la terrasse, j'étais entouré d'hommes tous plus beaux les uns que les autres. ( Mais peut-être ne suis-je encore une fois pas tout à fait objectif!)
A quoi sert ce genre d'articles dans le dictionnaire? Les patients atteints de cette maladie ont sans doute d'autre sources de renseignements plus intéressantes et surtout plus précises. Les autres, ça ne les concerne pas, et, à supposer qu'ils soient curieux, ils ne trouveront guère leur pitance dans cette définition tout aussi hermétique que le nom de la maladie.
Rêve: en voici un que j'ai fait de nombreuses nuits quand j'étais enfant, particulièrement en période de maladie et de fièvre.
Devant moi, rien d'autre qu'une fenêtre de chalet, avec ses petits carreaux et ses montants de bois. A l'extérieur, sur le rebord, un pot de fleurs, ou plutôt un pot de fleur, car il n'en contenait qu'une, inconnue de moi, à longue tige, sans feuilles. Je regardais fixement cette fenêtre et cette plante, sans aucune perception du reste du décor.
Peu à peu résonnait un bruit sourd de pas qui se rapprochaient lentement: des pas d'éléphant, lourds et pesants. Je savais que ces pas se dirigeaient vers la fenêtre, mais je ne pouvais rien faire, spectateur de l'inéluctable. Lorsque les pas étaient tout proches, l'image de la fenêtre et de la fleur se troublait: elle se mettait comme en surbrillance, et se décomposait en milliers de petites points noirs qui fourmillaient, donnant l'impression désagréable d'une volonté d'hypnose, rappelant les photographies dans les anciens journaux. Alors, juste avant que je me réveille en sueur, la patte de l'éléphant écrasait la fleur.
On m'a dit (qui?) que ce rêve était lié à la peur de la castration. Les psys sans doute en feraient leurs choux gras. A moi, il suffit que ce cauchemar ait disparu depuis bien des années.
Robinier: en fait, c'est ce que nous appelons abusivement acacia. Il paraît qu'il n'y a pas de vrais acacias en France: est-ce vrai?
Ruelle: j'aime bien rappelé qu'outre une petite rue, il s'agit aussi de l'espace, en général étroit, entre les côtés du lit et le mur. On peut dire que j'y ai souvent "fait le trottoir"!
Racine (Jean): s'il fallait tout laisser et partir sur une île déserte avec un seul livre, je crois bien qu'encore aujourd'hui, ce serait Phèdre. Pour moi, il contient tous les autres.
Ravachol: un gars bien de chez moi.
Rome: non, je n'en parlerai pas, ce serait trop long, et pas du tout objectif: c'est mon vrai chez moi, ma patrie, ma terre. La plus belle ville au monde, quoi! Un simple conseil: si vous vous déambulez Place Navone, passez derrière l'église Ste Agnès d'Agone, rendez vous Via della Pace, vous y trouverez un petit café reconnaissable à son gros pied de glycine. Installez-vous: c'est presque la campagne, et chaque fois que je m'y suis arrêté, dégustant une bonne bière bien fraîche à la terrasse, j'étais entouré d'hommes tous plus beaux les uns que les autres. ( Mais peut-être ne suis-je encore une fois pas tout à fait objectif!)
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Riens (19)
Entendu à la radio, sur France-Inter, le matin aux alentours de 6h25, dans la séquence "Je vous réveille". La journaliste y interviewait une écrivain dont je n'ai pas retenu le nom mais dont l'ouvrage (un essai?) s'intitule La mauvaise Langue. La méconnaissance ou le mauvais usage de la langue française, en l'occurrence.
Cette femme, par ailleurs professeur dans un établissement technique, raconta l'anecdote suivante: dans ce même établissement, une vieille professeur de Lettres Classiques( français, latin, grec), avant de commencer le moindre cours sur la grammaire ou la syntaxe, faisait dresser à ses élèves une table digne des plus grands restaurants français: assiettes de porcelaine, verres de cristal, argenterie étincelante, nappe et serviettes immaculées, le tout placé selon les règles de l'art et du bon goût. A ces adolescents qui s'émerveillaient devant le résultat final, elle annonçait que, pour la langue, les choses en allaient de même: les mots devaient être choisis, destinés à un usage précis, mis en valeur ou au contraire masqués dans un contexte, une atmosphère porteuse, et alors la page serait belle. J'ai trouvé la parabole intéressante, et parlante pour des jeunes.
Mon frère m'a annoncé que son cancer récidivait. Aujourd'hui, pose d'une voie centrale, la semaine prochaine drain du rein à la vessie et début des chimios. J'ai déjà trop bu dans ce calice.
Cette femme, par ailleurs professeur dans un établissement technique, raconta l'anecdote suivante: dans ce même établissement, une vieille professeur de Lettres Classiques( français, latin, grec), avant de commencer le moindre cours sur la grammaire ou la syntaxe, faisait dresser à ses élèves une table digne des plus grands restaurants français: assiettes de porcelaine, verres de cristal, argenterie étincelante, nappe et serviettes immaculées, le tout placé selon les règles de l'art et du bon goût. A ces adolescents qui s'émerveillaient devant le résultat final, elle annonçait que, pour la langue, les choses en allaient de même: les mots devaient être choisis, destinés à un usage précis, mis en valeur ou au contraire masqués dans un contexte, une atmosphère porteuse, et alors la page serait belle. J'ai trouvé la parabole intéressante, et parlante pour des jeunes.
Mon frère m'a annoncé que son cancer récidivait. Aujourd'hui, pose d'une voie centrale, la semaine prochaine drain du rein à la vessie et début des chimios. J'ai déjà trop bu dans ce calice.
jeudi 25 octobre 2007
Abécédaire (Q)
Quadragésime: mot à la belle sonorité dont j'ai mis longtemps à connaître le sens.
Queue: moi, je trouve que c'est un beau mot pour nommer le sexe masculin. Bite me va aussi. Mais il y a dans queue la référence à l'animal qu'il me plaît de rappeler que nous sommes (même supérieurs).
L'instinct sexuel n'est que nature: les uns l'assouvissent avec des mâles, les autres avec des femelles: quelle différence? On ne peut pas définir un homme (humain) que par la direction où le porte sa queue. Pourquoi alors ne pas le cataloguer par ses opinions politiques ou le fait qu'il apprécie ou non les épinards?
J'ai du mal à me dire homo, non parce que je ne l'assume pas mais parce que je ne suis pas que cela: c'est une partie de moi, certes importante, mais qui ne me définit pas totalement: je suis aussi quinquagénaire, prof, gourmand, coureur à pied, fils de ma mère, frère de mon frère, piéton, automobiliste, vacancier, emmerdeur publique, câlin, copropriétaire, client, usager du métro, lecteur, mélomane, bricoleur (si, si, ça arrive!), et que sais-je encore. Finalement très proche de celui qui, en face, va se dire hétéro. Une certitude: je ne suis pas gay.
La manie actuelle de tout classer, de vouloir à tout prix que tous rentrent dans une case ou une autre, m'exaspère: je suis, nous sommes tous, multiple(s), et souvent contradictoire(s) parce qu'en marche. Alors, messieurs les "archivistes", arrêtez de faire des vivants des objets d'exposition de musée avec une belle étiquette pour expliquer(même en latin) ce qu'ils sont (ou ce qu'ils étaient).
N'ayons pas peur d'être "plusieurs" à soi tout seul.
J'étais partie pour parler de la queue de l'homme, et puis voilà, on s'excite, on s'excite...
Quinctius Cincinnatus (Lucius): j'ai toujours aimé ce vieux romain de la République qui, après avoir assumé les plus hautes charges à Rome (consul puis dictateur à deux reprises), n'a jamais hésité à regagner sa campagne pour y vivre tranquillement "le reste de son âge" au milieu de ses troupeaux et de ses labours. Il faudrait que tous nos hommes politiques sachent, le moment venu, se retirer avec autant d'humilité.
Queue: moi, je trouve que c'est un beau mot pour nommer le sexe masculin. Bite me va aussi. Mais il y a dans queue la référence à l'animal qu'il me plaît de rappeler que nous sommes (même supérieurs).
L'instinct sexuel n'est que nature: les uns l'assouvissent avec des mâles, les autres avec des femelles: quelle différence? On ne peut pas définir un homme (humain) que par la direction où le porte sa queue. Pourquoi alors ne pas le cataloguer par ses opinions politiques ou le fait qu'il apprécie ou non les épinards?
J'ai du mal à me dire homo, non parce que je ne l'assume pas mais parce que je ne suis pas que cela: c'est une partie de moi, certes importante, mais qui ne me définit pas totalement: je suis aussi quinquagénaire, prof, gourmand, coureur à pied, fils de ma mère, frère de mon frère, piéton, automobiliste, vacancier, emmerdeur publique, câlin, copropriétaire, client, usager du métro, lecteur, mélomane, bricoleur (si, si, ça arrive!), et que sais-je encore. Finalement très proche de celui qui, en face, va se dire hétéro. Une certitude: je ne suis pas gay.
La manie actuelle de tout classer, de vouloir à tout prix que tous rentrent dans une case ou une autre, m'exaspère: je suis, nous sommes tous, multiple(s), et souvent contradictoire(s) parce qu'en marche. Alors, messieurs les "archivistes", arrêtez de faire des vivants des objets d'exposition de musée avec une belle étiquette pour expliquer(même en latin) ce qu'ils sont (ou ce qu'ils étaient).
N'ayons pas peur d'être "plusieurs" à soi tout seul.
J'étais partie pour parler de la queue de l'homme, et puis voilà, on s'excite, on s'excite...
Quinctius Cincinnatus (Lucius): j'ai toujours aimé ce vieux romain de la République qui, après avoir assumé les plus hautes charges à Rome (consul puis dictateur à deux reprises), n'a jamais hésité à regagner sa campagne pour y vivre tranquillement "le reste de son âge" au milieu de ses troupeaux et de ses labours. Il faudrait que tous nos hommes politiques sachent, le moment venu, se retirer avec autant d'humilité.
Riens (18)
Ce soir, "sablier" des parents 6°.
Autrefois, on appelait ça "confessionnal". Les deux termes sont inappropriés, l'un trop marqué église, l'autre horloge. Cela consiste à recevoir un par un tous les parents qui en ont fait la demande. Durée de l'entretien: environ 6 minutes. Pour aborder des questions plus importantes, il y a les rendez-vous traditionnels.
En 6°, presque tous les parents se déplacent, toujours un peu angoissés (c'est si impressionnant que ça, un prof?) pour entendre si possible dire du bien de leur progéniture et nous confier des informations capitales pour les études ("Il a fait sa première dent à.... mois", "c'est un enfant extrêmement intelligent", "vous verrez, il est attachant"...).
Bon, je plaisante: ce genre de parents a plutôt tendance à disparaître. Angoissés, en revanche, ils le sont, et souvent pleins de bonne volonté pour nous aider dans notre tâche d'enseignants. Eux-mêmes sont d'ailleurs censés être les premiers éducateurs de leurs enfants. Et quand on a, comme moi, une solide réputation qui vous précède ( toute fausse modestie mise à part), c'est presque dans la main qu'ils viendraient vous manger si l'on y mettait bon ordre.
En fait, j'aime ces soirées (même si voir défiler 20 familles comme ce soir n'est pas de tout repos). Je maîtrise suffisamment ce que j'ai à dire pour pouvoir prendre un peu de recul et observer les parents: on apprend ainsi toujours beaucoup sur leurs enfants.
Ils sont attendrissants, d'autant que, maintenant, certains (la majorité) sont nettement plus jeunes que moi. Au-delà de l'éventuelle ressemblance physique, on perçoit les mêmes intonations de voix, les mêmes regards, la même façon de se passer la main sur le front ou de croiser les bras. Ils aiment leurs enfants, c'en est émouvant.
Et puis il y a ceux qui, au fil des années (j'enseigne sur les quatre niveaux du collège), de rendez-vous pour le grand frère en entretien pour la petite soeur, deviennent presque des amis, se confient (sans que cela m'ennuie ou me gêne alors), partagent des goûts littéraires ou cinématographiques et finissent par vous inviter à l'apéritif du mariage de leur petit dernier.
Ce soir, un gentil papa, mignon à croquer, m'a donné l'envie de faire davantage sa connaissance: des yeux pétillants de malice, un large sourire qui n'avait rien de commandé. Quelque part, le courant passait bien.
Il va bientôt falloir que je pense à m'organiser pour que, le moment de la retraite venu, les parents ne me manquent pas autant que leurs enfants.
Autrefois, on appelait ça "confessionnal". Les deux termes sont inappropriés, l'un trop marqué église, l'autre horloge. Cela consiste à recevoir un par un tous les parents qui en ont fait la demande. Durée de l'entretien: environ 6 minutes. Pour aborder des questions plus importantes, il y a les rendez-vous traditionnels.
En 6°, presque tous les parents se déplacent, toujours un peu angoissés (c'est si impressionnant que ça, un prof?) pour entendre si possible dire du bien de leur progéniture et nous confier des informations capitales pour les études ("Il a fait sa première dent à.... mois", "c'est un enfant extrêmement intelligent", "vous verrez, il est attachant"...).
Bon, je plaisante: ce genre de parents a plutôt tendance à disparaître. Angoissés, en revanche, ils le sont, et souvent pleins de bonne volonté pour nous aider dans notre tâche d'enseignants. Eux-mêmes sont d'ailleurs censés être les premiers éducateurs de leurs enfants. Et quand on a, comme moi, une solide réputation qui vous précède ( toute fausse modestie mise à part), c'est presque dans la main qu'ils viendraient vous manger si l'on y mettait bon ordre.
En fait, j'aime ces soirées (même si voir défiler 20 familles comme ce soir n'est pas de tout repos). Je maîtrise suffisamment ce que j'ai à dire pour pouvoir prendre un peu de recul et observer les parents: on apprend ainsi toujours beaucoup sur leurs enfants.
Ils sont attendrissants, d'autant que, maintenant, certains (la majorité) sont nettement plus jeunes que moi. Au-delà de l'éventuelle ressemblance physique, on perçoit les mêmes intonations de voix, les mêmes regards, la même façon de se passer la main sur le front ou de croiser les bras. Ils aiment leurs enfants, c'en est émouvant.
Et puis il y a ceux qui, au fil des années (j'enseigne sur les quatre niveaux du collège), de rendez-vous pour le grand frère en entretien pour la petite soeur, deviennent presque des amis, se confient (sans que cela m'ennuie ou me gêne alors), partagent des goûts littéraires ou cinématographiques et finissent par vous inviter à l'apéritif du mariage de leur petit dernier.
Ce soir, un gentil papa, mignon à croquer, m'a donné l'envie de faire davantage sa connaissance: des yeux pétillants de malice, un large sourire qui n'avait rien de commandé. Quelque part, le courant passait bien.
Il va bientôt falloir que je pense à m'organiser pour que, le moment de la retraite venu, les parents ne me manquent pas autant que leurs enfants.
mercredi 24 octobre 2007
Abécédaire (P, encore)
Papa (re donc):
P2, frère de P1 mon géniteur. Il s'appelait René et vient de mourir au mois d'avril, d'un cancer(entre oesophage et estomac) que l'on a décelé alors qu'il était beaucoup trop tard et que les métastases s'étaient déjà installées.
Ce père, mon père (je ne l'ai jamais appelé autrement) m'a élevé avec les enfants qu'il a eus ensuite de ma mère, je l'ai dit, sans aucune différence de traitement, ni plus ni moins que l'un d'entre eux.
J'ai pourtant mis des années à l'aimer ou plutôt à m'en sentir aimé. Et ce n'était pas totalement de ma faute, ni de la sienne. Le fait que l'on me rappelle sans cesse que mon père était mort, qu'il était tellement si, tellement ça, m'a éloigné de lui, radicalement différent. Je me suis cru inconsciemment d'une lignée supérieure: je n'avais rien à voir avec ce travailleur, cet ouvrier qui n'était pratiquement jamais là parce qu'après la mine, il déchargeait des camions aux halles, tenait un étal de fruits et légumes sur les marchés ou tuait les cochons pour tous les environs. Je ne comprenais pas que l'on puisse s'intéresser à ce qu'il y a sous le capot d'une voiture (pour ça, je n'ai toujours pas changé.), que l'on puisse connaître par leur nom chacun des outils de bricolage ou de jardinage que, moi, je confondais systématiquement, que l'on puisse aussi facilement lier conversation avec des inconnus et s'en faire tout aussi facilement des amis.
Ma mère a, sans le vouloir, souvent contribué à creuser le fossé, en encourageant mes lectures, en me positionnant comme l'"intellectuel" de la famille, alors que mon frère était beaucoup proche de mon père.
Jusqu'à l'adolescence, pas de gros remous. Ensuite, les choses se sont gâtées: découverte de mon homosexualité (autour de 12 ans), première expérience avec un homme adulte (autour de 14 ans), période d'opposition grandissante (d'autant plus que ce géant athlétique me troublait profondément, m'attirait physiquement). J'aurais voulu qu'il découvre tout l'émoi qu'il provoquait en moi et qu'il réponde à cet amour fou. Il aurait pu canaliser ces pulsions incestueuses et les transformer en positif, en constructif, en sain. Il ne s'est jamais rendu compte de rien. Alors je me suis mis à le haïr (autour de 17 ans): il représentait tout ce que je ne voulais pas être.
Après mon bac (j'aurais pu comprendre à ce moment-là comme il m'aimait, à la fierté qui irradiait de lui), c'est lui qui a voulu que je continue mes études, même si cela représentait un surplus de travail pour lui. J'ai pourtant quitté la famille, deux mois après la mort accidentelle de ma petite soeur, pour venir en fac à Lyon, heureux de me débarrasser d'un tel poids, de pouvoir déployer mes ailes sans contraintes, de mener une vie de patachon. Au bout d'un an de cette vie-là, je ne croyais plus à rien: la foi avait volé en éclats avec la mort de ma soeur, le sexe ne m'apportait que gavage de cul alors que j'aurais eu besoin de tendresse et de guidage. Et Pierre est arrivé, au moment où je sombrais.
C'est lui qui m'a réconcilié avec mon père à qui je n'adressais plus la parole depuis six mois, suite à une gifle malencontreuse qu'il avait sans doute regrettée immédiatement. Entre eux deux, le courant est passé tout de suite. Jamais mes parents n'ont posé une seule question sur le genre de relation que nous entretenions, Pierre et moi, sur le pourquoi d'un appartement et finalement d'une vie en commun. Si j'arrivais seul chez eux, avant de me dire bonjour, on m'interrogeait:" Et Pierre? Il n'est pas là?". J'ai parfois été à deux doigts d'en être vexé.
La suite a été une lente remontée de cette incompréhension totale vers d'abord un respect mutuel, puis vers ce qu'il faut bien appeler une sorte de tendresse (en grattant sous les milliers de masques de la pudeur de chacun de nous) (Encore aujourd'hui, j'ai l'impression d'être nu en employant ce mot pour lui.).
La tape sur l'épaule, sans un mot, au retour de l'enterrement d'Y., mon ami d'enfance, mon "frère", beaucoup plus forte que n'importe quel discours. Le besoin de me consulter lors d'une visite pour l'achat d'une maison de campagne . La découverte que, si j'avais beaucoup de traits de caractère de ma mère, je lui ressemblais aussi, à lui, (après tout, nous sommes bien du même sang), par la forme d'humour en particulier ou par la faculté, dans les périodes de crise à gérer, d'aller toujours à l'essentiel et à l'efficace.
C'est au moment de sa maladie et de son hospitalisation que nous nous sommes le plus rapprochés: ces derniers moments, ce passage de la vie à l'absence, il a voulu qu'ils soient vrais, qu'ils soient pleins. Il m'a volontairement "passé le flambeau": par sa parole, je devenais le chef de famille.
Il m'a beaucoup parlé aussi de sa mère, avec qui, je crois, il a toujours entretenu le même rapport d'amour-répulsion que moi avec lui. Lui aussi a toujours douté qu'on l'aime. En évoquant le passé, plusieurs fois, il m'a pris pour son frère et parlait alors de "la maman". Je l'ai repris la première fois, et puis je l'ai laissé vagabonder dans ses souvenirs, trop heureux d'être aussi proche de lui en même temps que de mon père mort.
Et il m'a fait, quelques jours avant de disparaître, avant que j'assiste à son agonie, le plus beau cadeau que l'on puisse faire. Un souvenir à moi, qu'il avait conservé, lui, et que je garde maintenant au plus intime de moi: alors que j'étais tout bébé, on m'avait offert, comme c'était la coutume à l'époque, un ours en peluche. Mais cet ours me faisait peur, et chaque fois que l'on tentait de l'approcher de moi pour que je le caresse ou que je le prenne dans mes bras, je me mettais à hurler, terrorisé. Personne ne parvenait à m'amadouer. Alors mon père, qui avait remarqué que j'aimais beaucoup la compagnie des moutons (des vrais, ceux-là), avait eu l'idée d'intégrer l'ours au troupeau. Et la peluche fut adoptée.
