mercredi 31 décembre 2008

Ultimae dies.

Voilà: la nuit est tombée. Jamais plus il n'y aura de jour 2008. Quelle importance? Qu'est-ce que cette date de nouvel an? Une convention de plus, pratique pour les statistiques, les bilans, qu'il faut réajuster sans cesse pour qu'elle coïncide avec le temps réel, celui de la nature, de la lune et du soleil, celui qui nous dépassera toujours. Une date à faire en principe se pâmer les commerçants, les marchands de paillettes et d'illusions, les vendeurs de bonheur en boîte et d'oubli en bouteille.

Moi, je m'en fiche de tout ça. C'est à lui, là-haut, que je veux parler. Non, pas Dieu, l'homme sur la photo. Pris dans mon appareil il y a trois jours, au bord du Rhône, quand le soleil était revenu, à se chauffer de la seule chaleur qui ne coûte rien. Un SDF, pas le plus visible, à peine représentatif: ses souliers sont encore en bon état, les vêtements aussi, apparemment. On pourrait s'y tromper. Pourtant, il y a les doigts gourds et sales qui ont du mal à retenir au vent la note de la caissière du supermarché du coin. Il y a acheté une bière, de la marque Atlas. Et c'est lui qui courbe le dos sous le poids du monde. Peut-être sait-il qui était Atlas dans la mythologie, peut-être ne le sait-il pas. Aucune importance. Aucune importance pour moi non plus la raison de sa déchéance progressive: perte d'emploi, alcool, fainéantise, illettrisme, histoire d'amour à fin d'horreur, maladie, accident, choix personnel. Je m'en moque. Je ne suis pas en train de faire du misérabilisme: je vois un homme qui sombre, qui a encore une partie de lui hors de l'eau mais qui va sombrer, c'est presque sûr.

Je vois cet homme et je me dis: que fait-il ce soir? Aura-t-il récolté assez de piécettes dans sa chapka pour pouvoir s'acheter encore de la bière ou du vin, un grand litron, que l'on peut partager avec les potes, ou qui réchauffera la nuit solitaire? Combien, pour cela, aura-t-il dû soutenir, ou éviter, de regards méprisants, juges de sa misère, de regards attendris qui ne s'arrêteront pourtant pas, de conseils lénifiants lui indiquant la rue du foyer le plus proche où il ne veut pas aller? Combien?

Ils seront nombreux ce soir, comme les autres soirs, dans la rue. D'année en année, dans les grandes villes, leur rencontre est plus fréquente. Impossible de ne pas les voir. Mais les voir est-il suffisant pour se rendre compte que la plupart de ces hommes et femmes étaient semblables à nous il y a peu, qu'ils payaient leur loyer, qu'ils faisaient leurs courses, qu'ils embrassaient leurs enfants, qu'ils aimaient leur travail? Le meilleur des cadeaux que l'on pourrait leur faire ne serait-il pas de ne pas les juger, de les prendre là où ils sont, avec leurs addictions, leurs douleurs et leurs poux, de les considérer comme des semblables, en se faisant, si nécessaire, peur pour réagir: et si c'était moi, demain? De les prendre là et de les conduire ailleurs, dans un monde où l'individuel cèderait enfin la place à une réelle solidarité: tu es alcoolique? Viens, je ne te juge pas, je suis là, simplement. Tu as voulu t'arrêter et tu n'as pas réussi? Tu as replongé? Tu sais que tu peux encore replonger? Et alors? Je ne te juge pas. Qui suis-je pour juger, moi et mes imperfections? Aujourd'hui, tu n'as pas bu! C'est une victoire, même si demain la déroute te guette! Arrêtons de cataloguer, de classifier, de vouloir à tout prix connement aider les gens qui ne le demandent pas, ou qui demandent autre chose que des bons sentiments et quelques dons au moment de Noël. On soulage son âme en allégeant sa poche: drôle de transmutation négative.

Voilà: je me suis perdu en route dans mon billet que je ne relirai pas. Je me suis mis en colère en tapant sur les touches de mon clavier. Colère vaine, colère stérile. Qu'est-ce que cela va changer? Je voulais parler de cet homme que je ne connais pas mais qui est mon frère, de cet homme qui me rirait au nez sans doute en lisant les mots que je viens d'écrire. Et pourquoi pas: chacun sa joie d'épingler l'autre. Je suis à coup sûr plus ridicule que lui. Je voulais parler de lui, un dans la balance qui, de l'autre côté, pèse ce soir les foies gras, les huîtres et les chapons. Et que l'on ne me dise pas que les huîtres, ça ne se pèse pas. Ça pèse au contraire très lourd, sur l'estomac de ceux qui ne les digèrent pas, et sur le dos de ceux qui, de toute façon, seront oubliés ce soir. Allez, bon passage, messieurs. Mais c'est à ceux des ponts et des parvis d'église, ceux qui dormiront dans des cartons cette nuit, que je les adresse, ces vœux. Bon passage. Je ne peux pas dire bonne année: on n'en est pas à calculer si long quand on regarde, dubitatif, sa note d'achats où figure la bière Atlas.
Les autres, pour les vœux, vous attendrez demain!

mardi 30 décembre 2008

Façon de s'exprimer.

Faut voir (la tête du locataire...)!

Les heures.

Les heures, toujours les heures. Dans l'Antiquité, avec la majuscule, elles étaient filles de Zeus et de Thémis et sœurs des Moires, les Destinées. Elles sont trois, au départ divinités des Saisons puis personnifications des heures du jour. Leurs premiers noms furent traduits par Discipline, Justice et Paix, mais les Athéniens les rebaptisèrent bientôt, leur prêtant des patronymes évoquant l'idée de pousser, de croître et de fructifier. Dans une légende tardive, l'une d'entre elles, d'ailleurs, épousa Zéphyr, le vent du printemps, dont elle eut un fils: Carpos, le Fruit. Double rôle donc: divinités de la nature (cycle de la végétation) et divinités de l'ordre social. (Ne vous extasiez pas sur mon savoir: ces renseignements précis sont tirés du Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, de Pierre Grimal, aux Presses Universitaires de France.)

Aujourd'hui, les heures ont perdu leur majuscule et leur aspect divin, bien que ce soit elles qui règlent encore notre vie la majeure partie de l'année et que l'on retrouve toujours dans cette répartition arbitraire du temps les deux aspects de maturation (et de mort) d'une part et de contrôle social et de rentabilité d'autre part.

Si je respecte pour l'instant de façon presque maladive la structuration de la journée de travail par des horaires précis, si j'ai par exemple horreur d'être en retard (même dans ma vie privée) ou absent, je me demande ce que va devenir cette contrainte que je m'impose dans ma vie active lorsque je serai à la retraite. Si je prends comme indice mes horaires de vacances, il est bien évident que je n'aurai plus alors aucun repère traditionnel.

Mon penchant naturel me pousse à veiller très tard, à ne me coucher que lorsque je ne peux vraiment plus faire autrement, la fatigue me fermant les yeux d'autorité. J'ai d'ailleurs de plus en plus de mal à admettre qu'il faille à tout prix reposer le corps pour son bon fonctionnement du lendemain. Je vois ce repos comme un gaspillage d'un temps que l'on pourrait consacrer à d'autres activités plus intéressantes et formatrices.

C'est d'ailleurs peut-être pour ça que mon cerveau se fait un malin plaisir de me réveiller la plupart du temps quelques heures seulement après mon endormissement, prêt à fonctionner de façon tout à fait claire, alors que je ne lui ai rien demandé.

Ecrire, disait-il.

J., devant ma surprise renouvelée de le voir écrire si tôt sur son blog, me disait que, pour lui, c'était tout naturel. Pourrais-je, moi aussi poster un écrit avant de partir au travail?

Je pense qu'alors la tonalité générale de mes billets changerait. Il me semble qu'écrire le matin apporte un peu de "pétillance", de la fraîcheur, que le regard est davantage tourné vers la journée qui commence et que l'on espère bonne, que, comme après une nuit de vaines angoisses, le jour efface les peurs ou leur redonne leurs justes proportions. Quand on écrit le matin, on est forcément optimiste, sans que je sache si la phrase ne pourrait pas être inversée: quand on est optimiste, on écrit forcément le matin.

Moi, il me faut le soir, rarement l'après-midi, presque un rituel. D'abord le repas, à écouter la radio en mangeant seul face à mon assiette (rien de triste dans ce détail), puis l'écriture et la lecture. J'ai l'intuition que ces trois activités, se nourrir, écrire et lire, sont par essence féminines car concernant l'interne, le caché, le personnel. J'ai du mal à exprimer ce que je ressens sur ce point. Je crois que c'est notre part féminine qui prend le dessus le soir, c'est à dire notre intériorité, qui peut aussi passer, à un moment, par la prière, le point sur la journée, ce qui est presque la même chose, le merci en moins.

De ce moment tardif où l'on écrit, naît-il de la nostalgie? Je ne crois pas, même si la lampe allumée sur le bureau, dans l'obscurité du reste de l'appartement, accroît cette intimité avec le texte, écrit ou lu, incite à la confidence, au chemin plus ombré de la fiction, à une certaine douceur du relâchement. Mais c'est plus la forme qui peut en être imprégnée, la structure de la phrase, sa musicalité, son étendue, sa tessiture. Les sujets de mes billets me viennent souvent dans la journée. Je les note parfois sur un petit papier pour ne pas les oublier. Ou alors ce sont les autres, quand je les lis, qui me font réagir, qui me rappellent un souvenir, qui m'évoquent un épisode de ma vie. Et sur les sujets choisis, l'heure n'a pas d'emprise.

Ainsi écrire, comme manger et lire, voire prier, est une douceur que je m'offre avant de dormir, une façon de déstresser le zèbre, de lui raconter de belles histoires dont je ne me souviens pas qu'il y ait jamais eu droit enfant.

En me relisant, je me rends compte que je n'ai pas vraiment dit ce que je voulais dire, qu'il faudrait déjà que ce soit plus clair dans mon esprit pour le rendre avec clarté par les mots. J'y reviendrai sans doute un jour.

lundi 29 décembre 2008

Les Blessures assassines.

Hier soir, j'étais devant l'autre écran. Exceptionnellement. On me dit que je suis intoxiqué par Internet. J'ai voulu voir. J'ai vu.

Un grand moment à zapper sur toutes les chaînes proposées par la free-box. Rien pour me retenir. Un arrêt un peu plus long sur la Rai, à entendre de l'italien, à tester mon niveau actuel, ma capacité à suivre une conversation "en temps réel". Mais même ce plaisir de la langue ne tient pas devant les fadaises imposées par Berlusconi à une nation qui fut l'une des plus inventives, des plus riches culturellement. J'ai fini par abandonner et par me rabattre sur un DVD. Depuis le temps que j'en achète, il serait peut-être temps que je me mette à les visionner.

Le choix d'hier? Les Blessures assassines, de Jean-Pierre Denis, avec Sylvie Testud (dont ce fut, je crois, un des premiers rôles) et Julie-Marie Parmentier. Le film raconte le fait divers qui donna naissance à la pièce de Jean Genet, Les Bonnes: l'assassinat, en 1933 au Mans, par les deux domestiques de leur employeuse et de sa fille.

