Après le coup de fil d'Amédé qui m'annonçait une métastase aux côtes, je n'ai pas eu envie d'écrire. Je me suis promené dans les photos que j'ai installées sur cet ordinateur.
Combien y en a-t-il? Plus de mille, sans doute. Certaines me touchent particulièrement. Ce ne sont jamais des photos de personnes, je n'aime pas ces clichés-là. Ce sont toujours des morceaux de ville, ou parfois de campagne, pris sous un certain angle qui essaie le plus souvent de mettre en valeur la géométrie des formes et des volumes. L'objet ne m'intéresse que dans ce sens: le faisceau de lignes qu'il tisse avec son environnement.
En même temps, j'étais un peu surpris: comme cette année a été pleine! De Juillet à Juillet, tant de choses, tant de pas, tant de rencontres. A cette date, fin Juin, l'an dernier, je ne connaissais pas J., je ne connaissais aucun des êtres avec qui je communique maintenant presque tous les soirs par commentaires ou mails interposés. Je n'avais pas ce blog. Ma vie était tout autre. En fait, à cette époque, je crevais de solitude, sans vouloir me l'avouer. Aujourd'hui, je la vis un peu mieux, même si...
J'ai découvert des domaines nouveaux, j'ai bougé, beaucoup, j'ai suivi diverses manifestations lyonnaises, culturelles ou autres, j'ai retrouvé d'anciens amis, j'ai fait tout pour briser ma vie d'habitudes et d'automatismes.
Les vacances arrivent maintenant. Passé le temps du repos salutaire, c'est toujours un moment que je vois venir avec appréhension. J'ai vécu près de trente ans sans me poser de questions sur le programme de ces mois d'été. Accompagner la chorale d'enfants dans sa tournée estivale à l'étranger, puis, avec Pierre, rejoindre Bons et le Chablais pour s'y reposer et faire quelques améliorations à l'intérieur de la maison.
Aujourd'hui, plus de Pierre, plus de maison, plus de Chablais. Et améliorer mon appartement de Lyon qui en aurait grand besoin, ça ne m'intéresse pas, ou plutôt je ne m'en sens pas le courage seul.
Et voilà que je retombe dans ma nostalgie coutumière. Alors que je voulais parler de la surprise et de la joie, en revoyant mes photos, de découvrir tout ce qui avait rempli cette année.
J'ai l'habitude, presque chaque jour, de dire le Notre Père. Je sais que beaucoup trouveraient cela ridicule. Ça ne l'est pas pour moi. Je l'ai dit hier sur la tombe de Pierre et ce que j'en retire, c'est de la joie et de la sérénité. Pour moi, ce n'est pas une prière de demandes, mais une prière de remerciements. Et c'est merci que je veux dire pour cette année écoulée.
lundi 30 juin 2008
And the winners are?
Voici l'ultime arrivage de la saison, les 4 derniers spécimens pour cette biennale 2008.
(OURS 38)
Celui-ci, pris en photo depuis longtemps, je l'avais oublié. Il se trouve dans le parking souterrain de la Place des Terreaux (1er)
(LION 29)
Mairie du 5°. Le quartier n'a pourtant rien de révolutionnaire.
(LION 30)
Mairie du 4°, la Croix-Rousse, le quartier des Canuts.
(OURS 39)
Et enfin, celui qui m'aura donné le plus de mal. D'abord annoncé Place St Nizier. Rien. Personne ne l'a vu. Par hasard, j'apprends qu'il se trouve dans une boutique du 2°, rue des Remparts d'Ainay, car sa peinture argentée ne supporte pas l'extérieur. Bon accueil dans cette boutique mais peu de recul et un éclairage empêchant une photo correcte.
Dommage car les détails étaient magnifiques de finesse.
Enfin, je vous dois un aveu: le lion 10 est un lion datant de la biennale précédente (je ne le savais pas au moment de la photo). Alors, il en manque un? Oui, celui de la place Jules Ferry, devant l'ancienne gare des Brotteaux. Introuvable. Il y avait bien été installé, mais personne n'a été capable de me dire où il est passé.
Voilà: les votes sont ouverts. Je rappelle que nous avons en lice 30 lions (avec l'"ancien") et 39 ours. On vote pour le plus bel ours d'un côté, pour le plus beau lion de l'autre. Les votes sont ouverts jusqu'à fin Juillet. En cas d'égalité, mon vote (que je ne révélerai qu'à la fin) comptera double. Pourquoi? Parce qu'il faut bien un règlement. Et puis, qui c'est qui commande ici? Non mais. Merci de voter par l'intermédiaire des commentaires et non des mails, afin que tout soit dans la transparence, comme dirait... Bon, je ne vais pas commencer! A vous de jouer.
Pour vous aider à les retrouver, voici les dates où ils sont successivement apparus:
Avril: 30 / Mai: 1,2,4,13,19,23,31 / Juin: 4,6,11,15,23,30.
(OURS 38)
Celui-ci, pris en photo depuis longtemps, je l'avais oublié. Il se trouve dans le parking souterrain de la Place des Terreaux (1er)
(LION 29)
Mairie du 5°. Le quartier n'a pourtant rien de révolutionnaire.
(LION 30)
Mairie du 4°, la Croix-Rousse, le quartier des Canuts.
(OURS 39)
Et enfin, celui qui m'aura donné le plus de mal. D'abord annoncé Place St Nizier. Rien. Personne ne l'a vu. Par hasard, j'apprends qu'il se trouve dans une boutique du 2°, rue des Remparts d'Ainay, car sa peinture argentée ne supporte pas l'extérieur. Bon accueil dans cette boutique mais peu de recul et un éclairage empêchant une photo correcte.
Dommage car les détails étaient magnifiques de finesse.
Enfin, je vous dois un aveu: le lion 10 est un lion datant de la biennale précédente (je ne le savais pas au moment de la photo). Alors, il en manque un? Oui, celui de la place Jules Ferry, devant l'ancienne gare des Brotteaux. Introuvable. Il y avait bien été installé, mais personne n'a été capable de me dire où il est passé.
Voilà: les votes sont ouverts. Je rappelle que nous avons en lice 30 lions (avec l'"ancien") et 39 ours. On vote pour le plus bel ours d'un côté, pour le plus beau lion de l'autre. Les votes sont ouverts jusqu'à fin Juillet. En cas d'égalité, mon vote (que je ne révélerai qu'à la fin) comptera double. Pourquoi? Parce qu'il faut bien un règlement. Et puis, qui c'est qui commande ici? Non mais. Merci de voter par l'intermédiaire des commentaires et non des mails, afin que tout soit dans la transparence, comme dirait... Bon, je ne vais pas commencer! A vous de jouer.
Pour vous aider à les retrouver, voici les dates où ils sont successivement apparus:
Avril: 30 / Mai: 1,2,4,13,19,23,31 / Juin: 4,6,11,15,23,30.
dimanche 29 juin 2008
Le Bois d'Oingt.
J'avais presque réussi à me décider à éteindre cet écran un peu plus tôt ce soir, pour me reposer, pour lire, pour dormir. Et puis je l'ai vue, je ne l'ai jamais regardée pendant ces deux jours et c'est seulement maintenant qu'elle est apparue devant moi, comme si elle m'appelait.
Elle, c'est la photographie de Pierre qui est sur mon bureau. Je n'aime pas laisser traîner, ou exposer, partout des photos de morts dans mon appartement. Je n'ai jamais supporté cet hommage post-mortem. Je n'aime d'ailleurs pas beaucoup les photographies des gens, ni les miennes. Mes amis sont en moi, morts ou vivants, je ne veux pas figer ma "préhension" d'eux, je préfère les recréer à l'image que j'ai d'eux, chaque fois.
Je n'ai pas de regrets de ne pas avoir regardé cette photo. Pierre, lui aussi, est définitivement en moi, je l'ai déjà dit. Je laisserai pourtant ce petit cadre jaune sur ma table de travail parce que l'image qu'il me donne est belle. Le moment sans doute où notre amour a été le plus fort, après sa deuxième opération, quand il a compris que, malgré les apparences quelquefois, je ne m'étais pas éloigné de lui, quand j'ai compris que, malgré les démons qui m'attiraient parfois ailleurs, c'était lui, l'unique, l'aimé.
Il faisait beau, c'était au Bois d'Oingt, un petit village au début du Beaujolais, dans une maison de convalescence. Il est assis à l'ombre d'un épais feuillage, à une table de jardin en métal blanc, sur une chaise en même métal. Sur la table, une petite bouteille d'eau minérale; derrière lui, hors champ, le jardin et les parterres d'iris, de pivoines, les arches de roses, les buis taillés. Dans sa chambre, une orchidée, celle qui, pour ma joie, refleurit en abondance cette année.
Pierre porte une chemisette d'été à manches courtes, blanche à petits fils jaunes. C'est moi qui, comme d'habitude, l'avais achetée, et la même pour moi. Toutes deux sont aujourd'hui dans la penderie, je peux les utiliser indifféremment avec mes kilos en moins. Au poignet gauche, la montre que je lui avais offerte pour son anniversaire, et sur la main la trace bien marquée d'une brûlure au caramel un jour de pâtisserie.
Il avait déjà grossi. Les médicaments. Torse et bajoues s'imposaient davantage. Seul le bras, visible du poignet jusqu'au coude, reste étonnamment maigre. Les cheveux avaient repoussé après les chimios et si l'on ne voit que son grand front dégarni, c'est que ça n'a jamais été autrement.
Tout cela, je pourrai l'escamoter, ne plus l'avoir sous les yeux. Ce qui me fait conserver cette photo à côté de moi, c'est son sourire et ses yeux. Sourire un peu figé, il n'aimait pas être pris en photo et ne savait jamais quelle contenance prendre. Mais son sourire un peu narquois et en même temps avenant, son sourire d'intelligence. Je pourrais dire la même chose des yeux, du regard. Il avait les yeux bleus, certains disaient froids. Moi, jamais ils ne m'ont glacé, impressionné. Je n'y ai toujours vu que de la tendresse. Et c'est, derrière l'ombre de souffrance accumulée qui s'y était alors logée, cette tendresse, à moi uniquement adressée, que j'y vois encore aujourd'hui.
Elle, c'est la photographie de Pierre qui est sur mon bureau. Je n'aime pas laisser traîner, ou exposer, partout des photos de morts dans mon appartement. Je n'ai jamais supporté cet hommage post-mortem. Je n'aime d'ailleurs pas beaucoup les photographies des gens, ni les miennes. Mes amis sont en moi, morts ou vivants, je ne veux pas figer ma "préhension" d'eux, je préfère les recréer à l'image que j'ai d'eux, chaque fois.
Je n'ai pas de regrets de ne pas avoir regardé cette photo. Pierre, lui aussi, est définitivement en moi, je l'ai déjà dit. Je laisserai pourtant ce petit cadre jaune sur ma table de travail parce que l'image qu'il me donne est belle. Le moment sans doute où notre amour a été le plus fort, après sa deuxième opération, quand il a compris que, malgré les apparences quelquefois, je ne m'étais pas éloigné de lui, quand j'ai compris que, malgré les démons qui m'attiraient parfois ailleurs, c'était lui, l'unique, l'aimé.
Il faisait beau, c'était au Bois d'Oingt, un petit village au début du Beaujolais, dans une maison de convalescence. Il est assis à l'ombre d'un épais feuillage, à une table de jardin en métal blanc, sur une chaise en même métal. Sur la table, une petite bouteille d'eau minérale; derrière lui, hors champ, le jardin et les parterres d'iris, de pivoines, les arches de roses, les buis taillés. Dans sa chambre, une orchidée, celle qui, pour ma joie, refleurit en abondance cette année.
Pierre porte une chemisette d'été à manches courtes, blanche à petits fils jaunes. C'est moi qui, comme d'habitude, l'avais achetée, et la même pour moi. Toutes deux sont aujourd'hui dans la penderie, je peux les utiliser indifféremment avec mes kilos en moins. Au poignet gauche, la montre que je lui avais offerte pour son anniversaire, et sur la main la trace bien marquée d'une brûlure au caramel un jour de pâtisserie.
Il avait déjà grossi. Les médicaments. Torse et bajoues s'imposaient davantage. Seul le bras, visible du poignet jusqu'au coude, reste étonnamment maigre. Les cheveux avaient repoussé après les chimios et si l'on ne voit que son grand front dégarni, c'est que ça n'a jamais été autrement.
Tout cela, je pourrai l'escamoter, ne plus l'avoir sous les yeux. Ce qui me fait conserver cette photo à côté de moi, c'est son sourire et ses yeux. Sourire un peu figé, il n'aimait pas être pris en photo et ne savait jamais quelle contenance prendre. Mais son sourire un peu narquois et en même temps avenant, son sourire d'intelligence. Je pourrais dire la même chose des yeux, du regard. Il avait les yeux bleus, certains disaient froids. Moi, jamais ils ne m'ont glacé, impressionné. Je n'y ai toujours vu que de la tendresse. Et c'est, derrière l'ombre de souffrance accumulée qui s'y était alors logée, cette tendresse, à moi uniquement adressée, que j'y vois encore aujourd'hui.
La boîte à savon.
Pour Anna.
Il est toujours là, l'ébéniste-poète, avec son tableau noir aux quelques mots respectés de tous. Des mots rares pourtant et qui dérangent ou surprennent, des mots que l'on ne comprend pas toujours. Mais que l'on respecte.
Il demande le même respect pour la boîte à savon de son père. Qu'est devenue l'ancienne? Je suis resté un moment sans passer devant sa boutique, je ne sais pas. Hier, c'était Neruda, aujourd'hui Jaccottet. Je l'ai lu avec une grosse dame revenant du marché, son caddie rempli de fruits et légumes. Nous sommes repartis chacun de notre côté, allégés d'un peu de poésie dans les poches.
Anna vient souvent pour me lire. Anna est anonyme. Anna n'est pas joignable. Je ne la connais que par ses messages. J'ai peur de la voir disparaître, comme ça, pfftt, comme si elle n'était jamais venue. Je tiens à Anna. Merci, Anna. Pour vous, ce minuscule hommage. Pardonnez-moi.
Il est toujours là, l'ébéniste-poète, avec son tableau noir aux quelques mots respectés de tous. Des mots rares pourtant et qui dérangent ou surprennent, des mots que l'on ne comprend pas toujours. Mais que l'on respecte.
Il demande le même respect pour la boîte à savon de son père. Qu'est devenue l'ancienne? Je suis resté un moment sans passer devant sa boutique, je ne sais pas. Hier, c'était Neruda, aujourd'hui Jaccottet. Je l'ai lu avec une grosse dame revenant du marché, son caddie rempli de fruits et légumes. Nous sommes repartis chacun de notre côté, allégés d'un peu de poésie dans les poches.
Anna vient souvent pour me lire. Anna est anonyme. Anna n'est pas joignable. Je ne la connais que par ses messages. J'ai peur de la voir disparaître, comme ça, pfftt, comme si elle n'était jamais venue. Je tiens à Anna. Merci, Anna. Pour vous, ce minuscule hommage. Pardonnez-moi.
La phrase.
Nécessité de la phrase courte, comme un coup de fouet qui atteint son but et zèbre l'espace de la page. Nécessité aussi du long serpentement de la lanière des mots pour (é)mouvoir et caresser avant de frapper. La phrase longue prépare la jouissance. Ensuite la courte l'impose.
La vie.
Splendeur de la lavande ce matin sur la tombe. J'y ai frotté mes mains. Abeilles et bourdons. La vie.
samedi 28 juin 2008
Onze heures.
Onze heures ce matin.
Le poudroiement des pistes blanches de Miribel, les cailloux qui éclaboussent la chaleur, la poussière sur les feuilles et les arbres les plus jeunes, les insectes qui bougent à l'ombre des fourrés. Impression de Grèce ou de Sicile, approche du désert, sensation de l'absolu.
La course puis le lac, tout au bord, près de l'eau. Ma serviette, mon livre, nu. A onze heures, étendu, face contre le soleil. A travers mes paupières, la lumière s'affole, petit brin d'elle prisonnier dans le presque noir. J'ouvre les yeux. Eblouissement du zénith, chaleur sur mon corps. Je ne suis pas malheureux, je suis vivant, et ceux que j'aime avec moi. Journée radieuse. Je ne suis pas triste.