Ce qui me rend précieux ce souvenir, ce n'est pas l'anecdote en elle-même, c'est qu'elle m'ait été transmise par lui dans les derniers jours de sa vie, que j'aurais bien pu ne jamais rien savoir de cette histoire où nous apparaissons seuls, lui et moi, dans cette campagne ouvrière que nous avons toujours aimée plus que les autres, et que ça, c'est, je crois, une histoire d'amour.
Merci, papa.
P2, frère de P1 mon géniteur. Il s'appelait René et vient de mourir au mois d'avril, d'un cancer(entre oesophage et estomac) que l'on a décelé alors qu'il était beaucoup trop tard et que les métastases s'étaient déjà installées.
Ce père, mon père (je ne l'ai jamais appelé autrement) m'a élevé avec les enfants qu'il a eus ensuite de ma mère, je l'ai dit, sans aucune différence de traitement, ni plus ni moins que l'un d'entre eux.
J'ai pourtant mis des années à l'aimer ou plutôt à m'en sentir aimé. Et ce n'était pas totalement de ma faute, ni de la sienne. Le fait que l'on me rappelle sans cesse que mon père était mort, qu'il était tellement si, tellement ça, m'a éloigné de lui, radicalement différent. Je me suis cru inconsciemment d'une lignée supérieure: je n'avais rien à voir avec ce travailleur, cet ouvrier qui n'était pratiquement jamais là parce qu'après la mine, il déchargeait des camions aux halles, tenait un étal de fruits et légumes sur les marchés ou tuait les cochons pour tous les environs. Je ne comprenais pas que l'on puisse s'intéresser à ce qu'il y a sous le capot d'une voiture (pour ça, je n'ai toujours pas changé.), que l'on puisse connaître par leur nom chacun des outils de bricolage ou de jardinage que, moi, je confondais systématiquement, que l'on puisse aussi facilement lier conversation avec des inconnus et s'en faire tout aussi facilement des amis.
Ma mère a, sans le vouloir, souvent contribué à creuser le fossé, en encourageant mes lectures, en me positionnant comme l'"intellectuel" de la famille, alors que mon frère était beaucoup proche de mon père.
Jusqu'à l'adolescence, pas de gros remous. Ensuite, les choses se sont gâtées: découverte de mon homosexualité (autour de 12 ans), première expérience avec un homme adulte (autour de 14 ans), période d'opposition grandissante (d'autant plus que ce géant athlétique me troublait profondément, m'attirait physiquement). J'aurais voulu qu'il découvre tout l'émoi qu'il provoquait en moi et qu'il réponde à cet amour fou. Il aurait pu canaliser ces pulsions incestueuses et les transformer en positif, en constructif, en sain. Il ne s'est jamais rendu compte de rien. Alors je me suis mis à le haïr (autour de 17 ans): il représentait tout ce que je ne voulais pas être.
Après mon bac (j'aurais pu comprendre à ce moment-là comme il m'aimait, à la fierté qui irradiait de lui), c'est lui qui a voulu que je continue mes études, même si cela représentait un surplus de travail pour lui. J'ai pourtant quitté la famille, deux mois après la mort accidentelle de ma petite soeur, pour venir en fac à Lyon, heureux de me débarrasser d'un tel poids, de pouvoir déployer mes ailes sans contraintes, de mener une vie de patachon. Au bout d'un an de cette vie-là, je ne croyais plus à rien: la foi avait volé en éclats avec la mort de ma soeur, le sexe ne m'apportait que gavage de cul alors que j'aurais eu besoin de tendresse et de guidage. Et Pierre est arrivé, au moment où je sombrais.
C'est lui qui m'a réconcilié avec mon père à qui je n'adressais plus la parole depuis six mois, suite à une gifle malencontreuse qu'il avait sans doute regrettée immédiatement. Entre eux deux, le courant est passé tout de suite. Jamais mes parents n'ont posé une seule question sur le genre de relation que nous entretenions, Pierre et moi, sur le pourquoi d'un appartement et finalement d'une vie en commun. Si j'arrivais seul chez eux, avant de me dire bonjour, on m'interrogeait:" Et Pierre? Il n'est pas là?". J'ai parfois été à deux doigts d'en être vexé.
La suite a été une lente remontée de cette incompréhension totale vers d'abord un respect mutuel, puis vers ce qu'il faut bien appeler une sorte de tendresse (en grattant sous les milliers de masques de la pudeur de chacun de nous) (Encore aujourd'hui, j'ai l'impression d'être nu en employant ce mot pour lui.).
La tape sur l'épaule, sans un mot, au retour de l'enterrement d'Y., mon ami d'enfance, mon "frère", beaucoup plus forte que n'importe quel discours. Le besoin de me consulter lors d'une visite pour l'achat d'une maison de campagne . La découverte que, si j'avais beaucoup de traits de caractère de ma mère, je lui ressemblais aussi, à lui, (après tout, nous sommes bien du même sang), par la forme d'humour en particulier ou par la faculté, dans les périodes de crise à gérer, d'aller toujours à l'essentiel et à l'efficace.
C'est au moment de sa maladie et de son hospitalisation que nous nous sommes le plus rapprochés: ces derniers moments, ce passage de la vie à l'absence, il a voulu qu'ils soient vrais, qu'ils soient pleins. Il m'a volontairement "passé le flambeau": par sa parole, je devenais le chef de famille.
Il m'a beaucoup parlé aussi de sa mère, avec qui, je crois, il a toujours entretenu le même rapport d'amour-répulsion que moi avec lui. Lui aussi a toujours douté qu'on l'aime. En évoquant le passé, plusieurs fois, il m'a pris pour son frère et parlait alors de "la maman". Je l'ai repris la première fois, et puis je l'ai laissé vagabonder dans ses souvenirs, trop heureux d'être aussi proche de lui en même temps que de mon père mort.
Et il m'a fait, quelques jours avant de disparaître, avant que j'assiste à son agonie, le plus beau cadeau que l'on puisse faire. Un souvenir à moi, qu'il avait conservé, lui, et que je garde maintenant au plus intime de moi: alors que j'étais tout bébé, on m'avait offert, comme c'était la coutume à l'époque, un ours en peluche. Mais cet ours me faisait peur, et chaque fois que l'on tentait de l'approcher de moi pour que je le caresse ou que je le prenne dans mes bras, je me mettais à hurler, terrorisé. Personne ne parvenait à m'amadouer. Alors mon père, qui avait remarqué que j'aimais beaucoup la compagnie des moutons (des vrais, ceux-là), avait eu l'idée d'intégrer l'ours au troupeau. Et la peluche fut adoptée.
Ce qui me rend précieux ce souvenir, ce n'est pas l'anecdote en elle-même, c'est qu'elle m'ait été transmise par lui dans les derniers jours de sa vie, que j'aurais bien pu ne jamais rien savoir de cette histoire où nous apparaissons seuls, lui et moi, dans cette campagne ouvrière que nous avons toujours aimée plus que les autres, et que ça, c'est, je crois, une histoire d'amour.
Merci, papa.
Riens (17)
Ce matin, très tôt, alors que je me rendais en voiture au travail, un homme, à un feu rouge, est sorti de la sienne pour arracher un autocollant proposant le téphone 06 15 d'une (jeune?) femme prête à dialoguer "tendrement"avec le premier venu.
Pourquoi pas. Il m'est arrivé de déchirer les affiches de candidats aux élections qui ne me plaisaient pas. En général, il s'agissait d'un candidat "extrémiste" et d'affiches collées n'importe où sauf à l'endroit où elles auraient dû l'être. Je ne supporte pas cette appropriation du domaine public par n'importe qui: les affiches, les panneaux publicitaires, les terrasses de cafés ou de restaurants, sans compter les voitures. C'est moche, ça dégrade et ça pue le fric facilement récupéré par la mairie (au moins pour les publicités et les terrasses). En plus c'est dangereux pour les vieux ou les handicapés. Mais ça, tout le monde s'en contrefout.
Ce qui m'a gêné chez ce monsieur ce matin, c'est qu'il soit si tôt "en guerre", et surtout que cette guerre ressemble plutôt à une croisade, car l'homme semblait physiquement tout droit sorti de l'Inquisition: traits, chevelure, habits, tout ramenait à la "Sainte" institution.
Alors, Monsieur, pour être aussi "propre" à l'extérieur que vous semblez croire l'être à l'intérieur, il faudrait aussi laver vos vêtements: à les voir, j'ai imaginé que l'odeur dans votre véhicule ne devait pas être tout à fait celle du café fraîchement passé!
Pourquoi pas. Il m'est arrivé de déchirer les affiches de candidats aux élections qui ne me plaisaient pas. En général, il s'agissait d'un candidat "extrémiste" et d'affiches collées n'importe où sauf à l'endroit où elles auraient dû l'être. Je ne supporte pas cette appropriation du domaine public par n'importe qui: les affiches, les panneaux publicitaires, les terrasses de cafés ou de restaurants, sans compter les voitures. C'est moche, ça dégrade et ça pue le fric facilement récupéré par la mairie (au moins pour les publicités et les terrasses). En plus c'est dangereux pour les vieux ou les handicapés. Mais ça, tout le monde s'en contrefout.
Ce qui m'a gêné chez ce monsieur ce matin, c'est qu'il soit si tôt "en guerre", et surtout que cette guerre ressemble plutôt à une croisade, car l'homme semblait physiquement tout droit sorti de l'Inquisition: traits, chevelure, habits, tout ramenait à la "Sainte" institution.
Alors, Monsieur, pour être aussi "propre" à l'extérieur que vous semblez croire l'être à l'intérieur, il faudrait aussi laver vos vêtements: à les voir, j'ai imaginé que l'odeur dans votre véhicule ne devait pas être tout à fait celle du café fraîchement passé!
mardi 23 octobre 2007
Abécédaire (P)
Je savais que, lorsque j'arriverais à cette lettre P, un mot s'imposerait immédiatement à moi, avec une nécessité absolue, effaçant tous les autres. Un mot : Papa, et ses variantes : Père, Paternité...
Papa (donc) : je n'ai jamais connu mon père, je parle ici du géniteur, du "vrai". (Il faudra, je crois, que j'écrive un P2 demain pour mon autre père, le vrai aussi, mais pas géniteur).
Il s'appelait Pierre (Que de Pierre(s) dans ma vie!) et est mort alors que j'avais à peine sept mois. De quoi? De maladie mais laquelle : je l'ai demandé cent fois à ma mère, elle me l'a expliqué cent fois, et je n'ai jamais pu le retenir, comme si mon cerveau se déconnectait ou devenait idiot face à cette réalité. Il me semble que c'est d'une maladie du coeur. Il est mort seul, à l'hôpital, apparemment dans son sommeil, quelques instants avant l'arrivée de ma mère, le jour de la fête foraine du village. Il avait 24 ans.
On ne m'a jamais caché cette mort. Quand me l'a-t-on annoncé la première fois? Je n'en sais rien. Je crois l'avoir toujours su. Je n'avais de lui que quelques photos en noir et blanc, dans les formats de l'époque, le montrant sérieux et un peu sévère dans son costume, ne souriant jamais (c'est à l'instant, en écrivant ces mots, que je me rends compte que je n'ai aucune photo avec son sourire: je ne connais pas le sourire de mon père.), le visage allongé , les sillons marqués sur les joues, le regard lointain, les cheveux crantés à la mode alors. J'en avais un peu peur, et il m'a fallu des années, jusqu'au moment où j'ai eu moi aussi 24 ans, pour me rendre compte que ce n'étais qu'un gosse.
On m'a toujours dit que je lui ressemblais: avec l'âge il n'y a que peu de doutes maintenant. Mais comment savoir avec certitude : je suis plus de deux fois plus vieux que mon père.
Ma mère a dû connaître trois ans difficiles avant d'épouser en secondes noces le frère de son défunt mari (P2, donc). Pendant ces années où elle s'échinait à nous faire vivre, j'ai apparemment été un peu(!) ballotté dans la famille, confié aux uns, aux autres, principalement à une tante et à ma grand-mère maternelle, une vieille dame née en 1885 (date de la mort de Victor Hugo: ça crée des liens!) qui m'a élevé jusqu'à mes huit ans environ.
A la mort de cette grand-mère, j'ai regagné le giron familial, découvrant (ou presque) un petit frère, une petite sœur et le ventre gonflé de ma mère, porteur du dernier bébé. Il a fallu que j'apprenne à vivre en famille, en groupe, alors qu'auparavant, je menais la vie de fils unique. Je pense qu'un psy pourrait trouver dans ma personnalité de nombreuses traces de ce ballottement et de cette enfance solitaire.
Il a fallu que je vive avec P2, et là aussi, ça n'a pas toujours été facile. Je me suis souvent comporté en petit con avec lui. Mais j'en parlerai demain.
Aujourd'hui, c'est P1. Ces photos donc, que je n'ai cessé d'observer pendant longtemps pour tenter d'en retirer un indice, une lumière sur ce que j'étais, moi. Il y avait aussi les histoires familiales éternellement rabâchées, celle de ma mère me le présentant comme quelqu'un de très fier et droit, mais souvent très jaloux et glacial (pas le type à qui on aurait volontiers tapé sur l'épaule et qui aurait aimé ça: j'en connais un autre!), celle de ma grand-mère, sa mère, qui l'idéalisait puisqu'il était mort, les deux femmes se rejoignant pour m'inciter à suivre ce modèle absent et donc beaucoup trop inaccessible pour moi. Lorsque l'on voit vivre son père au quotidien, on perçoit ses qualités, on l'admire, mais on voit aussi ses défauts, on supporte ses colères, ses impatiences, on sourit de ses erreurs, et alors on fait beaucoup plus que l'admirer : on l'aime. Comment pouvais-je aimer une photo en noir et blanc?.
P2, lui, ne m'en a pratiquement jamais parlé directement : il attendait sans doute, par pudeur, que je lui pose la question, ce que, par pudeur, je n'ai jamais fait.
J'ai passé une enfance très heureuse, je n'ai jamais manqué de rien, j'ai été aimé par mes parents au même titre que mes frères et soeurs ( j'ai même souvent eu un petit "supplément" de beaucoup parce que j'étais le fils de Pierre mort) et pourtant je me suis toujours senti bancal.
Une réalité m'a très tôt obsédé et m'occupe encore souvent l'esprit : je ne verrais jamais mon père.
J'ai refusé d'assister à sa "réduction" au cimetière quand le caveau familial a manqué de place pour enterrer ma grand-mère: je ne voulais pas conserver comme unique vision tangible les quelques gros os de son squelette que l'on a retrouvés ce jour-là. Ce père s'inscrirait toujours en creux dans ma vie. Je pense que seuls ceux qui vivent le même vide peuvent réellement comprendre ce que je dis. L'absence du père crée une sorte de "gémellité", de lien indicible mais très puissant. Je ne peux regarder ou lire sans pleurer tout ce qui touche à ce sujet, et je ne peux m'empêcher de le rechercher dans mes lectures. J'ai cinquante cinq ans et je me sens un gosse face à ça. Ce n'est pas douloureux, juste un petit caillou dans la chaussure, mais qui, peut-être, manquerait s'il venait à disparaître.
Je viens de relire ce que j'ai écrit. Je ne suis pas sûr d'être parvenu à dire ce que je voulais dire.
Papa (donc) : je n'ai jamais connu mon père, je parle ici du géniteur, du "vrai". (Il faudra, je crois, que j'écrive un P2 demain pour mon autre père, le vrai aussi, mais pas géniteur).
Il s'appelait Pierre (Que de Pierre(s) dans ma vie!) et est mort alors que j'avais à peine sept mois. De quoi? De maladie mais laquelle : je l'ai demandé cent fois à ma mère, elle me l'a expliqué cent fois, et je n'ai jamais pu le retenir, comme si mon cerveau se déconnectait ou devenait idiot face à cette réalité. Il me semble que c'est d'une maladie du coeur. Il est mort seul, à l'hôpital, apparemment dans son sommeil, quelques instants avant l'arrivée de ma mère, le jour de la fête foraine du village. Il avait 24 ans.
On ne m'a jamais caché cette mort. Quand me l'a-t-on annoncé la première fois? Je n'en sais rien. Je crois l'avoir toujours su. Je n'avais de lui que quelques photos en noir et blanc, dans les formats de l'époque, le montrant sérieux et un peu sévère dans son costume, ne souriant jamais (c'est à l'instant, en écrivant ces mots, que je me rends compte que je n'ai aucune photo avec son sourire: je ne connais pas le sourire de mon père.), le visage allongé , les sillons marqués sur les joues, le regard lointain, les cheveux crantés à la mode alors. J'en avais un peu peur, et il m'a fallu des années, jusqu'au moment où j'ai eu moi aussi 24 ans, pour me rendre compte que ce n'étais qu'un gosse.
On m'a toujours dit que je lui ressemblais: avec l'âge il n'y a que peu de doutes maintenant. Mais comment savoir avec certitude : je suis plus de deux fois plus vieux que mon père.
Ma mère a dû connaître trois ans difficiles avant d'épouser en secondes noces le frère de son défunt mari (P2, donc). Pendant ces années où elle s'échinait à nous faire vivre, j'ai apparemment été un peu(!) ballotté dans la famille, confié aux uns, aux autres, principalement à une tante et à ma grand-mère maternelle, une vieille dame née en 1885 (date de la mort de Victor Hugo: ça crée des liens!) qui m'a élevé jusqu'à mes huit ans environ.
A la mort de cette grand-mère, j'ai regagné le giron familial, découvrant (ou presque) un petit frère, une petite sœur et le ventre gonflé de ma mère, porteur du dernier bébé. Il a fallu que j'apprenne à vivre en famille, en groupe, alors qu'auparavant, je menais la vie de fils unique. Je pense qu'un psy pourrait trouver dans ma personnalité de nombreuses traces de ce ballottement et de cette enfance solitaire.
Il a fallu que je vive avec P2, et là aussi, ça n'a pas toujours été facile. Je me suis souvent comporté en petit con avec lui. Mais j'en parlerai demain.
Aujourd'hui, c'est P1. Ces photos donc, que je n'ai cessé d'observer pendant longtemps pour tenter d'en retirer un indice, une lumière sur ce que j'étais, moi. Il y avait aussi les histoires familiales éternellement rabâchées, celle de ma mère me le présentant comme quelqu'un de très fier et droit, mais souvent très jaloux et glacial (pas le type à qui on aurait volontiers tapé sur l'épaule et qui aurait aimé ça: j'en connais un autre!), celle de ma grand-mère, sa mère, qui l'idéalisait puisqu'il était mort, les deux femmes se rejoignant pour m'inciter à suivre ce modèle absent et donc beaucoup trop inaccessible pour moi. Lorsque l'on voit vivre son père au quotidien, on perçoit ses qualités, on l'admire, mais on voit aussi ses défauts, on supporte ses colères, ses impatiences, on sourit de ses erreurs, et alors on fait beaucoup plus que l'admirer : on l'aime. Comment pouvais-je aimer une photo en noir et blanc?.
P2, lui, ne m'en a pratiquement jamais parlé directement : il attendait sans doute, par pudeur, que je lui pose la question, ce que, par pudeur, je n'ai jamais fait.
J'ai passé une enfance très heureuse, je n'ai jamais manqué de rien, j'ai été aimé par mes parents au même titre que mes frères et soeurs ( j'ai même souvent eu un petit "supplément" de beaucoup parce que j'étais le fils de Pierre mort) et pourtant je me suis toujours senti bancal.
Une réalité m'a très tôt obsédé et m'occupe encore souvent l'esprit : je ne verrais jamais mon père.
J'ai refusé d'assister à sa "réduction" au cimetière quand le caveau familial a manqué de place pour enterrer ma grand-mère: je ne voulais pas conserver comme unique vision tangible les quelques gros os de son squelette que l'on a retrouvés ce jour-là. Ce père s'inscrirait toujours en creux dans ma vie. Je pense que seuls ceux qui vivent le même vide peuvent réellement comprendre ce que je dis. L'absence du père crée une sorte de "gémellité", de lien indicible mais très puissant. Je ne peux regarder ou lire sans pleurer tout ce qui touche à ce sujet, et je ne peux m'empêcher de le rechercher dans mes lectures. J'ai cinquante cinq ans et je me sens un gosse face à ça. Ce n'est pas douloureux, juste un petit caillou dans la chaussure, mais qui, peut-être, manquerait s'il venait à disparaître.