Sylvie Testud joue admirablement bien (et je ne dis pas cela parce qu'elle est lyonnaise), mais je n'ai guère aimé ce film. D'abord, sans doute, parce que je ne peux toujours pas me concentrer longuement sur une fiction à la télévision (et cela est peut-être pour certains une preuve de mon addiction à Internet). Trop de choses me passent alors en tête pour que je m'imprègne de l'atmosphère, voire parfois pour que je comprenne ce qui se passe sous mes yeux. Je regarde mais je suis ailleurs.

Ensuite, justement, l'atmosphère de ce film m'a pesé: cette folie naissante que l'on voit peu à peu grandir chez le personnage au fur et à mesure de la découverte de son homosexualité incestueuse et d'un certain rejet de la part de ses sœurs, cette violence à peine contenue qui finit par exploser dans la scène du massacre, je n'ai pas besoin de les voir exposées en ce moment. J'aime bien que Noël soit une période calme, même bête. Ou alors, je ne supporte pas que l'on m'impose la façon de voir cette violence, cette folie, je préfère les imaginer au fil d'une lecture ou d'une rêverie.

J'aurais mieux fait de passer La Mélodie du bonheur! Tant qu'à perdre son temps!

Village.

Au pied du sapin et de la crèche, les internées de la clinique psychiatrique, les "irrécupérables" comme je les ai déjà entendu appeler par certains, ont installé ce village cotonneux et coloré, confectionné dans leurs boîtes de médicaments. Maisons de rêve et fagots de bois. Retour aux dessins de l'enfance. Je l'ai pris en photo hier soir, alors que quelques-unes sombraient déjà dans la léthargie, ensevelies entre les bras de fauteuils trop grands pour elles, insensibles à la télévision qui radotait seule et trop fort. Elles ont paru se réveiller quand je me suis approché avec mon appareil. Elles sont fières de leur village. Elles ont raison.

dimanche 28 décembre 2008

Surprise.

Le repas de famille de fin d'année se passait cette fois encore chez mon frère. Mon neveu et ma nièce étaient là aussi, revenus l'un du sud, l'autre du sud-ouest. Quel nuage planait aujourd'hui dans le bleu du ciel lyonnais? J'étais bien, alors que ce matin encore je traînais les pieds pour démarrer la journée, avec (psychosomatique?) un vertige assez violent.

Bien sûr ma mère a fait des siennes, bien sûr il a fallu parfois la cadrer comme un enfant de deux ans, et pourtant je n'ai pas senti le décalage m'envahir peu à peu comme c'est d'habitude le cas. Au moment de l'échange des cadeaux, j'ai eu cette bouffée de spleen une seconde mais je l'ai vite évacuée, sans effort. Pourquoi aujourd'hui et pas les autres jours? Je n'en sais rien.

Le repas était parfait. Après l'apéritif, foie gras maison (entièrement préparé par mon frère) sur tranches de pain d'épices avec purée d'oignons et confiture de figues. Puis verrines de noix de St Jacques aux lentilles corail, cailles farcies au foie gras accompagnées de haricots et de girolles, plateau de fromages et bûche traditionnelle au chocolat. Côté vins, la sélection était assez relevée aussi: vin de paille en apéritif, puis Jurançon et Côte Rôtie (une bouteille oubliée et retrouvée hier dans mes réserves!). Café, champagne et Armagnac ont complété ce repas festif.

Le moment le plus émouvant est arrivé lorsque ma mère, oubliant sa mauvaise humeur, s'est mise à chanter quelques vieilles chansons de son répertoire, dont les fameuses Roses blanches, immortalisées par Berthe Sylva. Depuis combien d'années n'avais-je pas entendu chanter ma mère? Ce petit filet de voix qui se perdait souvent, qu'il fallait aider parfois à redémarrer, que l'on ne comprenait pas toujours. Mais elle chantait et tous, autour de la table, se taisaient pour l'écouter. Elle a bien sûr fini par une pirouette lorsqu'elle a senti l'émotion qui gagnait. Mais ça, c'est une spécialité de famille.

L'après-midi, je suis sorti un quart d'heure, pour marcher jusqu'au coin de la rue, promenade digestive que personne n'a voulu partager. J'étais bien, je suis revenu au milieu d'eux et j'étais bien. J'ai imaginé mon père parmi nous, avec sa bonne humeur, son rire, ses blagues à deux sous. Il était là, aujourd'hui, dans le plaisir que visiblement nous avions tous à nous retrouver.

samedi 27 décembre 2008

Le cirque.

Le cirque est dans la ville. J'ai vu son affiche, avec ce personnage hybride tenant du majordome, du clown au nez rouge et de Coluche pour la silhouette. J'ai entendu le haut parleur ce matin, niché au sommet de la voiture sillonnant les rues de Lyon pour rameuter le chaland.

J'aime le cirque. J'ai toujours apprécié ce spectacle, sans jamais penser aux efforts, aux souffrances imposés aux hommes comme aux bêtes pour réussir leurs numéros, simplement pour la magie des paillettes, pour la peur que l'on aime ressentir, qui poigne le ventre devant les acrobates au trapèze ou les dresseurs de fauves, pour la beauté des corps aussi sans doute.

Mon premier contact avec ce monde à part fut sans doute le film de Cecil B. DeMille, sorti en 1952, année de ma naissance, et que l'on m'emmena voir au cinéma rapidement (qui? quand? je ne sais pas. Ma grand-mère paternelle sans doute, quelques années plus tard). Je n'ai aucun souvenir de l'histoire que raconte Sous le plus grand Chapiteau du monde. Mais j'ai gardé la sensation d'émerveillement, d'écrasement que m'avaient procuré les images et cette impression d'avoir vu évoluer des surhommes.

Je ne crois pas avoir un jour mis les pieds dans un vrai cirque, sous un grand chapiteau. Tout ce que j'en sais, je l'ai vu à la télévision, dans l'émission de Gilles Margaritis La Piste aux Etoiles, qui a duré jusqu'à la fin des années soixante-dix. Roger Lanzac en était le Monsieur Loyal. Je n'en manquais jamais un rendez-vous et, si dans mes jeunes années, c'est évidemment l'apparition du couple de clowns que j'attendais avec impatience, plus tard j'eus bien vite les yeux plus attirés par la bosse sous les maillots collants et les fessiers rebondis des athlètes que par les gros godillots des amuseurs.

La seule fois que je vis un cirque "en vrai", c'est à l'école primaire. J'étais encore dans les premières classes, tout gosse donc. A cette époque-là, les dinosaures n'existaient déjà plus (eh oui, mes amis Fabrice et Petrus, je vous rappelle que l'on a mangé le dernier pour mon baptême!) mais les petits cirques ambulants sillonnaient encore la France, avec des spectacles plus pédagogiques que spectaculaires. Ainsi nous montrait-on des oies, des chèvres, des ânes et parfois, avec un peu de chance, un lama ou un gros serpent bien endormi.

Nous ne payions que trois sous pour voir mais il faut dire que, hormis "l'attraction exotique", il y avait bien longtemps que nous avions découvert les autres animaux dans les prés autour de chez nous. Je me souviens pourtant de l'air triste de la plupart de ses bêtes. C'est sans doute lors de la visite de l'un de ces cirques que je me suis juré de ne jamais enfermé un animal pour mon plaisir. Jusqu'à ce jour, j'ai tenu parole: je n'ai eu qu'un chien, trouvé au bord de la route en Italie, il serait mort sans moi et il n'a jamais été enfermé.

Quand je vois ces affiches, quand j'entends le haut-parleur, j'ai parfois envie de me diriger vers la grande tente, de prendre un billet, de faire un tour entre les cages du zoo, à respirer l'odeur forte des fauves et de l'urine avant de pousser le rideau et d'entrer dans le cercle magique du chapiteau. Envie de faire un pont avec mes premières années. Envie de retrouver le même émerveillement, d'ouvrir grand la bouche quand les lumières s'éteignent, que l'athlète est là-haut, tout là-haut au sommet, petit comme un moineau, que le tambour roule dans un silence de plus en plus épais, et, lorsqu'il s'élance dans le vide, magnifique oiseau charnel, de pousser le même cri sorti de mille poitrines oppressées.
Envie de redevenir enfant.

vendredi 26 décembre 2008

Bon, d'accord.

A la demande de certains, une photo de moi. Encore! Mais c'est bien parce que c'est Noël, hein! Il ne faudrait pas y prendre goût!



Oh! Pardon. Me suis trompé! Ça, c'est tard le soir, quand je commence à me transformer en citrouille. Voilà, voilà:



Bon, d'accord, on ne voit pas très bien les oreilles, ni la barbe que je suis en train de laisser pousser. Je trouve que ça me donne un côté Sean Connery! Oui, oui, moins Sean que... Méchants! Jaloux!

Glissement de la fiction.

Le bel opticien traverse le jardin public, face à la boutique. Il a l'air d'apprécier le soleil revenu. La neige tombée tout à l'heure n'a pas tenu. Il est presque midi. Grand ciel bleu. La boutique vient de fermer. Où va-t-il?

Oublier sa voix trop apprêtée, ne jouir que de la vue, silhouette sombre, pantalon noir, trois-quarts de cuir marron, chaussures cirées effilées, allure juvénile. Lorsqu'il passe près de moi, je retrouve sa nuque solide, des oreilles ourlées que j'ai envie de mordre, ses cils longs et recourbés, seule douceur à ce visage de mâle. Il traverse le jardin, sans presser le pas, jetant le coup d'œil de celui qui est sûr de lui. Les bancs sont vides, pas d'enfants. Il fait trop froid. Je ralentis pour le suivre du regard. Où va-t-il déjeuner? Tout à coup, il accélère le pas et se met même à courir en direction de l'avenue. Qui a-t-il vu? Qui ne veut-il pas manquer? J'accélère moi aussi pour ne pas le perdre de vue, s'il tourne à l'angle du pâté de maisons. Va-t-il retrouver son amant?

Rien de cela: le bus arrive. Il l'avait vu. Il monte, direction Maisons Neuves puis Bonnevay. Je n'ai plus qu'à rentrer. Sous cette éclaircie, l'histoire ne devait pas être celle-là. Mes sacs de provisions à la main, j'imagine la mienne, celle qui me convient, celle qui s'accorde au beau temps.

Tout à coup, il accélère le pas et se met même à courir en direction de l'avenue. Il a vu arriver Jean, sa voiture est bloquée au feu rouge. Vite, le rattraper, se montrer avant qu'il ne redémarre, chercher ensemble une place en posant sa main sur son genou, attendre de pouvoir s'embrasser, regarder pour patienter les lèvres où tout à l'heure les siennes se poseront, rire parce qu'on s'est retrouvé, parce que le feu n'est pas passé trop vite au vert, parce que la main est froide, parce que la cuisse est chaude, parce qu'on est heureux. Voir l'autre avec le regard qui pétille.
Une place se libère. La chance est avec eux. On s'arrête. Un baiser chaste sur la bouche. On ne regarde plus autour. Au début, on faisait attention aux voisins. Maintenant le baiser est si naturel. Qui le remarquerait? On se serre aussi furtivement la main, en se caressant les doigts, en se laissant caresser.

