dimanche 31 janvier 2010

Rideau baissé.

Choc de revoir sur Flickr, dans les statistiques de fréquentation, une photo que je n'avais pas oubliée mais que je ne m'attendais pas à retrouver ce soir. J'avais, en la postant, intitulé cette photo "Rideau baissé". Cruelle ironie puisque c'est ce soir-là, effectivement, le 19 juin 2009, que se baissait définitivement un rideau sur un aspect de ma vie.

Elle est prise depuis le balcon de la salle de spectacle de la Bourse du travail. Nous étions allés voir Don Quichotte, dansé par les ballets de St Pétersbourg. Nous, c'était ma sœur et moi, présents aux places de ce balcon, et quelques autres que nous ne parvenions pas à localiser, alors que normalement ils auraient dû se trouver près de nous, aux places demeurées vides. Le rideau rouge est baissé. Les ronds de lumière des projecteurs de la poursuite s'y dessinent assez nettement vers le haut avant de confondre leurs halos en se rapprochant du sol. La salle est presque vide. Il est encore tôt.

Presque vide et pourtant. En bas, sur la rangée latérale de gauche, on voit, depuis l'endroit où je me tenais, une petite boule de cheveux blancs, bien repérable sur le grenat des fauteuils, la petite boule d'une tête dépassant à peine d'une grande couverture claire qui recouvre le corps malgré le temps estival de ce soir de juin. Une tête que j'avais fini par identifier. Une tête qui, quelques jours plus tard, même pas une semaine, allait reposer définitivement figée dans un linceul.

Dernière photographie de Kicou vivante: une petite boule blanche, comme un chaton qui émerge de la chaleur de la laine.

vendredi 29 janvier 2010

En herbe (3)

Et les filles dans tout ça? Je les ai gardées pour la fin car, à mon avis, leurs textes sont souvent plus intéressants. Bien sûr, on y trouve bon nombre de gentilles fées roses ou de méchantes sorcières noiraudes, de quoi peupler un asile de la SPA avec tous les chatons perdus et les oiseaux tombés du nid et une myriade de goûters d'anniversaire. Mais lorsqu'elles prennent leur essor, elles volent un peu plus haut.

J'ai choisi, de façon totalement arbitraire, deux de leurs textes qui m'ont plu et auxquels je n'apporte, comme d'habitude, que les corrections orthographiques nécessaires pour que les fautes ne viennent pas gêner le plaisir de la lecture.

Le premier, un poème, est en fait un calligramme, un texte mis en dessin. Celui-ci représente un loup, assez bien rendu d'ailleurs, mais je ne peux, hélas, vous le reproduire de la même façon ici. Image sombre de la solitude et de la mort. Ce n'est pas pour cela que je l'ai retenu mais bien plutôt pour le thème du loup souffrant et haï qui m'a toujours fasciné et aussi pour ce que la fillette a rajouté après la signature de ses vers. (A noter qu'étrangement, ce texte constitue une excellente réponse au commentaire de Lancelot!)

Le deuxième est, à mon avis, encore plus surprenant par la noirceur des idées qu'il expose. Je tiens à dire pourtant que l'enfant a l'air totalement équilibrée et bien dans sa peau. Je n'ajouterai rien de plus: il suffit de lire pour comprendre.


Texte 1:

Le Loup

Il est là, allongé
On ne peut le regarder
Maintenant, dans la nuit,
Les seuls bruits sont ses cris d'agonie
Là haut, la lune luit,
En bas, l'animal gémit
Il ferme les yeux
Il ne les rouvrira plus
La balle, telle une boule de feu,
Dans son cœur, il l'a reçue.

Margaux (1998 - ? )


Texte 2:

La chute spirituelle

On dit souvent qu'après une chute, on se relève, que la blessure disparaît avec le temps. Mais rien n'y change, on tombe, cela nous affaiblit, nous effraie et l'on s'engouffre dans une dépression. On garde toujours un regret, une cicatrice, un mal de ventre, de la tristesse, ou bien une grosse boule au fond de la gorge qui, un jour, explose, et nous refait chuter. Certaines personnes disent qu'il faut la garder au fond de soi, d'autres l'évacuer, pleurer, s'énerver... Moi, je pense qu'il faut trouver une sorte de paix intérieure qui nous dise ce qu'il faut faire, comment il faut agir, car, après une chute, on ne se redresse que si on le souhaite. On peut aussi sombrer: pourquoi se redresser sachant qu'un jour, on retombera peut-être? Alors moi, je pense que l'on est ce que l'on veut être.

jeudi 28 janvier 2010

Les femmes de ma vie (9): Kicou (suite)

Je n'ai parlé à Kicou de mon homosexualité que quelques mois seulement avant sa mort. Elle me répondit ce jour-là qu'elle me croyait bi, ce que j'aurais d'ailleurs espéré être.

Ce si long silence de ma part peut surprendre face à une amie aussi proche. En fait, Kicou, au début de notre amitié s'était montrée un peu trop rapide. Se doutant de quelque chose, elle me tendait des perches colossales que je m'empressais de ne pas saisir, par crainte d'un aspect de son caractère qui me refroidissait: elle était bavarde. Je lui avais, par exemple, passé un énorme savon quand je l'avais entendu livrer à tous en salle des professeurs des éléments de la vie privée d'un collègue qui, bi et en instance de divorce avec sa femme, s'était livré à elle dans un moment où il avait par dessus tout besoin de se confier. Et elle qui, en toute bonne foi, croyait l'aider ainsi! Mon silence tenace s'explique aussi par un trait de ma personnalité à moi qui fait que, dès que je sens que l'on tente de me contraindre dans une direction, je prends immédiatement l'autre, l'opposée.

Bien sûr, Kicou connaissait et appréciait Pierre. C'est en parlant de lui, après sa mort, que peu à peu nos langues se sont montrées moins lourdes, de mon côté comme du sien. Je partageais déjà de nombreux épisodes de sa vie, elle m'en livra d'autres, sur son divorce, en fait une annulation de mariage, ses enfants, son second mariage, avec Georges qui, lors de ma dernière visite à la campagne, compléta la confidence en me confiant un dernier détail dont elle-même ne m'avait jamais parlé. Loin de me peiner, cette ultime pudeur de sa part me la rend encore plus chère: j'avais deviné son secret, en effet, et elle savait que je savais. A quoi bon les mots? Nous étions seuls, avec Georges et les deux intéressés, à partager ce silence.

Ce que j'aimais chez elle, et qui parfois me fatiguait, c'était son dynamisme, sa volonté de toujours considérer le positif. Elle a eu dans sa vie des moments difficiles, pénibles même pour certains, elle les évoquait mais ne se plaignait pas et envisageait toujours un avenir où les batailles à livrer seraient gagnées. Même celle de sa maladie. Et là, elle n'a pas été la plus forte.
(A suivre, peut-être).

mercredi 27 janvier 2010

En herbe (2)

Si le texte d'hier (dans lequel je n'ai corrigé que les fautes d'orthographe), écrit par un garçon, avait des qualités - concision, vivacité d'un dialogue qui faisait progresser l'histoire, ce qui est un exploit pour un élève de sixième-, il restait encore relativement dans la tradition d'un univers enfantin (papillon, fée) et lançait un clin d'œil certain au Petit Nicolas. L'élément féminin en était, bien sûr, entièrement exclu et l'univers "viril" transparaissait déjà dans la chute avec la bombe, à moins que ce ne soit l'expression d'une angoisse latente face à la violence du monde des adultes. Mais je suis enseignant, pas psychiatre (ce que beaucoup de parents confondent aujourd'hui) et je n'irai pas plus loin sur cette voie.

Texte intéressant donc qui, avec des éléments banals et traditionnels, parvient à "dire" quelque chose.

Celui que je retranscris aujourd'hui est d'une autre espèce. Toujours écrit par un garçon (les filles viendront après, non par choix sexiste mais parce que leurs textes sont beaucoup plus surprenants), il reproduit, assez bien, l'univers télévisuel des films de guerre dont cet enfant doit, déjà, être un spectateur assidu. Voici donc à quoi rêve un garçon de onze ans, par ailleurs calme et équilibré. De quoi surprendre plus d'une maman aimante qui ne voit pas grandir le fruit de ses entrailles. Personnellement, ce texte m'intéresse moins que le précédent mais il partage avec lui la même vivacité dans la mise en scène, aspect de l'écriture suffisamment rare en sixième, où l'on se perd facilement dans les détails inutiles, pour être remarqué.

Alors que notre sergent Bridge avançait, un de nos coéquipiers se fit toucher par une balle. Notre lieutenant Gatz repéra instantanément une mitrailleuse ennemie située dans un immeuble et me dit:
- Jackson, abats cette mitrailleuse en te servant de ton AK47*!
- Oui, Lieutenant! répondis-je en prenant l'arme.
Viser fut difficile à cause du bruit de la bataille et des tanks qui explosaient mais je réussis! Moi, simple militaire! Après avoir éliminé le bataillon ennemi, nous poursuivîmes notre mission jusqu'à coincer notre cible sur le toit d'un immeuble de cinq étages.
Mission terminée.
* AK47: arme militaire avec longue vision

(Léo)

mardi 26 janvier 2010

En herbe (1)

Ce matin, comme mes sixièmes avancent assez vite dans le programme, il me restait une heure avant le contrôle, heure dont je ne savais que faire. Alors, je leur ai donné leur liberté: écrire ce qu'ils voulaient. Ils ont eu du mal à démarrer: quoi! pas de consignes? ce qu'on veut, vraiment?
Je pensais, en les rassurant, à tout ce que m'avaient appris mes professeurs de français mais aussi aux pesantes contraintes que j'ai longtemps cru à jamais ancrées en moi. Jusqu'au jour exactement où j'ai découvert cet écran. Alors en route pour la liberté.

Plus un mot dans la classe. Ils grattaient, grattaient... Je n'ai pas eu le temps de vraiment les lire en profondeur, sauf quelques-uns qui ont immédiatement attiré mon regard, soit par leur présentation (un calligramme par exemple) soit par les premiers mots. Bien sûr, comme nous étudions en ce moment le conte, il y en a beaucoup qui commencent par l'éternel "il était une fois", mais certains autres sortent vraiment du lot.

