mercredi 10 octobre 2007

Abécédaire (E)

E: Je n'ai pas une grande passion pour cette lettre, elle est molle: elle peut être muette (alors, à quoi sert-elle?) et a besoin souvent d'un accent pour s'affirmer. Et, s'il vous plaît, Mesdames mes collègues vieillissantes, ne voyez pas dans ces quelques remarques, sous prétexte que le "e" en français est la marque du féminin, des preuves indiscutables de mon machisme invétéré! Je vous aime, femmes, parfois de loin c'est vrai.

Eté: il faudrait écrire "étés" tant ils sont nombreux dans mes souvenirs. Je pensais les raconter ici , mais je n'en ai pas le courage: trop long. Et puis j'ai peur que les souvenirs ne me "griffent" trop ce soir.
Un seul, alors, plein de bonheur. Celui d'Usson-en-Forez, où mes parents avaient pris en location pour l'été un deux- pièces dont la fenêtre de la chambre donnait sur l'atelier d'un charron (qui, probablement, faisait aussi office de maréchal-ferrant).
J'ai déjà évoqué cet été (voir Abécédaire (D) : digitale). Pourquoi me reste-t-il si tendre? J'ai le souvenir d'une explosion de senteurs, je ferme les yeux et elles sont encore là: l'odeur de la résine chaude à la lisière des bois de sapins, celle du serpolet sous le soleil de la lande, les effluves de pain frais dans la rue de la boulangerie le matin, l'odeur de cette boulangerie elle-même, odeur de farine brute qui me faisait tourner la tête lorsque j'y pénétrais.
Quel âge avais-je? Six ans sans doute, ou à peu près. Peut-être un an de plus.
Il nous fallait chaque après-midi, faire la sieste au frais dans la pénombre de la chambre. Etant l'aîné, je m'endormais moins facilement que les autres. J'entendais, dans la cour, les bruits de l'activité du charron, ces coups sur le métal (l'odeur du cuir est-elle un souvenir rajouté par la suite?) et cette agitation me rassurait: même si nous étions dans l'obscurité, même si je savais que j'allais sombrer pour quelques instants dans le néant du sommeil, la vie continuait tout près. Et au réveil, parce que je finissais bien par m'endormir, je confiais à ma mère, naïvement, le résultat de mes pensées solitaires. Je me souviens bien de l'un d'entre elles, parce qu'il m'a fallu des années (des décennies) pour me débarrasser de cette impression: je lui avais dit que, de ses enfants, j'étais le moins beau. Si, au lieu d'en rire, elle m'avait pris dans ses bras pour m'assurer que j'étais le plus charmant de tous les petits garçons du monde, ma vie en aurait sans doute été changé! Mais peut-être, en réagissant ainsi, m'a-t-elle aussi par la suite évité bien des désillusions.
De cet été, il me reste encore un objet en tête: un jouet qui nous occupa des après-midi entiers dans les prés. C'était une sorte de disque en plastique que l'on fixait sur un manche servant à le tenir, et autour duquel s'enroulait une ficelle. Lorsque l'engin était prêt, il suffisait de tirer rapidement sur la ficelle et d'avoir un peu de chance pour que le disque s'envole, effectue un court trajet dans les airs et retombe quelques mètres devant nous.
Deux autres images ont resurgi dans mon esprit pendant que j'écrivais ce qui précède. D'une part, c'est à Usson que j'ai eu mon premier vélo et que j'ai appris à en faire, dans le petit jardin public. D'autre part, tout à côté de la grande place sur laquelle donnait la deuxième fenêtre, il y avait une toute petite rue qui, après un passage arqué, finissait dans une cour. Et dans cette ruelle s'installait au soleil, sur une chaise devant l'épicerie, une dentellière. Sans doute une des dernières.

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