samedi 14 juin 2008

L' Amie.

J'ai quitté Lyon ce matin direction le sud avec l'intention de passer une grande partie de la journée avec Kikou. Sa chimio ayant lieu le mercredi, elle la supporte mal les jeudi et vendredi puis remonte la pente en fin de semaine.

J'aime toujours autant la N86 au sud de Vienne, même si les hampes élancées des roses trémières qui autrefois se dressaient le long des fossés et des jardins semblent à jamais disparues aujourd'hui. Il y a la route elle-même, tortueuse et calme, qui traverse des villages entourés de vergers, à la sortie desquels s'installent souvent des vendeurs de cerises, de fraises ou d'abricots.

Il y a, à gauche, le Rhône, large et placide, que l'on côtoie parfois à se mouiller les roues. Il y a, à droite, en fond d'écran, le beau massif du Pilat, à la fois altier et familier, vert de fraîcheur et, au premier plan, les collines de vignes en terrasses, avec leurs murets de pierres sèches et leur terre ocre et caillouteuse. Déjà là, à trente kilomètres, on n'est plus à Lyon, on est déjà un peu dans le midi.

Et tous les vieux rosiers ployant sous les fleurs, les iris et les coquelicots au bord des chemins et, au printemps, le bourgeonnement si particulier des cerisiers. C'est un jardin que l'on traverse.

A mon arrivée, Kikou n'avait pas bonne mine: encore fatiguée par les drogues. Je ne l'avais pas vue depuis quelque temps, un mois environ, depuis une visite que je lui avais rendue à H-E pendant ses examens. J'ai aidé son mari Georges à finir de préparer le repas. Cela m'a attristé (quel mot fade!) de la trouver, elle d'habitude si vive et entreprenante, toujours à bouger et à s'enthousiasmer, aussi amoindrie. Elle m'a confié que jusque là, elle avait le moral mais que, depuis peu, elle redoutait de ne pas supporter les chimios. Ce n'est pas le cancer qui lui fait peur, c'est, en ce moment, l'état où elle craint que ne la mette peu à peu le traitement.

Je ne peux pas, et ne veux pas, la rassurer par des mots stupides et des phrases toutes faites. Je lui dois mieux que ça et, de toutes façons, elle me rirait au nez si j'essayais: après les mois de maladie de Pierre, je n'ignore rien de la réalité et de la pénibilité de ces traitements. Je garde encore en tête le souvenir épouvantable des week-ends où Pierre, à bout de résistance, se retrouvait en état d'aplasie et où je ne savais plus que faire pour soulager sa fatigue.

Après la sieste, et comme nous avions parlé d'une chapelle du voisinage, elle a à tout prix voulu, se sentant mieux, que nous allions à pied jusqu'à ce petit édifice du XVIII° ayant appartenu aux Pénitents Blancs puis abandonné et finalement sauvé de la ruine totale il y a à peine dix ans par une association de Pélerins de Compostelle. La chapelle est en effet sur un des chemins du pèlerinage, celui reliant les marcheurs arrivant d'Allemagne à la ville du Puy où, ensuite, ils empruntent un circuit plus connu.

Le balisage du Chemin vient apparemment d'être restauré et j'en ai noté de nombreuses traces tout au long de la demi-heure de marche en descente sur un chemin praticable mais tout en ornières. La Chapelle a du caractère, même si les éléments de la restauration ne sont pas tous une franche réussite. Elle possède, aux quatre angles de son toit, ces sortes de décorations en forme de dents de sangliers dont j'ignore le nom mais qui sont typiques des lieux de culte dépendant de l'abbaye d'Ainay, à Lyon, où l'on peut les voir également.

Pendant que Georges repartait pour récupérer la voiture, Kikou, trop fatiguée pour rentrer à pied, s'asseyait sur les marches de pierre devant le porche. En silence, nous avons admiré le paysage, cette vallée du Rhône si riche, si généreuse. Il n'est pas de meilleur endroit pour la contempler. Pendant ce temps, je pensais à toutes ces années où je suis venu chez elle, seul, avec Pierre, avec des dizaines d'amis pour faire la fête toute la nuit.

A sa retraite, Kikou avait voulu que nous nous regroupions en Confrérie, la Confrérie du Chou, dont j'étais le président et elle la trésorière, pour ne pas se trouver couper soudain de ses anciens collègues et amis. Pendant trois ou quatre ans, j'ai fait mon discours annuel, elle a fait son rapport financier, nous avons intronisé de nouveaux membres jugés dignes de nous rejoindre, tout cela bien sûr au centième degré et dans la joie et la bonne humeur.

Et puis les quelques fidèles se sont lassés devant le comportement des autres: on venait à la dernière minute, sans aider à la préparation; on partait avant la fin, sous prétexte d'une journée du lendemain chargée ou d'enfants confiés à une nounou; on oubliait souvent de verser son écot à la communauté; on annulait sa venue sans même prévenir. Alors les fidèles ont décidé de ne plus renouveler ces soirées, de se voir en petit comité et de passer des moments plus calmes, moins festifs mais plus vrais.

Je pensais au temps que Kikou avait consacré à tout ça, à l'énergie dépensée juste pour faire plaisir, et, par contraste, aux quelques mots que l'on m'avait, au travail, chargés de lui transmettre quand j'avais prévenu que j'allais la voir: "Tu lui feras de gros bisous!" Est-ce que la maladie fait peur à ce point? Je ne peux pas comprendre que l'on ne soit pas fidèle à ses amis. Moi, je ne peux pas. Si je n'ai jamais été irréprochable en amour, je n'ai jamais lâché une amitié. Je n'en suis même pas fier, tant cela fait partie totalement de ce que je suis.

Et puis son portable a sonné: c'était Amédé qui l'appelait d'Avignon, par hasard le jour, au moment même où j'étais seul avec elle. Lui aussi a de nouveau des ennuis avec son ancien cancer de la prostate qui semble avoir métastasé. Lui aussi devrait sous peu se retrouver face à la chimio. Que dire? Que j'ai des amis formidables et que, vraiment, certains jours,et sans vouloir être vulgaire, ça me fait chier de les voir souffrir.

Mais le soleil était là et la journée fut bonne. Il faut prendre le bonheur et la tendresse quand ils viennent et ne pas gâcher son plaisir par crainte des peines à venir.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Nous avions une amie aussi qui voulait créer un lieu commun pour les amis, un lieu pour le soir de nos vies que nous aurions passé ensemble à refaire indéfiniment le monde. Hélas, la maladie l'emporta alors qu'elle venait juste d'adopter deux enfants.Ce commentaire est aussi nostalgique (pour ne pas dire triste) que votre billet. Publiez le à votre guise.