Voici aujourd'hui, le texte d'un garçon, pas le meilleur de la classe, tant s'en faut, qui, selon moi, a su rendre son texte vivant et n'a pas craint le mélange des genres.

Gaspard prit la batte, il tira si fort que la balle atterrit dans les buissons.
- Quel boulet, ce Gaspard! dit Geoffroy.
- Et voilà, plus qu'à chercher la balle pendant trois heures, brailla Lucas le négatif.
Sûr, Gaspard était un boulet mais bon, il pouvait faire attention avant de tirer. Lucas, c'était facile, lui, il ne pouvait pas envoyer la balle aussi loin: il n'avait aucune force.
Les enfants se mirent à la recherche de la balle.
- Ça y est, je l'ai trouvée! cria Antoine le bigleux.
- T'es sûr? C'est pas tes lunettes qui te jouent un tour? demanda Lucas.
- Hé! venez voir ça, j'ai trouvé une sorte de papillon-humain! dit Geoffroy.
- Qu'est-ce que tu nous racontes.... Ah! Mais c'est horrible! s'exclama Lucas.
- Une fée! C'est une fée! cria Antoine.
- J'ai vu beaucoup de contes sur les fées, et c'est beaucoup plus beau! Et puis, de toutes façons, ça n'existe pas, les fées!
La fée semblait bouger les lèvres, elle avait l'air terrifié.
- Elle tient quelque chose dans sa main... On dirait....une bombe!
- On ne dirait pas..... C'est une bombe!

(Matthieu)

lundi 25 janvier 2010

Les femmes de ma vie (9): Kicou

Pour écrire sur elle, j'avais besoin de temps, de recul, de courage aussi. Sa mort l'été dernier m'a été douloureuse. Je sens encore aujourd'hui son absence. Je l'ai évoquée plusieurs fois, je voulais y revenir, plus longuement, au plus près de la tendresse qu'elle m'a inspirée.

Kicou, ce n'est pas son vrai prénom, bien sûr, mais je l'ai toujours appelée ainsi, et tous ceux qui la connaissaient aussi. A sa naissance, son père était prisonnier de guerre. Sa mère, de famille catholique un peu étroite, l'avait baptisée Marie-Joseph. Quand le soldat est rentré, il n'était plus temps de faire machine arrière: il a donc choisi, pour lui, un surnom, celui de Kicou, et c'est ce surnom qui s'est imposé naturellement tout au long de sa vie. Jamais je n'ai entendu quelqu'un la nommer autrement, sauf moi parfois pour l'embêter.

Kicou était en adoration devant son père, un peintre et sculpteur qui enseignait aux Beaux-Arts et avait un petit atelier dans le vieux Lyon, près de la Cathédrale. C'est là qu'elle a passé de longs moments à le regarder travailler, façonner, créer, et elle en a pris le désir et le goût. J'ai vu quelques-unes des œuvres de ce père que, bien sûr, je n'ai jamais connu. Ses sculptures sur bois surtout me plaisent, souvent buste ou silhouette de femme aux lignes pures et reposantes. Elle les avait toutes conservées, à Lyon ou à la campagne.

J'ai connu Kicou en 1980, lors de mon entrée dans l'enseignement privé. Je venais d'une dernière année de maître-auxiliaire dans le public et obtenais enfin, après un an ailleurs, un poste définitif. De quoi me rassurer, moi qui détestais ne pas savoir à quelle sauce j''allais être mangé l'année suivante. L'intégration ne fut pourtant pas tout à fait évidente. Dans toutes les banlieues que j'avais fréquentées, j'avais eu affaire à des enfants de milieu social simple et cette année-là, j'enseignais dans un LEP à des élèves plutôt difficiles. Dans le collège que j'intégrais, il en allait tout autrement: familles de la vieille bourgeoisie de l'ouest lyonnais ou nouveaux riches n'ayant pas encore digéré leur nouveau statut. Je me sentais mal à l'aise au milieu de ces enfants qui passaient une grande partie de leur temps à comparer leur tenue et à se battre à grands coups de marques de prestige. J'étais tellement mal à l'aise dans ce microcosme que je songeais sérieusement à m'en aller.

C'est principalement Kicou qui m'a fait rester. Elle avait en Arts les troisièmes dont on m'avait catapulté professeur principal. Elle vit très vite qu'entre eux et moi, le courant ne passait pas. Et j'avais avec eux plus de dix heures de cours, entre le français, le latin, la musique (oui, oui!) et les heures dues en tant que professeur principal. Elle intervint avant que la situation ne se dégrade définitivement. Elle eut une idée de génie: organiser un week-end ailleurs, à la campagne. Et j'eus l'heureuse inconscience d'accepter. Nous voilà partis pour la vallée de la Tarentaise où un mien ami prêtre habitait un presbytère suffisamment grand pour nous recevoir.

Ballades à pied, préparation de la cuisine en commun (des crozets, sortes de pâtes savoyardes carrées, qui tiennent bien au ventre et que l'on doit arroser de gruyère pour leur donner du goût), veillée dans la salle paroissiale, nuit assez agitée (les garçons dans deux pièces, les filles dans une autre, et moi souvent dans le couloir pour refroidir toute velléité d'échanges nocturnes): tout ce qu'il fallait pour retisser des liens, ou les tisser puisqu'ils n'avaient jamais existé, entre eux et moi. Une photo, dans le train du retour, montre l'ambiance nouvelle qui s'était installée et a duré au collège tout le reste de l'année. Kicou faisait sans cesse allusion à cette photo: on m'y voit de dos, les fesses moulées dans un jeans, comme c'était la mode à l'époque et j'étais tellement maigre qu'elle a toujours comparé mon postérieur à deux petites pommes qui perçaient la toile usée.

Kicou, ce fut ensuite, avec des sixièmes, un projet de "spectacle" sur le conte d'Andersen, La Petite Poucette. Travail énorme de choix des épisodes à conserver, de dessins de ces épisodes, de photographies pour les convertir en diapositives, d'enregistrement des voix choisies selon les personnages à incarner (le fils d'une de mes collègues y a perdu la sienne, à vouloir imiter trop parfaitement le crapaud), de morceaux musicaux à mixer avec les voix et le fondu enchaîné des diapos. Avec un matériel rudimentaire, bien sûr. Le dernier jour avant de livrer le résultat à notre public, alors que nous mettions la dernière touche à notre travail, tout s'est lamentablement détraqué: les bandes son ont craqué, une diapo a brûlé et menacé le reste de destruction. Et nous qui, trop tendus nerveusement, ne pouvions nous arrêter de rire comme des fous, à en avoir mal au ventre. Nous avons tout manipulé à la main pendant une demi-heure devant nos spectateurs qui sont sortis enchantés, en nous demandant de recommencer la prestation un autre jour devant un public plus nombreux. Il n'y a jamais eu d'autre fois: le matériel était, cette fois-ci définitivement irrécupérable.

Je m'aperçois que, parti pour parler de la femme, j'en suis à évoquer des souvenirs heureux au travail. Kicou m'est indissociable de ces années passées à enseigner ensemble. Nous avons tout partagé: moments de crispation, rares, dus à nos deux caractères entiers, recherche de solution quand il fallait aider un élève, moments, o combien nombreux, de fraternité, de rires et de connivence.

Un autre souvenir: alors que le concert de Noël de la chorale d'enfants du collège allait avoir lieu le soir même, à la Basilique d'Ainay, lieu fort chic de Lyon, nous avions passé l'après-midi, chef de chœur compris, à repeindre une salle sous les toits pour y installer l'atelier musical. Les heures avaient filé sans rien dire et, lorsque nous nous en étions rendu compte, il n'était plus temps de se toiletter ni même de se changer ou de manger un petit en-cas. A la cuisine, nous avions trouvé des bananes que nous avions ingurgitées, Kicou et moi, avant le concert, mais le chef de chœur, qui devait, lui, impérativement se changer et endosser un habit noir, n'avait pu qu'en glisser une dans la poche de poitrine, où il l'avait totalement oubliée, pris dans les préparatifs du concert. Arrivés à la dernière minute, nous nous étions installés dans les places du chœur, ayant ainsi les enfants devant nous, de profil, et le "maestro" de face, alors que le reste de l'assistance ne voyait que son dos pendant qu'il dirigeait les chants. A peine parvenus à la fin du premier, que voyons-nous de notre poste d'observation privilégié? La banane qui ressortait de la poche chaque fois que le pauvre levait les bras un peu trop haut. De plus, il ne se rendait compte de rien et la banane risquait à tout moment de tomber sur le pavement ou de rester visible lorsqu'il se retournerait pour saluer. Nous n'arrivions pas, tant nous riions, à lui faire comprendre ce qui se passait. Il fallait en plus que nous n'attirions pas trop l'attention de la salle. Finalement, au bout d'un moment qui nous parut une éternité, il comprit le message codé et profita de la fin d'un chant pour s'éclipser un court instant en sacristie où il se débarrassa du fruit trop encombrant.
(à suivre)

dimanche 24 janvier 2010

Les autres

Cette semaine, ma sœur étant absente, j'ai passé quatre soirs avec ma mère. J'en ressors épuisé, mais je ne crois pas qu'elle y soit pour la plus grosse part. Bien sûr, elle est parfois difficile, mais ce qui me fatigue le plus, c'est maintenant cette envie constante de fuir que j'éprouve dans la moindre situation qui m'emprisonne ou que je ressens comme telle. Je n'ai jamais aimé les contraintes, surtout si elles me sont imposées autoritairement. Je n'assume que celles que je me crée moi-même (et elles sont déjà parfois nombreuses). Mais là, on atteint des sommets. Ainsi n'ai-je pour m'échapper actuellement que deux solutions: le sommeil ou la colère, ou, le plus souvent, une alternance des deux. Aujourd'hui, j'ai beaucoup dormi en sa compagnie.