Je viens de relire ce que j'ai écrit. Je ne suis pas sûr d'être parvenu à dire ce que je voulais dire.
Riens (16)
J'avais l'intention de réagir à la sommation présidentielle de lire dans les établissements scolaires la lettre que Guy Moquet, jeune résistant de 17 ans, a envoyée à sa famille avant d'être fusillé par les allemands en représailles à un attentat contre l'un des leurs. J. l'a fait avant moi dans son blog: inutile de répéter, j'adhère en tous points à son propos, je partage sa saine rage.
Ce soir, sur Fr3, interview de Jean-Baptiste Monnier, qui interprête le rôle de Moquet dans le (très) court métrage commandé par l'Etat. Je craignais le pire: comment ce garçon à la parole peu aisée, à la personnalité encore hésitante, que j'ai été amené à côtoyer alors que la gloire lui tombait dessus après le succès du film Les Choristes, comment ce garçon allait-il sortir de son statut de "voix d'ange" et être crédible dans ses réflexions sur la Résistance et ses drames? Eh bien, bravo Jean-Baptiste, tu t'en es parfaitement bien sorti, en désolidarisant pédagogie et sensiblerie (ce que ne semble pas savoir ou vouloir faire notre président), devoir de mémoire et objectifs pédagogiques. Tu as grandi, J-B, en bien. Bonne chance sur ton chemin d'adulte. Et puis, tu as parlé de ton grand-père et face à ça, moi, je ne "résiste" jamais.
Ce soir, sur Fr3, interview de Jean-Baptiste Monnier, qui interprête le rôle de Moquet dans le (très) court métrage commandé par l'Etat. Je craignais le pire: comment ce garçon à la parole peu aisée, à la personnalité encore hésitante, que j'ai été amené à côtoyer alors que la gloire lui tombait dessus après le succès du film Les Choristes, comment ce garçon allait-il sortir de son statut de "voix d'ange" et être crédible dans ses réflexions sur la Résistance et ses drames? Eh bien, bravo Jean-Baptiste, tu t'en es parfaitement bien sorti, en désolidarisant pédagogie et sensiblerie (ce que ne semble pas savoir ou vouloir faire notre président), devoir de mémoire et objectifs pédagogiques. Tu as grandi, J-B, en bien. Bonne chance sur ton chemin d'adulte. Et puis, tu as parlé de ton grand-père et face à ça, moi, je ne "résiste" jamais.
lundi 22 octobre 2007
Abécédaire (O)
Orchestre: le moment que je préfère au concert, lorsque tous les musiciens, dans la fosse, accordent leurs instruments. Ça me donne chaque fois le frisson, comme si j'assistais aux prémices d'une initiation, comme si, pour moi, des portes allaient s'ouvrir sur un mystère sacré. Par ces notes dissonantes, je suis déjà dans le temple.
Odyssée: j'ai longtemps cru que, de l'oeuvre d'Homère, c'était, des deux, la seule partie digne d'être lue.
Faux: L'Iliade est une splendeur et, si l'on vient à bout des listes des armées et de leurs chefs (que l'on peut tout aussi bien ne pas lire), on découvre des merveilles, dont les sublimes adieux d'Hector et d'Andromaque.
Olympie: la beauté du site au printemps (comparable à celui de Delphes en été, pour mon goût). Nous le visitions avec les élèves vers la fin février, début mars.
Partis de France dans le froid et la grisaille, nous trouvions souvent là-bas les premières douceurs du printemps. Et Déméter avait déjà repris son ouvrage. Le site était couvert de fleurs champêtres, des mauves pâles, des jaunes soufrées, des rouges éclatantes, qui envahissaient même les pelouses dominant l'antique stade.
J-M couché à plat ventre dans l'herbe pour photographier une anémone sauvage, alors qu'une leucémie foudroyante allait l'emporter quelques temps plus tard. Les courses organisées sur le stage entre nos grands niais de garçons qui se prenaient déjà pour des champions olympiques. Tous ces voyages organisés avec Ev., un peu comme un papa et une maman emmèneraient leur (très nombreuses) famille à la rencontre de la culture.
Et par dessus tout ça, la voix imperturbable de notre guide, Dora, que nous adorions et qui nous le rendait bien.
Je ne referais pas tout cela, mais comme je suis fier de l'avoir fait.
Orphée: restons en Grèce et dans la musique. Orphée, après la disparition définitive d'Eurydice, fut, selon la légende, déchiqueté par les Bacchantes "furieuses de son amour exclusif"comme dit le Petit Larousse, qui oublie de préciser que cette exclusivité ne concernait que la partie féminine de sa sexualité, l'autre marchait fort bien, je vous remercie. De là à en faire le premier martyre homo, il y a un pas que je ne franchirais pas.
Odyssée: j'ai longtemps cru que, de l'oeuvre d'Homère, c'était, des deux, la seule partie digne d'être lue.
Faux: L'Iliade est une splendeur et, si l'on vient à bout des listes des armées et de leurs chefs (que l'on peut tout aussi bien ne pas lire), on découvre des merveilles, dont les sublimes adieux d'Hector et d'Andromaque.
Olympie: la beauté du site au printemps (comparable à celui de Delphes en été, pour mon goût). Nous le visitions avec les élèves vers la fin février, début mars.
Partis de France dans le froid et la grisaille, nous trouvions souvent là-bas les premières douceurs du printemps. Et Déméter avait déjà repris son ouvrage. Le site était couvert de fleurs champêtres, des mauves pâles, des jaunes soufrées, des rouges éclatantes, qui envahissaient même les pelouses dominant l'antique stade.
J-M couché à plat ventre dans l'herbe pour photographier une anémone sauvage, alors qu'une leucémie foudroyante allait l'emporter quelques temps plus tard. Les courses organisées sur le stage entre nos grands niais de garçons qui se prenaient déjà pour des champions olympiques. Tous ces voyages organisés avec Ev., un peu comme un papa et une maman emmèneraient leur (très nombreuses) famille à la rencontre de la culture.
Et par dessus tout ça, la voix imperturbable de notre guide, Dora, que nous adorions et qui nous le rendait bien.
Je ne referais pas tout cela, mais comme je suis fier de l'avoir fait.
Orphée: restons en Grèce et dans la musique. Orphée, après la disparition définitive d'Eurydice, fut, selon la légende, déchiqueté par les Bacchantes "furieuses de son amour exclusif"comme dit le Petit Larousse, qui oublie de préciser que cette exclusivité ne concernait que la partie féminine de sa sexualité, l'autre marchait fort bien, je vous remercie. De là à en faire le premier martyre homo, il y a un pas que je ne franchirais pas.
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Riens (15)
Rien, précisément aujourd'hui, à part la visite chez le notaire sur laquelle je n'ai pas envie de m'étendre.
Alors, j'ai le temps de me poser la question qui me trotte dans la tête depuis déjà quelque temps: pourquoi est-ce que j'écris ce blog? Pourquoi quasi tous les soirs ce besoin, cette nécessité de me retrouver devant cet écran? Je pourrais, comme avant, m'endormir tranquillement devant un film idiot à la télé, lire, écouter de la musique, les deux à la fois. Je ne le fais pas. Alors pourquoi ce rendez-vous de chaque soir?
Parce que J. a lui aussi un blog et que je veux faire comme lui? Absurde: je n'ai nullement envie de l'imiter et entends bien garder entière ma personnalité. Il serait grotesque de faire autrement. D'ailleurs, nos deux blocs, à de petites exceptions près, sont radicalement différents. J'aime ce que chacun de nous écrit, justement par la différence. Découvrir l'autre, ce n'est pas se regarder soi-même. De même que l'acquisition (bien involontaire) d'un appareil photos numérique n'est en rien un acte de mimétisme: je reviens là à mes anciennes amours pour la photo que j'avais mises en veilleuse lors de la maladie de Pierre, et à cause du coût élevé que ce passe-temps représentait. Je me sens ridicule d'écrire cela mais il fallait que je l'écrive.
Parce que j'ai besoin de cet exutoire, de cette thérapie pour retrouver un équilibre mis à mal ces dernières années? Non plus: tout ce travail de deuil et de reconstruction, je l'ai mené pratiquement seul, par entêtement, par volontarisme, parce que je pensais que Pierre aurait voulu qu'il en soit ainsi, parce que je voulais, moi, qu'il en soit ainsi, que je me relève: La Gloire de Dieu, c'est l'homme vivant. Quelques amis, par leur fidélité, par leur délicatesse, m'ont tout de même beaucoup aidé, en particulier E., A. et K., et puis j'aime la vie, je n'en suis pas encore rassasié. L'équilibre est en bonne voie, j'ai l'impression, et il l'était déjà lorsque j'ai commencé à écrire.
Par ambition littéraire? Pour me prouver que je sais écrire? Non, encore non. Je sais que je sais écrire quand je le veux. Comme à Pierre à qui l'on demandait de jouer de l'orgue, à moi on me demande de tourner une lettre, une circulaire, une requête. On me donne parfois à lire des écrits personnels pour que je donne mon avis "en toute objectivité" (comme si c'était possible avec des amis!) . J'ai moi-même beaucoup écrit il y a des années. Mais je ne veux pas de cette écriture-là, je l'ai déjà dit. Elle vient tout droit de ma formation littéraire, ce n'est pas moi, elle ment. Alors qu'ici, dans ce blog, j'y suis, et de plus en plus, je crois.
Par exhibitionnisme? A tout prendre, je préfère celui du corps, quand il attire à sa chaleur la chaleur d'un autre corps. Je n'ai pas encore assez de vécu sur internet pour penser que d'autres viennent lire ce que j'écris. D'ailleurs, à voir le nombre de commentaires, je ne dois pas être loin de la vérité.
Alors quoi? Je n'en sais rien. Je sais seulement que mon plaisir est grand à le faire. J'aimerais juste savoir parfois si l'agape est partagée ou si le repas est lourd ou insipide.
Alors, j'ai le temps de me poser la question qui me trotte dans la tête depuis déjà quelque temps: pourquoi est-ce que j'écris ce blog? Pourquoi quasi tous les soirs ce besoin, cette nécessité de me retrouver devant cet écran? Je pourrais, comme avant, m'endormir tranquillement devant un film idiot à la télé, lire, écouter de la musique, les deux à la fois. Je ne le fais pas. Alors pourquoi ce rendez-vous de chaque soir?
Parce que J. a lui aussi un blog et que je veux faire comme lui? Absurde: je n'ai nullement envie de l'imiter et entends bien garder entière ma personnalité. Il serait grotesque de faire autrement. D'ailleurs, nos deux blocs, à de petites exceptions près, sont radicalement différents. J'aime ce que chacun de nous écrit, justement par la différence. Découvrir l'autre, ce n'est pas se regarder soi-même. De même que l'acquisition (bien involontaire) d'un appareil photos numérique n'est en rien un acte de mimétisme: je reviens là à mes anciennes amours pour la photo que j'avais mises en veilleuse lors de la maladie de Pierre, et à cause du coût élevé que ce passe-temps représentait. Je me sens ridicule d'écrire cela mais il fallait que je l'écrive.
Parce que j'ai besoin de cet exutoire, de cette thérapie pour retrouver un équilibre mis à mal ces dernières années? Non plus: tout ce travail de deuil et de reconstruction, je l'ai mené pratiquement seul, par entêtement, par volontarisme, parce que je pensais que Pierre aurait voulu qu'il en soit ainsi, parce que je voulais, moi, qu'il en soit ainsi, que je me relève: La Gloire de Dieu, c'est l'homme vivant. Quelques amis, par leur fidélité, par leur délicatesse, m'ont tout de même beaucoup aidé, en particulier E., A. et K., et puis j'aime la vie, je n'en suis pas encore rassasié. L'équilibre est en bonne voie, j'ai l'impression, et il l'était déjà lorsque j'ai commencé à écrire.
Par ambition littéraire? Pour me prouver que je sais écrire? Non, encore non. Je sais que je sais écrire quand je le veux. Comme à Pierre à qui l'on demandait de jouer de l'orgue, à moi on me demande de tourner une lettre, une circulaire, une requête. On me donne parfois à lire des écrits personnels pour que je donne mon avis "en toute objectivité" (comme si c'était possible avec des amis!) . J'ai moi-même beaucoup écrit il y a des années. Mais je ne veux pas de cette écriture-là, je l'ai déjà dit. Elle vient tout droit de ma formation littéraire, ce n'est pas moi, elle ment. Alors qu'ici, dans ce blog, j'y suis, et de plus en plus, je crois.
Par exhibitionnisme? A tout prendre, je préfère celui du corps, quand il attire à sa chaleur la chaleur d'un autre corps. Je n'ai pas encore assez de vécu sur internet pour penser que d'autres viennent lire ce que j'écris. D'ailleurs, à voir le nombre de commentaires, je ne dois pas être loin de la vérité.
Alors quoi? Je n'en sais rien. Je sais seulement que mon plaisir est grand à le faire. J'aimerais juste savoir parfois si l'agape est partagée ou si le repas est lourd ou insipide.
dimanche 21 octobre 2007
Abécédaire (N)
Népenthès: merci, J. C'est grâce à toi, et à notre promenade dans les serres du Parc de la Tête d'Or (1er ou 2eme jour?), que je connais cette plante carnivore et que je peux lui donner un nom (comme à la drosera!).
Nihil obstat: ça n'est pas dans le dictionnaire! Mais, à côté de "nihilisme", on peut, bien sûr, trouver "night-club". De quoi remettre de l'ordre dans la priorité des valeurs!
(Recherches faites, on trouve "Nihil Obstat" dans les pages roses, juste après une expression de bien meilleure compagnie que la boîte de nuit: le "Ne sutor ultra crepidam".
C'est ce qu'aurait répondu un peintre antique à un cordonnier qui, non content de critiquer la représentation d'une sandale dans un des tableaux de ce peintre, s'était mis à vouloir juger du reste de l'oeuvre. A celui qui voulait parler en connaisseur de choses largement au-dessus de ses compétences, l'artiste avait dit: "Cordonnier, pas plus haut que la chaussure."C'est beau, non?
Naples: parmi les nombreux souvenirs dans cette région de Campanie, un seul aujourd'hui: celui d'un marchand de souvenirs d'une soixantaine d'années, un peu isolé devant la villa des Mystères.
Je dis "isolé" car, à l'époque ( chaque fois que j'emploie ce mot, j'ai l'impression de dater de l'éruption!), il fallait ressortir du site de Pompéi pour accéder à cette villa pourtant si intéressante. Donc moins de visites et moins de ventes: les braves touristes préféraient regagner leurs autobus, ayant vu suffisamment de vieilles pierres comme ça, plutôt que de faire encore un kilomètre (en pente!) à pied pour se retrouver devant une des merveilles de l'antiquité.
Moi, je n'avais pas demandé l'avis de mes élèves: quand on voyage, on voyage! Il y avait bien eu quelques grognements, des tentatives, vite réprimées, pour s'arrêter devant des marchands de glaces, des "Quand est-ce qu'on s'arrête aux toilettes? Je ne peux plus tenir!"(discours plutôt féminin), mais j'avais filé au pas militaire: qui m'aime me suive, et les autres avec!
Joie du napolitain, voyant arriver une soixantaine d'acheteurs potentiels, tous plus naïfs les uns que les autres. Je leur avais bien fait la leçon, mais bon... Ça allait être la grande arnaque! Eh bien non, pas du tout.
Ce monsieur, ayant appris que nous venions de Lyon, me dit connaître et aimer la France: il y aurait donc des prix spéciaux pour nous, prix beaucoup plus intéressants que ceux pratiqués pour les anglais ou les allemands! Je l'écoutais parler, décidé à laisser faire, mais ne croyant pas un mot de ce qu'il disait. J'avais tort. Non seulement les prix étaient tout à fait corrects, mais il me fit apporter un jus d'orange glacé, gratuitement, et m'offrit deux magnifiques posters d'art pour décorer la classe.
Deux ans plus tard (nous alternions Italie et Grèce), il me reconnut ( je croyais qu'il faisait semblant, mais non: c'est lui qui, le premier, me parla de Lyon). Il avait construit un bar-restaurant qu'il me fit admirer et visiter, tout fier, dont il ouvrit les toilettes aux enfants pendant qu'il régalait les professeurs d'une bonne bière bien fraîche. Il m'offrit encore deux posters et me donna rendez-vous pour les années suivantes.
Mais au dernier voyage, il n'était pas là. Inquiet, j'en demandai des nouvelles au nouveau vendeur, plus jeune celui-là: il me dit qu'il était son fils, et que son père prenait un peu de repos et était allé pêcher dans la baie. Je le priai, avant de partir, de bien vouloir le saluer de ma part. Je reviendrais bientôt.
Mais depuis, moi aussi j'ai pris un peu de repos et je n'ai jamais réentrepris le voyage à Naples. Je voulais pourtant rendre un hommage à ce marchand honnête et fidèle en ce qui peut bien s'appeler une amitié biennale.
Novgorod: voir Potomac et Abyssinie, avec les coupoles en plus.
Nihil obstat: ça n'est pas dans le dictionnaire! Mais, à côté de "nihilisme", on peut, bien sûr, trouver "night-club". De quoi remettre de l'ordre dans la priorité des valeurs!
(Recherches faites, on trouve "Nihil Obstat" dans les pages roses, juste après une expression de bien meilleure compagnie que la boîte de nuit: le "Ne sutor ultra crepidam".
C'est ce qu'aurait répondu un peintre antique à un cordonnier qui, non content de critiquer la représentation d'une sandale dans un des tableaux de ce peintre, s'était mis à vouloir juger du reste de l'oeuvre. A celui qui voulait parler en connaisseur de choses largement au-dessus de ses compétences, l'artiste avait dit: "Cordonnier, pas plus haut que la chaussure."C'est beau, non?
Naples: parmi les nombreux souvenirs dans cette région de Campanie, un seul aujourd'hui: celui d'un marchand de souvenirs d'une soixantaine d'années, un peu isolé devant la villa des Mystères.
Je dis "isolé" car, à l'époque ( chaque fois que j'emploie ce mot, j'ai l'impression de dater de l'éruption!), il fallait ressortir du site de Pompéi pour accéder à cette villa pourtant si intéressante. Donc moins de visites et moins de ventes: les braves touristes préféraient regagner leurs autobus, ayant vu suffisamment de vieilles pierres comme ça, plutôt que de faire encore un kilomètre (en pente!) à pied pour se retrouver devant une des merveilles de l'antiquité.
Moi, je n'avais pas demandé l'avis de mes élèves: quand on voyage, on voyage! Il y avait bien eu quelques grognements, des tentatives, vite réprimées, pour s'arrêter devant des marchands de glaces, des "Quand est-ce qu'on s'arrête aux toilettes? Je ne peux plus tenir!"(discours plutôt féminin), mais j'avais filé au pas militaire: qui m'aime me suive, et les autres avec!
Joie du napolitain, voyant arriver une soixantaine d'acheteurs potentiels, tous plus naïfs les uns que les autres. Je leur avais bien fait la leçon, mais bon... Ça allait être la grande arnaque! Eh bien non, pas du tout.
Ce monsieur, ayant appris que nous venions de Lyon, me dit connaître et aimer la France: il y aurait donc des prix spéciaux pour nous, prix beaucoup plus intéressants que ceux pratiqués pour les anglais ou les allemands! Je l'écoutais parler, décidé à laisser faire, mais ne croyant pas un mot de ce qu'il disait. J'avais tort. Non seulement les prix étaient tout à fait corrects, mais il me fit apporter un jus d'orange glacé, gratuitement, et m'offrit deux magnifiques posters d'art pour décorer la classe.
Deux ans plus tard (nous alternions Italie et Grèce), il me reconnut ( je croyais qu'il faisait semblant, mais non: c'est lui qui, le premier, me parla de Lyon). Il avait construit un bar-restaurant qu'il me fit admirer et visiter, tout fier, dont il ouvrit les toilettes aux enfants pendant qu'il régalait les professeurs d'une bonne bière bien fraîche. Il m'offrit encore deux posters et me donna rendez-vous pour les années suivantes.
Mais au dernier voyage, il n'était pas là. Inquiet, j'en demandai des nouvelles au nouveau vendeur, plus jeune celui-là: il me dit qu'il était son fils, et que son père prenait un peu de repos et était allé pêcher dans la baie. Je le priai, avant de partir, de bien vouloir le saluer de ma part. Je reviendrais bientôt.
Mais depuis, moi aussi j'ai pris un peu de repos et je n'ai jamais réentrepris le voyage à Naples. Je voulais pourtant rendre un hommage à ce marchand honnête et fidèle en ce qui peut bien s'appeler une amitié biennale.