L'escalier, la porte. On se serre, la tête sur l'épaule à respirer l'odeur de l'autre, celle qui le signe et que l'on est tout surpris de reconnaître parfois sur un étranger. On s'embrasse encore: on ne s'est pas vu de deux jours. Il faut reconnaître la peau de l'autre, sa chaleur, son électricité. Le repas est prêt. Juste à le faire chauffer, à mettre le couvert. On commence à parler, les deux ensemble d'abord, parce qu'on est bavard, parce qu'on veut que l'autre sache, approuve, sourit, s'irrite, puis l'un après l'autre parce qu'on ne comprend plus rien. Il n'y a que peu de silences: ce sont les ponctuations des baisers, quand l'un des deux se lève de sa chaise pour s'asseoir sur l'autre et lui caresser les tempes, lui frôler les cheveux et le front avant de reposer ses lèvres au même endroit, dans l'empreinte du précédent baiser.

Le temps coule. Le café passe. On l'accompagne d'un carré de chocolat et l'on s'en va vers la chambre, toujours trop froide pour l'un, trop chaude pour l'autre. Ils se déshabillent et se retrouvent nus, côte à côte sous les draps, les jambes enlacées, les bras encombrants tant qu'ils n'ont pas trouvé leur place, autour du bassin de l'un, autour des épaules de l'autre. Réchauffer l'amant, sentir le désir monter sous ses mains, s'enhardir à de plus impures caresses, à de plus vigoureuses empoignades, jusqu'à ce que le désir le plus fort l'emporte, jusqu'à ce que l'autre se soumette, jeune chien à qui l'élu mordille l'oreille comme pour le remercier. Laisser exploser son sexe, sa bouche, tout son corps écartelé tandis que l'autre explose aussi, dans une agonie commune.

Et puis retomber sur l'oreiller, dompter son souffle, tressaillir encore sous l'ultime caresse, échanger le savon, nus et comblés, et voir, au réveil, que le temps est fini. Retrouver le dehors. S'arrêter avant sur le demi-palier, celui du baiser qui referme la parenthèse, toujours le même, au même endroit, comme un rite. La voiture s'éloigne, le petit signe de la main.

Retraverser le jardin, regarder de ci, de là, sans rien voir d'autre que sa joie qui devrait illuminer tous les autres. Être sûr de soi, se passer la main sur le visage pour sentir encore l'autre entre ses doigts. Soupirer...et regagner le monde.

Voilà.

jeudi 25 décembre 2008

Albums.

Je viens de passer plus de deux heures devant mes photos, celles d'octobre 2007 à fin avril 2008, à éliminer les doublons, mettre à la corbeille les laides, les floues, celles qui, avec le recul, ne présentent pas grand intérêt. Tout ceci dans le but d'en présenter davantage sur mon site Flickr (accessible en bas de la colonne de droite) et d'alléger un peu mon ordinateur.

J'ai mal à l'index de la main droite d'avoir eu à tant manier la souris. De combien me suis-je débarrassé? Une bonne centaine, je pense. Mais le plus étrange, ce fut de reparcourir mentalement ces six mois de ma vie. J'ai dit combien elle avait changé, ma vie, depuis la mort de Pierre et je retrouve les traces de ces changements derrière chaque album, chaque cliché: découverte des différents quartiers de Lyon avec un autre œil, collé à l'objectif de l'appareil, voyages en Bourgogne, en Allemagne, en Savoie, biennale des lions et des ours, abbayes de Provence, saisons au parc de la Tête d'or, spectacles et manifestations diverses.

Je pourrais presque dire à quel moment chacune de ces photos a été prise, qui était avec moi, quel était l'état de ma vie affective, amoureuse, sexuelle, familiale, pédagogique à ce moment-là. Pour la plupart, je me rappelle parfaitement les circonstances qui m'ont amené à appuyer sur le petit bouton.

J'ai eu peur, un instant, que feuilleter ces pages n'entraîne un petit accès de mélancolie: il n'en est rien. Je me suis souvenu avec tendresse de tous ces moments passés, heureux ou un peu moins, tous ces événements, toutes ces personnes qui sont restées ou sont entrées dans ma vie. Six mois de vie: ce n'est rien et c'est énorme. Je n'ai pas à me plaindre: j'ai bien vécu.

Recadrage.

Je suis rentré. Les rues étaient désertes, le ciel de plus en plus gris sombre, le silence des rues total. J'ai laissé ma mère et ma sœur devant Jean de Florette.

Maintenant quelques voitures passent sous mes fenêtres: retour à la maison après la journée festive, l'apéritif resservi, le repas trop riche, les cadeaux, les merveilleux cadeaux, ces idiots de cadeaux. Les enfants dorment à l'arrière, perdus au milieu de l'amoncellement des paquets ouverts ce matin ou à midi sous le sapin, ailleurs. L'homme conduisant, un peu congestionné, trop mangé, trop bu, regrettant de ne pas s'être resservi à temps du chevreuil ou du turbot; elle totalement silencieuse, parce qu'elle sait que dans ces moments-là éclate la violence des mots, pour un rien, parce qu'on a passé la journée dans sa famille à elle et pas dans la sienne, réservée pour le 1er de l'an.

Étrange silence de la ville après la fièvre des derniers jours, fourmis envolées, terrées par tribu, décortiquant l'amas des achats, ripaillant à l'abri des autres, oublieux du reste, ripaillant, c'est tout, comme si c'était la dernière fois.
Étrange impression de non-vie, de négation du plaisir, de l'amour, de la lumière, que même le ciel n'a pas montrée. On a passé une fête, il en reste encore une, et puis enfin autre chose.

Plus personne ne dit aimer Noël. Fêter Noël, c'est comme baiser: on en attend beaucoup avant et l'on reste sur de l'inachevé, du frustrant, même si c'était merveilleux, de l'inassouvi parce que cela ne peut être autrement. Qu'attend-on de Noël? Du luxe, des paillettes, des lumières scintillantes, de la goinfrerie , de la beuverie, ou même de l'amitié plus solide ce jour-là que les autres, un peu plus de partage, de tendresse avec les proches, la chaleur de se retrouver. On l'attend, oui, on l'attend.

Alors qu'il faudrait donner, oublier son nombril et donner, oublier ses états d'âme, son égoïsme, ses vieux rêves d'enfant niais et donner, oublier que l'on a peur de l'autre, d'aller à sa rencontre, franchir le pas et donner, donner même si l'on ne vous demande rien, parce qu'il est des êtres qui ne demandent jamais rien. Noël, en religion, est un don, total, magnifique. Nous l'avons transformé en instant privilégié de satisfaction de nos envies. L'envie a tué le désir. Il était porteur de vie, elle ne peut être que stérile.

Je suis rentré un peu triste, je ne le suis plus. J'ai écrit. Recadrage des pensées absurdes qui, au lieu de ne faire que nous traverser, nous envahissent parfois. Noël est une belle fête, à recadrer.

mercredi 24 décembre 2008

Message.

Bon Noël à tous, en espérant pour vous autre chose que la boursouflure de cette silhouette américanisée. De la lumière au cœur, peut-être.

mardi 23 décembre 2008

D'un rituel du soir.

La fin d'après-midi avec ma mère est composée d'une succession de rituels à reproduire à la lettre pour conjurer l'angoisse, pour éloigner le spectre sinistre de la nouveauté. Ma mère a horreur de l'imprévu. Tout doit chaque jour se reproduire à l'identique: la répétition éloigne sans doute le danger de vivre. Je ne me moque pas: je doute d'être sensiblement différent quand j'aurai atteint le même âge.

Un des rituels, plutôt un des meilleurs, est de s'installer devant la télévision pour regarder d'abord Des Chiffres et des lettres puis Questions pour un champion. Outre le fait qu'il y a beaucoup plus bêtes et débilitants comme émissions, je leur reconnais l'immense vertu de faire encore un peu fonctionner le cerveau de ma mère. A part la rumination de ses angoisses, c'est sans doute la seule activité qu'on lui propose dans la journée.

D'ailleurs, elle me surprend régulièrement par les réponses qu'elle donne certains jours, en particulier pendant Des Chiffres et des lettres, où elle n'est pas gênée par sa surdité. Même en calcul mental, où je suis pourtant assez doué, elle arrive parfois à trouver le bon compte alors que je patauge encore lamentablement.

Mais ce qui vaut son pesant de cacahuètes, ce sont les publicités que France 3 en profite pour balancer dans cette tranche horaire sans doute très fréquentée par un public plutôt âgé. Se succèdent ainsi la réclame pour la serviette qui vous met à l'abri de toutes les fuites, Mesdames, même s'il vous prend l'envie ( mais à qui ne viendrait-elle pas?) de vous perdre dans le désert en compagnie d'un fort séduisant chamelier; l'éloge, plus relevé, du siège grimpe-escalier, même l'escalier qui tourne: il suffit d'appuyer sur un bouton (la publicité ne dit pas si les piles sont fournies en cas de panne d'électricité ou de ces satanées grèves du service public!) et de prendre garde à ne pas froisser son pantalon de flanelle (on peut toutefois se lâcher d'une main pour remettre en place son foulard de soie); les ébats de deux sexagénaires (pour le moins) au milieu d'un champ de neige, se roulant dans la poudreuse comme deux jeunes chiots batifolant près de leur mère aux regards attendris et, comme ces canidés en herbe (l'image est osée, puisque d'herbe on n'en voit point, neige oblige!) montrant en gros plan sur l'écran une denture parfaite, blanche et bien alignée, où rien ne manque, pendant que l'on vous informe que l'un des deux joyeux drilles portent un appareil dentaire! Non! Si! Et je vous le prouve: ils mordent tous deux à belles dents dans la vie et dans une pomme (là, je ne suis pas sûr de moi, pour le comestible), tout contents de leur gel fixateur.

Le fin du fin, le relevé, le clin d'œil à la culture, c'est Hossein qui apparaît certains soirs et nous vante les mérites de ... de quoi déjà? d'un appareil auditif ou d'un contrat obsèques les doigts dans le nez (c'est pas gênant, les doigts dans le nez, quand on est mort: il n'y a plus d'air qui passe et, en plus, personne ne peut plus vous voir!). Et quand je me retourne vers ma mère pour échapper à toutes ces roses prédictions sur mes années à venir, je vois sur son plateau-repas le petit pot de compote qu'on lui sert tous les soirs (pomme/pruneau, pomme/ananas, pomme/banane, pomme/pomme, pomme/kiwi) et qu'elle refuse de manger.

Alors, moi je dis: bravo, ma mère, et mort à la pub, service public ou pas!

Vocation.

Cet après-midi, une petite fille maghrébine à son grand-père (père?):
"C'est un endroit où il y a de l'herbe qui pousse partout et ça s'appelle un pré."

Toi, tu finiras dans l'Education Nationale!

lundi 22 décembre 2008

Chose vue.

Miroir, gentil miroir...

L'odeur de l'hiver.

C'était l'odeur de la maison.

Quand nous arrivions, il faisait froid, un degré au-dessus en général, hors gel mais froid. Le sol était parfois humide de l'eau qui s'était infiltrée sous la porte, parfois taché seulement. Quelques araignées avaient recroquevillé leurs grandes pattes de faucheuses dans leur agonie. Quelquefois une souris finissait elle aussi sa momification.