Hier, j'ai bavardé un peu plus longuement avec d'autres patientes, celles avec qui elle passe ses journées, dans un salon aux nombreux fauteuils et canapés, devant la télévision ou à écouter de la musique. Certaines tricotent, d'autres (rares) lisent, la majorité regarde le sol ou le plafond, rêveuses, endormies ou abruties par des traitements. Elles se sont plus vite habituées à ma sœur qu'à moi, bien sûr, mais maintenant elles répondent volontiers quand je les salue et l'une d'entre elles m'a même dernièrement appelé par mon prénom.

J'ai ainsi appris que Yvette était autrefois une professeur d'anglais prometteuse qui avait toujours été bien notée par son inspectrice avant de "tomber malade" et qu'une autre dame, dont j'ignore encore l'identité, avait été, elle, professeur d'allemand. Je sais qu'une troisième a enseigné le français. Alors elles étaient heureuses de parler avec moi, se retrouvant un instant en pays de connaissance, regardées autrement que comme de simples malades. Une autre, à l'état de santé plus aléatoire, me récite, depuis qu'elle connaît mon métier, des passages de poésies qu'elle a apprises pendant son enfance et dont elle est toute fière de se souvenir encore.

Moments de détente, presque de connivence où peu à peu affleure une certaine tendresse. Je vois venir le jour où je pourrai leur faire la bise sans les effaroucher. Moments de détente également ces deux jours avec un repas "familial" chez J. et une visite aux puces du canal avec Frédéric qui y a acheté un très beau tableau. Il me faut des appuis solides pour rebondir, parfois.

samedi 23 janvier 2010

Débat, vous avez dit débat ?

Hier soir, à dix-huit heures, à la Préfecture, débat sur l'identité nationale avec un MONSIEUR TRÈS IMPORTANT qui venait de Paris. Il doit effectivement être très important, ce monsieur, pour avoir besoin d'un tel dispositif de sécurité quand il se déplace.

Moi, dans ma vie qui va bientôt flirter avec les six décennies, je n'ai vu ça que deux fois: la première en Afrique noire, au Togo, lorsque le dictateur (comment employer un autre terme?) Gnassingbé Eyadema avait eu l'idée de traverser sa capitale Lomé un après-midi de 76 où je me trouvais là: ayant mis du temps à comprendre ce qui se passait, j'avais été à deux doigts de me faire matraquer par les hommes de son service de sécurité. Et ce n'était là qu'une sortie anodine.

La deuxième fois, c'était au Liban, à Beyrouth, lors d'un voyage entrepris entre deux périodes de conflits armés avec Israël. Il avait fallu se garer le long de la chaussée pour laisser passer une voiture blindée largement escortée dont je n'ai jamais su qui elle contenait. Cette fois-là, il y avait sans doute une raison valable.

Mais, en France, à Lyon, pour un ministre, jamais! Même la venue du pape ou du G7 ne m'a pas semblé causer autant de perturbation. Ainsi donc, pour permettre à ce monsieur (à qui il faudrait sans doute rappeler le sens premier de ministre, c'est-à-dire serviteur) de circuler le plus vite, le plus directement et le plus sûrement, a-t-on bloqué tout le quartier de la Préfecture et ses (très larges) abords: interdiction de stationner à proximité, circulation interdite sur certains tronçons, laissez-passer accordé aux habitants uniquement sur présentation de justificatif de domicile, détournement des lignes de bus, neutralisation des arrêts de tramway les plus proches...

Voilà de quoi engager un dialogue en toute sérénité! Mais de quoi ce monsieur a-t-il peur à ce point? Le quartier de la Préfecture est un quartier bourgeois, de la très ancienne bourgeoisie lyonnaise. Ce n'est pas là que vivent les karchérisables pas plus que les affreux citoyens qui ont encore de l'espoir en votant pour une gauche moribonde. Même si, depuis les dernières élections, le 3° arrondissement est tombé dans l'escarcelle du PS, on ne peut pas dire que la révolution bolchévique y gronde tous les soirs. Tout au plus peut-on y croiser quelques bobos vélocipédistes qui jouent à se sentir progressistes en votant rose, qui achètent un sapin avec la housse pour le jeter (écologie oblige) et l'abandonnent sur le trottoir, à un coin de rue, à cent mètres à peine d'un lieu de collecte ! Rien de bien dangereux pour vous donc, cher Monsieur.

Alors, à quoi rime ce déploiement de forces, cette volonté clairement affirmée de montrer que l'on est là? Rassurez-vous, monsieur le ministre, le citoyen lambda aura compris le message subliminal(?): l'insécurité règne dans les grandes villes, le jour comme la nuit, dans les banlieues comme dans le centre ville. Il faut se protéger! Et, bien sûr, nul besoin d'aller chercher protection encore un peu plus à droite: vous êtes là, vous vous occupez de tout. Braves gens, dormez tranquilles!

Et vous appelez cela un débat? Vous avez ainsi définitivement tué dans l'œuf tout ce qui, éventuellement, très éventuellement, aurait pu en sortir de positif.

vendredi 22 janvier 2010

Rangements

Après le rangement des cours, des papiers officiels et peu à peu du bureau dans son ensemble, tentative de mise en ordre de l'ordinateur.


Photos, trop nombreuses ici, expatriées sur un disque dur externe, certaines postées, décrites, titrées, taguées sur Flickr. J'ai la possibilité de savoir celles qui sont journellement consultées par ceux qui passent sur mon adresse et je suis parfois surpris par le choix qui est fait. Il m'arrive même de ne plus me souvenir du tout d'un cliché, tant il y en a!

Je n'ai pas osé m'attaquer encore à mes dossiers de travail: énorme masse de boulot des années passées à enseigner. Certains de ces dossiers sont obsolètes et mériteraient d'être détruits. D'autres, les plus nombreux, ont été déplacés au rythme des changements de programme ou de la répartition de ce programme. Il faudrait les regrouper, supprimer les doubles, voir ce dont je ne me servirai sans doute plus dans les quelques années d'activité qui me restent. Grosse tâche en perspective.

Alors, j'ai commencé par le plus simple, en bon fainéant que je suis parfois: le tri dans les blogs. Certains ont disparu de l'écran, soit définitivement, soit mis en attente dans les favoris invisibles. Pourquoi cette disparition? Parce que leurs auteurs n'y écrivent plus depuis trop longtemps pour espérer les voir revenir un jour. Rare la suppression par manque d'intérêt, même si je passe maintenant plus vite sur certains sites qui m'avaient au départ davantage intéressé.

D'autres, qui attendaient hors écran y ont fait leur apparition. J'aime bien m'imprégner un certain temps du style et des centres d'intérêt développés avant de me décider. Non qu'apparaître sur la liste de droite soit une consécration qu'il faut mériter mais parce que je suis comme ça dans la vie: circonspect au départ, connaissant mon fond un peu naïf de gentillesse instinctive (non, je ne me flatte pas, on me l'a dit!).

A l'inverse d'autres blogueurs qui changent régulièrement de présentation, je suis assez fidèle à celle choisie au départ. Elle ne m'a pas encore lassé et la photo de ces deux jeunes hommes au bord de l'eau me parle toujours. Quelque part (comme dirait Madame Freud), il y a un peu de moi aussi dans cette image.

J'ai laissé tout de même un peu de désordre. Je m'ennuie quand il n'y en a pas du tout.

jeudi 21 janvier 2010

Accordéon

Un petit air d'accordéon entendu ce matin en montant dans ma voiture. Ça suffit à me mettre en joie. J'ai toujours aimé cet instrument. On le dit symbolique de la France. Pas seulement: d'autres pays européens, comme l'Italie, l'Allemagne, la Belgique l'emploient beaucoup, ainsi qu'un certain nombre d'états d'Amérique latine.

On va me dire que ça fait prolétaire, ouvrier, ringard. Et alors? J'aime aussi les Variations Goldberg (par Glenn Gould ou d'autres) et les oeuvres de Gorecki ou d'Arvo Pärt. De quoi largement me traiter de bobo snobinard, ce que je ne suis pas davantage. J'aime ou je n'aime pas une musique, peu m'importe d'où elle vient et à quelle époque et par qui elle a été écrite. Je ne suis pas un spécialiste, je suis un amateur, et dans ce dernier mot, il y a amour.

Lorsque j'entends s'égrener les notes rapides de l'accordéon, il me vient tout de suite un sourire aux lèvres. Ces sonorités m'évoquent immédiatement des souvenirs précis, comme le bal populaire qui clôturait la journée de fête de l'école primaire. Journée de juillet car celle d'hiver était consacrée aux représentations théâtrales, sketches et saynètes mis au point par les différents niveaux d'études.

L'été, tout se passait à l'extérieur, dans la cour et sous le préau, et le soir, la piste de danse, installée plusieurs jours auparavant et qui faisait notre bonheur pour y améliorer notre art de la glissade bien que ce soit interdit, se remplissait peu à peu de couples improbables: maris et femmes bien sûr mais assez rarement tant les deux sexes, dans ces occasions-là, se séparaient pour se retrouver entre eux, les hommes aux boules et devant une bouteille, les femmes arrangeant les chaises en cercle et papotant sans cesse, un œil attentif sur leur progéniture qui s'égayait alentour.

Couples plus souvent d'enfants qui pouvaient ainsi en toute impunité se serrer l'un contre l'autre et connaître à moindre frais les premiers émois de la sensualité. Couples aussi de grands-mères qui réclamaient la place et chassaient les autres quand cela devenait sérieux, quand le rythme de la valse les faisait tourbillonner de plus en plus vite, trop vite, bien trop vite pour leur âge vénérable mais à la juste vitesse de leurs jambes de jeunes filles retrouvées l'espace d'un air de musette.

Il fallait voir ensuite, lorsque le morceau se terminait, leurs joues rosies par le plaisir, leurs poitrines affaissées que le souffle court secouait encore longtemps après qu'elles étaient revenues sagement se rasseoir à leur place, près, tout près de la piste, prêtes à recommencer. Alors seulement, elles reprenaient leur contenance grave, leur dignité un instant oubliée dans leurs rêves de jeunes filles. C'est là, je crois, en les regardant, que j'ai appris à aimer la musique et la danse, devant la métamorphose de ces corps engoncés dans leurs kilos superflus en silhouettes gracieuses et aériennes.

