mercredi 3 décembre 2008

On marche sur la tête.

Une simple constatation ce soir, mais sur un fait que j'ai longuement observé ces dernières années: le rapport au savoir des élèves et de leurs parents change d'année en année.

A l'origine, parure de l'esprit et de la conversation, plaisir intense pour beaucoup, la culture doit être aujourd'hui immédiatement rentable, productive. On entend sans cesse les élèves demander: "A quoi ça va nous servir?". Imaginez en latin ce que je peux entendre, de collègues même parfois. On veut savoir si cela est noté, si cela rapportera des points au bac, si cela permet d'intégrer plus facilement telle ou telle option au recrutement élitiste. Bref, aux orties les fioritures inutiles: arts, philo, histoire, langues anciennes. Le sport échappe encore à ce coup de balai grâce aux rêves entretenus chez certains ados de connaître une carrière internationale de footballeur, très bien payé bien sûr.

Et les parents sont dans la même optique, la même logique. Pas de temps libre où l'imagination pourrait s'épanouir pour leurs enfants: les mercredis sont suremployés en activités diverses, foot, tennis, danse, et tutti quanti, et à aucun moment il ne faut laisser pointer son nez à la question insidieuse et dévastatrice: "Qu'est-ce qu'on fait?"

Par rapport aux acquisitions scolaires, on suit à peu près les résultats de sa progéniture, et lorsque cela ne va pas, on demande immédiatement à l'institution des soutiens, des AVS (assistants de vie scolaire), des tiers-temps supplémentaires, tous dispositifs excellents à l'origine parce que bien ciblés, mais galvaudés aujourd'hui par une sur demande absurde. Le prof lui-même peut être directement mis en cause comme incompétent.

On s'adresse aussi très vite à des organismes proposant des recettes magiques pour rattraper le retard, façon petite fée Clochette à la poudre aux yeux éblouissante et fort onéreuse. A aucun moment on ne se demande si le petit fait le travail qu'il devrait faire, s'il apprend ses leçons, s'il n'y aurait pas besoin de quelqu'un pour vérifier le cahier de textes, pardon je date: l'agenda, pour remplir (ou vider) le cartable, pardon le sac à dos ou à main, si un mercredi, on ne pourrait pas supprimer une activité parce que le lendemain il y a contrôles de Math ET de Français. Le même jour: scandaleux, diront les parents délégués au conseil de classe.

Bref: on marche sur la tête et davantage d'année en année. Au fait, combien m'en reste-t-il jusqu'à la retraite? Je crains que, certains jours, elles ne me paraissent longues.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

S'il n'y avait que la culture qui devait être immédiatemment rentable et productive aujourd'hui ! Tout est ainsi, mon cher.
Pourtant, chacun devrait voir que ça ne conduit à aucun progrès.

Anonyme a dit…

enfant j'aimais poser cette question:"Qu'est-ce que je fais?" sans attendre vraiment de réponse, juste pour le plaisir de savoir que j'avais le choix...le plus souvent de ne rien faire, rêvasser...un temps heureux sans l'angoisse du temps qui passe, juste le plaisir de goûter l'instant... et ça m'arrive encore quelque fois
Ouais chuis pô très productif!!

MY a dit…

Je fais le même constat sur la culture de la rentabilité qui se développe dans notre société... Si ça ne sert à rien, à quoi bon le faire...
Aucune dimension de plaisir, ou de curiosité.
La culture personnelle ? Aux chiottes !
La mission de l'école pour les parents n'est plus de former des citoyens responsables mais de préparer aux concours de grandes écoles. Lamentable. Bon je caricature un peu...

Anonyme a dit…

Tu as tellement raison, et en même temps... tellement tort ! Admets qu'il existe toujours une bonne minorité d'élèves qui, quand tu entames le récit de la vie d'un auteur, quand tu racontes l'histoire d'un livre, quand tu montres le travail d'un cadreur dans un film pour créer l'angoisse, admets, mon cher Calyste, que tu as une bonne partie de l'auditoire qui est suspendue à tes lèvres et qui ingurgite tout cela sans se / te poser de questions !

Mais malheureusement, nos programmes, qui parlent de "savoir-faire" qui passent avant les savoirs, ont conditionné en partie cette mentalité utilitariste ! A nous de savoir réconcilier la chèvre rectorale et le chou apprenant !

Bises.

Calyste a dit…

Aucun progrès, Olivier, c'est sûr, régression même.

Je partage ça avec toi, Piergil.

La caricature, Y., c'est ce que devient peu à peu la notion de savoir, de culture, j'ose à peine écrire d'"humanités".

Calyste a dit…

Oui, Shakti, je connais ça avec les 6°, quand je me lance dans les mythologies. Mais, les années passant, leur intérêt s'émousse vite.Entièrement d'accord avec toi pour critiquer cette époque du savoir-faire qui ne tient aucun compte ou presque du contenu de ce savoir. La part du rêve n'a plus très bonne presse.