Novgorod: voir Potomac et Abyssinie, avec les coupoles en plus.
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Riens (14)
Un samanche tranquille:
Samedi, course à pieds: grand soleil mais grand vent froid. L'après-midi, je vais essayer mon nouvel appareil photos numérique (c'était celui de mon père) à la Feyssine.
Là aussi bise revigorante. Personne d'autres que quelques cyclistes essayant de tenir face aux rafales de vent, deux ou trois couples promeneurs de chiens et moi. Ça m'arrangeait: je n'avais pas envie de tomber sur les dragueurs habituels et de finir dans un fourré avec une main glacée fouillant mon entrejambe.
L'appareil, au bout de trois photos, refusa d'aller plus loin: batterie trop faible. Alors j'entrepris une promenade au bord du Rhône, le regard d'un côté sur les rapides du fleuve, le pont de l'autoroute et la cité de Caluire, béton blanc en plein soleil, de l'autre sur les quais de Saint-Clair et les premières pentes de la Croix-Rousse, ocre déjà dans l'ombre, me disant que, décidément Lyon est une ville que j'aime.
A cinq minutes du centre, je marche sur un chemin caillouteux, ombragé de platanes mordorés, avec le soleil d'automne qui joue sur l'eau croupissante d'une mare (le "diapason") et le grand vent qui fait plier les joncs des rives et couche les graminées de la prairie. Et tout ça pour moi (presque) tout seul.
Tout seul, je l'étais, il y a deux ans, à ce même endroit, l'automne suivant la mort de Pierre. Je m'étais assis un soir sur la berge, les pieds au bord de l'eau, contemplant déjà ce paysage de fin d'après-midi, partagé entre une prière de reconnaissance devant la beauté du monde et l'abandon à la douleur qui habitait tous mes instants.
Au premier plan, l'eau du Rhône était comme aujourd'hui agitée de fines vaguelettes par la brise, un îlot apparaissait encore, voué à l'inondation si l'on ouvrait les vannes, et au fond la Zup de Caluire resplendissait du même embrasement du soir. J'étais bien, dans ma douleur-bonheur, dans mon bonheur-douleur, bercé par le bruit lointain de la ville et le léger clapotis des eaux sur la berge. Je me souviens d'avoir contemplé longuement, juste à mes pieds, une touffe de joncs caressée par les derniers rayons du soleil et de les avoir aimées, ces herbes qui, comme moi, souffraient sous les assauts du vent et pourtant ne se brisaient pas.
Alors, hier, je suis retourné au même endroit: une crue (quand?) avait fortement raviné les bords du fleuve,couverts de boue, la touffe de joncs était encore là mais sans grâce aucune: une autre touffe, d'autres joncs?
Ou alors c'est moi qui ai changé: il y a deux ans, après ma longue rêverie, j'avais brusquement sursauté (sans doute la fraîcheur qui s'installait), me rendant compte qu'il était tard: il me fallait rentrer, sinon Pierre allait m'attendre pour dîner et s'inquiéter. Et puis, la réalité m'avait sauté à la figure: jamais plus Pierre ne m'attendrait. J'étais libre de mon temps, je pouvais rester aussi longtemps que je le voulais, passer la nuit dehors si je le voulais. Je n'avais de comptes à rendre à personne. Et cette liberté m'avait épouvanté, je n'en voulais pas, pas à ce prix.
Hier, j'ai repris ma promenade et suis rentré pour écrire. Les choses, peu à peu, trouvent leur place.
Dimanche (aujourd'hui), repas avec ma mère et ma soeur, comme presque tous les dimanches. Mais nous ne sommes pas sortis pour la traditionnelle promenade digestive. Il fallait faire disparaître les derniers cartons du déménagement, les derniers liens qui nous reliaient encore concrètement avec l'autre vie, celle d'avant, où mon père existait encore.
Ma mère a accusé le coup, et s'est enfoncée dans le silence, pelotonnée dans un fauteuil. Ma soeur, comme d'habitude, admirable: je souffre mais j'avance.
Moi? A la fois attentif et ailleurs, dans la réalité et dans le passé, n'hésitant pas à jeter à la poubelle des objets mais les inscrivant dans ma tête au rayon souvenirs de famille. De l'extérieur, je fais les choses simplement, sans apparence de sentiment, à l'intérieur, c'est une autre histoire.
Demain, dernier acte: la visite chez le notaire, pour clore la succession. Bien que non concerné ( celui que j'appelle ici mon père étant mon beau-père, le frère de mon père - pour ceux qui ne comprennent rien, rendez-vous une autre fois-, le père de mon (demi) frère et de ma (demie) soeur), mon frère et ma soeur (oui, d'accord, les demis) m'ont demandé d'être présent, car, comme moi, ils n'ont jamais vécu notre fraternité à "demi". J'en ai été touché.
Samedi, course à pieds: grand soleil mais grand vent froid. L'après-midi, je vais essayer mon nouvel appareil photos numérique (c'était celui de mon père) à la Feyssine.
Là aussi bise revigorante. Personne d'autres que quelques cyclistes essayant de tenir face aux rafales de vent, deux ou trois couples promeneurs de chiens et moi. Ça m'arrangeait: je n'avais pas envie de tomber sur les dragueurs habituels et de finir dans un fourré avec une main glacée fouillant mon entrejambe.
L'appareil, au bout de trois photos, refusa d'aller plus loin: batterie trop faible. Alors j'entrepris une promenade au bord du Rhône, le regard d'un côté sur les rapides du fleuve, le pont de l'autoroute et la cité de Caluire, béton blanc en plein soleil, de l'autre sur les quais de Saint-Clair et les premières pentes de la Croix-Rousse, ocre déjà dans l'ombre, me disant que, décidément Lyon est une ville que j'aime.
A cinq minutes du centre, je marche sur un chemin caillouteux, ombragé de platanes mordorés, avec le soleil d'automne qui joue sur l'eau croupissante d'une mare (le "diapason") et le grand vent qui fait plier les joncs des rives et couche les graminées de la prairie. Et tout ça pour moi (presque) tout seul.
Tout seul, je l'étais, il y a deux ans, à ce même endroit, l'automne suivant la mort de Pierre. Je m'étais assis un soir sur la berge, les pieds au bord de l'eau, contemplant déjà ce paysage de fin d'après-midi, partagé entre une prière de reconnaissance devant la beauté du monde et l'abandon à la douleur qui habitait tous mes instants.
Au premier plan, l'eau du Rhône était comme aujourd'hui agitée de fines vaguelettes par la brise, un îlot apparaissait encore, voué à l'inondation si l'on ouvrait les vannes, et au fond la Zup de Caluire resplendissait du même embrasement du soir. J'étais bien, dans ma douleur-bonheur, dans mon bonheur-douleur, bercé par le bruit lointain de la ville et le léger clapotis des eaux sur la berge. Je me souviens d'avoir contemplé longuement, juste à mes pieds, une touffe de joncs caressée par les derniers rayons du soleil et de les avoir aimées, ces herbes qui, comme moi, souffraient sous les assauts du vent et pourtant ne se brisaient pas.
Alors, hier, je suis retourné au même endroit: une crue (quand?) avait fortement raviné les bords du fleuve,couverts de boue, la touffe de joncs était encore là mais sans grâce aucune: une autre touffe, d'autres joncs?
Ou alors c'est moi qui ai changé: il y a deux ans, après ma longue rêverie, j'avais brusquement sursauté (sans doute la fraîcheur qui s'installait), me rendant compte qu'il était tard: il me fallait rentrer, sinon Pierre allait m'attendre pour dîner et s'inquiéter. Et puis, la réalité m'avait sauté à la figure: jamais plus Pierre ne m'attendrait. J'étais libre de mon temps, je pouvais rester aussi longtemps que je le voulais, passer la nuit dehors si je le voulais. Je n'avais de comptes à rendre à personne. Et cette liberté m'avait épouvanté, je n'en voulais pas, pas à ce prix.
Hier, j'ai repris ma promenade et suis rentré pour écrire. Les choses, peu à peu, trouvent leur place.
Dimanche (aujourd'hui), repas avec ma mère et ma soeur, comme presque tous les dimanches. Mais nous ne sommes pas sortis pour la traditionnelle promenade digestive. Il fallait faire disparaître les derniers cartons du déménagement, les derniers liens qui nous reliaient encore concrètement avec l'autre vie, celle d'avant, où mon père existait encore.
Ma mère a accusé le coup, et s'est enfoncée dans le silence, pelotonnée dans un fauteuil. Ma soeur, comme d'habitude, admirable: je souffre mais j'avance.
Moi? A la fois attentif et ailleurs, dans la réalité et dans le passé, n'hésitant pas à jeter à la poubelle des objets mais les inscrivant dans ma tête au rayon souvenirs de famille. De l'extérieur, je fais les choses simplement, sans apparence de sentiment, à l'intérieur, c'est une autre histoire.
Demain, dernier acte: la visite chez le notaire, pour clore la succession. Bien que non concerné ( celui que j'appelle ici mon père étant mon beau-père, le frère de mon père - pour ceux qui ne comprennent rien, rendez-vous une autre fois-, le père de mon (demi) frère et de ma (demie) soeur), mon frère et ma soeur (oui, d'accord, les demis) m'ont demandé d'être présent, car, comme moi, ils n'ont jamais vécu notre fraternité à "demi". J'en ai été touché.
samedi 20 octobre 2007
Abécédaire (M)
Micocoulier: indissolublement lié pour moi au nom de Daudet.
Mineur: mon père l'a été de nombreuses années. Évoquer ce monde, cet univers à part, avec ses règles et ses coutumes, sa solidarité et ses souffrances, m'obligerait à raconter longuement ma vie et celle de ma famille. Peut-être le ferai-je un jour, mais ailleurs, et en prenant tout mon temps. Ça me tient trop à coeur, ou plutôt j'ai trop de respect pour ce peuple-là.
Miséricorde: admirable sentiment
Et admirable invention également: ce petit rebord placé sous les sièges des stalles d'église, qui n'apparaît pas en position normale, et qui, une fois le siège relevé, permet au pauvre chanoine ou enfant de choeur d'y appuyer son plus ou moins volumineux postérieur tout en donnant l'impression d'être debout! Un peu hypocrite, mais tellement confortable (au moins pour quelques minutes.)!
Moustique: je te hais.
Madagascar: le dernier voyage de Pierre. Nous ne l'avons pas fait ensemble.
Méli-mélo: en grec, "miel-pomme". En français, ce que sera cette page aujourd'hui, je le crains.
Malawi: je ne connais rien sur ce pays si ce n'est qu'il se trouve en Afrique. Juste une petite histoire: deux amis, Joseph et Evelyne, font partie d'une troupe de danses folkloriques. Un jour, lors d'un spectacle à Villeurbanne, une troupe de ce pays avait été invitée. Quelqu'un monta sur scène pour les présenter. Evelyne, aussi calée que moi en géographie africaine, demande très doucement à Joseph: "C'est où, le Malawi?" Et lui, un peu dur d'oreille et la croyant pressée de se soulager la vessie, lui répond aussi sec: "Au fond du couloir, à gauche." Moi, ça me fait toujours rire.
Mitterrand (François): mon grand homme à moi, et tant pis pour les grincheux, les chichiteux et les oublieux de tous poils.
On ne peut pas oublier, quand on les a vécues, ses différentes campagnes pour accéder à la présidence de la république. En particulier celle de 1974.
C'était la première fois que je votais, je venais d'avoir 21 ans. Joie immense devant le tribun haranguant les foules au Palais des Sports de Lyon, retour à la maison persuadé de sa victoire: comment un homme de cette éloquence aurait-il pu perdre? Et puis les résultats, le dimanche soir. J'étais, avec Pierre, à Chambéry, chez des gens penchant plutôt à droite. Elu: Valéry Giscard d'Estaing. Quelle claque pour nous, quelle joie pour eux. Impossible de manifester notre déception. Il a fallu attendre d'être dans la voiture, sur le retour à Lyon.
Il a fallu aussi attendre la prochaine élection présidentielle, la bonne, cette fois-ci, celle de 81. Le visage qui, peu à peu apparaît sur l'écran, les coeurs qui cessent de battre, les doigts qui se crispent sur les verres que nous avions déjà sortis, comme pour conjurer le sort.
Élu! Mon pastis a giclé dans le salon, tout le monde s'est embrassé. Enfin!
Ensuite, il y a eu la rue, la fête jusque tard dans la nuit et le lendemain les opinions politiques de chacun de mes collègues que je pouvais lire sur les cernes (ou non) de leurs visages.
Je suis resté fidèle à tout cela. C'est pour ça que, depuis déjà assez longtemps, je ne vote plus socialiste.
Mineur: mon père l'a été de nombreuses années. Évoquer ce monde, cet univers à part, avec ses règles et ses coutumes, sa solidarité et ses souffrances, m'obligerait à raconter longuement ma vie et celle de ma famille. Peut-être le ferai-je un jour, mais ailleurs, et en prenant tout mon temps. Ça me tient trop à coeur, ou plutôt j'ai trop de respect pour ce peuple-là.
Miséricorde: admirable sentiment
Et admirable invention également: ce petit rebord placé sous les sièges des stalles d'église, qui n'apparaît pas en position normale, et qui, une fois le siège relevé, permet au pauvre chanoine ou enfant de choeur d'y appuyer son plus ou moins volumineux postérieur tout en donnant l'impression d'être debout! Un peu hypocrite, mais tellement confortable (au moins pour quelques minutes.)!
Moustique: je te hais.
Madagascar: le dernier voyage de Pierre. Nous ne l'avons pas fait ensemble.
Méli-mélo: en grec, "miel-pomme". En français, ce que sera cette page aujourd'hui, je le crains.
Malawi: je ne connais rien sur ce pays si ce n'est qu'il se trouve en Afrique. Juste une petite histoire: deux amis, Joseph et Evelyne, font partie d'une troupe de danses folkloriques. Un jour, lors d'un spectacle à Villeurbanne, une troupe de ce pays avait été invitée. Quelqu'un monta sur scène pour les présenter. Evelyne, aussi calée que moi en géographie africaine, demande très doucement à Joseph: "C'est où, le Malawi?" Et lui, un peu dur d'oreille et la croyant pressée de se soulager la vessie, lui répond aussi sec: "Au fond du couloir, à gauche." Moi, ça me fait toujours rire.
Mitterrand (François): mon grand homme à moi, et tant pis pour les grincheux, les chichiteux et les oublieux de tous poils.
On ne peut pas oublier, quand on les a vécues, ses différentes campagnes pour accéder à la présidence de la république. En particulier celle de 1974.
C'était la première fois que je votais, je venais d'avoir 21 ans. Joie immense devant le tribun haranguant les foules au Palais des Sports de Lyon, retour à la maison persuadé de sa victoire: comment un homme de cette éloquence aurait-il pu perdre? Et puis les résultats, le dimanche soir. J'étais, avec Pierre, à Chambéry, chez des gens penchant plutôt à droite. Elu: Valéry Giscard d'Estaing. Quelle claque pour nous, quelle joie pour eux. Impossible de manifester notre déception. Il a fallu attendre d'être dans la voiture, sur le retour à Lyon.
Il a fallu aussi attendre la prochaine élection présidentielle, la bonne, cette fois-ci, celle de 81. Le visage qui, peu à peu apparaît sur l'écran, les coeurs qui cessent de battre, les doigts qui se crispent sur les verres que nous avions déjà sortis, comme pour conjurer le sort.
Élu! Mon pastis a giclé dans le salon, tout le monde s'est embrassé. Enfin!
Ensuite, il y a eu la rue, la fête jusque tard dans la nuit et le lendemain les opinions politiques de chacun de mes collègues que je pouvais lire sur les cernes (ou non) de leurs visages.
Je suis resté fidèle à tout cela. C'est pour ça que, depuis déjà assez longtemps, je ne vote plus socialiste.
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Riens (13)
Grosse journée de travail hier, suivie d'une soirée chez Isabelle. Même pas le temps de passer chez moi me changer. Juste un petit coucou à J., par portable interposé, entre le dernier cours et le premier conseil de classe.
Le fait de ne pas pouvoir écrire m'a manqué. C'est devenu une habitude de me retrouver ici chaque soir.
Cet écran a changé totalement mon attitude vis-à-vis de l'écriture. Avant, je ne pouvais pas sortir du style prof., de ce qu'on m'avait appris au collège et au lycée. Impression de faire une bonne rédaction, mais rien de personnel, rien de vrai. J'écrivais "à la manière de ..".
Devant l'ordinateur, cela a disparu: les phrases viennent facilement, comme une nécessité. Elles coulent d'elles-mêmes la plupart du temps, sans que j'aie à y modifier autre chose que des fautes de frappe ou quelques répétitions. J'avais besoin de ça, réellement.
Mais le plus étrange, c'est qu'autrefois, j'écrivais quand je n'allais pas très bien dans ma tête, pour évacuer, comme une thérapie. Inutile de dire qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
Chez Isabelle, nous devions être huit. Nous nous sommes finalement retrouvés à cinq: la copine de François, ayant quelques petits soucis avec sa grossesse, a préféré se tenir tranquille.
Quant à Hélène et Christophe, ils traversent actuellement une période très difficile et ont téléphoné à la dernière minute qu'ils ne viendraient pas. Je m'attendais à cela: leur fille aînée souffre depuis déjà quelque temps de crises d'angoisse et d'anorexie. Le fait de la changer d'établissement scolaire n'a résolu le problème que pendant quelques jours. Elle doit être placée la semaine prochaine dans une unité spécialisée pour ados en souffrance.
Hélène devrait se faire suivre par un médecin également: elle est à bout de résistance. Heureusement, elle peut, quand elle le veut, parler avec nous, se laisser aller. Christophe, lui, est totalement muré en lui-même. Plusieurs fois je lui ai tendu la perche, nous sommes très proches affectivement et psychologiquement. Alors pourquoi ne la saisit-il pas? : par sentiment de culpabilité, par peur de m'ennuyer, pour ne pas m'exposer, après la mort de Pierre, à des réalités pénibles de la vie ? Je ne sais pas. Mais il souffre, seul, et je voudrais tellement l'aider.
Je n'ai pas téléphoné aujourd'hui: il faut qu'en famille, ils se préparent à ce départ de lundi et à cette nouvelle donne dans leur foyer. Mais demain, encore une fois, je leur dirai que je suis là et que je les aime.
Isabelle s'est donc retrouvée royale, divine, avec quatre mecs à ses pieds, deux homos et deux hétéros, ce qui n'est pas pour lui déplaire, même si aucun n'a prolongé jusqu'au petit matin avec elle.
Le fait de ne pas pouvoir écrire m'a manqué. C'est devenu une habitude de me retrouver ici chaque soir.
Cet écran a changé totalement mon attitude vis-à-vis de l'écriture. Avant, je ne pouvais pas sortir du style prof., de ce qu'on m'avait appris au collège et au lycée. Impression de faire une bonne rédaction, mais rien de personnel, rien de vrai. J'écrivais "à la manière de ..".
Devant l'ordinateur, cela a disparu: les phrases viennent facilement, comme une nécessité. Elles coulent d'elles-mêmes la plupart du temps, sans que j'aie à y modifier autre chose que des fautes de frappe ou quelques répétitions. J'avais besoin de ça, réellement.
Mais le plus étrange, c'est qu'autrefois, j'écrivais quand je n'allais pas très bien dans ma tête, pour évacuer, comme une thérapie. Inutile de dire qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
Chez Isabelle, nous devions être huit. Nous nous sommes finalement retrouvés à cinq: la copine de François, ayant quelques petits soucis avec sa grossesse, a préféré se tenir tranquille.
Quant à Hélène et Christophe, ils traversent actuellement une période très difficile et ont téléphoné à la dernière minute qu'ils ne viendraient pas. Je m'attendais à cela: leur fille aînée souffre depuis déjà quelque temps de crises d'angoisse et d'anorexie. Le fait de la changer d'établissement scolaire n'a résolu le problème que pendant quelques jours. Elle doit être placée la semaine prochaine dans une unité spécialisée pour ados en souffrance.
Hélène devrait se faire suivre par un médecin également: elle est à bout de résistance. Heureusement, elle peut, quand elle le veut, parler avec nous, se laisser aller. Christophe, lui, est totalement muré en lui-même. Plusieurs fois je lui ai tendu la perche, nous sommes très proches affectivement et psychologiquement. Alors pourquoi ne la saisit-il pas? : par sentiment de culpabilité, par peur de m'ennuyer, pour ne pas m'exposer, après la mort de Pierre, à des réalités pénibles de la vie ? Je ne sais pas. Mais il souffre, seul, et je voudrais tellement l'aider.