Tout au long de l'année, mes parents travaillant à vendre des légumes sur les marchés, je devais le dimanche matin m'occuper du déjeuner et de la toilette de mes frères et sœurs. Après, il y avait le ménage pour s'occuper: balayer, dépoussiérer, astiquer. J'avais trouvé la meilleure façon de réaliser ces tâches ingrates, la plus agréable pour moi: envoyer la fratrie voir dehors si j'y étais (nous habitions à la campagne et les dangers à les laisser seuls étaient minimes) et mettre en route le tourne-disques avec sa colonne centrale qui permettait d'empiler plusieurs quarante-cinq tours et ainsi de bénéficier d'un assez long temps de musique ininterrompue. A cette époque, c'étaient bien sûr Sheila, Adamo, Mireille Mathieu ou Claude François qui tenaient la vedette.

Mais nous possédions aussi quelques disques de Jean Ferrat, d'Armand Mestral et, ô merveille, un enregistrement des valses de Strauss les plus célèbres. C'est ainsi, ballet en main (qui remplaçait pour moi la nécessaire cavalière) que j'ai appris à danser la valse. Un petit effort supplémentaire et je savais aller plus vite et tourner à l'envers: j'étais fin prêt pour la valse musette, ce que découvrit avec surprise ma mère qui, excellente danseuse, avait toujours refusé de m'apprendre les pas, au prétexte que je risquais de lui marcher sur les pieds. Je lui prouvais ainsi que, de mon défunt père, je n'avais pas fait qu'hériter seulement des oreilles.

Autre souvenir lié à l'accordéon, mon premier long remplacement en tant que maître-auxiliaire dans la banlieue est de Lyon, à Décines exactement. Je possédais, à cette époque, une vielle Fiat 127 qui, un matin sur deux, refusait obstinément de démarrer. Il fallait la pousser et bien souvent demander de l'aide à autrui. Mais ensuite, alors que je roulais dans le sixième arrondissement encore endormi puis que je quittais les beaux quartiers pour franchir le périphérique et traverser une partie de Villeurbanne et Décines sur presque toute sa largeur, je me consolais de la laideur du paysage hivernal en écoutant, à mon auto-radio, les chansons proposées.

Je ne sais plus qui était le présentateur à cette époque ni même de quelle radio il s'agissait. Ce dont je me souviens, c'est que le monsieur avait, semble-t-il, un faible pour Ferrat et que, régulièrement, il donnait à écouter la chanson qui fit connaître ce chanteur et dont je ne me lasse toujours pas aujourd'hui: Ma Môme. J'arrivais au lycée la tête plein de cet air et la censeur au visage glacial qui nous attendait en cas de retard devant l'entrée du parking pouvait bien me regarder comme si elle me vouait définitivement aux Gémonies, je n'en avais rien à faire: J'étais avec ma Môme, quelque part à Paris, dans un meublé sous les toits, pauvre et heureux, amoureux du monde.

Si vous me voyez un jour chagrin et agressif, mélancolique et un peu mou, vous savez maintenant le remède à apporter à ces maux: mine de rien, mettez-moi un petit air d'accordéon et vous verrez le changement!

mercredi 20 janvier 2010

Caton d'hier et d'aujourd'hui

Ce matin, les troisièmes travaillaient sur une version latine traitant d'un personnage célèbre de l'Antiquité: Caton l'Ancien.

Célèbre pour la réplique qu'il lançait à la fin de chaque séance du Sénat pour rappeler le danger que constituait la puissance montante de Carthage face à Rome: Delenda est Carthago! Carthage doit être détruite! Il finit par convaincre la République en usant d'un procédé tout simple: puisque la parole ne suffisait pas pour décider ses collègues à engager les hostilités, il apporta un jour une figue avec lui au Sénat. Chacun la trouve belle et fraîche. Caton déclare alors que cette figue a été cueillie quelques jours auparavant à Carthage, sur le rivage africain. Si un tel fruit pouvait voyager d'une cité à l'autre aussi vite et aussi bien, que dire de ce que serait la fraîcheur des troupes dans les mêmes conditions? On déclare donc la guerre aux Puniques. On sait comment cela se termina.

Célèbre, Caton, aussi, pour sa rigueur morale et une intransigeance certaine en de nombreux domaines, en matière d'éducation par exemple. Si un comportement, une manière d'apprendre avaient été jugés bons par les ancêtres, quelle raison valable y avait-il pour qu'ils ne le soient plus à son époque? Caton, en vieux conservateur, prônait l'application stricte du Mos Majorum (la Coutume des Ancêtres) par les Romains de son temps. L'évolution de la société, sur ce point, lui, donna bien vite tort.

Il existe aussi un autre personnage célèbre du nom de Caton: il s'agit de Caton d'Utique, un ennemi juré de César qui, apprenant la victoire définitive de celui-ci sur Pompée, éloigna ses esclaves et sa famille et, avec son glaive, s'ouvrit largement le ventre dont il tenta d'extirper les viscères. Malgré les efforts pour l'en empêcher de ceux qui étaient accouru devant cette boucherie, il y réussit parfaitement.

Caton l'Ancien est pour moi un personnage un peu à part. Non que j'approuve particulièrement sa rigidité excessive mais parce que Pierre m'a longtemps surnommé affectueusement ainsi. Il connaissait bien les aspects parfois trop entiers de mon caractère, certains de mes jugements à l'emporte-pièces, et se moquait tendrement de moi en prononçant ces mots avec le sourire: Mon petit Caton!

Aujourd'hui, je crois qu'il n'aurait plus à le dire. Il m'a appris (et la vie elle aussi s'en est chargée) à mêler un peu d'eau à mon vin trop amer. Je suis resté profondément idéaliste et perfectionniste, parfois même un peu janséniste, mais j'accepte que les autres ne le soient pas et que la vie humaine ne se mette pas aussi évidemment en équation qu'un problème mathématique. Cela m'a permis, devant certaines situations, d'être moins malheureux parce que plus humain. En tout cas, je le pense.

Et puis, il est un autre aspect de Caton que j'apprécie toujours. C'est lui, il me semble, qui, donnant des conseils de bien vivre, préconisait de faire, avant de se coucher, plusieurs fois le tour de l'atrium et de l'autel des Dieux Lares, protecteurs de la maison et de ses habitants. Une bonne méthode, selon lui, pour passer une nuit paisible. Qu'un personnage aussi hiératique que Caton avoue cette pratique profondément intime me rassure sur lui, et me rassure sur moi aussi qui ne peux me coucher tranquillement sans avoir fait le tour des pièces de mon appartement, un peu comme un chien tourne plusieurs fois sur lui-même avant de s'installer pour dormir.

lundi 18 janvier 2010

Retour

J'avançais dans la salle obscure. Le plancher, au lieu de faire claquer l'impact de mes talons, atténuait jusqu'au presque silence le bruit de mes pas. Je ne savais déjà plus où se trouvait la porte par laquelle je venais d'entrer. Peut-être n'y avait-il pas de porte, j'avais pu pénétrer là comme on entre dans un rêve, sans transition.

Que venais-je faire ici? Je n'en avais aucune connaissance, aucun souvenir. D'ailleurs je ne me posais pas la question: dans mon esprit, cela n'avait aucune importance. J'aurais préféré la lumière douce d'un cloître monacal à la tombée du soir ou les ors et grenats d'un théâtre à l'italienne lorsque les instruments s'accordent: j'aime le silence ou la cacophonie des cordes. Ici seule ma respiration ne pouvait être effacée. J'étais le seul élément vivant du tableau.

Mes yeux, habitués à l'obscurité, ne percevaient rien qui les arrête, pas d'objets, pas de présences, pas de lignes dominantes, juste du gris sombre uniforme. Comme si je nageais dans une atmosphère de lait sale. L'air en avait tout à la fois la douceur écœurante et la froidure des vallées glacières. Tantôt réconfortante, comme un ventre maternel, tantôt pétrifiante comme l'approche de la mort. Je ne pouvais qu'avancer, sans savoir pourquoi j'avançais. Et vers quoi.

Je n'avais pourtant pas peur. Comme dans un rêve que l'on a déjà fait, dont on sait que l'issue sera épouvante mais qui finira comme chaque fois par le réveil dans les draps moites et froissés. Mon regard, à force de scruter les ténèbres, s'étoilait maintenant de filaments fulgurants qui venaient le zébrer à tous moments. Mon esprit s'était donné du pain: reconnaître les apparitions et les ranger dans le domaine du connu, de l'anodin ou du sans importance.

Pourtant une forme s'imposa, au-delà de toute reconnaissance. D'abord un semblant de contour blanc, ovoïde semblait-il, mais sans que j'en sois vraiment sûr. Mes pas, sans effort ni volonté particulière, se dirigeaient d'eux-mêmes vers cet œuf évidé, cet anneau allongé aux deux pôles. Les filaments lumineux de mes yeux avaient disparu, je ne pouvais plus voir que cette forme de géométrie qui s'affinait peu à peu sans pourtant que je comprenne encore de quoi il pouvait s'agir.

Le silence était toujours le même. Cependant, à côté de ma respiration, dont la régularité oppressée m'était toujours perceptible, j'avais la sensation qu'une autre s'était installée, une vie qui se calquait sur la mienne, s'arrêtait lorsque je retenais mon souffle, reprenait quand je ne pouvais retenir l'inspiration, comme un voleur suit sa proie en se dissimulant derrière les bruits de sa victime. Mais, comme un enfant encore malhabile qui a entrepris de colorier l'intérieur d'un dessin et ne peut empêcher le crayon de déborder un peu sur l'extérieur, ce souffle étranger englobait le mien et peu à peu le submergeait au point, bientôt, de le remplacer totalement.