Nous déposions les valises dans les chambres, à l'étage, et les provisions sur la table de la cuisine. Nous ne quittions pas nos manteaux, nous bougions rendus un peu gauches par l'épaisseur du tissu. D'abord, nous remontions le coucou et libérions la petite fenêtre du crochet métallique qui la maintenait fermée pendant notre absence. Les poids en pommes de pin retrouvaient leur position haute, et nous réimprimions un mouvement au balancier qui ne s'arrêterait plus jusqu'à notre départ, dernier geste avant de refermer la porte. J'aimais ces treize coups qui s'égrenaient automatiquement avant que l'appareil ne se règle de lui-même sur la bonne cadence. Treize coups, un de plus, comme pour nous souhaiter la bienvenue.

Et puis il fallait s'occuper de la cuisinière à fuel. Ouvrir la porte que nous avions percé dans le mur épais entre la maison et l'écurie, redonner vie à ces ténèbres où s'entassaient chaises et table de jardin, vieilles tuiles et restant de céramiques, buffet ancien et brouette métallique récemment acquise pour remplacer son ancêtre de bois qui n'en pouvait plus, tirer le petit portillon qui fermait autrefois l'enclos des cochons, prendre l'arrosoir de onze litres et ouvrir le robinet de la cuve de plastique moulé que nous avions récupérée je ne sais où. Sous le robinet d'où s'échappaient encore quelques gouttes à la fin de l'opération, nous avions placé une petite bassine pour récupérer le liquide visqueux.

Munis d'un vieux chiffon graisseux que nous appuyions sur le bec verseur, nous revenions à la cuisine où commençait l'opération la plus difficile: transvaser sans rien en laisser tomber le fuel de l'arrosoir au réservoir du chauffage. Si nous en répandions un peu sur le dessus de la cuisinière, il fallait s'attendre à payer notre maladresse pendant de longues heures.

Enflammer le combustible n'était pas non plus chose aisée. Parfois la charogne ne voulait rien savoir, parfois le fuel n'arrivait pas. Il fallait alors désosser, nettoyer, remonter, réessayer, tout cela à un degré. Mais lorsqu'enfin le liquide s'embrasait, je regardais, fasciné, la lueur bleue de la flamme qui s'affermissait peu à peu, je l'observais comme dans mon enfance je regardais l'œil bleu du vieux poste de radio de ma grand-mère, essayant d'y apercevoir les villes dont les noms me faisaient rêver, Sottens particulièrement, dont j'ai mis très longtemps à savoir où cela se situait...

Il fallait ensuite laisser à la maison le temps de se réchauffer, de s'imprégner de l'odeur en même temps que de la chaleur, les deux indissociablement liées dans mon souvenir. Dans les chambres, nous ouvrions les lits, pour en chasser l'humidité. J'installais sur la table de nuit, après avoir vérifié le bon fonctionnement de la petite lampe de chevet à chapeau de velours rouge, le roman qui allait m'accompagner pendant quelques jours, heureux déjà du bonheur que ce serait, le soir venu, de me glisser sous l'amoncellement de couvertures et de lire longtemps, en ne laissant dépasser que la main pour tourner les pages.

Et puis, ce serait la nuit, avec une vague conscience sur le matin du trottinement des souris entre les deux épaisseurs du plafond, puis, selon la saison, de l'aboiement des chiens partant pour la chasse ou du vacarme des oiseaux dans le grand noisetier. Se retourner dans sa chaleur, sur le matelas de crin, caresser de la joue l'oreiller, entendre Pierre respirer calmement dans la chambre voisine et se dire qu'on avait tout le temps, qu'on était en vacances et que le feu tiendrait bien encore une heures ou deux.

L'été, nous trouvions salades et légumes devant la porte. L'hiver, elle s'ornait d'une décoration de gui, de houx et de différents branchages ramassés dans les alentours. A l'automne nous allions aux champignons, au printemps je guettais les premières fleurs du forsythia. Des rites imbéciles, le bonheur en fait, qui m'étonne encore.

( Ce billet m'a été inspiré par celui-ci, de Nicolas Bleusher, que je remercie d'avoir réveillé mon souvenir.)

Momentini

Croisé cet après-midi Azouz Begag sur le cours Gambetta, accroché à son portable, souriant, tel qu'en son image.

Une demi-heure à la Part-Dieu, auparavant. Trouvé un cadeau de Noël. Temps bien rentabilisé, je trouve. Ensuite, la fuite.

A l'instant, fin de L'Humeur vagabonde, avec la soprano Nathalie Dessay et le jeune pianiste David Fray. Quelle intelligence chacun d'eux! Il faut les entendre parler de Bach, les entendre interpréter Bach. Je suis toujours émerveillé par la beauté de cette musique, comme si je la redécouvrais chaque fois. "Jean-Sébastien Bach, c'est la vie." a dit Dessay en fin d'émission. C'est la vie, oui, dans tout ce qu'elle a de plus merveilleux.

Benoit m'a téléphoné, après tout ce temps. Deux minutes à peine, trente secondes ....pour me dire qu'il me rappellerait. Bonne voix, un peu timide. Sa mère l'appelait pour dîner. Jeunesse...

dimanche 21 décembre 2008

Clin d'oeil.

Un livre pris au hasard dans la bibliothèque de ma mère: des photographies de villages de la Loire. A la page Roche-la-Molière, une petite feuille arrachée à un calepin et glissée là. Quelques mots de la main de mon père: "PS: 4 Septembre 19**, naissance de René X****".

samedi 20 décembre 2008

Plaisirs solitaires.

Lire les blogs des autres réveille souvent nos propres souvenirs. On se dit: "Tiens, je n'y avais pas pensé. Comment en aurais-je parlé moi-même? L'angle d'approche aurait-il été le même? Et la conclusion?"
C'est ainsi que, ce soir, en lisant Fabrice, m'est revenu, au détour de l'une de ses phrases, le plaisir intense de faire les paquets, d'emballer les cadeaux.

Pour Noël, bien sûr, mais également à l'occasion de fêtes ou d'anniversaires. Je préférais empaqueter moi-même plutôt que de laisser œuvrer plus ou moins bien les extras des magasins, embauchés pour l'occasion, ou une bande de scouts qui se croient en train de débroussailler la pampa. Il fallait acheter le rouleau de papier cadeaux. C'était déjà un plaisir en soi: choisir les coloris, le motif, présager de l'effet final, en toucher si possible le grain, imaginer ses reflets sous les bougies du sapin.

Ensuite, on devait veiller à ne pas se tromper en le découpant à la bonne dimension, à laisser suffisamment de marge pour tout empaqueter et faire un joli rabat , comme au pantalon l'ourlet. Cela nécessitait aussi de choisir, dans le nombre, les meilleurs ciseaux, ceux qui coupent sans effort, sans dévier, sans accrocher. Poser ensuite le papier à l'envers sur la table, débarrassée auparavant de tout encombrement, de toute rugosité susceptible de perforer la feuille.

Positionner l'objet bien au milieu, dans le sens de la longueur ou de la largeur, selon l'inspiration, la forme ou la trame, commencer les pliures en ne froissant pas le reste, retourner l'objet pour toujours "être à sa main", bien lisser en veillant comme pour les chemises repassées à ce qu'il n'y ait aucun faux pli. Le plus délicat pour moi était le moment des dernières pliures, celles des deux oreilles qu'il fallait rendre symétriques, parfois couper afin qu'elles ne constituent pas une épaisseur trop importante de papier. Il y avait là, dans les angles, une dextérité à acquérir, un sixième sens à mettre en œuvre pour qu'il n'y ait pas patte d'oie, comme au coin des yeux fatigués, mais pliure franche et nette.

Ensuite, il fallait coller le rabat avec un petit bout d'adhésif, avant, si l'on était satisfait, de consolider la première attache par d'autres points d'ancrage. Attention à ne point trop en mettre, au risque de rendre le paquet disgracieux. Un dernier coup du plat de la main, plus pour savourer la qualité du travail effectué que pour effacer un défaut imaginaire, et l'on tirait alors une longueur suffisante de ruban pour parfaire l'apparence finale.

Soit en croix, le plus simple, soit en diagonale dans deux angles opposés, le ruban prenait sa place définitive tandis que le paquet virevoltait pour laisser le lien s'enrouler autour de lui. Alors le moment était venu de prendre entre les doigts les derniers centimètres du ruban utilisé, d'ouvrir la paire de ciseaux et de n'en retenir qu'une des deux lames, elle aussi à coincer entre deux doigts, puis, d'un geste preste et sûr, de frotter le ruban avec cette lame pour qu'il se mette à friser, boucles d'or artistiquement agencées sur le sommet du paquet.

Le papier n'est pas, pour moi, destiné seulement à masquer le cadeau pour en retarder la découverte, il est une joie à lui tout seul, parfois plus grande que l'objet reçu parce qu'il a rendu beau et unique le don, parce qu'il l'a personnalisé, parce que sa manipulation constitue un plaisir d'esthète et une offrande supplémentaire de son temps.

A la fin de la fête, les papiers froissés sont entassés près de la poubelle pleine, à côté des déchets gras des assiettes, parfois encore enrubannés pour ceux qui n'ont pas été patiemment déshabillés mais sauvagement déchirés sans respect pour leur mystère propre. Je n'aime pas ces tas, on dirait des cimetières.

Pour les livres scolaires qu'il fallait couvrir à la rentrée des classes, le plaisir était le même, plus intense encore sans doute parce que l'on travaillait pour soi, pour le bien-être de son année, parce que livres bien couverts étaient présage de travail bien fait, de découvertes intéressantes et de bons résultats.

Et puis un temps était toujours consacré à feuilleter le nouveau manuel, à le humer, à y admirer, fier, en gros le numéro de la nouvelle classe, cinquième, quatrième,..., à s'arrêter aux illustrations, parfois à lire un texte entier, ou à rêver, fasciné, comme je le fis en découvrant mon premier livre de grec.

Que serait cette année qui s'annonçait? Qui allions-nous rencontrer? Quels seraient nos points forts, nos faiblesses? La curiosité l'emportait largement sur l'appréhension, et les livres bien rangés dans le cartable ciré pesaient lourd mais nous aidaient à avancer.

La crèche.

Voilà: elle est en place, comme chaque année. Cet après-midi, j'ai sorti la crèche de son carton.

D'habitude, elle prend lieu au salon, mais qui la verrait? Même pas moi qui n'y mets pas les pieds. Alors, je l'ai installée dans mon bureau, près de l'ordinateur. Chaque année, je ressors ces figurines dont les personnages centraux ont été achetés il y a déjà très longtemps à Rome, Place Navonne, à un marché de Noël. J'ai voulu ensuite la compléter, sans jamais retrouver de santons qui ne soient pas trop maniérés: les italiens ont à la fois la palme du bon goût et celle du mauvais quand ils veulent!

L'Enfant, la Vierge, Saint Joseph, le bœuf et l'âne, selon la tradition de Saint François d'Assise, deux bergers et un mouton. J'y adjoins tout de suite les trois rois mages, Gaspard, Melchior et Balthazar, sans attendre l'Epiphanie. Ils sont en route, il n'y a qu'à imaginer la distance.

A ses figures de base, je rajoute toujours tout ce qui me tombe sous la main ou presque, cette année deux anges, un noir, un blanc, une africaine porteuse d'un panier d'oeufs, deux bambins musiciens, un santon en terre cuite brute, un vagabond le baluchon sur l'épaule et un couple d'alsaciens endimanchés. Pourquoi pas? Je ne respecte sans doute pas le canon officiel, mais je m'en moque.