Je n'ai pas téléphoné aujourd'hui: il faut qu'en famille, ils se préparent à ce départ de lundi et à cette nouvelle donne dans leur foyer. Mais demain, encore une fois, je leur dirai que je suis là et que je les aime.
Isabelle s'est donc retrouvée royale, divine, avec quatre mecs à ses pieds, deux homos et deux hétéros, ce qui n'est pas pour lui déplaire, même si aucun n'a prolongé jusqu'au petit matin avec elle.
jeudi 18 octobre 2007
Abécédaire (L)
Lavande: j'en avais planté une sur la tombe de Pierre, en pleine terre. J'aime ce côté "jardin" que j'ai donné à l'endroit où il repose. Et ses yeux avaient à peu près cette couleur.
A la fin de l'été, elle était devenue énorme et s'était couverte de fleurs, au point de masquer presque son nom. Je l'ai taillée, puis j'ai oublié les épis dans le coffre de ma voiture.
Depuis, ils y sont encore et, lorsque je suis garé au soleil, ils embaument. Une autre façon de penser à lui.
Locomotive: bien sûr, il y a les Michelines de mon enfance, ces petites voitures jaunes et rouges où l'on avait réservé une place, au fond, pour les vélos.
Celles-là m'ont toujours paru hospitalières , destinées à aider les familles dans leur quête du bonheur dominical, à pêcher au bord de la rivière ou à pique-niquer à l'orée d'un grand bois de sapins.
Mais il y a aussi les autres, les "vraies", les monstrueuses, plus viriles, plus trapues, plus dangereuses, les reines du rail: les locomotives à vapeur.
Disparues aujourd'hui, elles ont alimenté certaines terreurs de mon enfance, quand, chez un grand-oncle, il fallait longer la voie ferrée sur plusieurs centaines de mètres pour accéder, par un raccourci, au jeu de boules où l'attendaient ces compagnons de l'après-midi.
On les entendait arriver de loin et, lorsqu'elles surgissaient, nimbées de leur panache de vapeur, on aurait dit un mufle de taureau furieux, fonçant pour vous étriper, un monstre mythologique, mi animal, mi machine que la raison et la pitié avaient abandonné et qui écrasait tout sur son passage.
Je serrais alors très fort la main de l'oncle et me plaquais le plus possible contre le mur des jardins, à l'opposé de la voie.
J'ai retrouvé cette même sensation de panique devant une force aveugle en lisant La Bête humaine, de Zola.
Loup: quelle beauté! quelle intelligence. Et puis j'aime les exclus.
Latium: la campagne du Latium, avec la douceur de ses lignes de crêtes et la silhouette unique de ses pins parasols, je l'ai vu peinte dans une cuisine, en contours sur les murs blancs, dans un grand appartement bourgeois proche de la basilique Saint-Clément et du Colysée, à Rome. Quelle étrange rencontre que celle que nous fîmes ce jour-là avec Pierre sur le Palatin!
C'était, je crois, la première fois que je venais dans la Ville Eternelle. Je voulais tout voir, tout visiter,tout comprendre. Ne trouvant pas la Maison de Livie, j'avise un drôle de couple de vieillards, non loin de nous, tous deux forts âgés et chenus, mais très dignes dans leur maintien autant que dans leurs manières.
L'homme tient à bout de bras un grand sac où la femme puise à l'aide d'une grande pince en bois (du genre de celles que l'on utilisait autrefois pour la lessive) des morceaux de belle viande qu'elle distribue à tous les chats de la colline, en les appelant tendrement par leurs noms: Titus, César, Popée....
Bien que les prenant pour deux gentils illuminés, je n'hésite pas à les questionner. Ils me donnent le renseignement attendu, mais semblent vouloir pousser un peu plus loin l'entretien. Finalement, ils nous accompagnent. Nous finissons la visite ensemble, avec ces guides pleins de gentillesse et de savoir.
Lui est romain, mais réside le plus souvent aux Etats-Unis, où il est professeur (de physique?) à l'Université de Berkeley. Elle, sa femme, est originaire d'Europe de l'Est , Roumanie ou Hongrie, je ne me souviens pas, et peint pour son plaisir. Comme doux-dingues, on peut faire mieux!
A la sortie du site, ils nous proposent de nous retrouver le soir-même, pour un petit tour à pied dans le périmètre du forum républicain. Nous acceptons volontiers et les raccompagnons en voiture jusqu'à la basilique Saint-Clément, où ils doivent assister à la messe de fin d'après-midi.
Avant de nous séparer, ils nous indiquent leur adresse, où nous nous retrouvons quelques heures plus tard. C'est là que j'ai découvert le magnifique dessin mural que cette femme avait exécuté sur les murs de sa cuisine.
Tout au long du périple qui nous conduisit ensuite au Colysée, à la Maison Dorée, au Forum Républicain (sans compter les Impériaux), au Capitole, à la Roche Tarpeienne, à la prison Mamertime, au Forum Boarium, aux temples dits de Vesta et de la Fortune Virile, à Sainte-Marie-in-Cosmédine, à l'Arc de Janus, tout au long de ces kilomètres à arpenter les rues de Rome, nous n'avons pas cessé de bavarder.
En vieux romains, ils nous ont appris un tas de choses, dont je me suis parfois servi dans mon enseignement, sur l'Antiquité mais aussi sur la Rome contemporaine et sur l'Italie de l'époque (débuts des années 70).
Nous avons découvert qu'ils avaient été les amis du couple Maritain, Jacques et Raïsa, et qu'ils avaient participé, quelques années auparavant, à leur quête spirituelle. Ils nous ont d'ailleurs fait cadeau d'un ouvrage de poèmes dédicacé par leurs soins sur lequel j'aimerais bien un jour remettre la main dans le fouillis des souvenirs qui peuplent mon appartement.
Nous dûmes, hélas, quitter ensuite Rome relativement rapidement, une panne de voiture nous ayant coûté à réparer le reste de nos économies.
A la fin de l'été, elle était devenue énorme et s'était couverte de fleurs, au point de masquer presque son nom. Je l'ai taillée, puis j'ai oublié les épis dans le coffre de ma voiture.
Depuis, ils y sont encore et, lorsque je suis garé au soleil, ils embaument. Une autre façon de penser à lui.
Locomotive: bien sûr, il y a les Michelines de mon enfance, ces petites voitures jaunes et rouges où l'on avait réservé une place, au fond, pour les vélos.
Celles-là m'ont toujours paru hospitalières , destinées à aider les familles dans leur quête du bonheur dominical, à pêcher au bord de la rivière ou à pique-niquer à l'orée d'un grand bois de sapins.
Mais il y a aussi les autres, les "vraies", les monstrueuses, plus viriles, plus trapues, plus dangereuses, les reines du rail: les locomotives à vapeur.
Disparues aujourd'hui, elles ont alimenté certaines terreurs de mon enfance, quand, chez un grand-oncle, il fallait longer la voie ferrée sur plusieurs centaines de mètres pour accéder, par un raccourci, au jeu de boules où l'attendaient ces compagnons de l'après-midi.
On les entendait arriver de loin et, lorsqu'elles surgissaient, nimbées de leur panache de vapeur, on aurait dit un mufle de taureau furieux, fonçant pour vous étriper, un monstre mythologique, mi animal, mi machine que la raison et la pitié avaient abandonné et qui écrasait tout sur son passage.
Je serrais alors très fort la main de l'oncle et me plaquais le plus possible contre le mur des jardins, à l'opposé de la voie.
J'ai retrouvé cette même sensation de panique devant une force aveugle en lisant La Bête humaine, de Zola.
Loup: quelle beauté! quelle intelligence. Et puis j'aime les exclus.
Latium: la campagne du Latium, avec la douceur de ses lignes de crêtes et la silhouette unique de ses pins parasols, je l'ai vu peinte dans une cuisine, en contours sur les murs blancs, dans un grand appartement bourgeois proche de la basilique Saint-Clément et du Colysée, à Rome. Quelle étrange rencontre que celle que nous fîmes ce jour-là avec Pierre sur le Palatin!
C'était, je crois, la première fois que je venais dans la Ville Eternelle. Je voulais tout voir, tout visiter,tout comprendre. Ne trouvant pas la Maison de Livie, j'avise un drôle de couple de vieillards, non loin de nous, tous deux forts âgés et chenus, mais très dignes dans leur maintien autant que dans leurs manières.
L'homme tient à bout de bras un grand sac où la femme puise à l'aide d'une grande pince en bois (du genre de celles que l'on utilisait autrefois pour la lessive) des morceaux de belle viande qu'elle distribue à tous les chats de la colline, en les appelant tendrement par leurs noms: Titus, César, Popée....
Bien que les prenant pour deux gentils illuminés, je n'hésite pas à les questionner. Ils me donnent le renseignement attendu, mais semblent vouloir pousser un peu plus loin l'entretien. Finalement, ils nous accompagnent. Nous finissons la visite ensemble, avec ces guides pleins de gentillesse et de savoir.
Lui est romain, mais réside le plus souvent aux Etats-Unis, où il est professeur (de physique?) à l'Université de Berkeley. Elle, sa femme, est originaire d'Europe de l'Est , Roumanie ou Hongrie, je ne me souviens pas, et peint pour son plaisir. Comme doux-dingues, on peut faire mieux!
A la sortie du site, ils nous proposent de nous retrouver le soir-même, pour un petit tour à pied dans le périmètre du forum républicain. Nous acceptons volontiers et les raccompagnons en voiture jusqu'à la basilique Saint-Clément, où ils doivent assister à la messe de fin d'après-midi.
Avant de nous séparer, ils nous indiquent leur adresse, où nous nous retrouvons quelques heures plus tard. C'est là que j'ai découvert le magnifique dessin mural que cette femme avait exécuté sur les murs de sa cuisine.
Tout au long du périple qui nous conduisit ensuite au Colysée, à la Maison Dorée, au Forum Républicain (sans compter les Impériaux), au Capitole, à la Roche Tarpeienne, à la prison Mamertime, au Forum Boarium, aux temples dits de Vesta et de la Fortune Virile, à Sainte-Marie-in-Cosmédine, à l'Arc de Janus, tout au long de ces kilomètres à arpenter les rues de Rome, nous n'avons pas cessé de bavarder.
En vieux romains, ils nous ont appris un tas de choses, dont je me suis parfois servi dans mon enseignement, sur l'Antiquité mais aussi sur la Rome contemporaine et sur l'Italie de l'époque (débuts des années 70).
Nous avons découvert qu'ils avaient été les amis du couple Maritain, Jacques et Raïsa, et qu'ils avaient participé, quelques années auparavant, à leur quête spirituelle. Ils nous ont d'ailleurs fait cadeau d'un ouvrage de poèmes dédicacé par leurs soins sur lequel j'aimerais bien un jour remettre la main dans le fouillis des souvenirs qui peuplent mon appartement.
Nous dûmes, hélas, quitter ensuite Rome relativement rapidement, une panne de voiture nous ayant coûté à réparer le reste de nos économies.
Riens (12)
Journée de grève aujourd'hui, dans les chemins de fer, mais aussi dans les transports en commun, entre autres. On craignait le pire: il n'est pas arrivé.
Certains commencent-ils à comprendre qu'on ne peut pas indéfiniment bénéficier d'avantages monstrueux pendant que d'autres ont à peine le minimum vital? Mais, pour que ce gouvernement soit crédible, il faudrait aussi qu'il s'attaque aux avantages des militaires et à ceux des anciens députés. Et surtout que l'on cesse d'utiliser les effets d'annonce comme autant de hochets destinés à faire sourire bébé, que l'on cesse de prendre les français pour des débiles mentaux.
Même si débiles mentaux il y a parfois. L'exemple parfait: ce mec en voiture que je préviens longtemps à l'avance que je vais changer de file et venir sur la sienne, devant lui (horreur!), et qui ne veut pas me laisser passer, comme si je commettais là un crime de lèse-majesté, comme si je lui volais quelque chose. Klaxon, appel de phares, rien n'y fais: je passe tout de même. Têtu et peu sensible aux beautés intrinsèques des automobiles. Ces engins-là, c'est fait pour rouler, pour nous transporter d'un point a vers un point b le mieux possible, et la beauté n'a rien à voir avec ça.
Vu l'âge de mon véhicule, l'irascible personnage a fini par céder, furieux. Tout cela s'est terminé par l'échange de mots triés, du style "gros con", "connard", "va te faire foutre", etc., lorsqu'il est parvenu à se glisser, fenêtre ouverte, à côté de moi. En plus, il n'était même pas beau.
En arrivant près de chez moi, coup de chance: je trouve immédiatement une place pour me stationner. Je ferme la vitre et, en me relevant, je vois J., à quelques pas, sur le trottoir. Il était venu me rejoindre à pied, empruntant un itinéraire inhabituel, justement celui que j'ai pris moi aussi pour me garer. Nouvel écho! Tendresse.
Certains commencent-ils à comprendre qu'on ne peut pas indéfiniment bénéficier d'avantages monstrueux pendant que d'autres ont à peine le minimum vital? Mais, pour que ce gouvernement soit crédible, il faudrait aussi qu'il s'attaque aux avantages des militaires et à ceux des anciens députés. Et surtout que l'on cesse d'utiliser les effets d'annonce comme autant de hochets destinés à faire sourire bébé, que l'on cesse de prendre les français pour des débiles mentaux.
Même si débiles mentaux il y a parfois. L'exemple parfait: ce mec en voiture que je préviens longtemps à l'avance que je vais changer de file et venir sur la sienne, devant lui (horreur!), et qui ne veut pas me laisser passer, comme si je commettais là un crime de lèse-majesté, comme si je lui volais quelque chose. Klaxon, appel de phares, rien n'y fais: je passe tout de même. Têtu et peu sensible aux beautés intrinsèques des automobiles. Ces engins-là, c'est fait pour rouler, pour nous transporter d'un point a vers un point b le mieux possible, et la beauté n'a rien à voir avec ça.
Vu l'âge de mon véhicule, l'irascible personnage a fini par céder, furieux. Tout cela s'est terminé par l'échange de mots triés, du style "gros con", "connard", "va te faire foutre", etc., lorsqu'il est parvenu à se glisser, fenêtre ouverte, à côté de moi. En plus, il n'était même pas beau.
En arrivant près de chez moi, coup de chance: je trouve immédiatement une place pour me stationner. Je ferme la vitre et, en me relevant, je vois J., à quelques pas, sur le trottoir. Il était venu me rejoindre à pied, empruntant un itinéraire inhabituel, justement celui que j'ai pris moi aussi pour me garer. Nouvel écho! Tendresse.
mercredi 17 octobre 2007
Abécédaire (K)
Kawabata (Yasunari): je crois que le premier roman de lui que j'ai lu est La Danseuse d'Isu. A moins que ce ne soit Les belles Endormies.
Tout de suite, je suis entré dans son univers. Le déclic s'est produit à la lecture de la description (ou de l'évocation) d'un cerisier en fleurs. Ce cerisier était devant mes yeux, palpable, aussi beau que s'il avait été peint par un impressionniste français.
J'ai dévoré ces autres ouvrages, beaucoup aimé certains (Nuée d'oiseaux blancs, Pays de neige), un peu moins certains autres (Kyoto, Chronique d'Asakusa) mais il m'a fait découvrir le Japon, son Japon. J'ai peu à peu pénétré cette littérature, cette société si différente de la nôtre et lis maintenant régulièrement les écrivains nippons.
Je viens de terminer, de Yoko Ogawa, Le Réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, court récit: une merveille. Mais on est là bien loin du cartésianisme et il faut sans doute aimer l'ellipse.
Karnak: beaucoup connaissent ce site égyptien grandiose.
Moi, je retiens surtout de cette visite le mal de ventre atroce qui me taraudait suite à une diarrhée soignée avec un excès de médicaments bloquants. Résultat: plus de diarrhée, mais des spasmes intestinaux épouvantables. Dans ces cas-là, la beauté, la culture, l'intellect sont bien peu de choses.( Blaise Pascal l'a dit beaucoup mieux que moi, avec une mouche, dans ses Pensées).
Puisque nous sommes dans la scatologie, restons-y encore un peu, en Egypte, toujours, avant l'absorption des médicaments.
Dans le train nous emmenant du Caire à Louxor, pas un train pour touristes, le train de tout le monde, il a bien fallu à un moment se résigner à aller faire un tour aux toilettes. J'emporte avec moi l'un des innombrables rouleaux de papier qu'en voyageurs bien organisés nous avions pensé à glisser dans nos bagages, j'en calfeutre la lunette des toilettes, je soulage mes entrailles (momentanément) et, au moment de nettoyer, je ne trouve pas la chasse.
Ayant été éduqué à être propre et à respecter les autres, je ne pouvais pas laisser les lieux dans cet état. Alors, je cherche et finis par trouver, sous la vasque, un petit robinet, que j'ouvre en me penchant sur les toilettes. Et là, je reçois en pleine figure, le jet d'eau sorti d'un tuyau de cuivre au fond de la cuvette, tuyau grâce auquel les musulmans se nettoient.
J'ai failli rendre par le haut ce qui n'était pas sorti par le bas.
Au demeurant, le reste du voyage fut en tout point passionnant.
Tout de suite, je suis entré dans son univers. Le déclic s'est produit à la lecture de la description (ou de l'évocation) d'un cerisier en fleurs. Ce cerisier était devant mes yeux, palpable, aussi beau que s'il avait été peint par un impressionniste français.
J'ai dévoré ces autres ouvrages, beaucoup aimé certains (Nuée d'oiseaux blancs, Pays de neige), un peu moins certains autres (Kyoto, Chronique d'Asakusa) mais il m'a fait découvrir le Japon, son Japon. J'ai peu à peu pénétré cette littérature, cette société si différente de la nôtre et lis maintenant régulièrement les écrivains nippons.
Je viens de terminer, de Yoko Ogawa, Le Réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, court récit: une merveille. Mais on est là bien loin du cartésianisme et il faut sans doute aimer l'ellipse.
Karnak: beaucoup connaissent ce site égyptien grandiose.
Moi, je retiens surtout de cette visite le mal de ventre atroce qui me taraudait suite à une diarrhée soignée avec un excès de médicaments bloquants. Résultat: plus de diarrhée, mais des spasmes intestinaux épouvantables. Dans ces cas-là, la beauté, la culture, l'intellect sont bien peu de choses.( Blaise Pascal l'a dit beaucoup mieux que moi, avec une mouche, dans ses Pensées).
Puisque nous sommes dans la scatologie, restons-y encore un peu, en Egypte, toujours, avant l'absorption des médicaments.
Dans le train nous emmenant du Caire à Louxor, pas un train pour touristes, le train de tout le monde, il a bien fallu à un moment se résigner à aller faire un tour aux toilettes. J'emporte avec moi l'un des innombrables rouleaux de papier qu'en voyageurs bien organisés nous avions pensé à glisser dans nos bagages, j'en calfeutre la lunette des toilettes, je soulage mes entrailles (momentanément) et, au moment de nettoyer, je ne trouve pas la chasse.
Ayant été éduqué à être propre et à respecter les autres, je ne pouvais pas laisser les lieux dans cet état. Alors, je cherche et finis par trouver, sous la vasque, un petit robinet, que j'ouvre en me penchant sur les toilettes. Et là, je reçois en pleine figure, le jet d'eau sorti d'un tuyau de cuivre au fond de la cuvette, tuyau grâce auquel les musulmans se nettoient.
J'ai failli rendre par le haut ce qui n'était pas sorti par le bas.
Au demeurant, le reste du voyage fut en tout point passionnant.
Riens (11)
Hier, je n'ai rien écrit. La soirée a passé très rapidement en problèmes devant l'écran: impossible de lire mes nouveaux messages. J'ai fini par téléphoner à S. qui m'a rassuré en me disant que sans doute le problème venait de Yahoo. Mais il était trop tard: la technique m'avait pris la tête, je me suis avachi devant la télé sans reprendre ces Riens.
Pourtant, j'étais content de mon déjeuner avec K, ma vieille amie et ancienne collègue. Elle espérait me voir un de ces samanches d'automne chez elle, à la campagne: après-midi au jardin à rire comme des gosses, soirée devant une dame chinoise, coucher fort tard, matin à récupérer. J'y ai plusieurs fois pensé: comme les couleurs doivent être belles en ce moment, là-bas. Et puis la chambre bleue, ma chambre, qui m'attend, avec son grand lit en bois sombre et sa couette dont le poids sur mon corps me rassure.
Mais elle ne m'a jamais vu arriver: trop d'autres occupations. Trop? Non! Enfin d'autres occupations.
J'aime K. et j'ai voulu être totalement sincère avec elle. C'était la seule de mes amies à ne pas être au courant de mon homosexualité. Pourquoi, alors que nous sommes si proches? Parce qu'elle m'a trop souvent posé la question. Et je n'obéis jamais au doigt et à l'oeil. Il suffit que l'on me traque, que l'on me force, pour que je ferme hermétiquement la coquille.