La forme initialement appréhendée comme ovoïde s'avérait l'être dans une perfection onirique. Un œuf à la profondeur d'un puits, une margelle blanche ouvrant sur une béance laiteuse qui m'attirait à chaque pas davantage. Je sentais déjà mon corps se pencher en avant, désirant une allure plus rapide que celle imposée par mes pieds, répondant à cet aimant parce que fait de la même matière, quelque chose d'initial, touchant à l'origine et à la dissolution de mon être. Mon cerveau, à peine, émettait encore quelques signaux de révolte dont l'intensité décroissait comme la lumière d'une vieille lampe trop longtemps restée allumée. Bientôt il accepterait lui aussi et alors, enjambant la murette, je prendrai mon premier bain d'absolu.

dimanche 17 janvier 2010

Un coup de mou.

Qu'on se le dise, et certains l'ont déjà remarqué, Calyste (ou calystee, comme vous voulez) connaît un petit brin de mollesse.

Non, finalement, je ne vais pas faire le coup de Delon parlant de lui à la 3° du singulier. JE connais, donc, un petit coup de mollesse: toujours pas répondu au courrier de vœux de début janvier (et pourtant ce sont ceux qui ont fait le plus gros effort, en écrivant une VRAIE lettre), pas répondu à certains sms, ni au mails, ni à tous les commentaires de ce blog depuis plusieurs jours. Et ça, ça se remarque parce qu'habituellement je réponds, avec en général assez peu de retard. Enfin, encore plus surprenant,depuis plus d'un mois, je ne suis pas parvenu à la fin d'un seul livre.

Alors quoi, la déprime, le blues, le spleen, le stress? Non, rien de tout cela. Juste un petit coup de mollesse. Tiens, il me vient encore deux exemples de cette mollesse: je n'ai fait que survoler certains articles dans des blogs que pourtant j'aime beaucoup. Il y a un jour ou deux, j'ai posté chez Flickr une centaine de photos auxquelles je n'ai pas encore eu le courage d'ajouter un titre ou des tags.

Rien de grave pourtant, même si un petit problème de santé récurant me chagrine un peu. En fait, je suis très heureux en ce moment. Je connais des moments de grand plaisir et de grande joie avec les uns ou avec les autres de mes amis; à défaut d'avoir repris la course à pieds (à cause de l'état des chemins les jours derniers), j'ai beaucoup marché; j'ai remis les fesses sur un vélo; je me suis réintéressé à des projets dans le cadre de mon travail; j'ai même deux après-midi de suite rangé la pile impressionnante de cours que j'avais entassés sur mon canapé et qui traînaient, pour certains documents, depuis juin dernier.

Je suis toujours heureux quand je suis dans l'écriture mais voilà, en ce moment, j'ai plus de mal à me motiver. J'ai lu que KarregWenn projetait, elle, de se mettre quelque temps en vacance de blog. Je ne sais pas si, pour ma part, je pourrais longtemps m'abstenir d'écrire, mais il y a un peu de cela derrière ma mollesse.

Alors voilà, je voudrais dire à tous ceux qui, en ce moment et pour certains depuis longtemps, me font l'honneur de venir ici lire et commenter ce que j'écris, que je les lis, que j'éprouve chaque fois un grand plaisir à voir ainsi que l'on m'aime ou en tout cas que l'on s'intéresse à moi. Ne vous vexez pas si je ne réponds pas aussi systématiquement qu'auparavant. Continuez à me dire votre pensée ou à m'envoyer des petits signes d'amitié. Je me connais: ça ne va pas durer. Je suis trop bavard pour me taire longtemps.

samedi 16 janvier 2010

Des corps


A la cuisine, nous voyons des ustensiles divers, de la vaisselle, des verres, des couteaux, etc., que nous distinguons d'après leur forme: ce sont des corps solides;
Dans des récipients variés sont contenus de l'eau, du lait, du vin, de l'huile, de l'alcool, etc., qui coulent lorsqu'on incline le vase qui les renferme: ce sont des corps liquides.
Près de l'ouverture du cendrier du fourneau allumé, notre main sent la fraîcheur de l'air qui pénètre dans le foyer; la fumée s'élève dans l'atmosphère; laissons ouvert quelques secondes le robinet du réchaud, le gaz d'éclairage se répand dans la salle, où son odeur décèle sa présence: l'air, la fumée, le gaz d'éclairage sont des corps gazeux.
Tous les corps que nous voyons autour de nous, tous ceux qui existent dans la nature appartiennent à l'une de ces trois catégories: corps solides, corps liquides, corps gazeux.


Telle est la leçon inaugurale d'un petit livre que je viens d'acheter tant pour sa présentation, imitant l'ancienne, que pour son contenu qui m'a rappelé quelques moments de bonheur de l'école primaire: Le petit Livre des Leçons de Choses.(Editions Chêne)

Une Leçon de Choses! Quelle modestie dans l'appellation. On nomme cela aujourd'hui Biologie, Physique ou rien moins que Sciences et Vie de la Terre (à moins que ce ne soit Sciences de la Vie et de la Terre, ce qui n'est guère moins prétentieux, bien au contraire). A l'époque (le livre reprend des manuels des années trente à cinquante), on disait simplement Leçon de Choses.
Les enfants étaient ainsi initiés aux sciences naturelles par l'observation de la réalité et la réflexion sur ce que nous offre le quotidien. Le chapitre commence toujours par un petit encadré précisant au maître le matériel nécessaire, et se clôt, après expériences et observations, sur un questionnaire et des exercices de ce que l'on n'appelait pas encore l'évaluation.

Mon plus grand plaisir, outre celui de lire des textes vieillis et aux connaissances parfois aujourd'hui obsolètes, c'est de contempler les beaux dessins pour la plupart légèrement coloriés qui illustrent chaque leçon. Ils ont eux aussi un charme mélancolique que n'ont plus les photos réalistes des manuels actuels.

Je me suis souvenu en le lisant des promenades que le maître nous emmenait faire dans les champs et sur les chemins, à la belle saison, au printemps ou à l'automne, pour regarder les fleurs, ramasser les feuilles ou les glands des chênes. Nous les rapportions ensuite dans la salle de classe où on nous les expliquait et où il fallait souvent ensuite les dessiner.

L'un de ces promenades m'a beaucoup marqué car on m'avait prévenu que le chemin que nous empruntions, bordé de murs de pierres sèches, était infesté de vipères. De quoi gâcher le plaisir de la cueillette et de la découverte: j'ai toujours eu horreur de ces bestioles. Mais j'étais un enfant sage et j'ai beaucoup appris lors de ces leçons (sauf sur un sujet: la mécanique, qui m'a toujours ennuyé). Avec l'écoute de la radio scolaire par laquelle on nous initia à la musique classique, les Leçons de Choses restent parmi les meilleurs souvenirs de ma scolarité.

Encore un coup de nostalgie, allez-vous me dire? Bien sûr mais aucune tristesse. Moi, j'ai connu tout cela, et le retrouver par hasard dans ce petit ouvrage m'est une bien grande joie.

jeudi 14 janvier 2010

Rêve d'amour

Première épreuve du brevet blanc. Je surveille une des classes de troisième en remplacement de mon cours de latin. Je connais presque tous les élèves à l'exception de deux ou trois grands lascars sans doute arrivés au collège en cours de scolarité.

Première constatation: le cheveu long est bien implanté mais, apparemment, il faudrait qu'il soit lavé un peu plus souvent. Alors que, chez les filles, le gris et le noir sont de rigueur, les petits mâles, étrangement, semblent, malgré leur taille, plus enfantins et plus éclectiques dans leur tenue: jeans bien sûr mais aussi pantalon de survêtement à la couture marquée de trois lignes célèbres. Pour le haut, le sweat à capuche l'emporte mais subsistent encore quelques pulls à rayures et l'indémodable col en V marine ou bleu pâle.

Le texte sur lequel portent les questions et la réécriture est de Romain Gary, tiré de La Promesse de l'aube (que je n'ai jamais lu). Comme d'habitude, ils se précipitent à peine la page parcourue. Pas un moment de réflexion, pas de réaction vis à vis de ce qui est tout de même de la littérature, donc une forme d'art. On se jette sur l'autre feuille, celle où sont détaillés les points que l'on peut (à bon compte, à mon avis), acquérir pour peu que l'on ait (vaguement) écouter en classe. Beaucoup de ces questions pourraient être traitées par des élèves de cinquième, presque toutes en réalité.

Qu'ont-ils donc acquis pendant les mois suivants, pendant cette quatrième et ce début de troisième, période pourtant si importante à mon avis pour l'acquisition de la culture et la formation de l'esprit critique? Peut-être plus qu'on ne pense mais cela n'apparaît pas dans les question comme elles sont rédigées. J'ai peur qu'on ne leur demande sans cesse que de reformuler ce qu'ils ont lu, de rabâcher des phrases sur de sentiments pré-conditionnés et mal digérés. Dans tout cela, d'histoire littéraire et d'analyse en profondeur, point. On devrait former des hommes, on formate des perroquets. La faute principalement sans doute au diplôme, ce fameux brevet indécrottable bien que parfaitement inutile, qui ne teste rien d'autre, lui aussi, que la plus ou moins grande facilité à régurgiter des banalités.

De quoi parle le texte? D'amour, bien sûr. Il s'agit, dans cette page, d'une rencontre enfantine: celle de Valentine et du narrateur qui, bien qu'âgé seulement de neuf ans, prend feu soudain pour elle dont on sait dès le début qu'elle le fera atrocement souffrir. Ainsi donc tombe-t-on encore une fois dans la démagogie. On veut faire plaisir à ces adolescents en leur proposant un sujet qui devrait, a priori, les intéresser puisque la plupart d'entre eux en sont à ce stade de découverte des sentiments et des pulsions profondes. Or le cadeau est un peu trompeur: à peine le ruban défait et le papier déplié, on se rend compte qu'il s'agit d'un amour d'enfance, donc stade par eux relativement dépassé, et que cet amour est présenté comme l'origine d'une souffrance. Point de vue d'emblée négatif sur ce qui concerne leur avenir immédiat. Courage, les enfants: si vous ne savez pas ce qui vous attend, on va vous l'expliquer!