Le poudroiement des pistes blanches de Miribel, les cailloux qui éclaboussent la chaleur, la poussière sur les feuilles et les arbres les plus jeunes, les insectes qui bougent à l'ombre des fourrés. Impression de Grèce ou de Sicile, approche du désert, sensation de l'absolu.
La course puis le lac, tout au bord, près de l'eau. Ma serviette, mon livre, nu. A onze heures, étendu, face contre le soleil. A travers mes paupières, la lumière s'affole, petit brin d'elle prisonnier dans le presque noir. J'ouvre les yeux. Eblouissement du zénith, chaleur sur mon corps. Je ne suis pas malheureux, je suis vivant, et ceux que j'aime avec moi. Journée radieuse. Je ne suis pas triste.
Echeveau.
Aujourd'hui, c'est la Saint Irénée, "patron d'ordination" de Pierre; demain, c'est la Saint Pierre; aujourd'hui, cinq hommes ont été ordonnés prêtres à la Cathédrale Saint-Jean, dont un franciscain. Tous ces fils à cet écheveau...
Mon premier Jaccottet
Je ne connaissais pas Philippe Jaccottet.
Ce peu de bruits m'a mis pour la première fois en contact avec lui, et, je peux le dire, le contact ne fut pas aisé. J'ai lu la moitié de son livre en prose sans y trouver grand intérêt. Incompatibilité? Fatigue intellectuelle de fin d'année de ma part? Il m'a servi bien des soirs à aider l'endormissement.
Jusqu'à cet après-midi, pendant la sieste. J' ai abordé la partie qui donne son titre à l'ouvrage et alors je me suis mis à corner les pages les unes après les autres, j'ai lu cette deuxième moitié sans m'interrompre, seulement pour bien enraciner le sens, la beauté en moi. Je n'avais pas compris. Dire le petit qui ouvre sur le mystique, sur l'universel. J'ai repris le début, m'éclairant de la suite. Les textes, de fades, sont devenus clairs: j'entendais leur sonorité, elle éveillait enfin des échos en moi.
Ce livre restera sans doute près de moi longtemps. J'ai envie de le relire lentement, peu à peu, de laisser vieillir l'élixir que je vais en tirer. Il m'est difficile d'en extraire un passage, un seul. Sans doute en reprendrais-je d'autres ailleurs. Celui-ci m'a donné la clé:
Saigyô
" Au bout du crépuscule
franchissant le col du mont Hihara
soudain le chant d'une tourterelle
comme venu de l'eau-delà."
(Là, il me semblait que Saigyô me tendait à travers le temps un modèle, un concentré de ce qu'il m'est arrivé d'éprouver au plus profond de moi, le centre d'où tout serait partie ou vers quoi tout se serait orienté. Chose à la fois mortifiante, parce qu'elle signifie qu'on n'a rien inventé, et réconfortante; écho dans lequel s'effacent siècles et distances et qui semble témoigner d'une communauté inespérée.
Il y a en effet dans ces quelques vers le moment du passage du jour à la nuit, associé au passage du col; la soudaineté du chant entendu, et l'impression qu'il vient de l'"au-delà"- j'ignore ce que cette traduction veut exactement dire: venu simplement de l'autre côté du col, ou d'un autre monde. Mais c'est exactement ce que j'aurai tant de fois ressenti et essayé de dire: un creusement de l'espace-temps jusqu'à l'infini, mais, il faut y insister, dans des circonstances banales, à l'intérieur de ce monde et d'une vie d'homme parfaitement quelconque et sans histoires.)
Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits, NRF, Gallimard.
En tapant ces lignes, j'ai eu constamment à l'esprit un autre moment du passage, dans une vie de femme parfaitement quelconque et sans histoires: le moment de l'Annonciation à Marie. L'impression aussi que peu à peu, les pièces de mon puzzle intellectuel commencent à s'imbriquer.
Ce peu de bruits m'a mis pour la première fois en contact avec lui, et, je peux le dire, le contact ne fut pas aisé. J'ai lu la moitié de son livre en prose sans y trouver grand intérêt. Incompatibilité? Fatigue intellectuelle de fin d'année de ma part? Il m'a servi bien des soirs à aider l'endormissement.
Jusqu'à cet après-midi, pendant la sieste. J' ai abordé la partie qui donne son titre à l'ouvrage et alors je me suis mis à corner les pages les unes après les autres, j'ai lu cette deuxième moitié sans m'interrompre, seulement pour bien enraciner le sens, la beauté en moi. Je n'avais pas compris. Dire le petit qui ouvre sur le mystique, sur l'universel. J'ai repris le début, m'éclairant de la suite. Les textes, de fades, sont devenus clairs: j'entendais leur sonorité, elle éveillait enfin des échos en moi.
Ce livre restera sans doute près de moi longtemps. J'ai envie de le relire lentement, peu à peu, de laisser vieillir l'élixir que je vais en tirer. Il m'est difficile d'en extraire un passage, un seul. Sans doute en reprendrais-je d'autres ailleurs. Celui-ci m'a donné la clé:
Saigyô
" Au bout du crépuscule
franchissant le col du mont Hihara
soudain le chant d'une tourterelle
comme venu de l'eau-delà."
(Là, il me semblait que Saigyô me tendait à travers le temps un modèle, un concentré de ce qu'il m'est arrivé d'éprouver au plus profond de moi, le centre d'où tout serait partie ou vers quoi tout se serait orienté. Chose à la fois mortifiante, parce qu'elle signifie qu'on n'a rien inventé, et réconfortante; écho dans lequel s'effacent siècles et distances et qui semble témoigner d'une communauté inespérée.
Il y a en effet dans ces quelques vers le moment du passage du jour à la nuit, associé au passage du col; la soudaineté du chant entendu, et l'impression qu'il vient de l'"au-delà"- j'ignore ce que cette traduction veut exactement dire: venu simplement de l'autre côté du col, ou d'un autre monde. Mais c'est exactement ce que j'aurai tant de fois ressenti et essayé de dire: un creusement de l'espace-temps jusqu'à l'infini, mais, il faut y insister, dans des circonstances banales, à l'intérieur de ce monde et d'une vie d'homme parfaitement quelconque et sans histoires.)
Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits, NRF, Gallimard.
En tapant ces lignes, j'ai eu constamment à l'esprit un autre moment du passage, dans une vie de femme parfaitement quelconque et sans histoires: le moment de l'Annonciation à Marie. L'impression aussi que peu à peu, les pièces de mon puzzle intellectuel commencent à s'imbriquer.
Une journée particulière
Elle a refleuri: hier, trois fleurs. Aujourd'hui, trois ans que Pierre est parti.
Je ne comprends pas la distance.
Comment comprendre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce dessine les lignes
qui manquent à ma pensée.
Comment comprendre la parenthèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les figures du vent
délient le temps serré de ma petite histoire ?
Comment comprendre le cri pétrifié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?
Je ne comprends pas la distance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton existence et la mienne.
Roberto Juarroz, Poésie verticale
Traduction de Roger Munier, Fayard, 1980.
Merci à Danielle.
Et pour moi:
Il me semble hors de doute que, si l'on me chassait mes démons, mes anges aussi auraient un peu, disons un tout petit peu, peur.
Rilke.
Je ne comprends pas la distance.
Comment comprendre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce dessine les lignes
qui manquent à ma pensée.
Comment comprendre la parenthèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les figures du vent
délient le temps serré de ma petite histoire ?
Comment comprendre le cri pétrifié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?
Je ne comprends pas la distance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton existence et la mienne.
Roberto Juarroz, Poésie verticale
Traduction de Roger Munier, Fayard, 1980.
Merci à Danielle.
Et pour moi:
Il me semble hors de doute que, si l'on me chassait mes démons, mes anges aussi auraient un peu, disons un tout petit peu, peur.
Rilke.
vendredi 27 juin 2008
Le Brevet.
(Ce texte a été écrit ce matin, sur feuilles et retranscrit ce soir.)
En direct. 9h10. Je suis dans la salle d'examen. 19 candidats au brevet. 12 garçons, 7 filles. Les années de naissance s'échelonnent de 91 à 93. Épreuve de mathématiques. Nous venons de distribuer les sujets, il y a dix minutes.
Ils ont déjà tous la tête baissée, on n'aperçoit que des cheveux et des doigts pianotant sur la calculette. Certains ont apporté de l'eau. Les garçons sont en baskets, les filles en ballerines, pour la plupart. Personne n'est encore déconcentré. Personne n'a encore abandonné.
J'ai lu les sujets, six pages d'exercices. Je ne comprends pas grand chose. J'étais pourtant doué en math à leur âge. J'ai oublié et je n'ai pas envie de faire l'effort. Le livre de Jaccottet, Ce peu de bruits attend sur le bureau, à côté de ma trousse, que j'ai fini d'écrire pour le lire. Je pense à Pierre qui aujourd'hui passe un entretien d'embauche. Peut-être ce matin? J'imagine son stress, sa tension. Ma place est plus confortable, je suis du côté des examinateurs.
Nous sommes installés au-dessus de la cuisine. Dieu merci, pas encore d'odeurs de cuisson, juste le bruit du ventilateur et, dans la rue, quelques voitures. Les dizaines de fenêtres de l'immeuble d'en face, barre laide des années soixante-dix, sont toutes closes: les travailleurs sont déjà partis, les autres ne sont peut-être pas encore levés.
Premier sourire échangé entre deux candidats; on se rassure comme on peut. On se gratte les cheveux, on appuie longuement son menton dans sa main, on farfouille nerveusement dans sa trousse, à la recherche de sa gomme, ou de son équerre, ou de son rapporteur. Le concierge de l'immeuble voisin rentre (ou sort) les poubelles: je n'irai pas jusqu'à la fenêtre pour vérifier.
Les physiques sont aussi dissemblables que possible: du blond presque paille au noir corbeau, du teint diaphane au bronzage déjà bien installé, de la taille de lutin à l'échalas trop vite poussé, des avec lunettes, des sans, des boutonneux (la plupart), des jambes lisses, d'autres déjà envahies par une toison plus ou moins fournie. Ils ne sont pas beaux, ils ne sont pas laids, ils sont en devenir.
Un garçon pourtant affiche déjà un physique étudié: bronzage, coupe de cheveux, habillement, tout est en harmonie. Il peut plaire déjà et sans doute le sait-il, sans doute en joue-t-il déjà. Pour moi, il est lisse, je voudrais plus de mystère. A cet âge-là, j'étais torturé, j'avais connu mes premières expériences homosexuelles avec Yvon, mon ami d'enfance, avec des hommes adultes aussi. Tout était devant moi, je voulais vite pousser cette porte qui s'entrouvrait et, en même temps, je redoutais ce que j'allais trouver derrière. Et puis, il y avait cette épine de la religion qui me gênait tant.
J'ai passé le Brevet, qui s'appelait alors le BEPC, en 1968. Brevet abrégé, allégé, donné? Je me souviens de la chaleur, de l'épreuve d'anglais aussi, cette matière que je traînais comme un boulet, et pour laquelle la musique m'a aidé. C'est grâce à la chanson de Nancy Sinatra These boots are made for walking que je réussis à retrouver le sens de ce mot, "boots" (fallait-il que je sois nul) et à traduire une phrases entière. Aucun autre souvenir, si ce n'est le nom d'une fille que je ne connaissais pas qui était très proche du mien, la particule en plus. Dernier soubresaut de phantasmes enfantins d'abandon et d'adoption. J'avais bien fini alors par accepter que mes parents soient réellement mes parents.
L'adolescente devant moi a une trousse décorée au blanc correcteur, comme ils le font tous. Sur la sienne, elle a écrit, ce qui est déjà moins courant: I love (petit coeur) Tokyo. Pourquoi? Y est-elle allée? En rêve-t-elle? Sa voisine hésite entre le gothique (trousse couverte de têtes de morts) et la sophistication (strass et bijoux sur le gilet).
Le collège a bien fait les choses. Nous avons été accueillis par du café et des viennoiseries (croissants et pains au chocolat). A l'instant, on nous apporte dans les salles une grande bouteille d'eau fraîche et deux verres de plastique.
Ils commencent à s'agiter davantage. Les jambes se croisent et se décroisent, s'allongent sous le bureau, se rétractent précipitamment sous la chaise, comme piquées tout à coup par un insecte invisible, un taon impitoyable, bestiole née du stress grandissant. L'un réclame une feuille de brouillon supplémentaire, l'autre une deuxième copie. On approche de la fin de l'heure de présence obligatoire. Je ne vois personne en arrêt, bâillant aux corneilles en attendant la possibilité de sortie. Pourquoi les maths sont-elles toujours davantage prises au sérieux que le français ou l'histoire?
Pas de Stéphane aujourd'hui, et jusqu'à mercredi prochain. Il oeuvre dans un autre établissement, où il a été convoqué. Qui va rester à la cantine aujourd'hui? Le "beau jeune homme" s'étire la nuque, de façon assez ostentatoire, en vérifiant d'un rapide coup d'oeil si on l'observe. Je l'observe. Il replonge dans sa copie.
Une des filles a des cheveux châtain clair longs et abondants qu'elle a, à cause de la chaleur, relevés au-dessus de la nuque en une cascade torsadée tenue par une barrette. Des lunettes à montures d'écaille (Tiens! Ça revient à la mode?), un habile équilibre de gris et de noir dans sa tenue, des babouches informes aux pieds, pas d'autres bijoux qu'un long collier couleur métal. Visage ovale, taille élancée. Elle va devenir une femme comme je les aime.
Cette fois, le "beau jeune homme" s'étire le torse, gonflant le poitrail et tendant le bras en un mouvement gracieux de danse. Belle allure sous son polo de rugbyman à rayures roses et grises. Il sourit. Quelqu'un a attiré son attention dans le couloir. Ce sont les premiers à avoir quitté les salles.
A côté de moi, ma collègue d'Arts plastiques, celle qui a organisé la visite de l'exposition Harring au mois de mai, dessine la salle pour moi. Je vais essayer d'insérer ici son dessin, si la technique ne m'est pas trop hostile.
On a beau avoir ouvert porte et fenêtres, pour assurer un petit courant d'air, la chaleur augmente dans la salle. Les nuages de ce matin ont disparu, l'heure avance et la concentration des corps augmente la touffeur. Il y a parfois une petite brise qui passe, venue d'on ne sait où.
Combien sont-ils aujourd'hui dans le collège? Les nôtres, bien sûr, plus d'une centaine, ceux d'un collège voisin, et ceux d'un établissement professionnel. A mon avis, donc, à peu près trois cents qui, dans une heure, seront libérés jusqu'à la rentrée, la plupart quittant le collège pour le lycée. E la nave va!
Les surveillants de couloir font les cent pas. Ceux de secrétariat attendent: ils interviendront après l'épreuve. Je préfère surveiller les élèves: il y a tant à voir.
Premiers signes de lassitude. On bâille, on soupire. Deux heures de math, ça doit être long, même si on aime.
Interruption dans l'écriture. Déjà cinq ou six élèves sont partis. Il faut, à chaque concurrent, vérifier qu'il a bien rempli, et complètement, l'en-tête de chaque copie rendu, qu'il a bien numéroté les pages, lui faire constater que nous avons bien agrafé la page du sujet à joindre à la copie, le faire émarger sur la liste, dans la case à son nom, comme aux élections après être passé dans l'isoloir.
Mireille continue son dessin. Elle m'a proposé de le numériser elle-même et de me l'envoyer sur ma messagerie mail. Numériser? D'accord. Je ne vois pas très bien ce que cela veut dire (transformer en code compliqué, comme lorsque j'insère des photos?) mais je veux bien. Pour le copier/coller, je devrais sans doute y parvenir.
Je reviens des toilettes. Les collègues que j'ai croisés, ceux de chez nous comme ceux d'ailleurs, affichent une solennité certaine. C'est bien, c'est respecter les élèves. Après tout, au moins pour quelques-uns d'entre eux en apparence (et pour presque tous en vérité), cela représente un moment important de leur vie. Dans la cour, de la musique déjà. Libération! Je ne peux pas les apercevoir, du deuxième étage. J'imagine que leur joie fait plaisir à voir.
