lundi 2 juin 2008

Le récit d'un fugitif.

Le roman de Kaikô Takeshi, La Muraille de Chine, récit d'un fugitif, me laisse un peu perplexe. Voilà un petit ouvrage d'une centaine de pages qui relate l'embrigadement forcé de milliers de paysans chinois pour l'édification de la Grande Muraille sous la haute autorité du Premier, du Grand Empereur.

Le narrateur est un de ces paysans arrachés à leur terre et incorporés dans une brigade de travail. Il raconte les différentes dominations avant l'unification par le premier empereur, la période très brève de paix qui s'ensuivit puis l'asservissement aux intérêts supérieurs du pays, entre autres se protéger contre les nomades des plaines de loess d'Asie centrale: les Hiungnu.

Très bien écrit (et traduit), ce récit aurait dû me plaire par cela et par son thème. Or je suis resté constamment à la surface, me surprenant au milieu d'une page à penser à autre chose. Est-ce le fait de l'anonymat du narrateur, qui n'est pas à proprement parler un personnage puisqu'il relate des faits sans les personnaliser, comme un simple témoin? Est-ce dû à la brièveté du récit, empêchant, comme l'anonymat, toute identification, toute compassion? Est-ce la référence à Kafka, qui promet beaucoup et tient bien peu? Est-ce d'avoir perdu quelquefois la logique du raisonnement, que l'auteur semble laisser un peu lâche parfois (il a rédigé ce long récit en une nuit)? Je ne sais pas. Si la véritable Grande Muraille est, paraît-il, visible de l'espace, ce livre, quant à lui, aura sans doute, tôt fait de disparaître de ma mémoire, peut-être injustement.

Il fut décidé que nous commencerions là où s'achevaient les vestiges qu'un des rois avait laissés. Par là venait précisément se terminer le loess auquel succédaient maintenant le désert et la montagne. Devant nos yeux se déployait à perte de vue une désolation de sable et de pierraille.(...) Ce fut à l'endroit où les vestiges étaient enlisés dans le sol que commença notre tâche. Lors de la cérémonie qui marqua l'ouverture du chantier, on amena deux captifs hiungnu pour lesquels on creusa un grand trou là où devaient être jetées les fondations et au fond duquel ils furent agenouillés, préalablement décapités, chacun soutenant à deux mains un trépied de bronze à la place de sa tête; après quoi le trou fut comblé de terre. C'est ainsi que les deux nomades, qui ignorèrent jusqu'à la fin le sens de leur sacrifice, furent voués à supporter pour l'éternité toute la masse de la Grande Muraille.
(Trad. de Jacques Lalloz).

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