Lorsque j'avais leur âge, c'était bien d'amour dont on me parlait aussi. Amour de Rodrigue et de Chimène, amour de Pyrrhus pour Andromaque, amour parfois partagé, parfois malheureux, mais toujours distancié, dans le temps, dans l'espace, de par la différence sociale et la forme littéraire en cause. Entendre un roi grec déclarer sa flamme à une princesse troyenne d'une époque mythique sur des vers et par un vocabulaire du XVII° siècle, cela ne facilite pas l'identification.

Comment se fait-il alors que j'en garde ce souvenir toujours émerveillé? La distanciation ne permettrait-elle pas que se mettent en place deux aspects capitaux à cet âge et à tout âge sans doute: la réappropriation à soi-même, l'adaptation à sa propre vie, à ses propres sentiments, avec l'effort nécessaire pour cela, réappropriation bien différente d'un simple copier-coller, et, d'autre part la dimension du rêve, cela surtout, du rêve qui, dès qu'il nous envahit, nous fait entendre la plainte rythmée de l'alexandrin dans l'immensité froide d'un péristyle austère.

Ce fameux lieu de la tragédie, cet espace artificiel qui permet les rencontres et les échanges au sein du palais, m'est devenu, au fil de mes études, parfaitement naturel, de même que la chanson des hémistiches et les périphrases parfois guerrières pour évoquer les passions interdites. Phèdre m'a fait grandir plus sûrement que ma première revue pornographique ou que la lecture du premier roman moderne "libéré". Je souhaite aux élèves actuels, à ceux du moins qui en seraient heureux, de pouvoir, au cours de leur formation, bénéficier de la même chance que moi à qui on a donné sans démagogie, sans recherche aucune de la facilité, les outils pour accéder à une forme de plaisir absolu.

(Alors que je terminais ce texte ce matin en salle des professeurs, on est venu me chercher: j'avais oublié mon cours avec les cinquièmes. Confusion non pas des sentiments mais, plus prosaïquement, de l'emploi du temps du jeudi et de celui du vendredi.)

mercredi 13 janvier 2010

Des mots

J'apprenais ce matin à mes élèves de sixième ce qu'est une périphrase. Comme ils sont assez futés, ils n'ont pas mis longtemps à comprendre. Ils connaissaient déjà la Capitale des Gaules, le Roi Soleil ( à propos duquel ils ont à tout prix voulu savoir pourquoi une telle appellation) et le Nouveau Monde. Je croyais la partie gagnée sans combattre même si le sens du mot fléau dans la périphrase le Fléau de Dieu, pour Attila, leur échappait.

J'ai pourtant eu une belle surprise lorsque je les ai lancés dans un exercice où ils devaient attribuer à chacun la métaphore qui lui était sienne. Savez-vous comment on nomme communément notre Jeanne d'Arc nationale? Tout simplement...... la Grande Bleue.
C'est Jean-marie qui va être content!

Autre chose entendue dans le bus à l'aurore. Quatre lycéennes ou jeunes étudiantes bavardaient tranquillement et pour une fois sans excès dans les aigus hystériques si communs à cet âge ou au précédent. Pour une fois aussi, le chauffeur ne s'était pas cru obligé, pour faire plaisir au petit peuple, de mettre la radio à plein volume. Bref: conditions idéales de navigation, d'autant que la température extérieure était clémente et que le redoux réduisait à néant ou presque les derniers entassements de neige et de glace si résistants sur les trottoirs.
" Il paraît qu'il va y avoir une vague de chaud..." dit l'une d'elle.
" Une vague de chaleur! se moquèrent deux de ses camarades. On dit "une vague de froid" mais " une vague de chaleur".
Et elles se mirent toutes à rire.

Moi aussi, j'ai souri: réflexion intelligente de la part de ces demoiselles. Je ne m'étais jamais aperçu de cette bizarrerie. Pourquoi pas "chaud" et "froid" ou "chaleur" et "froidure". Oui, pourquoi?

mardi 12 janvier 2010

Momentini

Hier, j'encourageais J. à continuer à écrire. Aujourd'hui, c'est moi qui n'ai pas envie. Fatigue accumulée. Frédéric est passé me voir. Devant la télévision, je me suis endormi. Maintenant je n'ai plus sommeil. Dehors, au bruit des voitures, il doit pleuvoir. Demain, ce sera une véritable patinoire. Je prendrai encore le métro et le bus: j'ai étudié un trajet qui me va bien.

Sinon, ma voiture est (enfin) réparée et, en téléphonant à vélov', j'ai appris que ma carte d'abonnement était réactivée depuis le 26 décembre. Un exploit quand on sait que l'envoi de mon chèque date du 22. Simplement, ils ont zappé le mail qui devait m'en prévenir. Tout de même, 4 jours alors qu'habituellement cela prend plusieurs semaines.

Après-midi passée avec une inspectrice de français et certains de mes collègues. Nous lui avions demandé de venir dans le cadre de l'évaluation de l'innovation. Une femme plus jeune que moi. Étrange impression de ne plus rien craindre d'eux et, hélas, en même temps, de ne plus rien en attendre. Une seule chose m'a intéressé: les projets de l'Éducation nationale concernant l'HDA (Histoire des Arts), et l'accent qui semble vouloir être mis sur l'écriture. Pourquoi d'ailleurs ne pas combiner les deux? A étudier. Ça me titille. Finalement, je ne suis pas encore blasé!

lundi 11 janvier 2010

Snobisme, quand tu nous tiens!

Voilà Kathleen Evin qui, à L'Humeur vagabonde ce soir, prononce le nom de Borges, l'écrivain argentin, comme jamais auparavant je ne l'ai entendu prononcé. Denis Podalydes lui répondant a restitué la prononciation française traditionnelle. Heureusement, sinon je n'aurais pas compris à qui on faisait allusion.

Ah! ces gens qui ne peuvent parler de Bach sans bruit appuyé de gorge tentant de cracher un "RRRR" élégant, ou relisent Proust avant même de l'avoir lu!

Madame Evin m'a déçu ce soir. Plutôt que de s'essayer à des prononciations exotiques, elle aurait mieux faire de se renseigner avant de parler: Edgar Allan Poe n'était pas anglais mais américain!

(Dé)conte d'hiver

Le cinéaste Éric Rohmer est décédé aujourd'hui et je trouve que l'on en parle bien peu. Il a tenu, à une certaine époque de ma vie, une grande place dans mon univers cinématographique et, on peut le dire aussi, littéraire. Même si je m'en suis, par la suite, un peu éloigné, parce que ma vie avait changé, parce que j'avais changé moi aussi, je garde encore aujourd'hui un souvenir nostalgique du plaisir que je trouvais alors à voir ses films: Pauline à la plage (à une époque où j'aimais Arielle Dombasle actrice), Le Genou de Claire (avec Brialy en cheveux et canotier), L'Amour l'après-midi, Les Nuits de la pleine lune, Le rayon vert et tant d'autres, jusqu'à ses tout premiers, vus après, comme La Boulangère de Monceau ou Le Signe du Lion.

Je découvris cet homme en 1969 avec son film Ma nuit chez Maud. J'étais par hasard entré dans la salle d'un petit cinéma paroissial comme il en existait encore à l'époque. J'avais 17 ans. C'était un dimanche : le matin, je travaillais dans le magasin de mes parents, une épicerie ouverte quasiment nuit et jour, et l'après-midi, avec les quelques sous rabiotés sur les pesées des fruits et légumes des clients, je me payais une séance. Le reste du temps, jusqu'au soir, j'errais dans les rues de la ville déserte et assez sinistre alors, à la recherche de l'âme sœur ou plutôt d'un corps qui réchaufferait le mien, alternant phases d'intense excitation et moments d'abattement et de dégoût du sexe.

J'étais sans doute entré à cause du titre qui parlait de nuit. Je ne connaissais guère à l'époque Françoise Fabian, Jean-Louis Trintignant et Marie-Christine Barrault, Antoine Vitez encore moins. Ce fut comme un coup de massue. Je me souviens de Clermont-Ferrand, de la neige, des longues discussions entre Trintignant et Fabian sur la morale, sur Pascal, sur des sujets que je n'écoutais plus, fasciné par les acteurs et leurs voix, par l'atmosphère du film, par le ton étonnamment littéraire que je n'avais encore rencontré nulle part ailleurs.

Car c'est bien cela Rohmer, et c'est pour cela qu'un couple d'amis à moi ne le supportait pas, lui préférant les moments d'actions de Clint Eastwood qu'a cette époque, moi, je n'aimais pas: un ton particulier, si particulier que l'on y adhère aussitôt ou jamais, un mélange de légèreté et de sérieux, un phrasé unique et une connaissance de tout ce que la langue française a de plus beau et de plus aérien. Rohmer est au cinéma ce que sont Musset ou Marivaux au théâtre: des hommes pleins de grâce et de délicatesse que l'on oublie souvent pour des auteurs plus "lourds".

Rohmer fait partie de ces gens qui m'ont beaucoup apporté et m'ont permis, alors que je n'y étais pas socialement prédestiné, à me construire une solide culture classique. Par la suite, je le disais, j'ai foulé des prés moins balisés, j'ai arpenté des domaines plus hétéroclites mais, grâce à cette initiation préalable, je ne m'y suis jamais perdu.

En écrivant, je pensais sans cesse au jour où j'ai vu à Lyon Pauline à la plage. Je suis sûr que je n'étais pas seul. Il me semble, mais s'il lit ce billet, il pourra le confirmer lui-même, que j'y avais rencontré ou rejoint André, mon ami aujourd'hui québécois qui, j'en ai le souvenir, partageait le même engouement pour ce cinéaste. Nous ne nous connaissions pas depuis très longtemps, je crois. Peut-être est-ce d'ailleurs ce jour-là qu'est née notre amitié. Je ne m'en souviens plus. Aide-moi, André!

dimanche 10 janvier 2010

Spectateur

Dernier repas des fêtes de fin d'année aujourd'hui. Toute la famille proche a enfin pu se réunir chez ma mère. Mon neveu est arrivé du midi depuis quelques jours. Ma nièce, elle, a eu plus de mal à relier Lyon en avion depuis le pays basque. Elle n'est arrivée qu'en milieu d'après-midi.