La salle se vide, le couloir se remplit. Petit coucou en passant devant la porte de ceux que je connais. Ça veut dire bonnes vacances, ça veut dire merci. Ça veut dire que, contrairement à ce qu'on peut entendre parfois, le collège n'est pas une prison, qu'on peut y vivre heureux et s'y épanouir. Tous, en sortant de la salle, nous disent au revoir. Ils pourraient s'en moquer: on n'en connaît pas certains, les autres ne seront plus sous notre "coupe". J'apprécie cette gratuité.
Il reste 17 minutes d'épreuve et 6 candidats. Hélène vient d'arriver. En passant dans le couloir, elle joue la vamp, en se cachant bien sûr. Elle aussi, elle est solide.
4 "survivants": 3 filles, 1 garçon. C'est normal: les filles sont toujours plus perfectionnistes. Le garçon restant est celui qui paraît physiquement le moins mûr, le plus "gentil petit élève". A six minutes de la fin, plus que 4. Mireille, apparemment libérée elle aussi, n'arrête plus de me parler. C'est elle, bonne fille, qui s'est chargée de l'achat des cadeaux pour ceux qui partent cette année, en retraite ou dans d'autres établissements. Elle veut que je la rassure. Elle a toujours besoin d'être rassurée. Je ne peux pas lui en vouloir.
Fin. Comment arrêter mon billet? Comme ça, en direct.
jeudi 26 juin 2008
Ma voix vaut de l'or.
Ce matin, c'était la dictée du brevet.
Le texte devait obligatoirement être lu par un prof. de français. Comme si les autres n'en étaient pas capables! Résultat: j'ai dû traverser Lyon dans un sens puis dans l'autre , tout ça pour un quart d'heure de travail. Au prix actuel de l'essence, c'est bien pensé! C'est comme ça que j'ai appris que mon organe valait de l'or. Quand j'ai vu le directeur traîner dans les couloirs, je lui ai réclamé, pour les années à venir, une salle spéciale, insonorisée, pour que je puisse m'échauffer la voix avant l'exercice. Les divas, c'est comme ça: ça a de ces caprices!
Cette année, les élèves ont eu à orthographier correctement un texte de Louis Pergaud, extrait de La Guerre des boutons. Un texte pas très difficile, il me semble, à l'exception de deux ou trois mots. La scène évoquée est la rentrée des classes dans une institution religieuse, il y a quelques décennies. Le texte est intéressant mais ne constitue pas un morceau inoubliable de littérature: huit lignes à peine et des répétitions. Mais ce n'est pas cela qui va gêner nos élèves. Plutôt l'emploi de mots aujourd'hui obsolètes comme "calotte" ou "gourmander". La consigne officielle étant de ne pas répondre aux questions éventuelles des candidats, j'ai anticipé en leur expliquant le sens de ces deux mots. Il ne faut pas être idiot: comment peut-on écrire convenablement un mot dont on ne comprend même pas le sens?
Dis au revoir à Caroline, ma jolie collègue de français remplaçante, qui ne sera plus là l'an prochain. Nous avons échangé nos adresses mail, histoire de ne pas perdre un contact qui se perdra quoi qu'il en soit si rien ne vient approfondir davantage cette relation.
Et maintenant, après un repas avec J. (tarte aux pommes bien sûr, précédée d'une grosse salade composée et d'un fromage blanc), je vais prendre mon livre, ma protection solaire et aller exposer mon corps divin (!!!) aux rayons bienfaisants de Ra. Où? Quelle question! Et puis ce soir, ce sera le grand raout, la réunion annuelle de tous les personnels des six établissements associés: au programme discours, apéritif et buffet campagnard. Une occasion pour moi de revoir d'anciennes connaissances que je ne peux rencontrer qu'à cette occasion.
Le texte devait obligatoirement être lu par un prof. de français. Comme si les autres n'en étaient pas capables! Résultat: j'ai dû traverser Lyon dans un sens puis dans l'autre , tout ça pour un quart d'heure de travail. Au prix actuel de l'essence, c'est bien pensé! C'est comme ça que j'ai appris que mon organe valait de l'or. Quand j'ai vu le directeur traîner dans les couloirs, je lui ai réclamé, pour les années à venir, une salle spéciale, insonorisée, pour que je puisse m'échauffer la voix avant l'exercice. Les divas, c'est comme ça: ça a de ces caprices!
Cette année, les élèves ont eu à orthographier correctement un texte de Louis Pergaud, extrait de La Guerre des boutons. Un texte pas très difficile, il me semble, à l'exception de deux ou trois mots. La scène évoquée est la rentrée des classes dans une institution religieuse, il y a quelques décennies. Le texte est intéressant mais ne constitue pas un morceau inoubliable de littérature: huit lignes à peine et des répétitions. Mais ce n'est pas cela qui va gêner nos élèves. Plutôt l'emploi de mots aujourd'hui obsolètes comme "calotte" ou "gourmander". La consigne officielle étant de ne pas répondre aux questions éventuelles des candidats, j'ai anticipé en leur expliquant le sens de ces deux mots. Il ne faut pas être idiot: comment peut-on écrire convenablement un mot dont on ne comprend même pas le sens?
Dis au revoir à Caroline, ma jolie collègue de français remplaçante, qui ne sera plus là l'an prochain. Nous avons échangé nos adresses mail, histoire de ne pas perdre un contact qui se perdra quoi qu'il en soit si rien ne vient approfondir davantage cette relation.
Et maintenant, après un repas avec J. (tarte aux pommes bien sûr, précédée d'une grosse salade composée et d'un fromage blanc), je vais prendre mon livre, ma protection solaire et aller exposer mon corps divin (!!!) aux rayons bienfaisants de Ra. Où? Quelle question! Et puis ce soir, ce sera le grand raout, la réunion annuelle de tous les personnels des six établissements associés: au programme discours, apéritif et buffet campagnard. Une occasion pour moi de revoir d'anciennes connaissances que je ne peux rencontrer qu'à cette occasion.
mercredi 25 juin 2008
Les petits, c'est grand parfois!
Ça y est: les sixièmes aussi sont partis.
Il n'y a rien de plus triste qu'une école sans élèves. Les couloirs sont déserts, avec, à quelques porte-manteaux les hardes abandonnées par les nouveaux vacanciers, la chaussure de sport sous un bureau, à jamais séparée de sa siamoise, les messages des élèves au tableau noir, assurant tel ou telle qu'il (elle) est le(la) meilleur(e) enseignant(e) de la terre (oui, les sixièmes ont l'hyperbole aisée), quelques traces des derniers goûters organisés par les profs qui ne savent rien imaginer d'autres pour finir l'année ou qui disent oui à toute proposition d'enfant pourvu qu'elle les dispense de se casser la tête. Et qu'on ne me dise pas que je suis trop dur: c'est exactement ce qui se passe!
Les travaux de peinture ont déjà débuté dans certaines salles. Dans d'autres, les bureaux ont été poussés contre les murs et servent de rangement provisoire aux livres scolaires, en attendant que les "collés" de la dernière heure passent leur temps de retenue à remettre en état les plus abîmés d'entre eux. Dans la plupart, on met en place l'organisation du Brevet. Mais ce sont des salles d'examen, ça n'a plus rien à voir avec des salles de cours. La page est donc bel et bien tournée. (Il faudra que je pense à vider mon casier)
Ce matin, pour la dernière heure, Gilles s'est joint à Stéphane et moi dans la grande salle avec les deux classes en expérimentation. Nous voulions, au bout de ses trois ans, comme nous l'avons fait la première année, leur faire réaliser le bilan de leur année de sixième.
Étonnants gamins: alors qu'une heure seulement les séparait des tongs, des valises et de la voiture surchauffée, ils se sont admirablement prêtés au jeu, d'abord oralement puis en remplissant un questionnaire. La partie orale m'a littéralement laissé bouche bée. Comment des petits bouts comme eux peuvent-ils, comme ça, sans l'avoir préparé (nous ne les avions pas prévenus), sortir des réflexions aussi pointues, des analyses aussi justes, et ça alors que (je le remarque toujours et ça m'émeut) les pieds de certains ne touchent pas encore le sol sous la chaise?
Nous buvions du petit lait. Un observateur extérieur aurait pu croire qu'il y avait eu répétition préalable au cours de laquelle nous leur avions soufflé les remarques, appris le rôle qu'ils auraient à tenir et les répliques qu'ils devraient lancer à tel ou tel moment. Rien de tout cela. Il nous reste à dépouiller le questionnaire, mais je crois, non je suis sûr, que le résultat en sera largement positif. Et ça, ça récompense bien de tous les efforts entrepris dans une année.
Il n'y a rien de plus triste qu'une école sans élèves. Les couloirs sont déserts, avec, à quelques porte-manteaux les hardes abandonnées par les nouveaux vacanciers, la chaussure de sport sous un bureau, à jamais séparée de sa siamoise, les messages des élèves au tableau noir, assurant tel ou telle qu'il (elle) est le(la) meilleur(e) enseignant(e) de la terre (oui, les sixièmes ont l'hyperbole aisée), quelques traces des derniers goûters organisés par les profs qui ne savent rien imaginer d'autres pour finir l'année ou qui disent oui à toute proposition d'enfant pourvu qu'elle les dispense de se casser la tête. Et qu'on ne me dise pas que je suis trop dur: c'est exactement ce qui se passe!
Les travaux de peinture ont déjà débuté dans certaines salles. Dans d'autres, les bureaux ont été poussés contre les murs et servent de rangement provisoire aux livres scolaires, en attendant que les "collés" de la dernière heure passent leur temps de retenue à remettre en état les plus abîmés d'entre eux. Dans la plupart, on met en place l'organisation du Brevet. Mais ce sont des salles d'examen, ça n'a plus rien à voir avec des salles de cours. La page est donc bel et bien tournée. (Il faudra que je pense à vider mon casier)
Ce matin, pour la dernière heure, Gilles s'est joint à Stéphane et moi dans la grande salle avec les deux classes en expérimentation. Nous voulions, au bout de ses trois ans, comme nous l'avons fait la première année, leur faire réaliser le bilan de leur année de sixième.
Étonnants gamins: alors qu'une heure seulement les séparait des tongs, des valises et de la voiture surchauffée, ils se sont admirablement prêtés au jeu, d'abord oralement puis en remplissant un questionnaire. La partie orale m'a littéralement laissé bouche bée. Comment des petits bouts comme eux peuvent-ils, comme ça, sans l'avoir préparé (nous ne les avions pas prévenus), sortir des réflexions aussi pointues, des analyses aussi justes, et ça alors que (je le remarque toujours et ça m'émeut) les pieds de certains ne touchent pas encore le sol sous la chaise?
Nous buvions du petit lait. Un observateur extérieur aurait pu croire qu'il y avait eu répétition préalable au cours de laquelle nous leur avions soufflé les remarques, appris le rôle qu'ils auraient à tenir et les répliques qu'ils devraient lancer à tel ou tel moment. Rien de tout cela. Il nous reste à dépouiller le questionnaire, mais je crois, non je suis sûr, que le résultat en sera largement positif. Et ça, ça récompense bien de tous les efforts entrepris dans une année.
Allo, c'est toi? C'est moi, et moi, et moi...
Je vais finir par penser que je suis invivable et que je me plains quoi qu'il arrive. Si personne ne me donne signe de vie, je me plains. Si tout le monde me téléphone le même soir, je me plains. Alors quoi?
Je suis un affreux égoïste. Lorsque je suis avec quelqu'un, physiquement ou au bout du fil, j'aime l'avoir pour moi, rien que pour moi.
Déjà, pendant la soirée au restaurant avec Alain, J. et Pierre avaient téléphoné. Chacun de ces messages pris séparément a de quoi m'emplir de plaisir pour une soirée entière. Regroupés ainsi, ils brisent l'ambiance du moment, la petite bulle fragile que nous reconstruisions avec Alain après tant d'années de silence. J'aurais pu couper mon portable, je n'y ai pas pensé. Après avoir pendant très longtemps résisté à cet appareil, j'en suis aussi intoxiqué que certains autres aujourd'hui.
Ce soir, même scénario. Alors que je m'apprêtais à passer à table, Jean-Marc me téléphone, bientôt suivi d'Emile. Là aussi, deux vieux amis que j'aime. Mais pourquoi le même soir?
Pour moi, un être est unique et j'aime son unicité. J'ai du mal à être détendu dans les soirées trop nombreuses où l'on côtoie tout le monde sans approcher vraiment personne. Lorsque j'en ressors, je ne garde que le souvenir d'un vague brouhaha sans intérêt d'où s'extirpent tant bien que mal quelques phrases que j'emporte pour les décortiquer, en extraire le sens, comme un chien rongeant son os jusqu'à en avoir détaché la moindre particule de viande.
Je n'ai vu personne, je n'ai entendu personne, je n'ai rien dit qui soit vraiment moi (plutôt le clown dont je prends le rôle à ce moment-là) car, en arrivant dans la foule, je suis devenu aveugle, sourd, et muet. Je sais, c'est preuve de grand orgueil et de grand égoïsme, mais je suis ainsi fait: homme d'alcôve plutôt que d'agora.
Je suis un affreux égoïste. Lorsque je suis avec quelqu'un, physiquement ou au bout du fil, j'aime l'avoir pour moi, rien que pour moi.
Déjà, pendant la soirée au restaurant avec Alain, J. et Pierre avaient téléphoné. Chacun de ces messages pris séparément a de quoi m'emplir de plaisir pour une soirée entière. Regroupés ainsi, ils brisent l'ambiance du moment, la petite bulle fragile que nous reconstruisions avec Alain après tant d'années de silence. J'aurais pu couper mon portable, je n'y ai pas pensé. Après avoir pendant très longtemps résisté à cet appareil, j'en suis aussi intoxiqué que certains autres aujourd'hui.
Ce soir, même scénario. Alors que je m'apprêtais à passer à table, Jean-Marc me téléphone, bientôt suivi d'Emile. Là aussi, deux vieux amis que j'aime. Mais pourquoi le même soir?
Pour moi, un être est unique et j'aime son unicité. J'ai du mal à être détendu dans les soirées trop nombreuses où l'on côtoie tout le monde sans approcher vraiment personne. Lorsque j'en ressors, je ne garde que le souvenir d'un vague brouhaha sans intérêt d'où s'extirpent tant bien que mal quelques phrases que j'emporte pour les décortiquer, en extraire le sens, comme un chien rongeant son os jusqu'à en avoir détaché la moindre particule de viande.
Je n'ai vu personne, je n'ai entendu personne, je n'ai rien dit qui soit vraiment moi (plutôt le clown dont je prends le rôle à ce moment-là) car, en arrivant dans la foule, je suis devenu aveugle, sourd, et muet. Je sais, c'est preuve de grand orgueil et de grand égoïsme, mais je suis ainsi fait: homme d'alcôve plutôt que d'agora.
mardi 24 juin 2008
Sport et détente.
Lorsque l'émotion pointe son nez, il faut que je bouge, que je me fatigue, que j'expulse le trop-ci trop-ça.
Donc, cet après-midi, alors qu'il faisait lourd et que le ciel semblait vouloir se couvrir, direction le Parc de Miribel pour un grand tour du lac. Les parkings sont pleins, les abords de l'eau envahis. Je suis toujours surpris par le nombre de gens qui ne travaillent pas. Chômage? RTT? Horaires décalés? Après tout, moi aussi, j'y étais, et je travaille pourtant (oui, bon, d'accord, comme un prof!).
Démarrage difficile. Des courbatures dans les fessiers. c'est nouveau, ça. Mais comme d'habitude, une fois les premières douleurs passées ("Mais qu'est-ce que je fais là? Il fait trop chaud! Dire que j'aurais pu faire la sieste! Et si je prenais le soleil, tranquillement?"), que du plaisir. Il ne faisait pas si chaud que ça, avec une légère brise, sauf dans les grandes lignes droites sans un arbre. J'avais prévu une casquette, je l'ai mise. Mais j'aime la grosse chaleur quand je suis bien dans ma peau, elle me donne l'impression d'être vivant, plein, physique et pas seulement cerveau en constantes interrogations.
Je n'ai rencontré personne, à l'exception d'un autre fou, qui m'a souri avec l'air de s'excuser, essoufflé et le visage cramoisi. Quelle tête avais-je moi-même à cet instant? A un moment, près d'une plage, j'ai vu la police et les pompiers emmener quelqu'un. Il y a déjà eu des noyades ce week-end. Le trop brusque changement de temps rend les gens irresponsables.