Pour moi, Noël, c'est avant tout la joie, la lumière, l'espérance et je voudrais que tout le monde les partage, que tous en aient leur part. Je ne suis pas naïf au point de croire que cette période de l'Avent et cette fête de Noël vont changer quoi que ce soit dans le monde. Je souhaite simplement qu'elles ne se fondent pas dans le banal quotidien qui avilit la vie, où tout se ressemble et a le même goût, la même odeur et la même couleur. Faire la crèche est pour moi un rite, un peu simplet sans doute pour certains, mais ce rite marque un moment de l'année, comme d'autres en d'autres saisons, et, personnellement, j'ai besoin de ces repères.

vendredi 19 décembre 2008

Le Prince sans nom.

Hier soir, au théâtre avec J.

Qui? Quoi? Comment? Pas très clair encore pour moi mais peu importe. J. a un collègue qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un, etc. Résultat: nous sommes sortis tous les deux hier soir. La pièce: une comédie d'un auteur lyonnais, Claude Monteil, intitulée Le Prince sans nom.

Une première partie un peu laborieuse qui n'a donné que peu l'occasion de s'esclaffer, à part à une grande bringue de femme derrière nous qui riait pour tout et pour rien, me coupant à coup sûr l'envie d'en faire autant. Mais la suite était plus enlevée et beaucoup plus drôle, et les comédiens, tous amateurs, étaient excellents.

L'histoire met en scène un prince que son père, le R-O-I (prononcer en épelant), envoie dans la forêt afin qu'il y subisse des épreuves et apprenne à ne plus avoir peur de tout, y compris de son ombre. Accompagné de son fidèle serviteur, le prince va rencontrer successivement une grenouille un peu collante, un corbeau, pardon une corneille mâle (précision indispensable, vu le boa froufroutant autour de son cou), Peau d'Ane, Blanche-Neige, la princesse au rouet et la méchante reine bien connue des amateurs de pommes rouges.

Inutile de raconter les détails: c'est drôle, touffu, plein de références à de nombreux contes et nombreuses chansons contemporaines (par exemple: Pour toi, je serai la plus belle...). Nous avons passé finalement un bon moment, en très bonne compagnie, qui plus est.

En effet, j'ai beaucoup apprécié le crâne dégarni et les yeux clairs de celui qui vérifiait les tickets, deux ou trois autres spécimens de la beauté mâle dans la salle et surtout une rencontre qui m'a fait plaisir. En attendant que les portes de la salle s'ouvrent, j'avais remarqué un homme lui aussi dégarni, avec de beaux yeux bleus et un profil élégant. J'avais également cru percevoir que ce nounours me jetait à la dérobée des regards intéressants et intéressés.

Il m'est vite venu à l'esprit que je le connaissais. Mais d'où? Mais quand? Quelques instants plus tard, après lui avoir posé la question, j'avais la réponse. C'est un garçon, Didier, que j'ai connu et fréquenté un peu il y a environ trente ans, une rencontre du parc de la Tête d'or, un étudiant à l'époque, avec qui, outre le plaisir physique, nous échangions beaucoup sur la littérature et le théâtre. Je me souviens très bien de lui et des virées en automobile que nous faisions du côté de Sathonay pour nous isoler dans la campagne. Il avait une vingtaine d'années, moi dix de plus. Aujourd'hui il est toujours séduisant (et m'a renvoyé le compliment!), plus encore peut-être, par ce côté plénitude du quadragénaire. Nous avons évoqué quelques souvenirs puis regagné nos places respectives. Heureux hasard qui fait se rencontrer à nouveau des lignes qui ont un jour divergé .

Enfant gâté.

Ouf! Oui, ouf, et en même temps aïe, aïe, aïe! Je suis en vacances, depuis quelques heures.

L'année civile s'est terminée pour nous par un pique-nique en salle des professeurs, du sucré, du salé, des boissons avec et sans alcool. Encore un petit discours et les conversations sont allées bon train. Comme d'habitude, je n'étais pas là. Physiquement oui, mais pas dans ma tête. Je n'aime pas les grands rassemblements, j'apprécie les individus, pas les foules.

Et puis je savais que je devais partir tôt pour mon rendez-vous en urologie (résultat: une IRM à effectuer en Janvier. Rien de très alarmant mais ça m'occupe parfois un peu trop l'esprit). Je crois en fait que, lorsque je suis fatigué, au lieu de vouloir à tout prix poursuivre, je devrais arrêter et réellement me reposer. Je n'apprécie jamais rien si la fatigue est là, et je m'en veux de ne pas apprécier. Je suis un affreux égoïste: les autres font des efforts, pas moi. Je deviens grincheux, j'en veux à la terre entière et j'essaie d'expliquer par des centaines de raisons différentes ce creux dans la poitrine qui n'est dû qu'à une chose: la fatigue.

Ainsi, j'ai devant moi quinze jours entiers de liberté quasi absolue. Je sais que j'ai des tas de choses à faire, des tas de plaisirs à goûter, des tas de bons moments à vivre et pourtant cette liberté m'angoisse, je n'ai de cesse de l'avoir organisée, planifiée, rendue parfois invivable à force d'obligations et de devoirs que je me serai imposés. Avant, avec Pierre, je ne me posais pas la question. Il y avait des rites, institués par l'un ou par l'autre, et nous nous y conformions de bonne grâce, à deux, parce que c'était aussi une façon de nous aimer.

Aujourd'hui, je n'ai plus de rites, pas de ceux-ci en tout cas, et j'ai parfois peur de me retrouver face à moi-même. Pourtant je ne m'ennuie jamais, je m'intéresse à des tonnes de choses, j'aime une certaine solitude. Alors? Alors je le disais au début, je suis fatigué, normal en fin de trimestre, et quand je suis fatigué, je n'apprécie rien. Tout à fait logique, dans ce cas-là, que j'écrive un billet pareil. Mais qu'on ne s'y trompe pas: ce n'est pas une plainte, c'est une constatation, la constatation amère d'un enfant gâté qui a toujours besoin que l'on s'occupe de lui et que ce besoin exaspère.
Seuls points positifs ce soir: j'ai eu le temps de descendre les poubelles et j'ai arrosé mes plantes. L'abutilon fleurit encore mais l'arbre à perruches est mort.

PS: en me relisant, je me rends compte que je raconte n'importe quoi. Il y a eu beaucoup d'autres points positifs dans la journée, mais il a sans doute fallu que j'écrive les lignes qui précèdent pour m'en débarrasser et découvrir le bon côté. La gentillesse des élèves, en mots ou en cadeaux: des vœux de bonnes fêtes à n'en plus finir, un ballotin de truffes au chocolat noir et une bouteille de Chablis (en plus, ils ont bon goût!). La complicité avec Stéphane. Le beau sourire de Nicolas. Le message de J. sur mon portable. De quoi se plaint-on?

jeudi 18 décembre 2008

Double peine.

Mardi soir, je n'ai pu assister au conseil de classe d'une des quatrièmes où j'enseigne le latin. J'avais bien sûr rempli les bulletins trimestriels et même laissé quelques mots manuscrits au professeur principal pour lui préciser deux ou trois points.

Eh bien, je regrette vraiment de ne pas avoir été là pour répondre à une doléance de certains parents me concernant: ils trouvent que punir leur charmante progéniture lorsqu'elle ne travaille pas, c'est infliger une double peine, celle de la mauvaise note et celle de la punition. J'ai cru rêver lorsque mon collègue m'a fait part de cette remarque. Je ne sais pas combien de parents elle concerne mais je n'aurais de toute façon pas laissé passer ça.

Voilà des gens qui paient en principe pour que leurs enfants bénéficient de la meilleure éducation, ce qui reste encore à démontrer dans certains établissements privés, qui sont heureux de ne pas être exposés à trop d'absentéisme, trop de grèves, qui bénéficient d'un suivi très attentif des résultats, et qui, si l'on s'en prend à un cheveu de leurs têtes blondes, perdent totalement la notion de la décence la plus élémentaire.

Celui qui a fait cette critique s'est-il rendu compte de la bêtise de sa remarque? A-t-il pris la peine d'analyser la situation? Est-il surhumain d'apprendre une dizaine de mots de vocabulaire dans une soirée? Est-il particulièrement sévère de la part de l'enseignant d'exiger qu'ils soient sus parfaitement? Bien sûr, il s'agit de latin, donc une matière optionnelle dans leur esprit. Mais une fois la matière optionnelle choisie, elle devient obligatoire et j'exige que l'on y travaille comme dans n'importe quelle autre. Je ne fais pas dans l'amateurisme, dans le "travaillons si vous en avez envie." Si l'on est en classe, c'est pour apprendre, pas pour glander.

Est-ce être facho que de dire ça? Je ne me ressens pas comme tel. J'ai simplement envie de former, d'aider à construire des êtres qui soient debout et qui ne se servent pas trop mal de ce que l'on appelle un cerveau, bien rempli et bien organisé si possible.

mercredi 17 décembre 2008

La tonte.

En balade dans les Jalons du temps, chez Totem, j'y ai lu son billet sur la tonte des brebis et vu la photo jointe. Cela m'a remis en tête des épisodes de mon enfance, lorsque mon père, au petit troupeau de chèvres que nous possédions, avait ajouté quelques moutons.

Il avait, en particulier, fait l'acquisition d'un couple de race, des "bleus du Maine", censé se reproduire et augmenter le nombre de têtes en notre possession. Au bout du compte, la faute à qui, mâle ou femelle? le couple resta sans descendance aucune. Ces deux spécimen étaient, en tout cas dans mon souvenir, beaucoup plus imposants que les autres. A un museau très sombre, virant au noir, d'où le nom de la race, s'ajoutait une corpulence hors du commun. Si la brebis était douce et obéissante, il n'en allait pas de même du mâle, toujours un peu agressif. Je me souviens d'un coup de ce museau que je ramassai un jour dans les fesses, alors que je me penchais pour attraper un agneau (en effet, nous les isolions des adultes pour la nuit), coup de butoir qui me fit promptement atterrir dans l'épaisseur de fumier qui tapissait leur bergerie.

Ce fumier était bien particulier. Autant l'odeur de celui des vaches ne me déplaît pas, autant celui de mouton est acide et fortement ammoniaqué. Lorsque mon père, que j'ai cru reconnaître sur la photo de Totem, nettoyait la bergerie, il en avait l'alliance qui verdissait à son doigt, et tout l'appartement qui, dans cette vieille ferme des mines, se trouvait au-dessus de la partie réservée aux bêtes, était pour la journée envahi par cette odeur aigre et irritante.

Bien sûr, mon père se chargeait lui-même de la tonte de nos bêtes. Certaines se laissaient faire, docilement, mais d'autres, par caractère, parce que la position prise n'était pas la bonne, se débattaient vigoureusement jusqu'à ce que mon père parvienne à les coincer convenablement. Mais il n'était guère patient et quand l'une d'entre celles l'avait suffisamment énervé, il lui arrivait de manier trop vigoureusement la cisaille et d'entamer le cuir de la brebis. Lorsque l'enfant que j'étais lui en faisait la remarque, il me répondait qu'elle n'en souffrirait pas. J'en doute encore aujourd'hui.