Étrange que je ressente toujours la même impression d'être là et ailleurs à la fois, d'être partie prenante et spectateur totalement extérieur. C'est souvent le cas dans la vie de tous les jours mais avec la famille, ça s'accentue toujours énormément. Je les regarde, je sais que je les aime et, en même temps, je ne parviens pas à me considérer comme un de leurs proches. Je n'ai jamais pu réellement m'intégrer. Rien n'explique cette réaction, peut-être tout de même le fait que j'ai été élevé longtemps ailleurs qu'au sein de cette famille. Je sais, en tout cas, que mon homosexualité n'a rien à voir avec tout cela, qu'elle ne conditionne en rien mes façons d'agir et de réagir.

Alors je me tais, je souris en pensant à autre chose, je me réfugie dans le sommeil, j'aime quand, à la cuisine, il y a un plat où les aliments brûlés ont particulièrement accroché et que je peux, en toute "impunité" passer un bon moment à le nettoyer jusqu'à ce qu'il soit comme neuf. Les autres le sentent-ils? Je le pense même si leur interprétation de mon attitude ne soit sans doute pas la bonne.

Aujourd'hui encore, j'ai pu, un moment, un court moment, oublier mon statut de spectateur plus ou moins attentif et me mettre au diapason des rires. J'ai appris aussi que ma sœur et mon neveu (dont je suis le parrain) sont allés ensemble au cinéma pour voir Avatars. Bien, très bien, mais, encore une fois, pourquoi ne pas m'en avoir parlé, pourquoi ne pas m'avoir proposé de les accompagner à la projection de ce film pour lequel j'aurais peut-être dit oui?

Ce matin, j'ai rejoint le domicile maternel à pied: quarante minutes dans la purée collante ou les plaques glissantes des trottoirs. Ce soir, je m'apprêtais à faire de même. Je ne voulais rien demander à qui que ce soit. Finalement mon frère m'a, après un mot de ma sœur, proposé de me ramener. J'ai accepté pour la moitié du chemin et j'ai terminé à pied, en ressentant, malgré moi, comme une impression de liberté. J'aime être seul, je crois. Je les aime tous pourtant, je l'ai déjà dit, mais je suis un solitaire. Et ce n'est pas demain que l'on va me changer!

Tout n'est pourtant pas perdu: en écrivant ce billet, j'écoute le CD de chants populaires du Pays Basque que m'a offert ma nièce. Je m'imaginais ce folklore plutôt mélancolique. Il n'en est rien: assez joyeux, du moins ce que j'ai entendu jusque là.

Tombe la neige...

"Tombe la neige, tu ne viendras pas ce soir!", chantait Adamo dans les années soixante (63 précisément, me dit Monsieur Google). Eh bien si, nous y sommes allés. Hier soir, sur le plateau de la Duchère, invités par Gérard et Pierre.

Ce qui me semblait au départ une folie s'est vite transformé en plaisir. Il est vrai que ce n'est pas moi qui conduisais mais Jean-Claude qui avait pris sa propre voiture. Nous voilà donc partis tous les trois, avec Frédéric, direction le 9° arrondissement. Le trajet le plus simple semblait le tunnel de Fourvière puis l'autoroute jusqu'à Dardilly. Oui mais! Autoroute en pire état que les rues de Lyon: on se serait cru sur une piste de ski! J'ai félicité Jean-Claude, avec qui je me sens en pleine confiance, pour sa façon calme et intelligente de conduire. Grâce à lui, j'ai pu rêver, sur le siège arrière, devant les paysages qui défilaient. On a toujours l'impression que les hivers de notre enfance étaient plus neigeux, que le tapis était plus épais autrefois. Hier, rien de cela: j'étais, pour ainsi dire, retombé en enfance.

De la tour panoramique, la vue sur Lyon, la Saône et le quartier de Vaise ressemblait à un décor de carte postale retouchée par les soins de l'éditeur: pas ou peu de circulation, quelques rares isolés qui tentaient tant bien que mal d'avancer en ne dansant pas trop, les lumières du centre de Vaise un peu atténuées par les bourrasques de flocons épais, la tranchée noire de la rivière et, au pied de la tour, les réverbères n'éclairant que du vide blanc, confondant trottoirs, chaussées et jardins publics.

Pour rentrer, nous avons délaissé l'autoroute pour traverser Vaise. La descente fut lente et prudente, mais finalement pas si difficile que ça. A l'entrée du tunnel de la Croix-Rousse, d'énormes stalactites pendaient, menaçant les rares véhicules qui s'y aventuraient. Ce n'est pas hier soir que les radars qui y sont installés ont dû faire recette.

La fin du trajet se fit à pied, Jean-Claude nous ayant déposés, Frédéric et moi, à l'angle de La Fayette et de Garibaldi. Dix minutes de marche dans une neige déjà tassée. Quelques noctambules croisés et qui nous souriaient (ça fait toujours ça, la neige) et l'impression de résonance que prend la voix dans ces rues désertes de véhicules. Avant de rentrer chez moi, je suis allé voir le mien. Je l'ai trouvé, me souvenant où je l'avais garé, mais il n'avait plus rien d'une voiture, plutôt d'un monstre blanc accroupi et momentanément assoupi sous le poids de la neige. J'aime ces temps extrêmes. J'aime que l'hiver ait vraiment l'air d'un hiver. Comme dans mes souvenirs d'enfance. Si ça continue, je me rachète une luge!!!

vendredi 8 janvier 2010

Une photo

Une photo retrouvée. Donnée par Georges. Juin 1996, chez Kicou. Dans la cave voûtée du XVI° siècle. Au fond, on aperçoit, à l'extrémité de la lumière du flash, la porte qui ouvre sur le jardin. Il fait nuit. Quatre amis assis. Je sais que c'était sur un banc, mais on ne le voit pas. Une cinquième personne est coupée par le bord de la photographie: c'est Hélène, en pull blanc, le visage tendu, inquiet, comme souvent. Elle sert les bras autour de son torse.

A l'autre extrémité de la photo, presque dans l'ombre lui aussi, Nicolas. Il semble bronzé ou bien avait-il déjà suffisamment bu pour que l'alcool enflamme son visage. Il fixe, interrogateur, quelqu'un que l'on ne voit pas et la mimique de ses lèvres fait supposer qu'il s'apprête à répondre. A l'époque, il n'avait pas encore grossi.

Près de lui, sur sa droite, Isabelle, en pull blanc également. Ce devait être un mois de Juin un peu frais. Elle a le visage projeté en avant, le regard fasciné par ce qu'elle voit. Elle est bien peignée, comme toujours. Sa main gauche, handicapée, repose sur son giron. De l'autre, la droite, n'apparaissent que deux doigts, l'index et le majeur, écartés comme pour reproduire le signe de la victoire. Derrière son extrême concentration, on sent tout un monde intérieur, peut-être de souffrance, peut-être d'exaltation, un univers violent et rentré.

Près d'Hélène, sur la gauche du cliché, Kieran, un ami anglais de l'époque, qui se révéla, au fil du temps un profiteur toujours près à vider le réfrigérateur des bières entreposées quand il venait suivre sur mon téléviseur les matchs du tournoi des cinq nations. Parfois aussi, il fallait lui prêter de l'argent. Je n'ai jamais pu récupérer la totalité de ce qu'il me doit. C'est le seul qui ait disparu de mon horizon. Habillé de noir, comme toujours, le bouc bien taillé, les avant-bras découverts et croisés l'un sur l'autre, il semble m'observer avec attention.

Tous ont un air sérieux, attentifs, concentrés. Le buste d'enfant joufflu en plâtre qui décore la niche derrière nous (le père de Kicou était professeur aux beaux-Arts) esquisse un vague sourire très "jocondien". Le seul à vraiment sourire grandement, c'est moi. Moi de l'époque, un autre moi. J'avais les cheveux mi-courts et à la teinte brune apparemment unifiée par des moyens artificiels: si je laissais apparaître mes cheveux blancs, déjà très nombreux sur les tempes, et uniquement là, j'avais l'air d'un caniche. Je trichais donc un peu. Depuis, la neige s'est installée uniformément et je ne trouve pas que ce soit si laid que cela.

Je porte le même type de lunettes qu'aujourd'hui, rectangulaires, à la monture en acier. Le sweet dont j'ai moi aussi remonté les manches jusqu'aux coudes (je ne supporte pas le contact des vêtements sur les avant-bras), je l'ai encore, pour faire des travaux. Je ne le porte plus à l'extérieur. Je tends la main en avant, en signe de bienvenue, comme si je voulais y serrer celle de quelqu'un d'autre. La lumière du flash fait ressortir la pilosité de mes bras que je ne pensais pas si importante. Mais c'est mon visage, surtout, que je reconnais sans le reconnaître.

J'avais quarante-quatre ans. Je souriais (à qui ? Sans doute à Pierre). Le sourire amplifiait mes fossettes et accentuait la proéminence de mon menton. Je parais bronzé, moi aussi. J'ai bonne mine. Je me plais, ce qui est rare. Sans doute, devant une situation problématique que les autres semblent redouter si l'on en croit leurs expressions, ai-je comme d'habitude réagi en faisant le clown, en détournant ainsi le mauvais ange qui passait, en prenant sur moi de paraître idiot plutôt que triste.

J'ai l'air heureux ce soir-là. Je l'étais, sans doute. Six ans plus tard, au même endroit, nous fêtions mes cinquante ans. Nous venions d'apprendre le cancer de Pierre. Il avait fallu toute la persuasion et la tendresse de Kicou pour me convaincre d'accepter de réunir une vingtaine d'amis choisis.