Le corps a bien suivi l'effort que je lui demandais. J'ai bien fait attention de m'hydrater convenablement et je suis arrivé à ma voiture à peine une heure (moins deux minutes) après mon départ. Par ce temps, je trouve que c'est déjà bien. D'ailleurs, sur le parking, avec mon maillot trempé de sueur et collant à mon torse, j'avais quelque chose de Marlon Brando dans Un Tramway nommé désir. Si, si, Stéphane, je t'assure. Pour les traces sur le coton, la ressemblance était frappant.
Je suis descendu alors à la plage, après avoir changé de t-shirt. Pas la peine de provoquer des émeutes, je n'avais que peu de temps devant moi. Une bonne trempette dans une eau très agréable, un bon quart d'heure à sécher sur ma serviette en regardant à droite à gauche la progression du bronzage sur les corps alanguis ou debout à contempler l'horizon (mention spéciale pour un dos somptueux et une chute de reins dont vous m'auriez dit des nouvelles si vous l'aviez vue!), et retour à la ville, au vélo, à ma mère. Et maintenant, ici, devant le clavier. Peut-être, de l'autre côté de l'écran, y a-t-il aussi de magnifiques versos! Bon, tu arrêtes maintenant, tes allusions grivoises! Nous sommes entre gens sérieux ici! Ca suffit comme ça!
( Juste rajouté, pendant que la duègne qui loge quelque part dans un des deux lobes de mon cerveau ne m'entend pas, que je compte bien remettre ça jeudi après-midi. Mais chut! La revoilà!).
Oui, bon, d'accord, j'ai assez écrit pour ce soir. Je vais lire les autres, maintenant. (Et ceux qui voient un jeu de mots dans le titre de ce billet ne sont que des malotrus.)
Donc, cet après-midi, alors qu'il faisait lourd et que le ciel semblait vouloir se couvrir, direction le Parc de Miribel pour un grand tour du lac. Les parkings sont pleins, les abords de l'eau envahis. Je suis toujours surpris par le nombre de gens qui ne travaillent pas. Chômage? RTT? Horaires décalés? Après tout, moi aussi, j'y étais, et je travaille pourtant (oui, bon, d'accord, comme un prof!).
Démarrage difficile. Des courbatures dans les fessiers. c'est nouveau, ça. Mais comme d'habitude, une fois les premières douleurs passées ("Mais qu'est-ce que je fais là? Il fait trop chaud! Dire que j'aurais pu faire la sieste! Et si je prenais le soleil, tranquillement?"), que du plaisir. Il ne faisait pas si chaud que ça, avec une légère brise, sauf dans les grandes lignes droites sans un arbre. J'avais prévu une casquette, je l'ai mise. Mais j'aime la grosse chaleur quand je suis bien dans ma peau, elle me donne l'impression d'être vivant, plein, physique et pas seulement cerveau en constantes interrogations.
Je n'ai rencontré personne, à l'exception d'un autre fou, qui m'a souri avec l'air de s'excuser, essoufflé et le visage cramoisi. Quelle tête avais-je moi-même à cet instant? A un moment, près d'une plage, j'ai vu la police et les pompiers emmener quelqu'un. Il y a déjà eu des noyades ce week-end. Le trop brusque changement de temps rend les gens irresponsables.
Le corps a bien suivi l'effort que je lui demandais. J'ai bien fait attention de m'hydrater convenablement et je suis arrivé à ma voiture à peine une heure (moins deux minutes) après mon départ. Par ce temps, je trouve que c'est déjà bien. D'ailleurs, sur le parking, avec mon maillot trempé de sueur et collant à mon torse, j'avais quelque chose de Marlon Brando dans Un Tramway nommé désir. Si, si, Stéphane, je t'assure. Pour les traces sur le coton, la ressemblance était frappant.
Je suis descendu alors à la plage, après avoir changé de t-shirt. Pas la peine de provoquer des émeutes, je n'avais que peu de temps devant moi. Une bonne trempette dans une eau très agréable, un bon quart d'heure à sécher sur ma serviette en regardant à droite à gauche la progression du bronzage sur les corps alanguis ou debout à contempler l'horizon (mention spéciale pour un dos somptueux et une chute de reins dont vous m'auriez dit des nouvelles si vous l'aviez vue!), et retour à la ville, au vélo, à ma mère. Et maintenant, ici, devant le clavier. Peut-être, de l'autre côté de l'écran, y a-t-il aussi de magnifiques versos! Bon, tu arrêtes maintenant, tes allusions grivoises! Nous sommes entre gens sérieux ici! Ca suffit comme ça!
( Juste rajouté, pendant que la duègne qui loge quelque part dans un des deux lobes de mon cerveau ne m'entend pas, que je compte bien remettre ça jeudi après-midi. Mais chut! La revoilà!).
Oui, bon, d'accord, j'ai assez écrit pour ce soir. Je vais lire les autres, maintenant. (Et ceux qui voient un jeu de mots dans le titre de ce billet ne sont que des malotrus.)
Bonnes vacances, les enfants.
Chaque jour, la petite mort suivante. Lundi matin, je disais au revoir aux 3°. De l'émotion, mais Stéphane en parle encore mieux que moi dans son billet: allez le lire.
L'après-midi, c'était le tour des 4° latinistes, bien pénibles cette année, mais attachants. Ceux qui en ont assez prendront le grec l'an prochain, les autres signent pour un nouveau contrat avec moi. Ce matin, les 5° latinistes s'en allaient également. Peu de choses à se dire: nous avons eu des rapports trop tendus une grande partie de l'année. Puis mes 5°, ceux dont j'étais le professeur principal. Pas des forts en thème pour la plupart, ils ont à peu près fait ce qu'ils ont pu. Je suis parfois trop exigeant.
Demain, ce sera le tour des 6°. Une dernière fois, nous les réunirons avec Stéphane dans la plus grande salle du collège. Ils ont fini leurs panneaux sur "Pub et Mythologie", ils ont fini la construction de leur "Domus" dans une boîte en carton. Ils ont pratiquement rédigé tous les textes que le musée leur demandait pour éditer une nouvelle plaquette. Et tout ça, la plupart du temps, dans la joie et la bonne humeur. J'ai même eu droit à un fondant au chocolat, de la part d'une élève que je n'ai pourtant pas ménagée toute l'année.
A la rentrée, ils seront en 5°. Des (presque), grands déjà, ils feront la connaissance de leurs nouveaux profs et oublieront ceux de cette année. Et c'est très bien ainsi. Mais moi, j'aurai gardé, dans une pochette spéciale les mots qu'ils m'auront écrits, les dessins qu'ils m'auront faits et, si j'en oublie quelques-uns, la plupart de ces enfants, lorsqu'un jour je rouvrirai la pochette, seront encore devant mes yeux à sourire à cause des vacances et de leur joie à faire plaisir.
L'après-midi, c'était le tour des 4° latinistes, bien pénibles cette année, mais attachants. Ceux qui en ont assez prendront le grec l'an prochain, les autres signent pour un nouveau contrat avec moi. Ce matin, les 5° latinistes s'en allaient également. Peu de choses à se dire: nous avons eu des rapports trop tendus une grande partie de l'année. Puis mes 5°, ceux dont j'étais le professeur principal. Pas des forts en thème pour la plupart, ils ont à peu près fait ce qu'ils ont pu. Je suis parfois trop exigeant.
Demain, ce sera le tour des 6°. Une dernière fois, nous les réunirons avec Stéphane dans la plus grande salle du collège. Ils ont fini leurs panneaux sur "Pub et Mythologie", ils ont fini la construction de leur "Domus" dans une boîte en carton. Ils ont pratiquement rédigé tous les textes que le musée leur demandait pour éditer une nouvelle plaquette. Et tout ça, la plupart du temps, dans la joie et la bonne humeur. J'ai même eu droit à un fondant au chocolat, de la part d'une élève que je n'ai pourtant pas ménagée toute l'année.
A la rentrée, ils seront en 5°. Des (presque), grands déjà, ils feront la connaissance de leurs nouveaux profs et oublieront ceux de cette année. Et c'est très bien ainsi. Mais moi, j'aurai gardé, dans une pochette spéciale les mots qu'ils m'auront écrits, les dessins qu'ils m'auront faits et, si j'en oublie quelques-uns, la plupart de ces enfants, lorsqu'un jour je rouvrirai la pochette, seront encore devant mes yeux à sourire à cause des vacances et de leur joie à faire plaisir.
Fleur mystique.
Cheval rétif.
Je dors maintenant la porte-fenêtre largement ouverte sur la balcon, volets tirés. Le frais de la nuit peut entrer, les bruits de la cour aussi.
Hier soir, j'ai réentendu le coucou qui chantait minuit, quelque part, dans un des appartements donnant sur la cour. Je l'avais oublié, il est pourtant là depuis plusieurs années, l'été, lorsque je peux l'entendre.
Comment ne pas avoir en tête immédiatement cette horloge suisse qui faisait face à la porte d'entrée, à Bons en Chablais, sur le mur de la cuisine? Le premier geste de chaque séjour à la campagne consistait à le remonter, le dernier avant le retour à Lyon à l'arrêter. Ainsi, il y avait continuité d'une fois sur l'autre. Nous reprenions nos pantoufles, nos habitudes et nos horaires.
Nous l'arrêtions aussi la nuit, la chambre de Pierre étant juste au-dessus, mais je pouvais faire la sieste, dans le salon à côté, sans qu'il me réveille. Hier soir, alors que je me couchais, ce son familier m'a ému. Je me sens prêt maintenant à parler de cette maison et de Pierre. Évoquer ces souvenirs ne me démolira pas. Mais j'ai peur de ne pas parvenir à transcrire exactement ce que j'ai vécu, ce que j'ai ressenti tout au long de ses années. Je voudrais que ces billets à venir, très importants pour moi, soient parfaits, aussi bien dans l'évocation juste que dans le style approprié.
Les vacances arrivent, j'aurai plus de temps, je vais essayer. Tout cela peut paraître mièvre- un coucou, c'est un coucou-, pas pour moi. Les trois ou quatre billets que j'ai écrits sur Yvon, au début de ce blog (Abécédaire Y) ont coulé de source, je n'ai jamais réfléchi, et ils témoignent bien de ce que j'avais à dire. En sera-t-il de même cette fois-ci? Pour l'instant, comme un cheval rétif, je suis devant l'obstacle, me refusant à sauter.
Hier soir, j'ai réentendu le coucou qui chantait minuit, quelque part, dans un des appartements donnant sur la cour. Je l'avais oublié, il est pourtant là depuis plusieurs années, l'été, lorsque je peux l'entendre.
Comment ne pas avoir en tête immédiatement cette horloge suisse qui faisait face à la porte d'entrée, à Bons en Chablais, sur le mur de la cuisine? Le premier geste de chaque séjour à la campagne consistait à le remonter, le dernier avant le retour à Lyon à l'arrêter. Ainsi, il y avait continuité d'une fois sur l'autre. Nous reprenions nos pantoufles, nos habitudes et nos horaires.
Nous l'arrêtions aussi la nuit, la chambre de Pierre étant juste au-dessus, mais je pouvais faire la sieste, dans le salon à côté, sans qu'il me réveille. Hier soir, alors que je me couchais, ce son familier m'a ému. Je me sens prêt maintenant à parler de cette maison et de Pierre. Évoquer ces souvenirs ne me démolira pas. Mais j'ai peur de ne pas parvenir à transcrire exactement ce que j'ai vécu, ce que j'ai ressenti tout au long de ses années. Je voudrais que ces billets à venir, très importants pour moi, soient parfaits, aussi bien dans l'évocation juste que dans le style approprié.
Les vacances arrivent, j'aurai plus de temps, je vais essayer. Tout cela peut paraître mièvre- un coucou, c'est un coucou-, pas pour moi. Les trois ou quatre billets que j'ai écrits sur Yvon, au début de ce blog (Abécédaire Y) ont coulé de source, je n'ai jamais réfléchi, et ils témoignent bien de ce que j'avais à dire. En sera-t-il de même cette fois-ci? Pour l'instant, comme un cheval rétif, je suis devant l'obstacle, me refusant à sauter.
lundi 23 juin 2008
Mon pain blanc.
J'ai appris que le pape Benoît XVI avait récemment donné la communion à des fidèles agenouillés en leur présentant l'hostie directement devant la bouche. Pourquoi pas, après tout si ces fidèles préfèrent cette façon de faire.
Ce qui serait grave, ce serait d'imposer ce modus operandi à tous, au nom d'une prétendue orthodoxie. Où en effet est-il précisé la position à tenir? Les seules paroles que je retienne sont celles du Christ lui-même: "Prenez et mangez car ceci est mon corps. Prenez et buvez car ceci est mon sang."La Cène est un repas, toujours autour d'une table conviviale, où les apôtres sont installés autour du Christ, à même hauteur et nullement en contrebas. La Communion, telle que je la conçois, doit être un partage et l'acceptation d'un don, pas un signe d'allégeance, en tout cas pas celle symbolisée par la génuflexion.
Je me souviens que lorsque Vatican II a permis la communion dans la main, j'étais en camp de vacances, à Estivareilles , dans la Loire. Bien sûr, ce dimanche-là, tous les "colons" avaient voulu assister à l'office, tous avaient voulu communier, debout et à la main, juste pour voir la tête effarée de ses paysans confits en tradition et même celle du vieux curé qui ne s'attendait sans doute pas à devoir mettre en pratique la nouveauté aussi rapidement. Mais nous étions des enfants et cela aurait été la même chose si cette nouveauté avait consisté à lui lécher les doigts.
La foi est avant tout une affaire personnelle. Si je n'ai pas besoin de statues de plâtre pour prier à leurs pieds, je conçois que d'autres puissent trouver du réconfort à s'agenouiller devant des saints qui leur ressemblent tant. Si ma foi est avant tout sauvage ( ma seule attache respectée, c'est le Notre Père), je conçois que d'autres aient besoin de rites et de traditions pour la mettre en pratique. Je souhaite simplement qu'ils ne s'arrêtent pas à ces rites et traditions. Moi aussi, d'ailleurs, j'aime les cérémonies bien établies de Pâques et de Noël.
Je pense exactement de la même façon pour la messe en latin. Élevé dans cette tradition, je l'ai vu disparaître au profit d'un office plus accessible aux fidèles, ce qui était un bien, mais aussi plus mièvre par exemple dans les paroles des chants en français, souvent laids et disharmonieux. Quand j'étais enfant, je chantais à tue-tête ces chants en latin, qu'à l'époque je ne comprenais pas, et leur force, leur grandiloquence me transportaient hors de moi, comme la transe d'un sorcier vaudou, l'agitation en moins. Aujourd'hui, j'aime encore entendre ces messes dans notre langue-mère mais c'est un plaisir esthétique, ce n'est pas la mise en pratique d'une stricte observance au nom d'une soi-disant tradition.
Ce que cachent les paroles de ceux qui prétendent sans cesse détenir la vérité me fait terriblement peur, et je ne mange pas de ce pain (de communion?) là.
Ce qui serait grave, ce serait d'imposer ce modus operandi à tous, au nom d'une prétendue orthodoxie. Où en effet est-il précisé la position à tenir? Les seules paroles que je retienne sont celles du Christ lui-même: "Prenez et mangez car ceci est mon corps. Prenez et buvez car ceci est mon sang."La Cène est un repas, toujours autour d'une table conviviale, où les apôtres sont installés autour du Christ, à même hauteur et nullement en contrebas. La Communion, telle que je la conçois, doit être un partage et l'acceptation d'un don, pas un signe d'allégeance, en tout cas pas celle symbolisée par la génuflexion.
Je me souviens que lorsque Vatican II a permis la communion dans la main, j'étais en camp de vacances, à Estivareilles , dans la Loire. Bien sûr, ce dimanche-là, tous les "colons" avaient voulu assister à l'office, tous avaient voulu communier, debout et à la main, juste pour voir la tête effarée de ses paysans confits en tradition et même celle du vieux curé qui ne s'attendait sans doute pas à devoir mettre en pratique la nouveauté aussi rapidement. Mais nous étions des enfants et cela aurait été la même chose si cette nouveauté avait consisté à lui lécher les doigts.