Cette laine était entassée dans un autre coin de l'écurie, près des grands sacs de blé que l'on donnait aux poules et aux canards. Ces sacs étaient profonds et lorsqu'ils étaient à moitié vides, il fallait plonger presque entièrement dedans pour pouvoir attraper une gamelle pleine de grains. Un soir, je voulus me rendre compte "de tacto" du niveau restant dans le sac et y ai directement introduit la main. Mais, au lieu de rencontrer la surface grumeleuse du blé, j'attrapai quelque chose de mou et de très doux, que je relâchai immédiatement en criant: j'avais cru avoir à faire à une souris, ce qui n'aurait rien eu de surprenant,mais ce n'était qu'une boule de laine tombée du tas dans le sac. Une de mes plus belles frayeurs enfantines.

Une fois les beaux jours venus, nous lavions cette laine, la débarrassions de tous les corps étrangers, crottes, feuilles, branchettes, chardons qui s'y étaient emmêlés, nous la cardions un peu. De terne et sale, elle devenait, au bout, fine et blanche, douce et légère. Nous pûmes ainsi faire restaurer plusieurs matelas de la maison, que le matelassier emplit de cette laine entièrement produite par nos soins (et ceux de nos moutons).

Lorsque c'était la période des agneaux, il y avait également plusieurs tâches à accomplir. Veiller à ce que la mère n'abandonne pas son petit et, si c'était le cas, le donner à élever à une autre brebis qui voulait bien l'accepter. Séparer pour la nuit les adultes et les jeunes, qui avaient leur propre espace dans la bergerie. Parfois nourrir au biberon quelques agneaux un peu plus chétifs ou dont la mère n'avait pas suffisamment de lait. Leur prendre la queue à la base dans un élastique bien serré afin que, quelques temps plus tard, après s'être desséchée, elle tombe d'elle-même. Non, ce n'est pas douloureux, pas chez les agneaux en tout cas! (Autrement, Piergil, je n'ai pas fait l'expérience!).

Je n'aimais pas cette période car je savais qu'invariablement ces agnelets allaient terminer leur courte vie à la casserole. Je suis sans doute moins sensible aujourd'hui, mais je ne pourrais jamais me résoudre à tuer moi-même un animal, même si je ne fais aucune difficulté maintenant pour l'apprécier en plat préparé dans mon assiette.

Un souvenir encore, lié à cette époque où nous avions des moutons. Je devais être en sixième ou cinquième, dans ce lycée hyper bourgeois de Saint-Étienne que j'ai déjà évoqué plusieurs fois. Nous étions en train de rédiger pour une composition de rédaction. J'étais assis, je m'en souviens, à côté du fils du médecin des mines, que la profession de nos pères avait rapproché de moi, si l'on peut dire. Alors que j'étais perdu dans mes idées ou dans mes phrases, je vis tout à coup tomber quelque chose de ma tête sur la copie, quelque chose de sombre et qui bougeait, que l'on ne pouvait pas ne pas voir sur le blanc de la feuille. Il ne me fallut pas longtemps, un quart de seconde, pour reconnaître l'intrus: un gros pou de mouton que je fis prestement disparaître avant même que mon voisin ait pu voir de quoi il s'agissait. A sa demande d'information, je répondis que c'était d'une araignée. Impossible à vérifier: mon soulier avait réduit le tout en une bouillie sanguinolente et peu identifiable. Mais je l'avais bien vu: c'était un pou. J'en restai écœuré le reste de la journée et mon père eut beau m'expliquer le soir que cette bestiole ne s'attaquait pas à l'homme, qu'elle ne pouvait nicher et se reproduire sur un humain, je continuai à ne pas admettre cette présence sur moi et à frémir lorsque j'y repensais, plus sans doute pour la peur d'avoir été repéré que pour celle de la petite bête elle même. Il n'empêche qu'à partir de ce jour-là, je serrai de moins près les agneaux, tout doux soient-ils, et ne les confondis plus avec de tendres peluches animées.

mardi 16 décembre 2008

Les cadeaux.

Les cadeaux de Noël. Je n'ai pas grand souvenir de ceux que l'on m'a offerts dans mon enfance.

C'étaient en général des choses utiles: pulls, bonnets, pantalons, paire de chaussures. Un album géant de Spirou pourtant, une fois, dans lequel j'ai passé des heures de lecture, en particulier sur Les Histoires de l'oncle Paul. Un remonte-pentes pour skieurs miniatures, jouet aussi imbécile qu'inutile, surtout à l'âge que j'avais quand je l'ai reçu. Je m'en souviens comme d'une gifle: on m'infantilisait.

Celui dont j'ai le meilleur souvenir, c'est un petit nécessaire pour moulages de plâtre. Dans la boîte, on avait droit à un sachet de plâtre fin, deux ou trois tubes de peinture et deux moules en caoutchouc, début d'une série que l'on pouvait compléter en achetant séparément les autres modèles.

Pour moi, on avait choisi Thierry et Isabelle, dont tous ceux qui étaient enfants dans les années soixante se souviennent, tant le feuilleton télévisé a eu de succès en ce temps-là: Thierry la Fronde et sa fidèle fiancée Isabelle. Mais, si les images à la télévision étaient en noir et blanc, les petites statuettes de plâtre, elles, s'embellissaient de couleurs chaudes et vives, rouge, jaune, bleu, vert, qu'il fallait délicatement répartir sans déborder à l'aide d'un petit pinceau. Mais lorsqu'on parvenait à cette étape, la statuette était presque sauvée.

Auparavant, il fallait éviter nombre d'erreurs rédhibitoires: bien remplir le moule de plâtre liquide, en n'y laissant aucune bulle, disgracieuse une fois le plâtre sec, veiller en particulier à ce que la tête soit bien pleine et le cou également, car, trop étroit, il risquait de lâcher lorsqu'on démoulait le modèle. Il fallait, si cela s'était produit et si l'on arrivait tout de même à extraire du caoutchouc le petit bout de tête, la recoller méticuleusement sur le tronc, ce qui n'allait pas sans mal et laissait invariablement une cicatrice difficile à cacher même sous une couche de peinture plus épaisse. Il fallait aussi patiemment attendre que le plâtre ait perdu toute son humidité car les couleurs appliquées sur la surface humide n'était pas du meilleur effet.

Malgré toutes ses difficultés, et après un nombre incalculable de ratés, je réussis finalement à produire suffisamment d'exemplaires de Thierry (c'était, bien sûr, mon préféré) pour les disperser autour de moi en cadeaux que je trouvais sublimes. Je me souviens avoir offert le couple à cette cousine Rose dont j'ai déjà parlé. Je suis presque sûr qu'aujourd'hui encore, ils sont tous les deux quelque part au fond de l'une de ses vitrines.

Je n'ai jamais su ce qu'était devenu mon jouet favori par la suite. La main de mon père était sans doute passée par là!

lundi 15 décembre 2008

En attendant.


(17h30) Je suis seul, ce soir à attendre le deuxième conseil de classe. Mes autres collègues sont déjà occupés à faire tomber les verdicts de fin de trimestre pour une première classe. Dans la petite salle, la machine à café ronronne fort. C'est le seul bruit de l'étage, pour l'instant. Tout à l'heure, les parents et élèves délégués vont arriver, une religieuse passera sans doute pour vérifier la fermeture des portes et fenêtres.

Je travaille depuis près de trente ans dans ce collège. Je connais presque tous les recoins de ce vieux couvent, ceux auxquels nous avons accès, ceux que le jardinier, Pascal, m'a fait découvrir. Dans six ou sept ans, je quitterai définitivement les lieux et les personnes. Déjà beaucoup sont partis, collègues, directeurs, religieuses. Lorsque je suis arrivé, la fréquentation m'avait effrayé, je n'avais pas l'habitude de cet univers de grands bourgeois lyonnais mêlés à quelques nouveaux riches qui pensaient que l'éducation s'achète. Je ne m'acclimatais pas. Seuls Kikou et Olivier m'ont aidé à m'insérer, à peu à peu trouver ma place.

Depuis, quel chemin parcouru! La Supérieure m'a un jour présenté à une de ses soeurs parisiennes comme un pilier du collège. J'ai ri, gêné et flatté à la fois, avant de comprendre, en réfléchissant, que ce qu'elle disait n'était pas tout à fait faux. On ne reste pas impunément trente ans au même endroit!

J'aime ces lieux pourtant mal commodes, où tantôt l'on suffoque et tantôt l'on grelotte, où les longs couloirs fanés ne sont pas assez larges pour le flot animé des élèves d'aujourd'hui, où les vieilles salles s'ornent encore parfois de grands placards muraux dont on a, depuis longtemps, perdu la clé. J'aime ce parc à nos pieds, et ses saisons, l'automne du ginkgo biloba, le printemps du pommier du Japon et des tapis de violettes, le seringat et le lilas, les vieux cerisiers et le cèdre qui grandit. Le beau tilleul a disparu de la cour: il menaçait de plier. On l'a coupé, comme on a coupé la vigne vierge qui tapissait le cloître et les murs jusqu'au deuxième étage. C'était pourtant beau, le jaune du tilleul sur le sang de la vigne.

Tout cela défile dans ma tête alors que je regarde les panneaux d'affichage: groupements d'élèves selon les besoins ou les activités pédagogiques, annonce de conférences sur le patrimoine, sur l'écologie, publicités pour des pièces de théâtre, en ce moment Le Journal d'Anne Franck et les éternelles Fourberies de Scapin. Comme je n'aime pas cette dernière pièce! De religieux, presque rien: des conférences sur le Linceul de Turin. Mais qui pourrait-il y aller? Des explications sur les événements, l'agenda de l'année Saint Paul, "l'hyper Apôtre" comme le nomme le fascicule. Là non plus, on ne recule pas devant le ridicule.

Personne n'est encore venu me déranger. Mes pattes de mouche remplissent déjà tout un côté de la feuille A4 saumon sur laquelle j'écris. La dernière fois que j'ai fait ça, je crois que c'était dans le train de Guéret cet été. Maintenant, c'est Noël. Les religieuses ont entamé des travaux, elles se regroupent, s'aménagent un asile plus petit mais plus fonctionnel. Dans les locaux du collège, un ascenseur va être installé (en prévision des futures frasques présidentielles sur l'âge de la retraite?), la salle des professeurs encore une fois change de place: au rez-de-chaussée, immense pièce occupée aujourd'hui par les sœurs. Tout ce mouvement va durer deux ou trois ans. J'aurai à peine le temps d'en profiter. J'approuve le changement. Je vois se transformer ce que je n'ai pas vu bouger depuis trente ans. Que sera ce collège dans dix ans, dans vingt ans quand les enseignants nouvellement arrivés seront encore en activité?

A la fin de la semaine, une de mes collègues s'en va à la retraite. Une de plus. Elle apporte des boissons et des papillotes aux conseils de classe. C'est gentil. C'est triste. Un autre, qui vient d'être installé, a déposé ce matin sur la table des mini confiseries au chocolat. La boucle est bouclée. La ronde continue. Très bien.

(18h15). La voix de Stéphane dans le couloir. Le premier conseil est fini.

(19h45) Fin de mon conseil. Christiane me dit que, pour elle, c'était le dernier. C'est bête, mais je suis content qu'elle l'ait fait avec moi. Je l'embrasse et la serre un peu. Seul moment de tendresse de notre carrière.