Enfin, c'est dit. Elle me pensait bi, elle n'était donc pas très loin de la réalité. D'ailleurs, c'est ce que j'aurais aimé être.
Elle a lu, avec mon autorisation, quelques passages de ces écrits, et n'a pas eu l'air trop déçue. Ça me rassure, car je n'ai pas de recul. Elle m'a fait, en gros, les mêmes commentaires que J.
Et puis, elle m'a dit que non, décidément, elle avait du mal à imaginer que je n'étais pas beau quand j'étais enfant. Un cadeau, cette phrase, comme dessert!
Aujourd'hui, J. est venu manger ici, comme tous les mercredis. Mes piètres talents culinaires ne le rebutent pas.
J'aime parler avec lui, j'aime ses sourires coquins, j'aime la tendresse infinie de certains de ses regards, j'aime lorsque ces regards s'assombrissent et partent au loin dans ses pensées intimes, j'aime notre complicité grandissante, j'aime nos rires, j'aime son odeur, quand je l'embrasse dans le cou, j'aime ses caresses et son souffle sur ma nuque, j'aime lorsque nous nous enlaçons dans la cuisine, en surveillant d'un oeil le contenu des casseroles, j'aime le raccompagner jusqu'à la plus proche station vélov', j'aime, avant qu'il s'en aille, le baiser que nous échangeons dans la rue, près, si près de nos deux bouches.
Et j'aime tout ce que je tais ici et qui ne concerne que nous.
Pourtant, j'étais content de mon déjeuner avec K, ma vieille amie et ancienne collègue. Elle espérait me voir un de ces samanches d'automne chez elle, à la campagne: après-midi au jardin à rire comme des gosses, soirée devant une dame chinoise, coucher fort tard, matin à récupérer. J'y ai plusieurs fois pensé: comme les couleurs doivent être belles en ce moment, là-bas. Et puis la chambre bleue, ma chambre, qui m'attend, avec son grand lit en bois sombre et sa couette dont le poids sur mon corps me rassure.
Mais elle ne m'a jamais vu arriver: trop d'autres occupations. Trop? Non! Enfin d'autres occupations.
J'aime K. et j'ai voulu être totalement sincère avec elle. C'était la seule de mes amies à ne pas être au courant de mon homosexualité. Pourquoi, alors que nous sommes si proches? Parce qu'elle m'a trop souvent posé la question. Et je n'obéis jamais au doigt et à l'oeil. Il suffit que l'on me traque, que l'on me force, pour que je ferme hermétiquement la coquille.
Enfin, c'est dit. Elle me pensait bi, elle n'était donc pas très loin de la réalité. D'ailleurs, c'est ce que j'aurais aimé être.
Elle a lu, avec mon autorisation, quelques passages de ces écrits, et n'a pas eu l'air trop déçue. Ça me rassure, car je n'ai pas de recul. Elle m'a fait, en gros, les mêmes commentaires que J.
Et puis, elle m'a dit que non, décidément, elle avait du mal à imaginer que je n'étais pas beau quand j'étais enfant. Un cadeau, cette phrase, comme dessert!
Aujourd'hui, J. est venu manger ici, comme tous les mercredis. Mes piètres talents culinaires ne le rebutent pas.
J'aime parler avec lui, j'aime ses sourires coquins, j'aime la tendresse infinie de certains de ses regards, j'aime lorsque ces regards s'assombrissent et partent au loin dans ses pensées intimes, j'aime notre complicité grandissante, j'aime nos rires, j'aime son odeur, quand je l'embrasse dans le cou, j'aime ses caresses et son souffle sur ma nuque, j'aime lorsque nous nous enlaçons dans la cuisine, en surveillant d'un oeil le contenu des casseroles, j'aime le raccompagner jusqu'à la plus proche station vélov', j'aime, avant qu'il s'en aille, le baiser que nous échangeons dans la rue, près, si près de nos deux bouches.
Et j'aime tout ce que je tais ici et qui ne concerne que nous.
lundi 15 octobre 2007
Abécédaire (J)
Janséniste: je tiens ce côté de la famille de ma mère. Dans celle de mon père, on était plutôt épicurien. La cohabitation chez moi des deux tendances a parfois du mal à se faire.
Jardin: ma passion, avec l'enseignement , la littérature et la musique (auxquels il faut bien rajouter maintenant la course à pied.). Je crois savoir où elle est née.
Un oncle de mon grand-père paternel (à côté de ça, je n'ai connu ni grand-père, ni père!) vivait avec sa femme dans une petite villa au bord de la Loire à Andrézieux, près de St Etienne. Nous leur rendions parfois visite avec ma grand-mère.
Je me souviens de deux vieillards très doux à embrasser, vêtus dans mon souvenir d'un grand tablier de toile bleue et d'un chapeau de paille de jardinier à large bord. J'ai oublié leurs prénoms mais ils sont très anciens et très beaux.
La porte d'entrée était masquée par un rideau de petits cylindres de bois qui descendait presque jusqu'au sol et qui permettait de conserver à l'intérieur une certaine pénombre et une certaine fraîcheur. Du jardin, je ne conserve qu'une sensation: celle d'un immense bien-être, qu'une image: l'arbre à perruches.
Je ne connais pas le véritable nom de cet arbuste. Je l'appelle comme ça, parce qu'il produisait des sortes de poches d'un vert très tendre rattachées à la branche par une petite tige en retour et que, lorsqu'on cueillait ces poches et qu'on les accrochait au rebord d'un verre par leur tige, cela ressemblait tout à fait à des perruches venues boire toutes ensemble à ce verre.
Au bout de quelques jours, les poches s'ouvraient et laissaient apercevoir leur intérieur tapissé d'une sorte de coton laiteux.
Je n'ai jamais revu nulle part cet arbuste. Pourtant je suis sûr de ne pas avoir inventé ce souvenir.
Jean-Baptiste (Saint): au cours de mon séjour en Ombrie en 1981( j'en parlerai sans doute à la lettre O), j'avais fait la connaissance d'une yougoslave, une croate prénommée Dubravka, avec qui je me sentais beaucoup d'affinités culturelles et intellectuelles.
Un jour, au tout début de notre relation d'amitié, elle est arrivée à l'université avec une reproduction d'un polyptyque de primitif italien représentant de nombreux saints.
- Tiens, regarde. m'a-t-elle dit en me montrant un saint Jean-Baptiste plutôt décharné. C'est toi, là!
J'ai voulu en rire, protesté, mais elle n'avait pas tout à fait tort: j'étais assez maigre à l'époque et, en ce qui concerne le visage, j'aurais pu avoir posé pour ce Baptiste-là. Et, vanitas vanitatum, je n'en fus pas peu fier!
Jardin: ma passion, avec l'enseignement , la littérature et la musique (auxquels il faut bien rajouter maintenant la course à pied.). Je crois savoir où elle est née.
Un oncle de mon grand-père paternel (à côté de ça, je n'ai connu ni grand-père, ni père!) vivait avec sa femme dans une petite villa au bord de la Loire à Andrézieux, près de St Etienne. Nous leur rendions parfois visite avec ma grand-mère.
Je me souviens de deux vieillards très doux à embrasser, vêtus dans mon souvenir d'un grand tablier de toile bleue et d'un chapeau de paille de jardinier à large bord. J'ai oublié leurs prénoms mais ils sont très anciens et très beaux.
La porte d'entrée était masquée par un rideau de petits cylindres de bois qui descendait presque jusqu'au sol et qui permettait de conserver à l'intérieur une certaine pénombre et une certaine fraîcheur. Du jardin, je ne conserve qu'une sensation: celle d'un immense bien-être, qu'une image: l'arbre à perruches.
Je ne connais pas le véritable nom de cet arbuste. Je l'appelle comme ça, parce qu'il produisait des sortes de poches d'un vert très tendre rattachées à la branche par une petite tige en retour et que, lorsqu'on cueillait ces poches et qu'on les accrochait au rebord d'un verre par leur tige, cela ressemblait tout à fait à des perruches venues boire toutes ensemble à ce verre.
Au bout de quelques jours, les poches s'ouvraient et laissaient apercevoir leur intérieur tapissé d'une sorte de coton laiteux.
Je n'ai jamais revu nulle part cet arbuste. Pourtant je suis sûr de ne pas avoir inventé ce souvenir.
Jean-Baptiste (Saint): au cours de mon séjour en Ombrie en 1981( j'en parlerai sans doute à la lettre O), j'avais fait la connaissance d'une yougoslave, une croate prénommée Dubravka, avec qui je me sentais beaucoup d'affinités culturelles et intellectuelles.
Un jour, au tout début de notre relation d'amitié, elle est arrivée à l'université avec une reproduction d'un polyptyque de primitif italien représentant de nombreux saints.
- Tiens, regarde. m'a-t-elle dit en me montrant un saint Jean-Baptiste plutôt décharné. C'est toi, là!
J'ai voulu en rire, protesté, mais elle n'avait pas tout à fait tort: j'étais assez maigre à l'époque et, en ce qui concerne le visage, j'aurais pu avoir posé pour ce Baptiste-là. Et, vanitas vanitatum, je n'en fus pas peu fier!
Riens (10)
Rude journée, bien remplie: cours matin et après-midi, visite rapide à ma mère, le temps de son repas, conseil de classe le soir. Parti à 7h20, rentré à 20h30. Et dire qu'il y en qui trouvent que l'on ne travaille pas, nous, les profs!
Ce matin, rendez-vous avec une maman dont le fils est fermé comme une huître, refuse toute tentative d'approche, de communication . Mère japonaise, père marocain, en prison depuis plusieurs mois.
Avant l'incarcération de son père, ce garçon était un excellent élève. Maintenant, il n'est plus là: il est loin, dans sa peine trop grande pour un enfant. Quelle image est-il en train de se forger de son père? de lui-même par conséquent?
La mère, au bout d'un instant, a éclaté en sanglots. Que pouvais-je faire? On se sent petit dans ces moments-là. On a bien l'expérience de nombreuses années d'enseignement, mais quel poids ont-elles face à une mère qui pleure?
J'ai attendu que la vague soit passée, et je l'ai orientée vers la psychologue scolaire, peut-être mieux armée que moi. Mais pourquoi alors avais-je l'impression de commettre une de ces petites lâchetés quotidiennes qui tapissent notre existence?
Ce matin, rendez-vous avec une maman dont le fils est fermé comme une huître, refuse toute tentative d'approche, de communication . Mère japonaise, père marocain, en prison depuis plusieurs mois.
Avant l'incarcération de son père, ce garçon était un excellent élève. Maintenant, il n'est plus là: il est loin, dans sa peine trop grande pour un enfant. Quelle image est-il en train de se forger de son père? de lui-même par conséquent?
La mère, au bout d'un instant, a éclaté en sanglots. Que pouvais-je faire? On se sent petit dans ces moments-là. On a bien l'expérience de nombreuses années d'enseignement, mais quel poids ont-elles face à une mère qui pleure?
J'ai attendu que la vague soit passée, et je l'ai orientée vers la psychologue scolaire, peut-être mieux armée que moi. Mais pourquoi alors avais-je l'impression de commettre une de ces petites lâchetés quotidiennes qui tapissent notre existence?
dimanche 14 octobre 2007
Abécédaire (I)
Impressionniste: un petit prof de fac prétentieux avait cru m'insulter en me lançant, ce mot à la tête. J'avais effectivement été vexé à ce moment-là, mais si être impressionniste, c'est ne pas brider ses sensations, ses émotions, les vivre librement et consciemment, c'est tenter vaille que vaille de sauver la part d'enfance qui vit en nous, au plus profond, alors oui: je suis impressionniste.
Ne vous déplaise, Monsieur le Petit Professeur d'Université qui n'est jamais arrivé à la cheville de mes vieux Maîtres du lycée.
Icare: un de mes moments mythologiques préférés ( Ovide, Métamorphoses). En tout cas, le début et la fin.
Le début avec le meurtre de Perdrix par Dédale, fou de jalousie devant l'ingéniosité de son neveu. Mais Pallas veillait, intercepta sa chute depuis les remparts de la citadelle et le transforma en l'oiseau qui porte encore aujourd'hui son nom: la perdrix qui, se souvenant de son ancienne chute, ne vole jamais trop haut, et confie ses oeufs à l'épaisseur de haies.
La fin avec une autre chute: celle d'Icare, trop enivré par son vol pour obéir aux injonctions de son père qui lui conseillait de ne pas s'approcher du soleil. Mais quel bonheur d'être ivre ainsi.
Allez, Dédale, rentre en Grèce, continue ta petite vie sclérosée et veille simplement à ce que ces deux morts ne pèsent pas trop lourd sur ta conscience. Tu seras vieux, racorni, aigri, usé, eux jamais.
Ignace (de Loyola): ce que je sais (peu!) de ses Exercices Spirituels me donne l'envie d'aller creuser par là une fois la retraite venue.
Incas: dans cette même classe d'école primaire où j'ai découvert la force des mots, il y avait aux murs trois posters: l'un représentait le château d'Azay-le-Rideau,tout propret dans son cadre boisé; le deuxième la place de la Concorde la nuit, avec les traînées lumineuses marquant le passage des automobiles sur le bitume; le troisième le site inca de Machu Picchu, ses ruines accrochées à flanc de montagne, et c'est celui-ci qui me fascinait le plus.
J'avais neuf ans, et je m'étais promis de visiter un jour ces trois sites: Azay et Paris, c'est fait depuis longtemps, Machu Picchu toujours pas. Peut-être est-ce mieux ainsi: comme pour le Potomac, je garde intact mon image d'enfance, la seule après tout qui me tienne à coeur.
Ingres (Jean Auguste): loin d'être dans mes peintres préférés, mais un petit mot de son tableau Oedipe et le Sphinx (Musée du Louvre).
Oedipe est nu, debout devant la Sphinx (mais oui, c'était un monstre femelle!), une jambe repliée (pour masquer sa virilité?) appuyée sur un rocher. Il semble pensif et tend l'index de la main gauche en direction de son interlocutrice, comme pour lui dire: "Viens par ici, cocotte!". Elle, sans doute émoustillée par les avances d'un si bel homme, gonfle généreusement la poitrine sous le nez du héros, prête à l'offrir aux caresses de la main tendue. Mais tout au fond du tableau, un autre homme nu ( un, le, compagnon d'Oedipe?) n'a pas l'air d'accord du tout avec ce qui semble se préparer et manifeste vigoureusement son mécontentement.
Bien sûr, ces remarques ne correspondent en rien à la légende, mais est-ce ma faute à moi si les nus antiques du dictionnaire m'ont toujours fait fantasmer et si Ingres tend, lui, la verge pour se faire battre?
Ne vous déplaise, Monsieur le Petit Professeur d'Université qui n'est jamais arrivé à la cheville de mes vieux Maîtres du lycée.
Icare: un de mes moments mythologiques préférés ( Ovide, Métamorphoses). En tout cas, le début et la fin.
Le début avec le meurtre de Perdrix par Dédale, fou de jalousie devant l'ingéniosité de son neveu. Mais Pallas veillait, intercepta sa chute depuis les remparts de la citadelle et le transforma en l'oiseau qui porte encore aujourd'hui son nom: la perdrix qui, se souvenant de son ancienne chute, ne vole jamais trop haut, et confie ses oeufs à l'épaisseur de haies.
La fin avec une autre chute: celle d'Icare, trop enivré par son vol pour obéir aux injonctions de son père qui lui conseillait de ne pas s'approcher du soleil. Mais quel bonheur d'être ivre ainsi.
Allez, Dédale, rentre en Grèce, continue ta petite vie sclérosée et veille simplement à ce que ces deux morts ne pèsent pas trop lourd sur ta conscience. Tu seras vieux, racorni, aigri, usé, eux jamais.
Ignace (de Loyola): ce que je sais (peu!) de ses Exercices Spirituels me donne l'envie d'aller creuser par là une fois la retraite venue.
Incas: dans cette même classe d'école primaire où j'ai découvert la force des mots, il y avait aux murs trois posters: l'un représentait le château d'Azay-le-Rideau,tout propret dans son cadre boisé; le deuxième la place de la Concorde la nuit, avec les traînées lumineuses marquant le passage des automobiles sur le bitume; le troisième le site inca de Machu Picchu, ses ruines accrochées à flanc de montagne, et c'est celui-ci qui me fascinait le plus.
J'avais neuf ans, et je m'étais promis de visiter un jour ces trois sites: Azay et Paris, c'est fait depuis longtemps, Machu Picchu toujours pas. Peut-être est-ce mieux ainsi: comme pour le Potomac, je garde intact mon image d'enfance, la seule après tout qui me tienne à coeur.
Ingres (Jean Auguste): loin d'être dans mes peintres préférés, mais un petit mot de son tableau Oedipe et le Sphinx (Musée du Louvre).
Oedipe est nu, debout devant la Sphinx (mais oui, c'était un monstre femelle!), une jambe repliée (pour masquer sa virilité?) appuyée sur un rocher. Il semble pensif et tend l'index de la main gauche en direction de son interlocutrice, comme pour lui dire: "Viens par ici, cocotte!". Elle, sans doute émoustillée par les avances d'un si bel homme, gonfle généreusement la poitrine sous le nez du héros, prête à l'offrir aux caresses de la main tendue. Mais tout au fond du tableau, un autre homme nu ( un, le, compagnon d'Oedipe?) n'a pas l'air d'accord du tout avec ce qui semble se préparer et manifeste vigoureusement son mécontentement.
Bien sûr, ces remarques ne correspondent en rien à la légende, mais est-ce ma faute à moi si les nus antiques du dictionnaire m'ont toujours fait fantasmer et si Ingres tend, lui, la verge pour se faire battre?
Riens (9)
14 octobre. Cette date aurait dû me parler immédiatement ce matin, au réveil.
Rien: simplement la joie de préparer une bonne surprise à ma soeur pour son anniversaire. Je suis donc allé au marché tranquillement, où j'ai acheté une brassée de fleurs (littéralement: j'en avais plein les bras!) : des lys blancs et une branche d'orchidée pour moi, auxquels la fleuriste, que je connais bien, a rajouté un brin de mimosa, des tournesols pour ma mère, et un gros bouquet de roses bicolores pour ma soeur. Magnifique.
Ensuite direction Vieux Cimetière de la Guillotière: sur la tombe de Pierre, il y avait une nouvelle plante, un cyclamen. Quelqu'un avait pensé à lui. Mais qui? Qui que ce soit, j'étais heureux qu'on l'ait fait.
Je venais d'ouvrir ma porte quand mon portable a sonné: J., tout guilleret, qui m'a raconté sa soirée d'hier, et qui me téléphonait depuis un gymnase où son fils participait à une rencontre amicale de badminton (à laquelle d'ailleurs, ce même fils m'avait très gentiment convié, délicatesse qui m'avait touché.).
Tout pour le mieux donc. Je vais chercher ma mère et ma soeur en voiture, goûtant par avance la tête que cette dernière ferait en voyant la table dressée pour cinq couverts et toutes les fleurs qui l'attendaient. Et là, patatras: ma soeur me rappelle que le 14 octobre, c'était l'anniversaire de Pierre!
Comment ai-je pu ne pas y penser? Comment ai-je pu? Ainsi, le cyclamen sur sa tombe, c'était ça! J'ai cru qu'une chape de plomb me tombait dessus, en même temps que mon coeur descendait dans les profondeurs d'une cage d'ascenseur. J'étais arrêté à un feu. Je n'ai pas voulu montrer ma peine immense à ma soeur, je n'allais pas gâché son anniversaire. Quand j'ai redémarré, j'ai failli reprendre la direction du cimetière, mais pour faire quoi? C'était trop tard, j'avais oublié, un point, c'est tout. Je me sentais abominablement coupable: n'avoir eu en tête que du bonheur depuis le matin, alors que Pierre était là-bas, que j'avais récité le Notre Père devant sa tombe, que je lui avais parlé intérieurement et que pas un seul instant, je n'avais pensé à son anniversaire.
L'arrivée devant mon immeuble a fait diversion. J'ai aperçu mon frère et ma belle-soeur cachés derrière les jardinières de fleurs de la rue. Ils avaient une tête! Hilares, comme deux grands gamins. Et ma peine s'est envolée: j'ai pensé que nous étions vivants, heureux de la journée qui s'annonçait, contents de nous retrouver après toutes ces périodes de peines et de deuils. C'était un peu Noël en automne. La famille avait rétréci mais les liens s'étaient resserrés. Pierre aurait été le premier à applaudir à ce renouveau. Je suis sûr que là où il est, il a vu les doux moments que nous avons passé autour de la table (il aurait apprécié le lapin au cidre et à la polenta), puis dans mes vieux fauteuils de salon, la sieste de ma mère sur le canapé, ma belle-soeur, ma soeur et moi à la vaisselle, mon frère devant la télé pour l'arrivée d'une course cycliste. Une vraie famille, quoi. Il aura fallu tous ces décès pour que j'y crois.