La foi est avant tout une affaire personnelle. Si je n'ai pas besoin de statues de plâtre pour prier à leurs pieds, je conçois que d'autres puissent trouver du réconfort à s'agenouiller devant des saints qui leur ressemblent tant. Si ma foi est avant tout sauvage ( ma seule attache respectée, c'est le Notre Père), je conçois que d'autres aient besoin de rites et de traditions pour la mettre en pratique. Je souhaite simplement qu'ils ne s'arrêtent pas à ces rites et traditions. Moi aussi, d'ailleurs, j'aime les cérémonies bien établies de Pâques et de Noël.
Je pense exactement de la même façon pour la messe en latin. Élevé dans cette tradition, je l'ai vu disparaître au profit d'un office plus accessible aux fidèles, ce qui était un bien, mais aussi plus mièvre par exemple dans les paroles des chants en français, souvent laids et disharmonieux. Quand j'étais enfant, je chantais à tue-tête ces chants en latin, qu'à l'époque je ne comprenais pas, et leur force, leur grandiloquence me transportaient hors de moi, comme la transe d'un sorcier vaudou, l'agitation en moins. Aujourd'hui, j'aime encore entendre ces messes dans notre langue-mère mais c'est un plaisir esthétique, ce n'est pas la mise en pratique d'une stricte observance au nom d'une soi-disant tradition.
Ce que cachent les paroles de ceux qui prétendent sans cesse détenir la vérité me fait terriblement peur, et je ne mange pas de ce pain (de communion?) là.
Attention: (presque) fin de série.
Voici aujourd'hui ceux qui m'ont demandé un effort particulier: prendre la voiture par exemple pour aller les photographier, tant ils étaient éloignés du centre.
(OURS 34)
Celui-ci, il se mérite. Au fin fond des quais de Saône, quai Joseph Gillet dans le 4°, dans un hôtel, presque à la campagne.
Richesse des tissus.
(OURS 35)
9° arrondissement toujours, Place Valmy,un samedi après-midi. C'est toujours un immense plaisir de circuler à Vaise. Alors un samedi, ça frise l'extase!
(LION 28)
9° encore, dans le hall du cinéma Pathé Vaise. L'étranger pour moi.
(OURS 36)
Son copain, aussi perdu que lui dans l'immensité de ce complexe multi-salles.
(OURS 37)
L'ours du Progrès, dans les nouveaux locaux du journal, à la Confluence, tout près de la Sucrerie, où a lieu en ce moment l'exposition de corps humains qui fait couler tant d'encre et où je n'irai pas.
Il doit en rester 4 si j'ai bien compté. Prêts pour la dernière livraison?
(OURS 34)
Celui-ci, il se mérite. Au fin fond des quais de Saône, quai Joseph Gillet dans le 4°, dans un hôtel, presque à la campagne.
Richesse des tissus.
(OURS 35)
9° arrondissement toujours, Place Valmy,un samedi après-midi. C'est toujours un immense plaisir de circuler à Vaise. Alors un samedi, ça frise l'extase!
(LION 28)
9° encore, dans le hall du cinéma Pathé Vaise. L'étranger pour moi.
(OURS 36)
Son copain, aussi perdu que lui dans l'immensité de ce complexe multi-salles.
(OURS 37)
L'ours du Progrès, dans les nouveaux locaux du journal, à la Confluence, tout près de la Sucrerie, où a lieu en ce moment l'exposition de corps humains qui fait couler tant d'encre et où je n'irai pas.
Il doit en rester 4 si j'ai bien compté. Prêts pour la dernière livraison?
dimanche 22 juin 2008
Chaleur.
Chaleur accablante aujourd'hui à Lyon. 35 degrés, paraît-il. Trop, avec un vent déplaisant, chaud comme l'air pulsé d'un sèche-cheveux, lourd, assommant.
Je n'aime pas ce temps-là. Il me stresse. Je l'ai dit, il me rappelle qu'une année s'achève, que quelque chose va s'arrêter, et je n'aime pas ça. Il me rappelle que les vacances, c'est joyeux, obligatoirement, que l'on doit s'en mettre jusque là, quitte à faire n'importe quoi, et je n'aime pas ça.
Il me rappelle, et j'y ai souvent pensé aujourd'hui, que dans quelques jours, c'est l'anniversaire de la mort de Pierre. Trois ans. Il faisait, cet été 2005, la même chaleur épuisante. Dans la chambre de la clinique, nous avions, avec son frère, mis au point un système pour bloquer le volet roulant à la hauteur désirée avec un bouchon de liège coupé et taillé à la bonne dimension, sinon Pierre était condamné à cuire ou à passer la journée dans le noir. Je me souviens des fauteuils de skaï où nous restions collés, sans même la force de réagir, de la fontaine d'eau fraîche du couloir, des nuits blanches ou presque, à guetter l'alarme détraquée du matelas anti-escarres pour l'arrêter avant qu'elle ne perturbe trop Pierre dans son semi-coma. Je me souviens de cette hébétude, de cette douleur absolue. Elles restent pour moi liée à la chaleur.
Il me rappelle enfin que je suis un solitaire et que, parfois, je n'aime pas ça.
Je n'aime pas ce temps-là. Il me stresse. Je l'ai dit, il me rappelle qu'une année s'achève, que quelque chose va s'arrêter, et je n'aime pas ça. Il me rappelle que les vacances, c'est joyeux, obligatoirement, que l'on doit s'en mettre jusque là, quitte à faire n'importe quoi, et je n'aime pas ça.
Il me rappelle, et j'y ai souvent pensé aujourd'hui, que dans quelques jours, c'est l'anniversaire de la mort de Pierre. Trois ans. Il faisait, cet été 2005, la même chaleur épuisante. Dans la chambre de la clinique, nous avions, avec son frère, mis au point un système pour bloquer le volet roulant à la hauteur désirée avec un bouchon de liège coupé et taillé à la bonne dimension, sinon Pierre était condamné à cuire ou à passer la journée dans le noir. Je me souviens des fauteuils de skaï où nous restions collés, sans même la force de réagir, de la fontaine d'eau fraîche du couloir, des nuits blanches ou presque, à guetter l'alarme détraquée du matelas anti-escarres pour l'arrêter avant qu'elle ne perturbe trop Pierre dans son semi-coma. Je me souviens de cette hébétude, de cette douleur absolue. Elles restent pour moi liée à la chaleur.
Il me rappelle enfin que je suis un solitaire et que, parfois, je n'aime pas ça.
Le Goût sucré des pommes sauvages.
Un peu déçu par le recueil de nouvelles de Wallace Stegner que je viens de terminer.
Regroupant cinq écrits de 1948 à 1959 sous le titre de l'un d'entre eux, c'est un peu trop hétéroclite à mon goût. J'ai déjà parlé de Jeune Fille en sa tour. Le Goût sucré des pommes sauvages est comme son titre, frais et plein de nostalgie. J'avoue ne pas très bien me souvenir de ce dont traite Fausses perles pêchées dans la fosse de Mindanao.
Quant aux deux plus longues, elles sont assez indigestes. Guide pratique des oiseaux de l'Ouest rappelle au début La Vie obstinée, mais j'ai vite déchanté: cette présentation des gentlemen farmers californiens et de leurs épouses en extase devant un soi-disant génie du piano est parfois cynique et méchante, donc drôle, mais souvent ennuyeuse, en tout cas trop longue. Plus longue encore la dernière, Genèse, retraçant les premiers pas d'un "bleu" dans son métier de cow-boy alors que le groupe est pris dans une terrible tempête de neige. Quelques passages d'une grande beauté, mais beaucoup d'ennui aussi, malgré une écriture irréprochable.
Je pense que la faute de ce raté revient sans doute à l'éditeur qui n'aurait pas dû procéder à un tel regroupement dont le seul fil conducteur est la jeunesse de l'écrivain.
Le tableau de Ross était terminé et, quand il s'en écarta, Margaret vit qu'il avait placé la maison en contrebas du verger afin d'obtenir un contraste plus saisissant, afin de réunir dans la même composition la clocher affaissé, la fenêtre cassée, le sinistre délabrement de l'entrée et, en ligne de fuite parfaite jusqu'au pied des plissements de collines, ce verger chargé de fruits. La fille s'approcha pour y jeter un oeil.(...)
Ross, qui essuyait son pinceau, tourna vers elle son sourire chaleureux et tranquille.
- Comment est-ce au printemps? Est-ce que c'est joli?
Etonnant de constater comme ce petit faciès grimaçant pouvait être réceptif.
- Oh, pour ça, ce n'est qu'une fleur! Les pommes ne sont plus bien belles à présent. N'empêche, au printemps, c'est quelque chose!
Elle se tenait bras croisés, comme sa mère, tout à l'heure, auprès de la voiture. Margaret avait beau la regarder, elle ne percevait chez cette fille aucune trace d'amertume, de frustration ou de colère. Tout famélique qu'il était, son visage de gnome respirait la sérénité.
- Au printemps, du temps que je fréquentais, on montait ici pour ainsi dire tous les soirs.
Regroupant cinq écrits de 1948 à 1959 sous le titre de l'un d'entre eux, c'est un peu trop hétéroclite à mon goût. J'ai déjà parlé de Jeune Fille en sa tour. Le Goût sucré des pommes sauvages est comme son titre, frais et plein de nostalgie. J'avoue ne pas très bien me souvenir de ce dont traite Fausses perles pêchées dans la fosse de Mindanao.
Quant aux deux plus longues, elles sont assez indigestes. Guide pratique des oiseaux de l'Ouest rappelle au début La Vie obstinée, mais j'ai vite déchanté: cette présentation des gentlemen farmers californiens et de leurs épouses en extase devant un soi-disant génie du piano est parfois cynique et méchante, donc drôle, mais souvent ennuyeuse, en tout cas trop longue. Plus longue encore la dernière, Genèse, retraçant les premiers pas d'un "bleu" dans son métier de cow-boy alors que le groupe est pris dans une terrible tempête de neige. Quelques passages d'une grande beauté, mais beaucoup d'ennui aussi, malgré une écriture irréprochable.
Je pense que la faute de ce raté revient sans doute à l'éditeur qui n'aurait pas dû procéder à un tel regroupement dont le seul fil conducteur est la jeunesse de l'écrivain.
Le tableau de Ross était terminé et, quand il s'en écarta, Margaret vit qu'il avait placé la maison en contrebas du verger afin d'obtenir un contraste plus saisissant, afin de réunir dans la même composition la clocher affaissé, la fenêtre cassée, le sinistre délabrement de l'entrée et, en ligne de fuite parfaite jusqu'au pied des plissements de collines, ce verger chargé de fruits. La fille s'approcha pour y jeter un oeil.(...)
Ross, qui essuyait son pinceau, tourna vers elle son sourire chaleureux et tranquille.
- Comment est-ce au printemps? Est-ce que c'est joli?
Etonnant de constater comme ce petit faciès grimaçant pouvait être réceptif.
- Oh, pour ça, ce n'est qu'une fleur! Les pommes ne sont plus bien belles à présent. N'empêche, au printemps, c'est quelque chose!
Elle se tenait bras croisés, comme sa mère, tout à l'heure, auprès de la voiture. Margaret avait beau la regarder, elle ne percevait chez cette fille aucune trace d'amertume, de frustration ou de colère. Tout famélique qu'il était, son visage de gnome respirait la sérénité.
- Au printemps, du temps que je fréquentais, on montait ici pour ainsi dire tous les soirs.
L'Odyssée
Retour de OXC (Odyssée) aux Invites de Villeurbanne. Je veux écrire ce billet ce soir, à chaud tellement ce spectacle est beau.
Pendant une heure et quart, j'ai oublié que j'étais debout. Le spectacle était tout autour de la place Lazare Goujon, devant le TNP. Simples projections lumineuses sur les immeubles, puis dessins, ombres chinoises, images animées, et des voix qui disent un texte, qui chantent, qui crient, et de la musique d'aujourd'hui, percussions et électronique, rappelant étrangement la musique antique. Des personnages aussi, plutôt équilibristes et grimpeurs, des décors mouvants, des podiums inspirés pour les récitants.
Les voix, comme la musique, semblent circuler autour de la place, elles se modifient, s'altèrent, se transforment, enflent et finissent dans le cri, ou s'éteignent dans un soupir. Les textes sont souvent ceux-là même d'Homère. Et comme sa langue est belle. La longue litanie des morts, les ombres des femmes qu'Ulysse rencontre aux Enfers, ces noms grecs anciens composent un magnifique poème vocal.
Le visage d'un vieil homme apparaît pour commenter, parfois: c'est celui de Pietro Cittati, sans doute lors d'une interview donnée pour la sortie en 2004 chez Gallimard de son livre La Pensée chatoyante, Ulysse et l'Odyssée. Magnifique analyse, au-delà de tout cliché. La pensée, en particulier, que la poésie tue, à propos du chant des Sirènes, ces femmes à corps d'oiseaux carnivores étant filles de Mnémosine et donc soeurs des Muses. Ce sont en quelque sorte les muses noires.
Les références du texte apparaissent sur la façade de la mairie, non sans un humour certain quant à la dénomination des morceaux musicaux. Par exemple, "Déchant d'amour" lorsque Ulysse quitte Calypso, ou bien "luth final" lorsqu'enfin il retrouve Pénélope, et que le comédien acrobate gravit cette façade puis le beffroi de l'horloge, moment magnifique du grand final.
Bravo Villeurbanne. Voir autant de spectacles de qualité en si peu de temps et dans un espace si restreint relève de la gageure. Pari relevé et tenu par la grande voisine de Lyon. Je crois qu'aujourd'hui je me suis créé une habitude annuelle.
En rentrant en vélo, je me suis souvenu de l'immense plaisir esthétique que j'avais ressenti à Prague, en 1990, au spectacle de la Lanterne Magique portant également sur l'Odyssée et mélant aussi étroitement plusieurs procédés (voix, musique, ombres chinoises, voilages, etc).
Décidément, lorsque je parle à mes élèves de texte fondateur à propos du long poème d'Homère, je n'emploie pas de vains mots.
Pendant une heure et quart, j'ai oublié que j'étais debout. Le spectacle était tout autour de la place Lazare Goujon, devant le TNP. Simples projections lumineuses sur les immeubles, puis dessins, ombres chinoises, images animées, et des voix qui disent un texte, qui chantent, qui crient, et de la musique d'aujourd'hui, percussions et électronique, rappelant étrangement la musique antique. Des personnages aussi, plutôt équilibristes et grimpeurs, des décors mouvants, des podiums inspirés pour les récitants.
Les voix, comme la musique, semblent circuler autour de la place, elles se modifient, s'altèrent, se transforment, enflent et finissent dans le cri, ou s'éteignent dans un soupir. Les textes sont souvent ceux-là même d'Homère. Et comme sa langue est belle. La longue litanie des morts, les ombres des femmes qu'Ulysse rencontre aux Enfers, ces noms grecs anciens composent un magnifique poème vocal.
Le visage d'un vieil homme apparaît pour commenter, parfois: c'est celui de Pietro Cittati, sans doute lors d'une interview donnée pour la sortie en 2004 chez Gallimard de son livre La Pensée chatoyante, Ulysse et l'Odyssée. Magnifique analyse, au-delà de tout cliché. La pensée, en particulier, que la poésie tue, à propos du chant des Sirènes, ces femmes à corps d'oiseaux carnivores étant filles de Mnémosine et donc soeurs des Muses. Ce sont en quelque sorte les muses noires.
Les références du texte apparaissent sur la façade de la mairie, non sans un humour certain quant à la dénomination des morceaux musicaux. Par exemple, "Déchant d'amour" lorsque Ulysse quitte Calypso, ou bien "luth final" lorsqu'enfin il retrouve Pénélope, et que le comédien acrobate gravit cette façade puis le beffroi de l'horloge, moment magnifique du grand final.
Bravo Villeurbanne. Voir autant de spectacles de qualité en si peu de temps et dans un espace si restreint relève de la gageure. Pari relevé et tenu par la grande voisine de Lyon. Je crois qu'aujourd'hui je me suis créé une habitude annuelle.