(20h) Dans ma voiture. J'allume la radio. Vienne de Barbara. Beau cadeau de la journée finissante. La chanson jusqu'en ville, et elle, qui parle ensuite, qui se dit, qui se rit, que je retrouve dans ma cuisine, avec Roland Romanelli. Merci.


Découvrez Barbara!

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dimanche 14 décembre 2008

Ma trousse.

Elle me suis partout depuis que je suis prof, je crois bien. C'est Pierre qui me l'avait offerte pour mes premiers remplacements. Depuis elle est toujours dans mon cartable. Des centaines de stylos se sont vidés, des milliers de copies ont été corrigées, des générations de gamins se sont succédés devant mon bureau et elle, elle était toujours là.

Ce fut, à une époque, celle où les élèves observaient leurs enseignants, où il s'intéressaient à eux comme à des individus, ma marque personnelle. Ils m'en parlaient souvent et avaient remarqué le geste automatique que j'effectuais pour faire basculer le rabat afin qu'apparaisse la rangée de quatre stylos qu'elle contient.

Devant son usure progressive, j'ai voulu la remplacer par une semblable, je n'en ai pas trouvé. J'ai eu, un moment, l'idée de la nettoyer, d'ôter de son cuir la couche de crasse incrustée depuis des années. J'ai eu peur de ne plus la reconnaître, je ne l'ai pas fait. Aujourd'hui, elle est bien usée, sa belle couleur bordeaux a viré au sombre, le cuir se craquelle et se ride mais elle ira, je l'espère, jusqu'au bout avec moi.

samedi 13 décembre 2008

Fantômes.

Ce soir, j'ai l'impression qu'il est très tard.

Je suis légèrement enrhumé, j'ai la gorge sèche et qui gratte, j'ai un peu froid. Je n'ai rien fait de la journée, enfin pas grand chose. Je ne sais toujours pas très bien comment m'y prendre pour ne rien faire mais je me force. "Restez bien au chaud aujourd'hui!" m'a dit le médecin ce matin. C'est ce que j'ai fait. Résultat: une journée immensément longue. Comment le temps, d'habitude si avare de lui-même, peut-il parfois s'étendre ainsi comme de la guimauve à la fête foraine?

J'ai cru retrouver un peu l'atmosphère de la maison de mon enfance lorsque j'étais malade, avec une forte fièvre, et que je restais couché dans mon lit, sous un gros édredon, à regarder se mouvoir les motifs du papier peint, qui formaient, dès que ma mère tournait le dos, d'étranges figures monstrueuses ou fantomatiques. Lorsque je sombrais dans le sommeil, celui-ci prolongeait ma veille et s'y substituait sans discontinu, de même que le réveil gardait encore pour quelques instants des images du rêve à peine achevé.

Ainsi vivais-je un jour ou deux dans une longue parenthèse dont, lorsque j'en étais sorti, ne restait rien de fixe ni de sûr, des bribes de mots échangés avec ma mère, un rayon de soleil qui éclairait un instant la couverture du livre posé sur l'édredon ou glissé, ouvert, jusqu'au sol, le klaxon du boulanger qui faisait sa tournée et me réveillait de ma somnolence, les rires joyeux des autres qui repartaient à l'école où je n'irais pas ce jour-là.

Mais tous les monstres engendrés par ma fièvre avaient disparu, s'étaient enfuis devant ma conscience renaissante et il fallait que j'observe attentivement le mur ou le plafond, à m'en faire mal aux yeux, pour entr'apercevoir, l'espace d'un souffle, l'ombre de l'un deux glisser furtivement dans le coin de la chambre et s'y évanouir.

Loin de m'effrayer, ces présences fantomatiques me rassuraient: je n'étais pas seul et je savais, au fond de moi, que je pouvais les convoquer ou les dénier comme je le voulais, quand je le désirais. Elles acceptaient aussi de prendre les formes que je souhaitais leur donner et, si la lumière changeante du matin ou de l'après-midi, jouait à en créer de nouvelles, mon imagination était encore la plus forte et ni l'ombre ni la clarté ne pouvaient rien contre mes fantaisies de drogué.

Mais ce que j'appréciais pas dessus tout, c'était d'être à ce moment-là, à un endroit où je n'aurais pas dû être, comme si cette présence intrusive pouvait intercepter des secrets cachés le reste du temps dans les gestes familiers de la domus, comme si l'air, les bruits, les objets n'étaient plus tout à fait les mêmes, vivant, sans tenir compte de ma présence fiévreuse, de leur propre vie, le temps des absences, le temps du silence des hommes. J'apprenais le mystère.

Aujourd'hui, cette imagination s'est envolée, je n'ai pour me la rappeler qu'un vieux plaid à me recouvrir les jambes pendant la sieste, qu'un livre à déposer quand les yeux refusent de poursuivre, qu'un rayon de soleil qui joue sur sa couverture ou sur le papier froissé du bonbon à la menthe, semblant, pendant que je m'endors, me susurrer: Souviens-toi.

Arthur et George.

Plus d'un mois pour lire un roman. Voilà qui est rare chez moi, même si le livre est épais. En fait, j'ai pris mon temps: je me sentais bien dans cette histoire racontée par Julian Barnes.

Première chose à dire: je n'aurais jamais acheté ce roman si j'avais fait attention à l'auteur. Pour avoir lu précédemment deux des ses ouvrages: Le Perroquet de Flaubert et Une Histoire du monde en dix chapitres, je sais que je n'apprécie guère sa façon d'écrire que je trouve particulièrement décousue et parfois ennuyeuse.

Cette fois-ci, c'est le thème qui a retenu toute mon attention: l'épisode de la vie de Arthur Conan Doyle, l'illustre créateur de Sherlock Holmes, où il se trouve confronté à une énorme injustice des tribunaux britanniques de par l'accusation injustifiée de George Edalji concernant la mutilation de chevaux dans la campagne anglaise. Je connaissais cette affaire et m'y intéressais grâce au travail d'écriture que j'ai depuis plusieurs années "infligé" à mes 5°: la rédaction d'une nouvelle policière à la manière de Conan Doyle. D'autre part, Conan Doyle et Jules Verne ont été les auteurs préférés de ma prime adolescence, avant de céder la place à Balzac ou d'autres écrivains plus "sérieux".

Dès les premières pages, je me suis senti bien, dans l'histoire, dans le style, dans le mode de vie de l'époque évoquée. Pour avoir souvent lu les aventures de Sherlock Holmes aux approches de Noël, ces nouvelles restent pour moi liées à cette période de l'année et à ma façon de l'appréhender (je veux dire l'apprécier) à ce moment-là de ma vie. Ainsi, en lisant Arthur et George ai-je un peu retrouvé de la magie de mon enfance finissante et des lumières de l'Avent.

Le roman ne se contente pas d'exposer ce procès et cette condamnation. Il reprend la vie des deux "héros" depuis le début, un chapitre pour Arthur, un chapitre pour George, jusqu'à ce que, comme chez Lelouch au cinéma, leurs destinées se rencontrent.
Le style est fluide, les caractères et les personnes bien définis, le découpage suffisamment bien fait pour que l'on ne s'égare pas dans le changement ni ne se lasse dans l'insistance.

J'ai terminé ces 600 pages après ma sieste de début d'après-midi, en ressentant ce que je n'ai pas ressenti depuis longtemps pour un livre: l'impression, en le refermant, de quitter un ami, un compagnon agréable que je ne retrouverai pas. Très bon sentiment donc face à ces pages, même si les dernières, narrant une rencontre de spiritisme à Londres peu après la mort de Conan Doyle, m'ont semblées inutiles et passablement ridicules.

En extrait, une petite scène coquine, ...pour l'époque.

Assis là au bord du sofa, il veut se concentrer sur son visage, ses paroles (...) mais tout cela est chassé par la conscience d'avoir la plus formidable trique de toute sa vie. Ce n'est pas la bienséante tumescence d'un chevalier au cœur pur, c'est une présence qui s'impose dans toute sa vigueur palpitante, quelque chose de canaille, de trivial, quelque chose qui mérite ce vocable de "trique" qu'il n'a jamais prononcé lui-même mais qui lui vient avec insistance à l'esprit. Sa seule autre pensée est associée au soulagement d'avoir un pantalon ample. (...) N'étant point un frivole séducteur, mais un homme honorable et corpulent de près de quarante ans se penchant gauchement sur un sofa, il essaie de ne penser qu'à l'amour le plus chevaleresque, tandis que les lèvres de Jean ( note de mon fait: il s'agit d'une jeune fille) se tendent vers sa moustache et cherchent maladroitement la bouche dessous. Tenant toujours, mais serrant maintenant de plus en plus fort la main qu'il a prise dès qu'il est arrivé, il prend conscience d'un vaste et violent épanchement dans son caleçon. Et le grognement qu'il émet est presque certainement interprété de travers par miss Jean Leckie, ainsi que la façon dont il se rejette brusquement en arrière, comme si une sagaie venait de le frapper entre les omoplates.
(Trad. de Jean-Pierre Aoustin.)

vendredi 12 décembre 2008

Les femmes de ma vie (7): la factrice.

Je n'ai jamais su son nom. Avec Pierre, nous l'appelions simplement la factrice. Notre vieille voisine disait de même. Au fur et à mesure que l'immeuble, de vieux bourgeois lyonnais, a pris une connotation sensiblement plus nouveaux riches, les autres n'en ont jamais parlé devant moi. Elle ne devait pas exister pour eux.

J'habitais mon ancien appartement, avenue de Saxe, dans le quartier chic de la Préfecture. J'ai côtoyé cette femme pendant dix-sept ans, avant de déménager où je suis maintenant. Je ne me souviens qu'à peine de son allure physique: une petite femme un peu boulotte mais débordante de vitalité. Les arrondis sans doute n'étaient pas du gras mais du muscle. Elle faisait sa tournée à pied, d'un bon pas dynamique. Je l'aurais bien imaginée portant l'ancienne cape bleu marine qui rendait la silhouette des facteurs si reconnaissable dans ma toute première enfance.

C'était une femme bonne. Je sais que ce mot n'a plus grande presse actuellement, ou alors dans un autre sens, puant la vulgarité, pourtant je l'emploie en connaissance de cause: elle était bonne. Elle ne se contentait pas de faire son travail, elle l'aimait, et cela fait la différence. Un petit mot gentil et un sourire à chaque rencontre devant les boîtes, un colis monté jusqu'au 5° étage alors qu'il aurait été si simple de laisser un avis de passage au rez-de-chaussée, un calendrier déposé sous le paillasson en fin d'année, et tant pis si l'on ne donnait rien.

Pour Pierre et moi, elle faisait encore plus. Pourquoi s'était-elle si visiblement attachée à nous deux? Je ne le sais pas. Nous avions bien sûr une boîte aux lettres commune, elle ne pouvait pas ignorer que nous vivions ensemble. Et elle nous a pris un peu sous son aile, comme de grands enfants à protéger, à cajoler. Elle-même avait-elle un fils homo exilé ailleurs dans une grande ville? Souhaitait-elle que quelqu'un, là-bas, s'occupe de lui comme elle s'occupait de nous?

Une amie rencontrée aux Pays-Bas nous envoya, lors d'un voyage à Paris, une carte postale sans enveloppe avec simplement nos prénoms, sans les noms de famille. Le numéro de la rue et celui de l'arrondissement étaient tous deux erronés, et de beaucoup. La carte postale est arrivée, avec, en surtexte, quelques mots gentils de sa part à elle.