Je ne peux pas imaginer que Pierre ne soit pas heureux de me voir heureux. Oui, comme je l'ai écrit hier (pressentiment, tentative de la mémoire pour se frayer un passage jusqu'à la conscience?), Pierre était bien aujourd'hui dans mon coeur et avec nous, là, dans l'invisible.
Rien: simplement la joie de préparer une bonne surprise à ma soeur pour son anniversaire. Je suis donc allé au marché tranquillement, où j'ai acheté une brassée de fleurs (littéralement: j'en avais plein les bras!) : des lys blancs et une branche d'orchidée pour moi, auxquels la fleuriste, que je connais bien, a rajouté un brin de mimosa, des tournesols pour ma mère, et un gros bouquet de roses bicolores pour ma soeur. Magnifique.
Ensuite direction Vieux Cimetière de la Guillotière: sur la tombe de Pierre, il y avait une nouvelle plante, un cyclamen. Quelqu'un avait pensé à lui. Mais qui? Qui que ce soit, j'étais heureux qu'on l'ait fait.
Je venais d'ouvrir ma porte quand mon portable a sonné: J., tout guilleret, qui m'a raconté sa soirée d'hier, et qui me téléphonait depuis un gymnase où son fils participait à une rencontre amicale de badminton (à laquelle d'ailleurs, ce même fils m'avait très gentiment convié, délicatesse qui m'avait touché.).
Tout pour le mieux donc. Je vais chercher ma mère et ma soeur en voiture, goûtant par avance la tête que cette dernière ferait en voyant la table dressée pour cinq couverts et toutes les fleurs qui l'attendaient. Et là, patatras: ma soeur me rappelle que le 14 octobre, c'était l'anniversaire de Pierre!
Comment ai-je pu ne pas y penser? Comment ai-je pu? Ainsi, le cyclamen sur sa tombe, c'était ça! J'ai cru qu'une chape de plomb me tombait dessus, en même temps que mon coeur descendait dans les profondeurs d'une cage d'ascenseur. J'étais arrêté à un feu. Je n'ai pas voulu montrer ma peine immense à ma soeur, je n'allais pas gâché son anniversaire. Quand j'ai redémarré, j'ai failli reprendre la direction du cimetière, mais pour faire quoi? C'était trop tard, j'avais oublié, un point, c'est tout. Je me sentais abominablement coupable: n'avoir eu en tête que du bonheur depuis le matin, alors que Pierre était là-bas, que j'avais récité le Notre Père devant sa tombe, que je lui avais parlé intérieurement et que pas un seul instant, je n'avais pensé à son anniversaire.
L'arrivée devant mon immeuble a fait diversion. J'ai aperçu mon frère et ma belle-soeur cachés derrière les jardinières de fleurs de la rue. Ils avaient une tête! Hilares, comme deux grands gamins. Et ma peine s'est envolée: j'ai pensé que nous étions vivants, heureux de la journée qui s'annonçait, contents de nous retrouver après toutes ces périodes de peines et de deuils. C'était un peu Noël en automne. La famille avait rétréci mais les liens s'étaient resserrés. Pierre aurait été le premier à applaudir à ce renouveau. Je suis sûr que là où il est, il a vu les doux moments que nous avons passé autour de la table (il aurait apprécié le lapin au cidre et à la polenta), puis dans mes vieux fauteuils de salon, la sieste de ma mère sur le canapé, ma belle-soeur, ma soeur et moi à la vaisselle, mon frère devant la télé pour l'arrivée d'une course cycliste. Une vraie famille, quoi. Il aura fallu tous ces décès pour que j'y crois.
Je ne peux pas imaginer que Pierre ne soit pas heureux de me voir heureux. Oui, comme je l'ai écrit hier (pressentiment, tentative de la mémoire pour se frayer un passage jusqu'à la conscience?), Pierre était bien aujourd'hui dans mon coeur et avec nous, là, dans l'invisible.
samedi 13 octobre 2007
Abécédaire (H)
Hiver: pour moi toujours lié au sacrifice du cochon. Mon père en tuait pour tout le village et les environs. Dure journée de travail, qui commençait par les couinements de la pauvre bête qu'on égorgeait et se terminait dans les odeurs écoeurantes de sang, de merde et de graillons.
La veille, il avait fallu se procurer des boyaux, des vrais à l'époque, chez le boucher. Ils étaient conservés dans la saumure (je crois) et on les lavait à grande eau, plusieurs fois, avant de les utiliser pour les saucisses, saucissons, jésus et rosette.
Un jour, un cochon a sauté du banc de bois sur lequel on l'avait placé et s'est enfui, à moitié égorgé. Il a fini quelques mètres plus loin, vidé de son sang.
Je devais aider ce jour-là, mais je n'aimais pas ça. J'ai toujours eu horreur que l'on doive tuer des animaux pour se nourrir, (même si je n'ai jamais été végétarien: en voyant un steak dans son assiette, on s'imagine difficilement la bête d'où il a été extrait!). Chaque porc, chaque chevreau, chaque agneau avait sa "personnalité" et il m'est arrivé souvent de refuser de manger la viande d'un animal que j'avais connu. (Seules les poules font exception à la règle.).
Le soir, il restait, dans la neige de février, la trace écarlate du sacrifice, qui me fascinait comme une marque d'infamie.
Une coutume de cette époque: le paysan, propriétaire du cochon tué, offrait le lendemain à tous ses voisins une assiette remplie d'un assortiment de morceaux ou préparations (boudin, saucisse...) travaillées la veille. A charge pour le voisin de rendre la pareille une fois son tour venu.
Je dois ajouter pour être honnête qu'au moment de manger les saucissons, quelques mois plus tard, la "personnalité" du cochon était depuis longtemps oubliée.
Homme: La Gloire de Dieu, c'est l'Homme vivant.
C'est la devise, tirée de Saint Irénée, que Pierre avait choisie pour son ordination. Pierre est mort un 28 juin, jour de la Saint Irénée, veille de la Saint Pierre. J'ai adopté cette devise: elle m'a aidé à rester debout.
Homosexualité: nous y voilà, mais à quoi bon? Tout a déjà été dit, ailleurs et partout.
La veille, il avait fallu se procurer des boyaux, des vrais à l'époque, chez le boucher. Ils étaient conservés dans la saumure (je crois) et on les lavait à grande eau, plusieurs fois, avant de les utiliser pour les saucisses, saucissons, jésus et rosette.
Un jour, un cochon a sauté du banc de bois sur lequel on l'avait placé et s'est enfui, à moitié égorgé. Il a fini quelques mètres plus loin, vidé de son sang.
Je devais aider ce jour-là, mais je n'aimais pas ça. J'ai toujours eu horreur que l'on doive tuer des animaux pour se nourrir, (même si je n'ai jamais été végétarien: en voyant un steak dans son assiette, on s'imagine difficilement la bête d'où il a été extrait!). Chaque porc, chaque chevreau, chaque agneau avait sa "personnalité" et il m'est arrivé souvent de refuser de manger la viande d'un animal que j'avais connu. (Seules les poules font exception à la règle.).
Le soir, il restait, dans la neige de février, la trace écarlate du sacrifice, qui me fascinait comme une marque d'infamie.
Une coutume de cette époque: le paysan, propriétaire du cochon tué, offrait le lendemain à tous ses voisins une assiette remplie d'un assortiment de morceaux ou préparations (boudin, saucisse...) travaillées la veille. A charge pour le voisin de rendre la pareille une fois son tour venu.
Je dois ajouter pour être honnête qu'au moment de manger les saucissons, quelques mois plus tard, la "personnalité" du cochon était depuis longtemps oubliée.
Homme: La Gloire de Dieu, c'est l'Homme vivant.
C'est la devise, tirée de Saint Irénée, que Pierre avait choisie pour son ordination. Pierre est mort un 28 juin, jour de la Saint Irénée, veille de la Saint Pierre. J'ai adopté cette devise: elle m'a aidé à rester debout.
Homosexualité: nous y voilà, mais à quoi bon? Tout a déjà été dit, ailleurs et partout.
Riens (8)
J'ai passé plusieurs heures avec J. aujourd'hui. Il a voulu que je lui raconte un peu ma vie.
J'ai essayé de le faire le plus simplement et le plus honnêtement possible, sans embellissement, sans faux-fuyants. Parfois, malgré moi, l'émotion m'a envahi. Je ne peux parler de paternité sans que les larmes me montent aux yeux. Hier, J. est passé avec son fils cadet après la boucle en rollers. Je lui ai dit tout à l'heure, sans pour autant tomber dans l'angélisme, combien je trouvais belle cette relation d'un père et d'un fils. Il s'est souvenu que, lorsque S. était encore tout petit, il le portait sur ses épaules et que. S. ne cessait de lui tripoter les oreilles, comme il l'aurait fait avec un doudou. J'étais tout ému: ce souvenir, j'avais l'impression de le partager.
Un peu avant, je m'étais assoupi dans les bras de J., sous la couverture, au chaud. Tendresse...
Le reste de la journée a été consacré, après une courte sieste, à la préparation du repas de demain. Ce sera une surprise pour ma soeur qui ne s'y attend pas. En préparant les plats, en dressant la table, j'ai senti une nouvelle fois les larmes arriver, cette fois-ci encore larmes de bonheur: j'avais sorti les belles assiettes, les verres ciselés, les couverts en argent, la nappe et les serviettes brodées, qui n'ont pas servi depuis combien de temps? La maison revit, enfin. Comme au temps des Noëls ou Jours de l'An en famille, où Pierre préparait les plats et où je m'occupais de la table et des fleurs. Pierre sera là demain, tout près, dans mon coeur.
Belle journée, en vérité.
J'ai essayé de le faire le plus simplement et le plus honnêtement possible, sans embellissement, sans faux-fuyants. Parfois, malgré moi, l'émotion m'a envahi. Je ne peux parler de paternité sans que les larmes me montent aux yeux. Hier, J. est passé avec son fils cadet après la boucle en rollers. Je lui ai dit tout à l'heure, sans pour autant tomber dans l'angélisme, combien je trouvais belle cette relation d'un père et d'un fils. Il s'est souvenu que, lorsque S. était encore tout petit, il le portait sur ses épaules et que. S. ne cessait de lui tripoter les oreilles, comme il l'aurait fait avec un doudou. J'étais tout ému: ce souvenir, j'avais l'impression de le partager.
Un peu avant, je m'étais assoupi dans les bras de J., sous la couverture, au chaud. Tendresse...
Le reste de la journée a été consacré, après une courte sieste, à la préparation du repas de demain. Ce sera une surprise pour ma soeur qui ne s'y attend pas. En préparant les plats, en dressant la table, j'ai senti une nouvelle fois les larmes arriver, cette fois-ci encore larmes de bonheur: j'avais sorti les belles assiettes, les verres ciselés, les couverts en argent, la nappe et les serviettes brodées, qui n'ont pas servi depuis combien de temps? La maison revit, enfin. Comme au temps des Noëls ou Jours de l'An en famille, où Pierre préparait les plats et où je m'occupais de la table et des fleurs. Pierre sera là demain, tout près, dans mon coeur.
Belle journée, en vérité.
vendredi 12 octobre 2007
Abécédaire (G)
Galipette: un bien joli mot, en accord parfait avec son sens.
Gallo-romain: les gaulois ont été les seuls à voir leur nom accolé à celui des romains: on ne parle pas d'ibéro-romain, encore moins de germano-romain.
Sans doute est-ce là une des premières marques de la grande proximité entre les deux peuples. Les Italiens sont nos cousins très proches, a-t-on coutume de dire en France.
Moi, je me sens tellement bien là-bas. Peut-être ai-je comme lointain ancêtre un vétéran de l'armée de César ayant décidé de finir ses jours dans cette douce province , auprès d'une gauloise accueillante? A moins que ce ne soit une patricienne romaine venue s'encanailler dans les bras musclés d'un bûcheron celte. A tout prendre, la deuxième solution me plairait davantage: j'aime les gens qui dérogent par amour ou sensualité.
Green (Julien): une étrange rencontre. Pierre m'ayant conseillé de lire quelques-uns de ses romans, j'ai commencé par le détester: toute cette littérature me semblait respirer le cul-béni, le tartuffe, l'hypocrite. Pourquoi ne pas parler plus ouvertement de son "vice"? Pourquoi se cacher derrière des faux-semblants? J'ai donc décidé de rédiger, à la faculté de lettres, un mémoire pour descendre en flèche cet individu trop papelard à mon goût.
J'ai lu, j'ai lu, j'ai lu: romans, pièces de théâtre, journal surtout. Et ma colère a été désarmée: ce que je prenais pour de l'hypocrisie était de la délicatesse, son rapport au mal, au péché, moins caricatural que je ne me l'imaginais. J'ai découvert un homme qui souffrait certes de ne pouvoir parler, mais qui se battait pour que sa bouche s'ouvre enfin.
Par un ami, j'ai eu la possibilité de le rencontrer (Green a même évoqué cette rencontre dans son Journal, nous comparant, Pierre et moi, à deux enfants perdus dans la forêt). Le soir de l'entrevue, j'étais fébrile: c'était le premier écrivain que j'allais approcher, en chair et en os, et en plus chez lui. Nous avons frappé à sa porte. Un moment assez long d'attente (du moins il me semblait), un léger frottement sur le parquet derrière la porte, et c'était lui qui l'ouvrait, simplement, sans cérémonial d'introduction par un serviteur zélé. Il nous conduisit dans un petit salon et nous fit asseoir dans de confortables fauteuils .
C'était un homme de taille moyenne, sans grande beauté mais dont l'extérieur et la voix respiraient la douceur et la sérénité. Il nous confia qu'il avait pris le rendez-vous en cette fin d'après-midi car c'était son heure préférée de la journée: le moment entre chien et loup où la lumière est la plus belle alors que les contours des choses et des gens s'estompent peu à peu.
J'étais sous le charme.
Malheureusement, cela ne dura guère, car il oublia vite mon travail universitaire, il esquiva mes questions un peu trop pressantes sur ces relations avec Gide pour ne plus s'intéresser qu'à la situation de Pierre: comment un prêtre peut-il quitter son sacerdoce pour vivre une histoire d'amour avec un garçon? Il ne comprenait pas. Moi non plus, à l'époque, je ne compris pas Green.
Le soir-même, alors que Pierre avait dû rentrer à Lyon pour son travail, je rencontrai un autre écrivain homo, beaucoup plus libéré celui-ci, dans une boîte de nuit près de l'Opéra.
Grünewald (Matthias): qui n'a pas vu le Christ de son polyptique d'Issenheim au musée de Colmar n'a aucune idée de la douleur de la Passion.
Gallo-romain: les gaulois ont été les seuls à voir leur nom accolé à celui des romains: on ne parle pas d'ibéro-romain, encore moins de germano-romain.
Sans doute est-ce là une des premières marques de la grande proximité entre les deux peuples. Les Italiens sont nos cousins très proches, a-t-on coutume de dire en France.
Moi, je me sens tellement bien là-bas. Peut-être ai-je comme lointain ancêtre un vétéran de l'armée de César ayant décidé de finir ses jours dans cette douce province , auprès d'une gauloise accueillante? A moins que ce ne soit une patricienne romaine venue s'encanailler dans les bras musclés d'un bûcheron celte. A tout prendre, la deuxième solution me plairait davantage: j'aime les gens qui dérogent par amour ou sensualité.
Green (Julien): une étrange rencontre. Pierre m'ayant conseillé de lire quelques-uns de ses romans, j'ai commencé par le détester: toute cette littérature me semblait respirer le cul-béni, le tartuffe, l'hypocrite. Pourquoi ne pas parler plus ouvertement de son "vice"? Pourquoi se cacher derrière des faux-semblants? J'ai donc décidé de rédiger, à la faculté de lettres, un mémoire pour descendre en flèche cet individu trop papelard à mon goût.
J'ai lu, j'ai lu, j'ai lu: romans, pièces de théâtre, journal surtout. Et ma colère a été désarmée: ce que je prenais pour de l'hypocrisie était de la délicatesse, son rapport au mal, au péché, moins caricatural que je ne me l'imaginais. J'ai découvert un homme qui souffrait certes de ne pouvoir parler, mais qui se battait pour que sa bouche s'ouvre enfin.
Par un ami, j'ai eu la possibilité de le rencontrer (Green a même évoqué cette rencontre dans son Journal, nous comparant, Pierre et moi, à deux enfants perdus dans la forêt). Le soir de l'entrevue, j'étais fébrile: c'était le premier écrivain que j'allais approcher, en chair et en os, et en plus chez lui. Nous avons frappé à sa porte. Un moment assez long d'attente (du moins il me semblait), un léger frottement sur le parquet derrière la porte, et c'était lui qui l'ouvrait, simplement, sans cérémonial d'introduction par un serviteur zélé. Il nous conduisit dans un petit salon et nous fit asseoir dans de confortables fauteuils .
C'était un homme de taille moyenne, sans grande beauté mais dont l'extérieur et la voix respiraient la douceur et la sérénité. Il nous confia qu'il avait pris le rendez-vous en cette fin d'après-midi car c'était son heure préférée de la journée: le moment entre chien et loup où la lumière est la plus belle alors que les contours des choses et des gens s'estompent peu à peu.
J'étais sous le charme.
Malheureusement, cela ne dura guère, car il oublia vite mon travail universitaire, il esquiva mes questions un peu trop pressantes sur ces relations avec Gide pour ne plus s'intéresser qu'à la situation de Pierre: comment un prêtre peut-il quitter son sacerdoce pour vivre une histoire d'amour avec un garçon? Il ne comprenait pas. Moi non plus, à l'époque, je ne compris pas Green.
Le soir-même, alors que Pierre avait dû rentrer à Lyon pour son travail, je rencontrai un autre écrivain homo, beaucoup plus libéré celui-ci, dans une boîte de nuit près de l'Opéra.
Grünewald (Matthias): qui n'a pas vu le Christ de son polyptique d'Issenheim au musée de Colmar n'a aucune idée de la douleur de la Passion.
Riens (7)
Rude journée de travail aujourd'hui, sans grand intérêt.
Un simple constat: la violence entre pré-adolescents et même entre enfants se généralise et se banalise. Il a fallu intervenir auprès des garçons de ma classe de 5° pour remettre quelques pendules à l'heure. Ils ont volontiers parlé de leurs pratiques en matière de "jeux", tous affublés de noms exotiques, tels que "la table d'opérations", "taxi", "le fil électrique" ou "pitchenette", ce dernier consistant à frapper ou à tordre les testicules de ses camarades au moment où ils s'y attendent le moins.
Qu'ils s'adonnent à ce genre de conneries, c'est déjà quelque chose, mais qu'ils en parlent sans aucune retenue, c'est la preuve que, pour eux, ces agissements sont aussi innocents que l'épervier ou la marelle d'antan. Et c'est là où je ne comprends plus: qu'est-ce que ça a de drôle? Quelle satisfaction éprouvent-ils? J'ai toujours défendu le droit des garçons à se comporter différemment des filles, à s'exprimer davantage avec leur corps, à extérioriser leur "malitude" dans un univers scolaire très majoritairement trusté par des femmes, où les fillettes et leur comportement sont présentés comme le modèle à suivre. Mais là, non. Je crains que tout ceci ne soit que le signe d'une bêtise galopante et pleinement assumée, ou alors d'un ennui si profond, d'un désespoir si grand que tout est préférable à l'immobilité.
Et lorsqu'on leur explique que de tels gestes peuvent être lourds de conséquences, que l'enfant agressé peut devenir stérile, que c'est ne pas respecter l'autre que de toucher à son intégrité physique, ils redeviennent des enfants, ils prennent leur tête de fautif que l'on conduit au coin pour un quart d'heure et qui implore déjà le pardon. Mais après la sonnerie, dans le couloir, dans l'escalier, dans la cour, la jungle reprend ses droits.
Pour quand les premières flingueries à l'américaine dans un collège français?
Un simple constat: la violence entre pré-adolescents et même entre enfants se généralise et se banalise. Il a fallu intervenir auprès des garçons de ma classe de 5° pour remettre quelques pendules à l'heure. Ils ont volontiers parlé de leurs pratiques en matière de "jeux", tous affublés de noms exotiques, tels que "la table d'opérations", "taxi", "le fil électrique" ou "pitchenette", ce dernier consistant à frapper ou à tordre les testicules de ses camarades au moment où ils s'y attendent le moins.