En rentrant en vélo, je me suis souvenu de l'immense plaisir esthétique que j'avais ressenti à Prague, en 1990, au spectacle de la Lanterne Magique portant également sur l'Odyssée et mélant aussi étroitement plusieurs procédés (voix, musique, ombres chinoises, voilages, etc).
Décidément, lorsque je parle à mes élèves de texte fondateur à propos du long poème d'Homère, je n'emploie pas de vains mots.
samedi 21 juin 2008
Après-midi: les Invites.
Passé avec J., sa femme et son fils aux Invites de Villeurbanne. Les Invites sont un festival des arts de rue, musique, textes, théâtre, etc. qui existe depuis sept ans, sous différents noms selon les années et où je me rends pour la première fois.
Coup de chance extraordinaire: le soleil est là, et bien là: plus de trente degrés. Les t-shits collent à la peau, mais ça fait du bien. Nous avons assisté à cinq ou six spectacles dont trois ou quatre de grande qualité.
Le premier donné par les six musiciens de la fanfare Tobrogoï qui disent avoir inventé un style musical: le tziganafricansound, mélange d'Afrique et d'Orient, très enlevé . Superbe et drôle, un peu déjanté mais très professionnel.
Le deuxième toujours Avenue Henri Barbusse (la rue des gratte-ciel): De Fakto, La belle Affaire. Aurel et Zak, deux hip hopers, tiennent un café et tentent à deux d'éviter toutes les embûches de leur métier. Dit comme ça, ça a l'air fade, et pourtant c'est à hurler de rire. La plaquette parle d'un univers à mi-chemin entre les Deschiens et les films muets, et elle a bien raison. Et chapeau bas pour la performance physique (surtout pas cette chaleur!)
C'est poétique et farfelu. Le final, surtout, sur la musique de 2001, Odyssée de l'Espace.
Un autre spectacle, sans doute le plus drôle: Cendrignon, par Carnage Productions. Trois filles revisitent le conte de Cendrillon et en font un festival de pitreries, de jeux de mots et de bonne humeur. Il y avait longtemps que je n'avais pas ri autant.
Le prince, suicidaire au début, obsédé sexuel à la fin.
La reine, sa mère, alcoolique. (Photo hors spectacle: j'avais aussi vue sur les "coulisses")
Les deux soeurs méchantes et Cendrillon, au fond.
Cendrillon et sa marraine, la fée, godiche.
Enfin le dernier: L'Elégance et la Beauté, par Jackie Star. Un peu long. Dommage aussi que ce spectacle, intéressant, s'enfonce en sa partie centrale dans la facilité et la vulgarité.
Pour finir, quelques photos des lieux et du public, histoire de donner des regrets à qui n'y était pas.
Déjà fatigués, alors qu'en tout début d'après-midi, rien n'est encore commencé.
Pour le plaisir des yeux.
Quelle chaleur. Soutiens-moi, chéri.
Une petite fille au chapeau vert dont je prendrais bien la place! Et là, vous ne voyez pas les yeux!
Mais le plus beau, c'était ça: le ciel.
Ce soir, j'ai bien envie d'y retourner. Sur la place Lazare Goujon, on donne OXC (Odyssée), opéra urbain par Lieux Publics et Cie. Ce devrait être intéressant, si j'en crois le petit résumé. Et puis, quand le fauve est lâché!
Coup de chance extraordinaire: le soleil est là, et bien là: plus de trente degrés. Les t-shits collent à la peau, mais ça fait du bien. Nous avons assisté à cinq ou six spectacles dont trois ou quatre de grande qualité.
Le premier donné par les six musiciens de la fanfare Tobrogoï qui disent avoir inventé un style musical: le tziganafricansound, mélange d'Afrique et d'Orient, très enlevé . Superbe et drôle, un peu déjanté mais très professionnel.
Le deuxième toujours Avenue Henri Barbusse (la rue des gratte-ciel): De Fakto, La belle Affaire. Aurel et Zak, deux hip hopers, tiennent un café et tentent à deux d'éviter toutes les embûches de leur métier. Dit comme ça, ça a l'air fade, et pourtant c'est à hurler de rire. La plaquette parle d'un univers à mi-chemin entre les Deschiens et les films muets, et elle a bien raison. Et chapeau bas pour la performance physique (surtout pas cette chaleur!)
C'est poétique et farfelu. Le final, surtout, sur la musique de 2001, Odyssée de l'Espace.
Un autre spectacle, sans doute le plus drôle: Cendrignon, par Carnage Productions. Trois filles revisitent le conte de Cendrillon et en font un festival de pitreries, de jeux de mots et de bonne humeur. Il y avait longtemps que je n'avais pas ri autant.
Le prince, suicidaire au début, obsédé sexuel à la fin.
La reine, sa mère, alcoolique. (Photo hors spectacle: j'avais aussi vue sur les "coulisses")
Les deux soeurs méchantes et Cendrillon, au fond.
Cendrillon et sa marraine, la fée, godiche.
Enfin le dernier: L'Elégance et la Beauté, par Jackie Star. Un peu long. Dommage aussi que ce spectacle, intéressant, s'enfonce en sa partie centrale dans la facilité et la vulgarité.
Pour finir, quelques photos des lieux et du public, histoire de donner des regrets à qui n'y était pas.
Déjà fatigués, alors qu'en tout début d'après-midi, rien n'est encore commencé.
Pour le plaisir des yeux.
Quelle chaleur. Soutiens-moi, chéri.
Une petite fille au chapeau vert dont je prendrais bien la place! Et là, vous ne voyez pas les yeux!
Mais le plus beau, c'était ça: le ciel.
Ce soir, j'ai bien envie d'y retourner. Sur la place Lazare Goujon, on donne OXC (Odyssée), opéra urbain par Lieux Publics et Cie. Ce devrait être intéressant, si j'en crois le petit résumé. Et puis, quand le fauve est lâché!
Cadeau.
Certains se demandent depuis longtemps à quoi Calyste peut bien ressembler.
Ils ont eu bien sûr quelques détails tout au long des billets, mais pas d'image vraiment précise, pas de quoi en tout cas assouvir leur curiosité bien éveillée.
Eh bien, avec le soleil, je me sens d'humeur badine et j'ai envie de vous faire un cadeau. Non, non, attendez avant de me remercier. Aujourd'hui, 21 juin, fête de la musique, je vous offre ma photo!!!
Vous voyez, je ne vous avais pas menti, pour les oreilles: on les voit bien!
Ils ont eu bien sûr quelques détails tout au long des billets, mais pas d'image vraiment précise, pas de quoi en tout cas assouvir leur curiosité bien éveillée.
Eh bien, avec le soleil, je me sens d'humeur badine et j'ai envie de vous faire un cadeau. Non, non, attendez avant de me remercier. Aujourd'hui, 21 juin, fête de la musique, je vous offre ma photo!!!
Vous voyez, je ne vous avais pas menti, pour les oreilles: on les voit bien!
Soir et matin.
Réveil difficile. J'ai perdu l'habitude de sortir le soir, et l'eau de vie de pomme offerte hier au restaurant n'a pas arrangé les choses. Gros mal de tête en ouvrant les yeux.
Et puis, en entrant dans la cuisine, j'ai vu le soleil illuminer mon carrelage, j'ai vu les fleurs sur mon balcon. Une belle journée commençait. Un jus d'orange bien frais pour faire passer les deux cachets de doliprane, l'arrosage de mes plantes (j'aime ça), un coup d'oeil pour voir où en sont les multiples bourgeons de l'orchidée qui semble vouloir refleurir, une bonne douche, des courses rapides à Casino, en passant toujours à la même caisse, celle de l'étudiant en géographie avec qui je prends du plaisir à bavarder (bon, d'accord, j'aime bien le regarder aussi), et la vie est belle.
Comment transformer des riens en plaisirs? Le soleil. Je comprends que les Egyptiens en aient fait un dieu. D'ailleurs en latin, deus (le dieu) et dies (le jour) sont issus de la même racine primordiale de la lumière.
Il était prévu hier que je passe la fin de l'après-midi au collège, pour la fête annuelle organisée par les parents d'élèves. Raté: à la fin des cours, trois messages sur mon portable, ma soeur qui tentait vainement de me joindre pour m'annoncer le cambriolage du garage de ma mère où se trouvait la voiture d'une amie. Portes forcées donc, vitre avant éclatée et tout sens dessus dessous. Tout ça pour des prunes: rien n'a disparu. Alors calmer ces dames, toujours un peu hystériques dans ces circonstances, partir au commissariat du 8°, attendre, expliquer, réexpliquer à un deuxième, visiblement plus gradé, ce que le premier n'a pas très bien compris, déposer la plainte. Deux heures passionnantes, et encore je m'en tire bien. J'ai pu arriver presque à l'heure au rendez-vous avec Alain.
Il avait lu mon billet sur lui et l'a approuvé, à quelques petites détails près: ainsi il n'a envoyé que deux fois ces manuscrits à un éditeur. Je l'ai bien reconnu lui aussi tout de suite. Il n'a pas trop changé: la voix à peine plus rocailleuse, la silhouette un peu encombrée mais rien de monstrueux, quelques pattes d'oie supplémentaires, un peu de grisaille dans la chevelure. Mais le même amour des lettres et de l'écriture.
Ce que j'avais prévu s'est avéré: un ange n'aurait pu glisser dans notre conversation la moindre plume, le moindre duvet. Débridés, décousus, coq-à-l'ânesques, brouillonniques, comment peut-on qualifier nos échanges? Il faudra, en tout cas c'est ce que j'espère, se revoir dans pas trop longtemps pour remettre de l'ordre dans tout ça et profiter réellement de la présence de l'autre.
Après le restaurant, nous avons marché quelques minutes, jusqu'à nous retrouver à la terrasse d'un bar "bears", à boire une eau minérale (pour l'alcool, nous venions de donner). Déception: c'était la première fois que je mettais les pieds dans ce genre d'endroit, je pensais y voir des hommes correspondant au type "bears", c'est à dire virils et assez imposants physiquement. C'était le cas pour les deux propriétaires, mais la clientèle était uniquement composée d'un groupe de folles déguisées en hommes, qui gesticulaient, riaient fort et émettaient beaucoup de décibels dans les aigus. Nous ne nous sommes pas attardés.
Je suis rentré en vélo, passant tant bien que mal au milieu des norias de voitures klaxonnant et agitant un drapeau rouge. Tout de même pas une manif du PC à cette heure-là? Non, je l'ai appris ensuite: la victoire de la Turquie au foot. On s'amuse avec ce que l'on peut! Panem et circenses!
Et puis, en entrant dans la cuisine, j'ai vu le soleil illuminer mon carrelage, j'ai vu les fleurs sur mon balcon. Une belle journée commençait. Un jus d'orange bien frais pour faire passer les deux cachets de doliprane, l'arrosage de mes plantes (j'aime ça), un coup d'oeil pour voir où en sont les multiples bourgeons de l'orchidée qui semble vouloir refleurir, une bonne douche, des courses rapides à Casino, en passant toujours à la même caisse, celle de l'étudiant en géographie avec qui je prends du plaisir à bavarder (bon, d'accord, j'aime bien le regarder aussi), et la vie est belle.
Comment transformer des riens en plaisirs? Le soleil. Je comprends que les Egyptiens en aient fait un dieu. D'ailleurs en latin, deus (le dieu) et dies (le jour) sont issus de la même racine primordiale de la lumière.
Il était prévu hier que je passe la fin de l'après-midi au collège, pour la fête annuelle organisée par les parents d'élèves. Raté: à la fin des cours, trois messages sur mon portable, ma soeur qui tentait vainement de me joindre pour m'annoncer le cambriolage du garage de ma mère où se trouvait la voiture d'une amie. Portes forcées donc, vitre avant éclatée et tout sens dessus dessous. Tout ça pour des prunes: rien n'a disparu. Alors calmer ces dames, toujours un peu hystériques dans ces circonstances, partir au commissariat du 8°, attendre, expliquer, réexpliquer à un deuxième, visiblement plus gradé, ce que le premier n'a pas très bien compris, déposer la plainte. Deux heures passionnantes, et encore je m'en tire bien. J'ai pu arriver presque à l'heure au rendez-vous avec Alain.
Il avait lu mon billet sur lui et l'a approuvé, à quelques petites détails près: ainsi il n'a envoyé que deux fois ces manuscrits à un éditeur. Je l'ai bien reconnu lui aussi tout de suite. Il n'a pas trop changé: la voix à peine plus rocailleuse, la silhouette un peu encombrée mais rien de monstrueux, quelques pattes d'oie supplémentaires, un peu de grisaille dans la chevelure. Mais le même amour des lettres et de l'écriture.
Ce que j'avais prévu s'est avéré: un ange n'aurait pu glisser dans notre conversation la moindre plume, le moindre duvet. Débridés, décousus, coq-à-l'ânesques, brouillonniques, comment peut-on qualifier nos échanges? Il faudra, en tout cas c'est ce que j'espère, se revoir dans pas trop longtemps pour remettre de l'ordre dans tout ça et profiter réellement de la présence de l'autre.
Après le restaurant, nous avons marché quelques minutes, jusqu'à nous retrouver à la terrasse d'un bar "bears", à boire une eau minérale (pour l'alcool, nous venions de donner). Déception: c'était la première fois que je mettais les pieds dans ce genre d'endroit, je pensais y voir des hommes correspondant au type "bears", c'est à dire virils et assez imposants physiquement. C'était le cas pour les deux propriétaires, mais la clientèle était uniquement composée d'un groupe de folles déguisées en hommes, qui gesticulaient, riaient fort et émettaient beaucoup de décibels dans les aigus. Nous ne nous sommes pas attardés.
Je suis rentré en vélo, passant tant bien que mal au milieu des norias de voitures klaxonnant et agitant un drapeau rouge. Tout de même pas une manif du PC à cette heure-là? Non, je l'ai appris ensuite: la victoire de la Turquie au foot. On s'amuse avec ce que l'on peut! Panem et circenses!
Bref.
Plus le temps de rien écrire ce soir. Il est tard, j'ai sommeil. J'ai passé la soirée avec Alain. Pierre et J. m'ont appelé sur le portable. Tout en même temps, comme d'habitude. Mais bon, heureux.
Juste une petite anecdote: dans le métro, une demoiselle de vingt-cinq ans environ m'a proposé de me céder sa place assise. Gentille, mais c'est la première fois, et ça m'agace. Je l'ai remerciée tout de même en refusant et me suis immédiatement retourné vers la vitre pour apercevoir dans le reflet la tête que j'avais. Pas si papy que ça, quand même!
Juste une petite anecdote: dans le métro, une demoiselle de vingt-cinq ans environ m'a proposé de me céder sa place assise. Gentille, mais c'est la première fois, et ça m'agace. Je l'ai remerciée tout de même en refusant et me suis immédiatement retourné vers la vitre pour apercevoir dans le reflet la tête que j'avais. Pas si papy que ça, quand même!
jeudi 19 juin 2008
Jean Delannoy.
A cent ans, il est mort. Je pensais qu'il avait disparu depuis longtemps.
Pour moi, c'est avant tout le réalisateur de La Symphonie pastorale, avec, il me semble bien, Jean Aurenche comme co-scénariste. Je ne sais pas si l'on a affaire là à un grand film. Je sais qu'il m'avait profondément ému quand je l'ai vu pour la première et unique fois.
J'avais lu le livre, ou l'ai lu peu de temps après, je ne me souviens pas. Cette sombre histoire de désir interdit dans le monde protestant si lisse d'ordinaire m'avait bouleversé. Dans le film, il y avait deux des plus beaux visages du cinéma français: celui de Michel Morgan, encore jeune en 1946, dont le regard magnifique avait tout de même du mal à passer pour aveugle, et celui de Pierre Blanchar, visage ascétique et illuminé qui, à la fois, me fascinait et me terrifiait. Un visage de fou à la Dostoïevski. (N'est-ce pas lui d'ailleurs qui tient le rôle de Raskolnikov dans le film Crime et Châtiment?).
Il y a deux ou trois ans, la documentaliste-bibliothécaire de notre collège a fait du ménage dans ses rayons, proposant à la poubelle un certains nombres d'ouvrages qui ne sortaient plus depuis des années. Le roman d'André Gide en faisait partie. Je l'ai récupéré avant qu'il ne disparaisse, dans son édition de poche des années soixante, et je l'ai relu. Je n'aurais pas dû. Je n'ai rien retrouvé de tout ce que j'y avais mis à mon adolescence. Ainsi, je ne reverrais sans doute jamais le film non plus. Je préfère les images que je me suis faites, moi. Pardon, monsieur Delannoy.