Trois ans après notre déménagement, elle nous fit de même suivre un courrier arrivé à l'ancienne adresse et y ajouta cette dédicace: "De la part de votre factrice préférée!". Elle voulait sans doute plaisanter mais comme elle disait vrai! J'ai appris (comment?) qu'aujourd'hui, elle est à la retraite.

Ici, nous avons hérité d'un plus que moitié-ivrogne, grognant et sentant la vinasse, qui n'avait aucun horaire de passage. Il avait décidé de ne plus se déranger pour les calendriers, sans doute par constatation évidente de manque à gagner. Lui aussi est maintenant en retraite et n'a laissé en partant aucun regret.

Qui l'a remplacé? Une dame, petite et rondelette, plus musclée que grasse, pleine de dynamisme et prodigue en sourires et même en grands éclats de rires. Et, cerise sur le gâteau: les américains ont un président de couleur, eh bien moi, c'est ma factrice qui est un jour arrivée tout droit des îles avec sa bonne humeur et, je crois pouvoir le dire, sa gentillesse.

Alors, l'histoire bégaie? Moi, ça me va. Et puis noire, ça me convient aussi: j'ai moins l'impression d'être infidèle à l'autre, la première, ma factrice bien-aimée.

jeudi 11 décembre 2008

Mon vieux lycée.

Une photo rajoutée sur Copains d'avant: la classe de Maths Spé 1971/72 au lycée Claude Fauriel à St Etienne. Je n'y étais pas, je venais d'entrer en fac à Lyon, mais j'aurais pu y être. Sur la photo, je reconnais quelques-uns des garçons avec qui j'ai passé le bac, je peux même encore mettre des noms sur deux ou trois visages.

Je reconnais les vieux murs gris, démolis depuis pour faire place à des bâtiments néoclassiques, les immenses fenêtres grillées et grillagées, les quelques platanes dont l'écorce se délitait déjà.

Je reconnais l'atmosphère, même si soixante-huit était passé par là peu de temps avant: une ambiance d'étude, de sérieux, d'ennui un peu solennel, à la manière anglaise. Claude Fauriel a toujours eu beaucoup de classe, de chic. Si l'on ne faisait pas l'affaire, on était vite dirigé sur l'autre lycée de garçons de la ville, moins regardant sur la qualité, disait-on.

Je ne connais pas les deux professeurs assis au premier rang, au centre stratégique de ce groupe de grands garçons un peu dégingandés pour la plupart. Je ne connais pas non plus les deux filles qui, sacrilège, ont été admises dans cette antre machiste qu'était mon bon vieux lycée. C'étaient parmi les premières. Je n'en ai jamais côtoyé dans aucune de mes classes. Et je crois bien que, si l'on nous avait demandé, la majorité aurait été contre leur arrivée, malgré la perspective de plaisirs fugaces que cela ouvrait à certains.

J'ai cru un instant être sur cette photo, tant nous nous ressemblions tous, finalement. Pour beaucoup, les cheveux longs et frisés, la chemise à col pointu ou le col roulé, les pantalons plutôt étroits, les souliers de cuir - il était interdit de porter un quelconque vêtement de sport en dehors des heures de gymnastique-, des lunettes à montures de plastique imitation écaille, qui nous donnait un air sérieux et intellectuel que nous affectionnions tous.

Beaucoup avaient encore la veste mais, 68 oblige, certains osaient le pull sans rien dessus. Aujourd'hui, ce genre de considérations peut faire rire mais, à l'époque, il était inimaginable de suivre des cours en chemise! La révolution était donc en marche. D'ailleurs, si l'un des deux professeurs arbore encore le costume traditionnel, sans doute blazer et pantalon de flanelle, l'autre montre une paire de souliers fort peu orthodoxe.

Je n'ai aucune nostalgie devant cette image d'une autre époque. Je peux simplement dire que c'est là que j'ai passé un bon nombre des plus belles heures de ma vie, dans ces murs datant de Napoléon Ier, qui menaçaient ruine, avec ses vieux professeurs peu rieurs mais puits de science, dans ces études surveillés où j'écrivais des vers. C'est là que j'ai appris tout ce que je sais, c'est là que je suis sorti de mon univers ouvrier et paysan pour accéder à une certaine culture humaniste qui a bien failli, quelques années plus tard, me griser mais que j'ai finalement appris à relativiser. C'est là que je me suis fait comme je suis aujourd'hui. Vraiment. Aucun regret, que de la gratitude.

mercredi 10 décembre 2008

Emasculé!

Dans quel coin du Net ai-je vu passer l'info tout à l'heure: la Rai due, chaîne de télévision italienne, a osé amputer le film Brokeback Mountain de deux scènes d'amour entre les deux cow-boys, dont celle esquissant leur premier rapport sexuel?

Si l'annonce se vérifie, outre le fait que je trouve scandaleux que qui que ce soit, pisse-froid ou cul-bénit, se permette de toucher à la création de quelqu'un d'autre, même si l'œuvre ne plaît pas, je me demande comment on peut voir le film sans ces scènes? Réduire cette très belle histoire d'amour à une grande amitié virile entre hommes, c'est en dénaturer complètement l'essence même. Ce qui fait l'intérêt de ce film, qui par ailleurs n'est sûrement pas le chef-d'œuvre que certains ont bien voulu y voir, c'est justement l'extraordinaire force qui les pousse l'un comme l'autre à transgresser les interdits, à renier l'image qu'ils ont d'eux-mêmes pour accepter peu à peu de rejoindre leur véritable "peau", de cow-boys d'Epinal se transformer en amants fougueux d'un autre du même sexe, de risquer de passer pour les tantouses du coin, eux les archétypes du mâle.

Personnellement, ce premier contact physique sous la tente, plus suggéré que montré, m'avait bouleversé par la justesse des gestes, reflets exacts des sentiments vécus par chacun des deux à ce moment-là. Ôter cette scène, c'est émasculer le film.

J'ai honte pour l'Italie! De nombreuses associations sont heureusement en train de réagir vivement pour stigmatiser ce retour en arrière vers la morale qui se dit bien-pensante. Mais le mal est fait: on ose aujourd'hui ouvertement s'en prendre sans sourciller à la création artistique, aux différences sexuelles, raciales ou religieuses, et il s'en trouve toujours, de plus en plus nombreux, pour se satisfaire pleinement de ces pratiques. J'ai peur que notre grand timonier à nous ne s'inspire un jour ou l'autre de son grand ami transalpin. Que ne ferait-il pas pour lui ressembler!
PS, qui, il me semble, a à voir: "cul-bénit" n'est pas dans le Petit Larousse. Ah! France, fille aînée de l'Église!

mardi 9 décembre 2008

Après la fête.

Les lumières se sont éteintes. La fête est passée. Il pleut. On annonce de la neige pour demain. J'ai voulu hier soir faire un dernier tour de manège, voir au moins de vrais lumignons. Quelques trouvailles.

Les miens sont déjà lavés et rangés dans leur boîte. Pour une année. Fatigue.

lundi 8 décembre 2008

Les lumignons du 8 décembre.



Mode d'emploi sans paroles.

Fête des Lumières 2008: quatrième soir.

Ce matin, c'était la messe au collège, pour l'Immaculée Conception. Vincent m'avait demandé de bien vouloir y participer, dans l'encadrement. J'ai accepté, chose que je n'aurais jamais faite les années précédentes, avec la virago qui nous sert de catéchiste en chef.

Je ne le regrette pas. Plus de deux cents élèves s'y étaient inscrits , plus quelques parents et professeurs. J'ai été surpris de voir une telle affluence, en nette augmentation par rapport aux années précédentes. Absence du Cerbère? Convivialité développée par Vincent et la dame qui travaille avec lui?

J'ai encore une fois été pris par une grande émotion pendant la cérémonie. Il faudra que je développe un jour. L'impression de retrouver peu à peu l'humilité, de rentrer dans une famille que je n'aurais pas dû quitter.

Ce soir, comme tous les ans, je mettrai mes lumignons sur le bord de mes fenêtres. J'espère que de nombreux lyonnais feront de même, car c'est aujourd'hui la véritable fête, fête populaire et religieuse n'ayant pas grand chose à voir avec l'exubérance touristique actuelle, même si voir la ville illuminée et en fête est toujours une joie.

Ceux qui voudraient en savoir plus sur les origines de cette fête religieuse peuvent aller lire ici l'article de Fabrice, instructif et complet.

Fête des Lumières 2008: troisième soir.

(Hier dimanche). Poursuite des festivités, avec J. cette fois-ci, que j'ai retrouvé avec sa femme place Carnot pour le Marché de Nöel. Impossible d'accéder à la place elle-même tant la foule était dense. Une unique tentative et nous voilà repartis pour Bellecour, où G. nous abandonne. J. essaie son tout nouveau trépied mais l'essai ne semble pas le satisfaire. En plus, à la longue, c'est lourd et encombrant.

En attendant six heures, où les illuminations commencent, nous bifurquons vers les quais de Saône pour photographier la colline de Fourvière. L'aventure du trépied est encore plus risquée avec le vent qui souffle froid et fort.

Je ne peux passer en revue tout ce que nous avons vu, je risquerais d'être lassant. Qu'y a-t-il à retenir, en fait, du cru illuminations de cette année? A mon avis, deux choses: la Cathédrale St Jean, bien sûr, dont j'ai déjà parlé, et la Place des Terreaux où les façades de l'Hôtel de Ville et du Musée Saint-Pierre sont illuminées de projections diverses et variées sur le thème du coffre à jouet d'un petit géant qui aurait investi la ville. Mention spéciale pour l'orthographe des phrases du "Régleman"!

Un bon point aussi pour des sites moins spectaculaires, comme la promenade (glaçante hier soir) de la place de la Comédie au parc de la Tête d'or par les quais du Rhône, les Ombres et Lumières de la rues des Tables-Claudiennes avec, tout près, une installation très conviviale du comité de quartier offrant aux visiteurs une boisson chaude à base de pomme sucrée et, paraît-il, de chanvre? Excellent, en tout cas.

Bonne réalisation aussi place des Jacobins avec la Fontaine aux poissons, sur la façade du théâtre des Célestins avec une projection sur le thème des formes théâtrales d'hier et d'aujourd'hui. Saint-Nizier façade, bien mais moins que l'an dernier au chevet. Impossible d'entrer au carrousel de l'Hôtel-Dieu tant la file d'attente était longue. Même chose pour la traversée de l'hôtel de ville.

Malgré ces quelques ratées, nous aurons vu un maximum de choses. Qu'en dire? Que j'ai préféré l'édition 2007, c'est sûr. Que le vent frisquet était le bienvenu pour chasser la pluie, mais un peu moins bien accueilli par le nez, les oreilles et le menton, sans parler des mains qui tenaient l'appareil photos. Que les photos de nuit ne sont pas extraordinaires sur les compacts, mais je le savais déjà. Qu'après le retour en vélos par les rues du 6° et du 3°, bien entendu orientées au nord, nous avons été ravis de retrouver mon appartement pour quelques minutes, histoire de se restaurer un peu. Comme la veille, une grande fatigue dans les jambes et au bas du dos. Je ramène J. en voiture devant sa porte. Un petit signe de la main. Bonne nuit. Extinction des feux.