Qu'ils s'adonnent à ce genre de conneries, c'est déjà quelque chose, mais qu'ils en parlent sans aucune retenue, c'est la preuve que, pour eux, ces agissements sont aussi innocents que l'épervier ou la marelle d'antan. Et c'est là où je ne comprends plus: qu'est-ce que ça a de drôle? Quelle satisfaction éprouvent-ils? J'ai toujours défendu le droit des garçons à se comporter différemment des filles, à s'exprimer davantage avec leur corps, à extérioriser leur "malitude" dans un univers scolaire très majoritairement trusté par des femmes, où les fillettes et leur comportement sont présentés comme le modèle à suivre. Mais là, non. Je crains que tout ceci ne soit que le signe d'une bêtise galopante et pleinement assumée, ou alors d'un ennui si profond, d'un désespoir si grand que tout est préférable à l'immobilité.
Et lorsqu'on leur explique que de tels gestes peuvent être lourds de conséquences, que l'enfant agressé peut devenir stérile, que c'est ne pas respecter l'autre que de toucher à son intégrité physique, ils redeviennent des enfants, ils prennent leur tête de fautif que l'on conduit au coin pour un quart d'heure et qui implore déjà le pardon. Mais après la sonnerie, dans le couloir, dans l'escalier, dans la cour, la jungle reprend ses droits.
Pour quand les premières flingueries à l'américaine dans un collège français?
jeudi 11 octobre 2007
Abécédaire (F)
Fjord: un de mes souvenirs les plus cuisants.
Au cours d'un voyage en Campanie, nous avions décidé, Pierre et moi, de nous embarquer pour l'île de Capri, renommée à l'époque (années 70) pour sa fréquentation homo.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et tout de suite arnaqués: nous avons pris un taxi pour, en principe, faire le tour de l'île. En réalité court trajet que nous aurions aussi bien pu effectuer en autobus pour un prix dix ou vingt fois moins élevé.
L'après-midi, attablés à une terrasse de la piazzetta, devant un caffè dont la quantité était inversement proportionnel au coût, nous remarquons, à une table voisine, deux beaux jeunes hommes blonds, des suédois sans doute, dont nous ne comprenions pas la langue. Alors, sans gêne, Pierre et moi comparons les deux lascars, imaginons leurs goûts, présupposons leurs performances, supputons leurs mensurations, toutes remarques peu subtiles, je l'avoue, mais que nous pensions incomprises autour de nous. Bientôt les deux scandinaves s'en vont, sans même nous faire l'aumône d'un regard.
Le soir, après avoir eu bien du mal à trouver un hébergement dont le prix ne dépasse pas trop largement ce que nous pouvions y mettre, nous décidons d'aller explorer la Via Krupp, sentier sinueux descendant de la place à la mer et réputée pour sa fréquentation nocturne. Effectivement, devant les villas richissimes, à chaque ramification de la sente, des "couples" attendaient que les précédents aient fini et veuillent bien leur céder le petit coin d'obscurité derrière un buisson de bougainvillées ou de lauriers roses.
Plus bas, nous retrouvons nos amis du nord qui nous saluent d'un "bonsoir" presque sans accent.
L'horreur. Bien qu'effectivement suédois, ils avaient compris absolument tout ce que nous avions dit au café! Alors, pour détendre l'atmosphère et pour masquer notre gêne, je me mets à parler de n'importe quoi, et ne trouve rien de mieux que d'évoquer la beauté de la Suède ( je n'y avais jamais mis les pieds) et la pureté des eaux de ses fjords! Re-horreur: les fjords sont norvégiens, pas suédois!
Heureusement la soirée se finit dans la joie et le stupre, chacun avec son chacun, derrière les bougainvillées précédemment cités.
Ne pas finir sur Capri sans évoquer l'ascension en plein midi jusqu'au palais de Tibère, le chemin pentu bordé de propriétés dont les entrées de jardin embaumaient la menthe sauvage, (j'y rajoute un rafraîchissant murmure de ruisseau, mais ne suis pas sûr de l'authenticité de ce détail.), l'arrivée au sommet avec la découverte sublime des deux golfes en face: Naples et Sorrente réunis dans un même regard. Nous étions les seuls fous à avoir fait le trajet par cette grosse chaleur, mais quelle récompense: ce coin de paradis pour nous seuls, rien que tous les deux... et un vieux monsieur sans doute un peu libidineux qui nous proposa d'immortaliser l'instant en nous prenant en photo.
Fernandez (Dominique): cela s'impose après l'évocation précédente.
Lui, l'amoureux fou de l'Italie, l'un des premiers à avoir osé parler de son homosexualité.
Je n'ai pas lu tous ces ouvrages, je n'ai pas aimé tous ceux que j'ai lus, mais je me souviens encore de la description de la pâtisserie que déguste Porporino dans Les Mystères de Naples: j'en avais l'eau à la bouche. J'ai découvert grâce à lui l'univers des castrats, il est pour quelque chose dans mon goût pour l'opéra. Et puis, pour ne parler que de celui-ci: quel merveilleux roman que celui (dont j'ai oublié le titre. Quelque chose comme La Course à l'abîme.) qui raconte la Vie du Caravage, ce peintre amoureux des voyous (oui, le même que celui du cul du cheval de Saint Paul!). Merci, Monsieur Fernandez: vous êtes sublime quand vous n'érigez pas l'homosexualité comme un idéal.
Au cours d'un voyage en Campanie, nous avions décidé, Pierre et moi, de nous embarquer pour l'île de Capri, renommée à l'époque (années 70) pour sa fréquentation homo.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et tout de suite arnaqués: nous avons pris un taxi pour, en principe, faire le tour de l'île. En réalité court trajet que nous aurions aussi bien pu effectuer en autobus pour un prix dix ou vingt fois moins élevé.
L'après-midi, attablés à une terrasse de la piazzetta, devant un caffè dont la quantité était inversement proportionnel au coût, nous remarquons, à une table voisine, deux beaux jeunes hommes blonds, des suédois sans doute, dont nous ne comprenions pas la langue. Alors, sans gêne, Pierre et moi comparons les deux lascars, imaginons leurs goûts, présupposons leurs performances, supputons leurs mensurations, toutes remarques peu subtiles, je l'avoue, mais que nous pensions incomprises autour de nous. Bientôt les deux scandinaves s'en vont, sans même nous faire l'aumône d'un regard.
Le soir, après avoir eu bien du mal à trouver un hébergement dont le prix ne dépasse pas trop largement ce que nous pouvions y mettre, nous décidons d'aller explorer la Via Krupp, sentier sinueux descendant de la place à la mer et réputée pour sa fréquentation nocturne. Effectivement, devant les villas richissimes, à chaque ramification de la sente, des "couples" attendaient que les précédents aient fini et veuillent bien leur céder le petit coin d'obscurité derrière un buisson de bougainvillées ou de lauriers roses.
Plus bas, nous retrouvons nos amis du nord qui nous saluent d'un "bonsoir" presque sans accent.
L'horreur. Bien qu'effectivement suédois, ils avaient compris absolument tout ce que nous avions dit au café! Alors, pour détendre l'atmosphère et pour masquer notre gêne, je me mets à parler de n'importe quoi, et ne trouve rien de mieux que d'évoquer la beauté de la Suède ( je n'y avais jamais mis les pieds) et la pureté des eaux de ses fjords! Re-horreur: les fjords sont norvégiens, pas suédois!
Heureusement la soirée se finit dans la joie et le stupre, chacun avec son chacun, derrière les bougainvillées précédemment cités.
Ne pas finir sur Capri sans évoquer l'ascension en plein midi jusqu'au palais de Tibère, le chemin pentu bordé de propriétés dont les entrées de jardin embaumaient la menthe sauvage, (j'y rajoute un rafraîchissant murmure de ruisseau, mais ne suis pas sûr de l'authenticité de ce détail.), l'arrivée au sommet avec la découverte sublime des deux golfes en face: Naples et Sorrente réunis dans un même regard. Nous étions les seuls fous à avoir fait le trajet par cette grosse chaleur, mais quelle récompense: ce coin de paradis pour nous seuls, rien que tous les deux... et un vieux monsieur sans doute un peu libidineux qui nous proposa d'immortaliser l'instant en nous prenant en photo.
Fernandez (Dominique): cela s'impose après l'évocation précédente.
Lui, l'amoureux fou de l'Italie, l'un des premiers à avoir osé parler de son homosexualité.
Je n'ai pas lu tous ces ouvrages, je n'ai pas aimé tous ceux que j'ai lus, mais je me souviens encore de la description de la pâtisserie que déguste Porporino dans Les Mystères de Naples: j'en avais l'eau à la bouche. J'ai découvert grâce à lui l'univers des castrats, il est pour quelque chose dans mon goût pour l'opéra. Et puis, pour ne parler que de celui-ci: quel merveilleux roman que celui (dont j'ai oublié le titre. Quelque chose comme La Course à l'abîme.) qui raconte la Vie du Caravage, ce peintre amoureux des voyous (oui, le même que celui du cul du cheval de Saint Paul!). Merci, Monsieur Fernandez: vous êtes sublime quand vous n'érigez pas l'homosexualité comme un idéal.
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Riens (6)
J'ai testé aujourd'hui mes semelles "de vieux"(je préfère encore ce mot-là à orthopédique, qui sent trop sa science médicale).
Dans mes chaussures de ville, toute la matinée et une bonne partie de l'après-midi: hormis le fait que le pied est plus à l'étroit sur le dessus(la semelle d'origine ne pouvant être enlevée), ça va: aucune gêne, aucune difficulté pour marcher, aucun changement donc.
J'ai voulu aussi faire l'expérience avec mes chaussures de sport: après tout, c'était bien le but initial. Alors direction le Parc de la Tête d'Or (peut-être aussi avec une autre idée en tête). Au bout de deux tours, j'ai dû en convenir: je suis mieux, les muscles de ma jambe gauche tirent moins, et j'ai bouclé chaque tour en 17 minutes, ce qui pour l'instant est mon meilleur temps.
Pour le reste, il faudra attendre...
Je suis aussi allé chez l'opticien, cette fois-ci pour moi. (Quand j'aurai mon rendez-vous chez le dentiste, j'aurai fait le tour de la révision d'automne! Allez, papy, courage!). J'avais devant moi trois vendeurs, heureusement tous occupés: un trentenaire style jeune cadre dynamique prêt à dévorer le monde entier, un cinquantenaire frisant le vieux-beau et ne se prenant visiblement pas pour la queue d'une poire, et un mec très précieux à la syntaxe irréprochable qui m'a tout de suite tapé sur les nerfs.
Je me résignais, assis, à attendre que l'un de ces trois individus se libère quand, ô divine surprise, un jeune homme tout tendre et mignon sortit de l'arrière boutique et se proposa de m'aider dans mon choix. Pour ce qui est du vendeur, le mien n'a pas été long à faire. Ensuite, j'ai fait un peu traîné la chose, d'abord parce que des lunettes, ce n'est pas une botte de poireaux: on les a (je les ai) tout le temps sur le nez. Alors autant ne pas s'emballer. Ensuite parce que, petit à petit, nous avons engagé, le jeune homme et moi, une conversation plus intime à laquelle il s'est laissé entraîner volontiers, tout en me servant de manière très professionnelle. Ainsi, j'ai appris d'où il était originaire, qu'il était là en formation par alternance, qu'il écrivait (quoi? je n'ai pas osé le demander), qu'il aimait la campagne et qu'il était présent dans le magasin du mercredi au vendredi.
Mes lunettes devant en principe être prêtes samedi, je crois que je vais là aussi faire traîner les choses, jusqu'au mercredi.
Dans mes chaussures de ville, toute la matinée et une bonne partie de l'après-midi: hormis le fait que le pied est plus à l'étroit sur le dessus(la semelle d'origine ne pouvant être enlevée), ça va: aucune gêne, aucune difficulté pour marcher, aucun changement donc.
J'ai voulu aussi faire l'expérience avec mes chaussures de sport: après tout, c'était bien le but initial. Alors direction le Parc de la Tête d'Or (peut-être aussi avec une autre idée en tête). Au bout de deux tours, j'ai dû en convenir: je suis mieux, les muscles de ma jambe gauche tirent moins, et j'ai bouclé chaque tour en 17 minutes, ce qui pour l'instant est mon meilleur temps.
Pour le reste, il faudra attendre...
Je suis aussi allé chez l'opticien, cette fois-ci pour moi. (Quand j'aurai mon rendez-vous chez le dentiste, j'aurai fait le tour de la révision d'automne! Allez, papy, courage!). J'avais devant moi trois vendeurs, heureusement tous occupés: un trentenaire style jeune cadre dynamique prêt à dévorer le monde entier, un cinquantenaire frisant le vieux-beau et ne se prenant visiblement pas pour la queue d'une poire, et un mec très précieux à la syntaxe irréprochable qui m'a tout de suite tapé sur les nerfs.
Je me résignais, assis, à attendre que l'un de ces trois individus se libère quand, ô divine surprise, un jeune homme tout tendre et mignon sortit de l'arrière boutique et se proposa de m'aider dans mon choix. Pour ce qui est du vendeur, le mien n'a pas été long à faire. Ensuite, j'ai fait un peu traîné la chose, d'abord parce que des lunettes, ce n'est pas une botte de poireaux: on les a (je les ai) tout le temps sur le nez. Alors autant ne pas s'emballer. Ensuite parce que, petit à petit, nous avons engagé, le jeune homme et moi, une conversation plus intime à laquelle il s'est laissé entraîner volontiers, tout en me servant de manière très professionnelle. Ainsi, j'ai appris d'où il était originaire, qu'il était là en formation par alternance, qu'il écrivait (quoi? je n'ai pas osé le demander), qu'il aimait la campagne et qu'il était présent dans le magasin du mercredi au vendredi.
Mes lunettes devant en principe être prêtes samedi, je crois que je vais là aussi faire traîner les choses, jusqu'au mercredi.
mercredi 10 octobre 2007
Abécédaire (E)
E: Je n'ai pas une grande passion pour cette lettre, elle est molle: elle peut être muette (alors, à quoi sert-elle?) et a besoin souvent d'un accent pour s'affirmer. Et, s'il vous plaît, Mesdames mes collègues vieillissantes, ne voyez pas dans ces quelques remarques, sous prétexte que le "e" en français est la marque du féminin, des preuves indiscutables de mon machisme invétéré! Je vous aime, femmes, parfois de loin c'est vrai.
Eté: il faudrait écrire "étés" tant ils sont nombreux dans mes souvenirs. Je pensais les raconter ici , mais je n'en ai pas le courage: trop long. Et puis j'ai peur que les souvenirs ne me "griffent" trop ce soir.
Un seul, alors, plein de bonheur. Celui d'Usson-en-Forez, où mes parents avaient pris en location pour l'été un deux- pièces dont la fenêtre de la chambre donnait sur l'atelier d'un charron (qui, probablement, faisait aussi office de maréchal-ferrant).
J'ai déjà évoqué cet été (voir Abécédaire (D) : digitale). Pourquoi me reste-t-il si tendre? J'ai le souvenir d'une explosion de senteurs, je ferme les yeux et elles sont encore là: l'odeur de la résine chaude à la lisière des bois de sapins, celle du serpolet sous le soleil de la lande, les effluves de pain frais dans la rue de la boulangerie le matin, l'odeur de cette boulangerie elle-même, odeur de farine brute qui me faisait tourner la tête lorsque j'y pénétrais.
Quel âge avais-je? Six ans sans doute, ou à peu près. Peut-être un an de plus.
Il nous fallait chaque après-midi, faire la sieste au frais dans la pénombre de la chambre. Etant l'aîné, je m'endormais moins facilement que les autres. J'entendais, dans la cour, les bruits de l'activité du charron, ces coups sur le métal (l'odeur du cuir est-elle un souvenir rajouté par la suite?) et cette agitation me rassurait: même si nous étions dans l'obscurité, même si je savais que j'allais sombrer pour quelques instants dans le néant du sommeil, la vie continuait tout près. Et au réveil, parce que je finissais bien par m'endormir, je confiais à ma mère, naïvement, le résultat de mes pensées solitaires. Je me souviens bien de l'un d'entre elles, parce qu'il m'a fallu des années (des décennies) pour me débarrasser de cette impression: je lui avais dit que, de ses enfants, j'étais le moins beau. Si, au lieu d'en rire, elle m'avait pris dans ses bras pour m'assurer que j'étais le plus charmant de tous les petits garçons du monde, ma vie en aurait sans doute été changé! Mais peut-être, en réagissant ainsi, m'a-t-elle aussi par la suite évité bien des désillusions.
De cet été, il me reste encore un objet en tête: un jouet qui nous occupa des après-midi entiers dans les prés. C'était une sorte de disque en plastique que l'on fixait sur un manche servant à le tenir, et autour duquel s'enroulait une ficelle. Lorsque l'engin était prêt, il suffisait de tirer rapidement sur la ficelle et d'avoir un peu de chance pour que le disque s'envole, effectue un court trajet dans les airs et retombe quelques mètres devant nous.
Deux autres images ont resurgi dans mon esprit pendant que j'écrivais ce qui précède. D'une part, c'est à Usson que j'ai eu mon premier vélo et que j'ai appris à en faire, dans le petit jardin public. D'autre part, tout à côté de la grande place sur laquelle donnait la deuxième fenêtre, il y avait une toute petite rue qui, après un passage arqué, finissait dans une cour. Et dans cette ruelle s'installait au soleil, sur une chaise devant l'épicerie, une dentellière. Sans doute une des dernières.
Eté: il faudrait écrire "étés" tant ils sont nombreux dans mes souvenirs. Je pensais les raconter ici , mais je n'en ai pas le courage: trop long. Et puis j'ai peur que les souvenirs ne me "griffent" trop ce soir.
Un seul, alors, plein de bonheur. Celui d'Usson-en-Forez, où mes parents avaient pris en location pour l'été un deux- pièces dont la fenêtre de la chambre donnait sur l'atelier d'un charron (qui, probablement, faisait aussi office de maréchal-ferrant).
J'ai déjà évoqué cet été (voir Abécédaire (D) : digitale). Pourquoi me reste-t-il si tendre? J'ai le souvenir d'une explosion de senteurs, je ferme les yeux et elles sont encore là: l'odeur de la résine chaude à la lisière des bois de sapins, celle du serpolet sous le soleil de la lande, les effluves de pain frais dans la rue de la boulangerie le matin, l'odeur de cette boulangerie elle-même, odeur de farine brute qui me faisait tourner la tête lorsque j'y pénétrais.
Quel âge avais-je? Six ans sans doute, ou à peu près. Peut-être un an de plus.
Il nous fallait chaque après-midi, faire la sieste au frais dans la pénombre de la chambre. Etant l'aîné, je m'endormais moins facilement que les autres. J'entendais, dans la cour, les bruits de l'activité du charron, ces coups sur le métal (l'odeur du cuir est-elle un souvenir rajouté par la suite?) et cette agitation me rassurait: même si nous étions dans l'obscurité, même si je savais que j'allais sombrer pour quelques instants dans le néant du sommeil, la vie continuait tout près. Et au réveil, parce que je finissais bien par m'endormir, je confiais à ma mère, naïvement, le résultat de mes pensées solitaires. Je me souviens bien de l'un d'entre elles, parce qu'il m'a fallu des années (des décennies) pour me débarrasser de cette impression: je lui avais dit que, de ses enfants, j'étais le moins beau. Si, au lieu d'en rire, elle m'avait pris dans ses bras pour m'assurer que j'étais le plus charmant de tous les petits garçons du monde, ma vie en aurait sans doute été changé! Mais peut-être, en réagissant ainsi, m'a-t-elle aussi par la suite évité bien des désillusions.
De cet été, il me reste encore un objet en tête: un jouet qui nous occupa des après-midi entiers dans les prés. C'était une sorte de disque en plastique que l'on fixait sur un manche servant à le tenir, et autour duquel s'enroulait une ficelle. Lorsque l'engin était prêt, il suffisait de tirer rapidement sur la ficelle et d'avoir un peu de chance pour que le disque s'envole, effectue un court trajet dans les airs et retombe quelques mètres devant nous.
Deux autres images ont resurgi dans mon esprit pendant que j'écrivais ce qui précède. D'une part, c'est à Usson que j'ai eu mon premier vélo et que j'ai appris à en faire, dans le petit jardin public. D'autre part, tout à côté de la grande place sur laquelle donnait la deuxième fenêtre, il y avait une toute petite rue qui, après un passage arqué, finissait dans une cour. Et dans cette ruelle s'installait au soleil, sur une chaise devant l'épicerie, une dentellière. Sans doute une des dernières.
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