Pour moi, c'est avant tout le réalisateur de La Symphonie pastorale, avec, il me semble bien, Jean Aurenche comme co-scénariste. Je ne sais pas si l'on a affaire là à un grand film. Je sais qu'il m'avait profondément ému quand je l'ai vu pour la première et unique fois.
J'avais lu le livre, ou l'ai lu peu de temps après, je ne me souviens pas. Cette sombre histoire de désir interdit dans le monde protestant si lisse d'ordinaire m'avait bouleversé. Dans le film, il y avait deux des plus beaux visages du cinéma français: celui de Michel Morgan, encore jeune en 1946, dont le regard magnifique avait tout de même du mal à passer pour aveugle, et celui de Pierre Blanchar, visage ascétique et illuminé qui, à la fois, me fascinait et me terrifiait. Un visage de fou à la Dostoïevski. (N'est-ce pas lui d'ailleurs qui tient le rôle de Raskolnikov dans le film Crime et Châtiment?).
Il y a deux ou trois ans, la documentaliste-bibliothécaire de notre collège a fait du ménage dans ses rayons, proposant à la poubelle un certains nombres d'ouvrages qui ne sortaient plus depuis des années. Le roman d'André Gide en faisait partie. Je l'ai récupéré avant qu'il ne disparaisse, dans son édition de poche des années soixante, et je l'ai relu. Je n'aurais pas dû. Je n'ai rien retrouvé de tout ce que j'y avais mis à mon adolescence. Ainsi, je ne reverrais sans doute jamais le film non plus. Je préfère les images que je me suis faites, moi. Pardon, monsieur Delannoy.
Dix minutes plus tôt.
J'ai dit que je devais manger demain soir avec Alain, un ami que je n'ai pas vu depuis une vingtaine d'années, bien que nous habitions tous les deux dans la même ville.
Qui est Alain? Je vais écrire ce billet ce soir, pour fixer une image, celle qui est encore la mienne pour peu de temps et qui, demain, risque de se modifier définitivement. J'en rédigerai un autre après, pour comparer.
Je ne sais plus du tout comment ni où nous nous sommes rencontrés la première fois. C'est une des questions que je compte lui poser demain. Il devait avoir autour de vingt-cinq ans, moi vingt-trois. Je l'appelais alors Nicolas et pour moi, Nicolas il est resté. Il faut que je me force pour l'appeler Alain. Je ne connais pas non plus, ou j'ai oublié, le mystère de ces deux prénoms.
Nous avons très vite sympathisé, autour de nos goûts communs pour la littérature et encore davantage pour l'écriture. Il était encore plus fervent du stylo que moi, et envoyait régulièrement des manuscrits aux éditeurs, qui les lui refusaient tout aussi régulièrement. Mais cela ne le décourageait pas, et nous étions tous deux persuadés, à cette époque, que nous étions des petits génies en herbe, ou, en tous cas, des Sagan à découvrir.
Où habitait-il, je ne m'en souviens pas non plus. Il est originaire du sud-ouest, Lavaur je crois, et a gardé longtemps son léger accent sympathique. Petit physique méridional de garçon très brun, tentant de se grandir en rehaussant ses épaules dans sa démarche lorsqu'il l'étudiait.
A Lyon, il travaillait alors dans une librairie. Il s'entendait aussi très bien avec Pierre et c'est en sortant de chez nous, un soir très tard, après sans doute une soirée bien arrosée, qu'il a rencontré Gérard, l'ami dont il partage la vie depuis maintenant trente-trois ans.
Mais, avant de rencontrer ce garçon, Alain a traversé de longues phases de turbulences, ponctuées régulièrement par des tentatives de suicide. L'une d'entre elles m'a particulièrement marqué. Il était très tard lorsque le téléphone a sonné chez nous. Au bout de la ligne, un souffle, quelques mots inaudibles, des sanglots. Au bout d'une longue patience, nous identifions Alain. Au bout d'un plus long moment encore, nous parvenons à lui faire dire où il se trouvait: un hôtel de la presqu'île (où je suis d'ailleurs allé dernièrement photographier un lion et un ours).
Pendant que je tente par tous les moyens de le garder au bout du fil, de le faire parler sans cesse pour éviter qu'il ne s'endorme sous l'effet des cachets qu'il avait avalés, Pierre prend sa voiture et fonce jusqu'à l'hôtel. Au bout de ce qui me semble être une éternité, j'entends d'autres bruits au téléphone, d'autres voix aussi, plus assurées, plus fortes, puis Pierre qui me dit que tout va bien, que les pompiers sont là et emmène Alain aux urgences.
Peut-être était-ce la dernière tentative avant qu'il rencontre Gérard. Pour moi, c'est celle que je n'ai jamais oubliée. Le cocasse de l'histoire, c'est qu'hier au téléphone, Alain m'a rappelé que jamais il ne nous avait remboursé la note de la chambre d'hôtel (luxueux: monsieur voulait mourir dans de beaux draps) que Pierre avait réglée.
Au début, je n'ai pas aimé Gérard. Pour plusieurs raisons. D'abord, il me paraissait un peu fruste, un peu massif face à notre "finesse d'intellectuels en devenir". Ensuite, il me prenait Nicolas, pardon Alain. Je le voyais moins, et finis nos délires lors de promenades au parc de la Tête d'Or (il n'était pas à l'époque question de sport, bien entendu!), lorsque nous longions les très cossus hôtels particuliers du boulevards des Belges et que nous nous en imaginions propriétaires, organisant de somptueuses soirées mondaines, remplies d'homosexuels tous plus spirituels et évaporés les uns que les autres et rehaussées par la présence discrète mais nécessaire de quelques-unes de nos muses féminines. Nous, en maîtres des lieux, réglions ce ballet des convenances (et plus tard dans la nuit des inconvenances) du haut de l'escalier de marbre monumental dont la coupole en trompe-l'oeil aspirait la fumée de nos cigarettes parfumées.
Après quelques repas en commun, et un petit voyage avec baignade naturiste (où?) au cours de laquelle Alain, en bon petit coq méridional, avait eu du mal à supporter de voir son sexe rétréci et fripé par l'eau trop froide, les relations s'espacèrent.
Elles reprirent lorsque Pierre, devenu directeur de son "entreprise", en transporta les locaux dans le quartier d'Ainay et que Alain et Gérard, par hasard, y ouvrirent, à quelques mètres de distance seulement, une boutique de dessins et gravures anciennes. Je revis alors Alain une fois ou deux, mais la folie n'y était plus et c'est surtout Pierre qui me donnait des nouvelles.
Puis le grand trou. Jusqu'à mardi après-midi où, me trouvant dans le quartier, j'eus l'idée subite (pourquoi?) d'aller voir si la galerie existait toujours. Elle était bien là, et à l'intérieur Gérard que je reconnus, qui me reconnut tout de suite. Nous avons bavardé une bonne heure et j'ai découvert un autre Gérard, beaucoup plus à ma convenance. A ma question, il me répondit que Alain ne travaillait pas ce jour-là, qu'il prenait ainsi régulièrement de longs moments pour ..... écrire. Ainsi les vieux démons ne sont pas morts! Tant mieux.
Le lendemain, j'ai eu son coup de fil. Deux heures au téléphone. On aurait pu croire que nous nous étions quittés dix minutes plus tôt. Demain soir, je vais être un peu impressionné, non par lui, mais par la situation. Je vous raconterai. Enfin, si vous voulez!
Qui est Alain? Je vais écrire ce billet ce soir, pour fixer une image, celle qui est encore la mienne pour peu de temps et qui, demain, risque de se modifier définitivement. J'en rédigerai un autre après, pour comparer.
Je ne sais plus du tout comment ni où nous nous sommes rencontrés la première fois. C'est une des questions que je compte lui poser demain. Il devait avoir autour de vingt-cinq ans, moi vingt-trois. Je l'appelais alors Nicolas et pour moi, Nicolas il est resté. Il faut que je me force pour l'appeler Alain. Je ne connais pas non plus, ou j'ai oublié, le mystère de ces deux prénoms.
Nous avons très vite sympathisé, autour de nos goûts communs pour la littérature et encore davantage pour l'écriture. Il était encore plus fervent du stylo que moi, et envoyait régulièrement des manuscrits aux éditeurs, qui les lui refusaient tout aussi régulièrement. Mais cela ne le décourageait pas, et nous étions tous deux persuadés, à cette époque, que nous étions des petits génies en herbe, ou, en tous cas, des Sagan à découvrir.
Où habitait-il, je ne m'en souviens pas non plus. Il est originaire du sud-ouest, Lavaur je crois, et a gardé longtemps son léger accent sympathique. Petit physique méridional de garçon très brun, tentant de se grandir en rehaussant ses épaules dans sa démarche lorsqu'il l'étudiait.
A Lyon, il travaillait alors dans une librairie. Il s'entendait aussi très bien avec Pierre et c'est en sortant de chez nous, un soir très tard, après sans doute une soirée bien arrosée, qu'il a rencontré Gérard, l'ami dont il partage la vie depuis maintenant trente-trois ans.
Mais, avant de rencontrer ce garçon, Alain a traversé de longues phases de turbulences, ponctuées régulièrement par des tentatives de suicide. L'une d'entre elles m'a particulièrement marqué. Il était très tard lorsque le téléphone a sonné chez nous. Au bout de la ligne, un souffle, quelques mots inaudibles, des sanglots. Au bout d'une longue patience, nous identifions Alain. Au bout d'un plus long moment encore, nous parvenons à lui faire dire où il se trouvait: un hôtel de la presqu'île (où je suis d'ailleurs allé dernièrement photographier un lion et un ours).
Pendant que je tente par tous les moyens de le garder au bout du fil, de le faire parler sans cesse pour éviter qu'il ne s'endorme sous l'effet des cachets qu'il avait avalés, Pierre prend sa voiture et fonce jusqu'à l'hôtel. Au bout de ce qui me semble être une éternité, j'entends d'autres bruits au téléphone, d'autres voix aussi, plus assurées, plus fortes, puis Pierre qui me dit que tout va bien, que les pompiers sont là et emmène Alain aux urgences.
Peut-être était-ce la dernière tentative avant qu'il rencontre Gérard. Pour moi, c'est celle que je n'ai jamais oubliée. Le cocasse de l'histoire, c'est qu'hier au téléphone, Alain m'a rappelé que jamais il ne nous avait remboursé la note de la chambre d'hôtel (luxueux: monsieur voulait mourir dans de beaux draps) que Pierre avait réglée.
Au début, je n'ai pas aimé Gérard. Pour plusieurs raisons. D'abord, il me paraissait un peu fruste, un peu massif face à notre "finesse d'intellectuels en devenir". Ensuite, il me prenait Nicolas, pardon Alain. Je le voyais moins, et finis nos délires lors de promenades au parc de la Tête d'Or (il n'était pas à l'époque question de sport, bien entendu!), lorsque nous longions les très cossus hôtels particuliers du boulevards des Belges et que nous nous en imaginions propriétaires, organisant de somptueuses soirées mondaines, remplies d'homosexuels tous plus spirituels et évaporés les uns que les autres et rehaussées par la présence discrète mais nécessaire de quelques-unes de nos muses féminines. Nous, en maîtres des lieux, réglions ce ballet des convenances (et plus tard dans la nuit des inconvenances) du haut de l'escalier de marbre monumental dont la coupole en trompe-l'oeil aspirait la fumée de nos cigarettes parfumées.
Après quelques repas en commun, et un petit voyage avec baignade naturiste (où?) au cours de laquelle Alain, en bon petit coq méridional, avait eu du mal à supporter de voir son sexe rétréci et fripé par l'eau trop froide, les relations s'espacèrent.
Elles reprirent lorsque Pierre, devenu directeur de son "entreprise", en transporta les locaux dans le quartier d'Ainay et que Alain et Gérard, par hasard, y ouvrirent, à quelques mètres de distance seulement, une boutique de dessins et gravures anciennes. Je revis alors Alain une fois ou deux, mais la folie n'y était plus et c'est surtout Pierre qui me donnait des nouvelles.
Puis le grand trou. Jusqu'à mardi après-midi où, me trouvant dans le quartier, j'eus l'idée subite (pourquoi?) d'aller voir si la galerie existait toujours. Elle était bien là, et à l'intérieur Gérard que je reconnus, qui me reconnut tout de suite. Nous avons bavardé une bonne heure et j'ai découvert un autre Gérard, beaucoup plus à ma convenance. A ma question, il me répondit que Alain ne travaillait pas ce jour-là, qu'il prenait ainsi régulièrement de longs moments pour ..... écrire. Ainsi les vieux démons ne sont pas morts! Tant mieux.
Le lendemain, j'ai eu son coup de fil. Deux heures au téléphone. On aurait pu croire que nous nous étions quittés dix minutes plus tôt. Demain soir, je vais être un peu impressionné, non par lui, mais par la situation. Je vous raconterai. Enfin, si vous voulez!
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Ca ne s'invente pas.
Les élèves de sixième me présentent en fin d'année un livre qu'ils ont lu par eux-mêmes et qui leur a plu. Ce matin, dans un de ces romans, il était question des palmes académiques.
Moi: - Savez-vous ce que c'est?
Un élève: - Oui, c'est comme à Cannes, pour les films.
Un autre: - Non, c'est comme pour les hôtels, des étoiles pour les profs.
Un troisième: - Vous les avez, vous, les palmes académiques?
Moi: - Euh, non! Je ne suis pas assez vieux!
Le même: - Ah bon!
J'en connais un qui a de la chance que l'on soit à une semaine des vacances!!!
Moi: - Savez-vous ce que c'est?
Un élève: - Oui, c'est comme à Cannes, pour les films.
Un autre: - Non, c'est comme pour les hôtels, des étoiles pour les profs.
Un troisième: - Vous les avez, vous, les palmes académiques?
Moi: - Euh, non! Je ne suis pas assez vieux!
Le même: - Ah bon!
J'en connais un qui a de la chance que l'on soit à une semaine des vacances!!!
mercredi 18 juin 2008
-izme m'énerve!
En lisant le billet du Lorgnon Mélancolique de ce soir, billet intitulé Mutisme, il me vient une réflexion (qui n'a rien à voir avec son contenu, je tiens à le préciser).
Beaucoup de gens prononcent ce mot: mutiZme. De même, ils vont dire communiZme, romantiZme, expressionniZme, etc. Je hais ces -iZmes teutoniques, disgracieux, transformant les mots en colère d'abeilles dérangées.
De même que je déteste lorsque l'on prononce un nom allemand à la manière anglaise. J'ai eu, il y a fort longtemps, une élève à la bi-nationalité franco-allemande, dont le patronyme était Walter. Elle a dû supporter pendant tout son séjour chez nous (4 ans) de s'entendre appeler "Oualteur", par des gens persuadés, à l'instar de Julien Lepers, de prononcer l'anglais à la perfection.
Et "couillon", ça se prononce comment aux States?
Beaucoup de gens prononcent ce mot: mutiZme. De même, ils vont dire communiZme, romantiZme, expressionniZme, etc. Je hais ces -iZmes teutoniques, disgracieux, transformant les mots en colère d'abeilles dérangées.
De même que je déteste lorsque l'on prononce un nom allemand à la manière anglaise. J'ai eu, il y a fort longtemps, une élève à la bi-nationalité franco-allemande, dont le patronyme était Walter. Elle a dû supporter pendant tout son séjour chez nous (4 ans) de s'entendre appeler "Oualteur", par des gens persuadés, à l'instar de Julien Lepers, de prononcer l'anglais à la perfection.
Et "couillon", ça se prononce comment aux States?
Nostalgie.
Au moment où je commence ce billet, la nuit peu à peu tombe sur la ville. Dans la cour, toujours plus sombre que la rue, les hirondelles tournent et retournent en lançant leur cri aigu, les fenêtres ouvertes s'éclairent, les derniers bruits de vaisselle se sont tus, on n'entend aucun son que celui des oiseaux. Où sont les hommes?
Je viens de comprendre que nous vivons en ce moment les jours les plus longs de l'année, que bientôt, et bien vite, ils vont décliner à nouveau jusqu'au sinistre hiver qui n'en finit pas.
Tout ceci a une odeur de fin. Je n'ai jamais aimé ces longs jours d'été qui ne veulent pas disparaître, qui s'accrochent à la vie, où l'on est dans l'attente inconsciente on ne sait pas même de quoi. L'obscurité ne m'effraie pas, je l'aime même, comme le jour, mais pas l'entre deux. A cet instant une sirène de pompiers retentit dans la rue, qui rajoute à la mélancolie. J'ai toujours pensé que beaucoup d'êtres humains mouraient à cette heure-là, comme au printemps, comme à l'automne, parce que rien n'est assez sûr pour s'y raccrocher.
C'est aussi la fin de l'année scolaire, période que je n'aime pas, par ses tensions mais surtout par l'arrêt des pratiques de longs mois: l'emploi du temps, les groupes d'enfants de chaque classe, la rencontre à certaines heures de certains collègues. Tout cela va cesser. Moi qui suis quelqu'un d'habitudes, je vois toujours venir ce moment avec une certaine tristesse. Plus jamais cette réalité n'existera à l'identique.
Bien sûr, d'autres habitudes se prendront l'an prochain, qui me feront vite oublier celles-ci. Ce matin, nous avons, Stéphane et moi, accueilli ensemble un groupe d'une cinquante d'élèves de CM2 inscrits chez nous l'année prochaine. Moment émouvant: on les voit pour la première fois, on les impressionne, c'est évident. Ils sont petits et se font plus petits encore. A côté d'eux, les volontaires de 6° qui les guident tout au long de la matinée ont l'air de grands, c'est dire. Ces enfants, pour la plupart, nous écoutent avec attention, certaine ne peuvent réprimer leurs bâillements (une nuit agitée, peut-être, à l'idée d'affronter le lendemain la "grande école"). Moi, je suis ému, et je pense que Stéphane aussi. Allez, une page est tournée, entamons la suivante. Enfin pas tout de suite. En septembre, ça ira bien.
C'est aussi une période de ma vie où je retrouve de très anciens amis, de Paris ou de Lyon, amis que la vie, la bête vie, a éloignés, sans autre raison que le temps qui passe, dont on se souvient en se disant qu'il faudrait les recontacter, et puis on ne le fait pas. Et tout à coup, en revoilà certains, par hasard, presque miraculeusement.
Le miracle n'est pas dans les retrouvailles, mais dans le fait que, dix ans, quinze ans, vingt ans plus tard, on les reconnaisse malgré les rides en plus, les kilos bien installés, la patine des ans, et que l'on reprenne la conversation là où elle s'était interrompue des siècles plus tôt. Et ça fonctionne, et ça colle. On ne s'arrêterait plus de parler, on veut tout raconter, tout savoir de l'autre, tout comprendre et partager.
Je viens de passer ainsi pas loin de deux heures au téléphone. Je dois retrouver Alain vendredi, nous dînerons ensemble en ville. Je gage que les silences seront rares. Si un ange avait dans l'idée de passer ce soir-là par notre table, je lui conseille de retarder son voyage ou d'emprunter une autre ligne, car, à côté, les grèves de la SNCF (les vraies, celles d'avant le service minimum), c'est de la roupie de sansonnet.
Un peu de nostalgie, ce soir, donc. mais c'est un luxe que bien peu de gens s'offrent aujourd'hui.
Je viens de comprendre que nous vivons en ce moment les jours les plus longs de l'année, que bientôt, et bien vite, ils vont décliner à nouveau jusqu'au sinistre hiver qui n'en finit pas.
Tout ceci a une odeur de fin. Je n'ai jamais aimé ces longs jours d'été qui ne veulent pas disparaître, qui s'accrochent à la vie, où l'on est dans l'attente inconsciente on ne sait pas même de quoi. L'obscurité ne m'effraie pas, je l'aime même, comme le jour, mais pas l'entre deux. A cet instant une sirène de pompiers retentit dans la rue, qui rajoute à la mélancolie. J'ai toujours pensé que beaucoup d'êtres humains mouraient à cette heure-là, comme au printemps, comme à l'automne, parce que rien n'est assez sûr pour s'y raccrocher.
C'est aussi la fin de l'année scolaire, période que je n'aime pas, par ses tensions mais surtout par l'arrêt des pratiques de longs mois: l'emploi du temps, les groupes d'enfants de chaque classe, la rencontre à certaines heures de certains collègues. Tout cela va cesser. Moi qui suis quelqu'un d'habitudes, je vois toujours venir ce moment avec une certaine tristesse. Plus jamais cette réalité n'existera à l'identique.
Bien sûr, d'autres habitudes se prendront l'an prochain, qui me feront vite oublier celles-ci. Ce matin, nous avons, Stéphane et moi, accueilli ensemble un groupe d'une cinquante d'élèves de CM2 inscrits chez nous l'année prochaine. Moment émouvant: on les voit pour la première fois, on les impressionne, c'est évident. Ils sont petits et se font plus petits encore. A côté d'eux, les volontaires de 6° qui les guident tout au long de la matinée ont l'air de grands, c'est dire. Ces enfants, pour la plupart, nous écoutent avec attention, certaine ne peuvent réprimer leurs bâillements (une nuit agitée, peut-être, à l'idée d'affronter le lendemain la "grande école"). Moi, je suis ému, et je pense que Stéphane aussi. Allez, une page est tournée, entamons la suivante. Enfin pas tout de suite. En septembre, ça ira bien.
C'est aussi une période de ma vie où je retrouve de très anciens amis, de Paris ou de Lyon, amis que la vie, la bête vie, a éloignés, sans autre raison que le temps qui passe, dont on se souvient en se disant qu'il faudrait les recontacter, et puis on ne le fait pas. Et tout à coup, en revoilà certains, par hasard, presque miraculeusement.
Le miracle n'est pas dans les retrouvailles, mais dans le fait que, dix ans, quinze ans, vingt ans plus tard, on les reconnaisse malgré les rides en plus, les kilos bien installés, la patine des ans, et que l'on reprenne la conversation là où elle s'était interrompue des siècles plus tôt. Et ça fonctionne, et ça colle. On ne s'arrêterait plus de parler, on veut tout raconter, tout savoir de l'autre, tout comprendre et partager.
Je viens de passer ainsi pas loin de deux heures au téléphone. Je dois retrouver Alain vendredi, nous dînerons ensemble en ville. Je gage que les silences seront rares. Si un ange avait dans l'idée de passer ce soir-là par notre table, je lui conseille de retarder son voyage ou d'emprunter une autre ligne, car, à côté, les grèves de la SNCF (les vraies, celles d'avant le service minimum), c'est de la roupie de sansonnet.
Un peu de nostalgie, ce soir, donc. mais c'est un luxe que bien peu de gens s'offrent aujourd'hui.
mardi 17 juin 2008
Un petit tour de cache-cache.
Journée contrastée au travail. Tension de plus en plus perceptible. Pourquoi, dans l'enseignement, ne peut-on jamais finir tranquillement l'année? Après les énervements du matin, je pars à pied dans Lyon pour décontracter les neurones mis à mal par certains de mes collègues. Je vous passe le détail: aucun intérêt.
Je navigue à vue dans le quartier du quai Rambaud, quai de Saône autrefois chaud et aujourd'hui en pleine restructuration. Après avoir descendu Choulant en coupant par les escaliers de Don Bosco, je me retrouve au bout du quai Jean-Jacques Rousseau. En m'approchant de la berge pour prendre des photos du pont métallique, voici ce que je découvre, en contrebas de la rue.
Non, nous ne sommes pas à Bombay ou à Calcutta, pas même à Bénares au bord du Gange: nous sommes chez tous les pauvres du monde, les mêmes que, tout près, ceux qui couchent sous l'entrée du tunnel de Fourvière.
De l'autre côté, quai Rambaud, il y a les péniches, la douce vie, le farniente, et les fleurs sauvages qui transforment le bas-port en prairie grasse et verte.
Plus loin, à peine, commence le quartier d'Ainay, le "must" de la vieille bourgeoisie lyonnaise. A deux pas des pieds puants et des ongles noirs, des cheveux gras et des bouches édentées. Ce serait comique si ce n'était pas à pleurer.
Je suis revenu au collège pour les conseils de classe. Bien piètres, nos disputes. Ridicules, nos énervements. En bas, l'homme avait sans doute depuis longtemps fini de manger la soupe cuite dans une boîte en fer blanc.
Je navigue à vue dans le quartier du quai Rambaud, quai de Saône autrefois chaud et aujourd'hui en pleine restructuration. Après avoir descendu Choulant en coupant par les escaliers de Don Bosco, je me retrouve au bout du quai Jean-Jacques Rousseau. En m'approchant de la berge pour prendre des photos du pont métallique, voici ce que je découvre, en contrebas de la rue.
Non, nous ne sommes pas à Bombay ou à Calcutta, pas même à Bénares au bord du Gange: nous sommes chez tous les pauvres du monde, les mêmes que, tout près, ceux qui couchent sous l'entrée du tunnel de Fourvière.
De l'autre côté, quai Rambaud, il y a les péniches, la douce vie, le farniente, et les fleurs sauvages qui transforment le bas-port en prairie grasse et verte.
Plus loin, à peine, commence le quartier d'Ainay, le "must" de la vieille bourgeoisie lyonnaise. A deux pas des pieds puants et des ongles noirs, des cheveux gras et des bouches édentées. Ce serait comique si ce n'était pas à pleurer.
Je suis revenu au collège pour les conseils de classe. Bien piètres, nos disputes. Ridicules, nos énervements. En bas, l'homme avait sans doute depuis longtemps fini de manger la soupe cuite dans une boîte en fer blanc.
Autrement.
Voir les choses autrement. Les choses réelles, les objets. Par exemple sous un autre angle, à un autre moment, avec un "objectif" différent. Déjà le lexique de la photo apparaît.
Quand je fais la sieste, sur le canapé qui ne sert qu'à cela, dans le salon, je ne vois pas cette pièce de la même façon: je suis plus bas que le fauteuil qui lui fait face et j'ai donc aussi une vision opposée. Le salon est relié à la pièce attenante par une arche qui me permet un plus grand angle.
Ce sont bien les mêmes meubles, les mêmes murs, le même papier peint, les mêmes bibelots, le même encombrement. Pourtant je ne le reconnais pas immédiatement. Il faut que je fasse un effort, que je repasse la liste dans ma tête.
Ainsi le grand miroir mural qui occupe la paroi opposée n'est pas tout à fait droit et, vu d'ici, le verre est piqueté de rouille en quelques endroits. Ainsi la table de la salle à manger a des pieds si baroques! Et le cannage des chaises, de profil, semble encore davantage prêt à s'effondrer. Le tapis révèle lui aussi ses traces d'usure. Tout semble plus vieux, à l'horizontale.
Mais la lumière joue avec les pieds des chaises: on dirait une forêt de bambous, dont certains resteront nains et d'autres s'étireront selon les heures jusqu'au bas de la sellette.
Mais la lumière joue avec le bouquet de pivoines, ou d'arums, ou de lys, ou de roses. La lumière elle aussi est vivante et provoque d'un souffle la chute d'un pétale ou l'écroulement d'une corolle entière.
Mais le bahut s'impose, barrière opaque et reposante, rassurante: je ne bougerai pas, je protège ton sommeil. Regarde mes veines, mes loupes et endors-toi. Bientôt, si tu y penses, tu me cireras.
Tiens, il faudra que je jette les papiers de bonbons à la menthe qui jonchent la table basse. Et cette vieille revue que j'avais posée là pour la lire et que je n'ai pas encore feuilletée. Et le hors-série de Télérama sur Barbara ou Béjart: je m'étais dit que j'y reviendrais plus attentivement, plus lentement, pour mieux le savourer.
Là haut, dans un angle du plafond, quelque chose bouge, quelque chose vit. Une araignée qui tisse sa toile. Elle se plaît ici, je ne la délogerai pas. Elle est chez moi, elle est chez elle.
Je touche l'ourlet du plaid polaire, sa douceur, son cramoisi me délassent déjà, comme un enfant retrouvant l'ours ou la poupée de ses nuits.
Je regarde le livre que je tiens, cet étrange objet dont mes mains connaissent toutes les formes, tous les grains, tous les poids, tous les reliefs. Ce quadrilatère que je partage en deux et dans lequel je plonge, le remontant bien sur mes yeux pour ne pas être aveuglé par la lumière de face.
Je lis, je regarde et je ne vois plus, je dors, entendant à peine le bois de la bibliothèque craquer doucement, comme pour dire, lui aussi: ne t'en fais pas.
En se réveillant, remonter en frissonnant un peu le plaid qui a glissé, profiter du moment d'entre-deux, s'étirer, rouvrir les yeux sur les mêmes choses et les découvrir choses, comme avant, sans plus de mystère. Se lever et, avant de quitter la pièce, se retourner furtivement pour tenter de capter, une brève seconde, le frémissement de la vie secrète des lieux. Et se demander qui l'on est, si l'on est, pour eux.
Pour Océania.
Quand je fais la sieste, sur le canapé qui ne sert qu'à cela, dans le salon, je ne vois pas cette pièce de la même façon: je suis plus bas que le fauteuil qui lui fait face et j'ai donc aussi une vision opposée. Le salon est relié à la pièce attenante par une arche qui me permet un plus grand angle.
Ce sont bien les mêmes meubles, les mêmes murs, le même papier peint, les mêmes bibelots, le même encombrement. Pourtant je ne le reconnais pas immédiatement. Il faut que je fasse un effort, que je repasse la liste dans ma tête.
Ainsi le grand miroir mural qui occupe la paroi opposée n'est pas tout à fait droit et, vu d'ici, le verre est piqueté de rouille en quelques endroits. Ainsi la table de la salle à manger a des pieds si baroques! Et le cannage des chaises, de profil, semble encore davantage prêt à s'effondrer. Le tapis révèle lui aussi ses traces d'usure. Tout semble plus vieux, à l'horizontale.
Mais la lumière joue avec les pieds des chaises: on dirait une forêt de bambous, dont certains resteront nains et d'autres s'étireront selon les heures jusqu'au bas de la sellette.
Mais la lumière joue avec le bouquet de pivoines, ou d'arums, ou de lys, ou de roses. La lumière elle aussi est vivante et provoque d'un souffle la chute d'un pétale ou l'écroulement d'une corolle entière.
Mais le bahut s'impose, barrière opaque et reposante, rassurante: je ne bougerai pas, je protège ton sommeil. Regarde mes veines, mes loupes et endors-toi. Bientôt, si tu y penses, tu me cireras.
Tiens, il faudra que je jette les papiers de bonbons à la menthe qui jonchent la table basse. Et cette vieille revue que j'avais posée là pour la lire et que je n'ai pas encore feuilletée. Et le hors-série de Télérama sur Barbara ou Béjart: je m'étais dit que j'y reviendrais plus attentivement, plus lentement, pour mieux le savourer.
Là haut, dans un angle du plafond, quelque chose bouge, quelque chose vit. Une araignée qui tisse sa toile. Elle se plaît ici, je ne la délogerai pas. Elle est chez moi, elle est chez elle.
Je touche l'ourlet du plaid polaire, sa douceur, son cramoisi me délassent déjà, comme un enfant retrouvant l'ours ou la poupée de ses nuits.
Je regarde le livre que je tiens, cet étrange objet dont mes mains connaissent toutes les formes, tous les grains, tous les poids, tous les reliefs. Ce quadrilatère que je partage en deux et dans lequel je plonge, le remontant bien sur mes yeux pour ne pas être aveuglé par la lumière de face.
Je lis, je regarde et je ne vois plus, je dors, entendant à peine le bois de la bibliothèque craquer doucement, comme pour dire, lui aussi: ne t'en fais pas.
En se réveillant, remonter en frissonnant un peu le plaid qui a glissé, profiter du moment d'entre-deux, s'étirer, rouvrir les yeux sur les mêmes choses et les découvrir choses, comme avant, sans plus de mystère. Se lever et, avant de quitter la pièce, se retourner furtivement pour tenter de capter, une brève seconde, le frémissement de la vie secrète des lieux. Et se demander qui l'on est, si l'on est, pour eux.
Pour Océania.
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