J'aime cette photo parce que j'y suis détendu, parce qu'elle me rappelle une période avec ces soucis, certes, mais encore inconsciente des maux à venir. Aujourd'hui, j'ai retrouvé la joie de vivre. Mais sais-je encore sourire comme ça?

jeudi 7 janvier 2010

Logique et anachronisme

Nouvelles des sixièmes:

Hier, nous avons avec eux commencé l'étude d'un conte créole de la Guadeloupe intitulé Lapin ki vlé mandé Bondyé tiboin lèspri, autrement dit Le Lapin qui voulait demander au bon Dieu plus d'intelligence. Après une séquence consacrée au conte traditionnel de nos contrées (Andersen, Grimm, Perrault), nous partons un peu plus loin, vers des horizons moins connus, pour en découvrir les traditions orales ou écrites.

Au début de ce conte, le fameux lapin monte à l'échelle jusqu'à Dieu et lui fait part de sa requête. Un peu surpris, puisque l'animal est déjà doué de beaucoup d'esprit, Dieu finit cependant par accepter mais le lapin devra rapporter de la terre, et ce dans les huit jours, une dent de chèvre, des poils de cochon marron, du lait de vache sauvage, une crotte de tigre, tout ceci réuni dans une petit noix de coco où il aura d'abord fait entrer une couleuvre et ses sept petits. Rien, là dedans, qui ne paraisse totalement naturel aux cerveaux de ces charmants bambins. Partis dans la fiction, ils abandonnent très vite leur logique naissante et replonge dans le monde imaginaire de leur petite enfance. L'un d'entre eux, pourtant, hier, a résisté à la pente naturelle. "Mais, M'sieur, qu'est-ce qu'il va bien pouvoir en faire, Dieu, de toutes ces cochonneries?"

Ainsi donc monter tous les échelons d'une grande échelle pour arriver jusqu'à Dieu, même si l'on n'est qu'un vulgaire lapin, lui parler face à face, cela semble bien normal. Mais que Dieu, qui peut tout avoir sans rien faire, demande au lapin de lui rapporter toutes ces babioles, là non! Lorsque je leur raconte, à une autre période de l'année, l'épisode mythologique de Zeus faisant recracher à son père Chronos ses cinq frères et sœurs qu'il ramène ainsi à la vie, cela ne les surprend pas. Mais ce qui leur semble tout de même un peu bizarre, c'est qu'il ne les ai pas mâché pour les avaler! Moi, chaque fois, je suis ravi de leurs trouvailles qui me font bien rire. C'est qu'ils ont les pieds sur terre, ces petits!

Nouvelles des cinquièmes:

Je remettais ce matin en place quelques repères historiques avant d'aborder la littérature courtoise du Moyen Age et fus donc amené tout naturellement à parler un peu de la Renaissance. Savez-vous quel peintre italien, selon eux, est revenu en France dans les bagages de François Ier et s'y est installé à Amboise jusqu'à sa mort? Rien de plus simple: Picasso, bien sûr. Là, je ne sais pas pourquoi, je trouve cela nettement moins drôle. Au fait, Guernica, c'est bien 1515, n'est-ce pas?

mercredi 6 janvier 2010

Recherches

Même si je lui suis parfois moins fidèle que dans ses débuts, venir ici sur mon blog m'apaise immédiatement. Lire celui des autres aussi, d'ailleurs. Être sûr de retrouver ceux que l'on croit connaître. C'est bien le diable si l'un d'entre eux, et souvent davantage, n'a pas écrit un mot, une histoire, manifesté son humeur, partagé son bonheur ou ses plaisirs.

Je me sens vite bien devant cet écran, même si la journée fut pénible. Et aujourd'hui est sans doute à classer en tête de peloton des jours crispants. Pourtant tout avait bien commencé: exceptionnellement, mon premier cours n'était qu'à dix heures. Tout le temps donc de prendre le métro puis le bus et, étant en avance d'une demi-heure, de profiter du soleil qui était apparu et faisait étinceler le paysage de neige. Des cours sans accrochage, des élèves plutôt motivés avec une mention spéciale pour les sixièmes dont les questions naïves me réjouissent toujours.

A midi, une collègue qui devait me déposer au métro me dit que, finalement, elle a décidé d'aller faire des courses à la Part-Dieu (soldes? déjà?) et qu'elle peut me déposer presque au pied de mon immeuble. Repas simple et rapide avec J. Il me raconte Avatars. Je lui raconte Philoctète. Après-midi à corriger des copies (plutôt bonnes) avec une petite coupure sieste la tête appuyée sur les avant-bras et le tout sur le bureau.

Mais une petite graine avait été semée le matin sur ma messagerie de portable: le garage chez qui j'ai déposé lundi ma voiture pour réparation (et qui devait initialement me la restituer dans les 24 heures, puis dans les 48, "-Vous comprenez, avec ce temps, la peinture ne sèche pas aussi facilement, etc, etc.) me prévient que le devis établi par leurs soins et envoyé à mon assurance est faux du fait d'une erreur dans le code du rétroviseur: celui qu'il me faut coûte 40 Euros plus cher. Que faut-il faire? Comme si je pouvais me passer longtemps de rétroviseur, même s'il s'agit de celui côté passager! J'en déduis cependant que rien n'a été fait sur ce point.

Téléphone à mon assurance. Ils sont d'accord. Téléphone au garage: ils vont commander le bon. Je leur demande alors de pouvoir récupérer mon véhicule: je dois impérativement aller au repas de ma mère ce soir (hier, ma sœur a eu la gentillesse de me remplacer) et il me faut ma voiture (mon nouvel abonnement d'un an à vélov n'étant pas encore arrivé). Au garage, j'apprends que le rétroviseur ad hoc sera là sans doute demain mais que pour la vitre de la portière, "ils vont faire des RECHERCHES"!

Là, la moutarde m'est montée au nez. D'une part, le garage sait qu'il doit procéder à cette réparation depuis trois semaines environ. Pourquoi n'ont-ils pas fait le nécessaire plus tôt? D'autre part, mon modèle a tout au plus cinq ans: on ne va pas me dire que retrouver une vitre de portière demande des "RECHERCHES" chez Renault comme s'il s'agissait de fouilles archéologiques? Enfin, j'aime très peu la méthode employée par ces gens-là pour m'annoncer les ennuis au compte-gouttes, les uns après les autres. Le garagiste se réfugie derrière le fait que Renault dépend pour ce genre de choses de sous-traitants qui, bien souvent, ont mis aujourd'hui la clé sous la porte. A quoi je réplique que d'une part, Renault n'a qu'à assumer ses responsabilités vis à vis d'une part de ses clients et d'autre part de ses sous-traitants en les soutenant en période difficile. La chose qu'ils savent le mieux faire, c'est inonder votre boîte à lettres de publicité et polluer votre portable de leurs sms incessants.

Ainsi donc, récupérer une vitre de portière d'un modèle récent peut aujourd'hui nécessiter jusqu'à trois semaines. Le garagiste s'enfonce encore davantage dans mon estime en me disant que, bien sûr, il n'ajoutera pas de coût de main-d'œuvre supplémentaire (trop gentil à lui) mais qu'en revanche il ne reviendrait pas deux fois sur les travaux, ce qui veut dire que le rétroviseur ne serait changé qu'en même temps que la vitre. Je lui ai poliment (je crois) fait savoir qu'il n'en était pas question et que je ne saurais circuler plus longtemps sans le rétroviseur d'appoint. Affaire à suivre.

Destination suivante: ma mère. Une apothéose! Impossible de comprendre la moitié de ce qu'elle me dit, tant son langage est confus. Grande scène d'hystérie au moment du coucher, d'une intensité jamais égalée. J'ai compris ce soir les gens qui tuent dans un moment d'exaspération. La situation est insupportable, d'une part en tant que telle parce que la confusion et l'agitation ne sont jamais faciles à gérer, surtout pour des non professionnels, d'autre part parce que cette boule de nerfs qui délire devant vous, c'est votre mère, enfin ce qu'il en reste.

Je suis rentré en essayant de me calmer et de ne pas insulter tous les automobilistes qui ne roulaient pas assez vite ou ne savaient pas où ils allaient. Je n'y ai pas toujours réussi. Et puis, après le repas, j'ai fermé les volets, allumé la lampe du bureau et mis en marche la machine à redonner du calme. Encore une fois, c'était la bonne solution.

mardi 5 janvier 2010

Philoctète

Hier soir, retrouvailles avec le TNP à Villeurbanne. Depuis combien d'années n'y avais-je plus mis les pieds? J'avais arrêté d'y prendre un abonnement, saturé de théâtre allemand d'avant-garde, de snobs insignifiants et de la quantité pléthorique d'enseignants dans la salle. J'avais parfois l'impression de me retrouver au boulot, dans tout ce que je n'y apprécie pas.

La grande salle du bâtiment principal étant en travaux pour longtemps encore, c'est dans la petite salle de la rue Louis Becker que se donnait Philoctète, de Jean-Pierre Siméon, "variation à partir de Sophocle". Je me souvenais un peu de cette pièce du tragique grec que j'avais étudiée à l'université. J'en avais vaguement retenu l'argument: Philoctète, prince grec embarqué avec Ulysse pour combattre les Troyens, se voit abandonné par celui-ci sur une île déserte, Lemnos, à cause de l'odeur épouvantable que dégage la blessure putride qu'il s'est faite accidentellement au pied.

On n'aurait sans doute plus entendu parlé de lui s'il ne possédait l'arc et les flèches d'Héraklès dont le pouvoir divin était le seul, selon les oracles, à pouvoir venir à bout des remparts de la ville ennemie. Ulysse, toute honte bue, est contraint de revenir à Lemnos pour récupérer par la ruse l'arme précieuse qu'il donnera à Néoptolème, fils d'Achille, en qui le devin voit l'auteur de la chute de Troie.

Siméon a, grosso modo, gardé la même intrigue, montrant le roi d'Ithaque perfide et roué à souhait, un Néoptolème plus hésitant que son aîné et interrogeant sans cesse sa conscience tourmentée, un Philoctète enfin à la fois émouvant de par son châtiment immérité, sa solitude infinie (un moment magnifique que celui où, rencontrant de jeunes soldats grecs, il leur demande de parler encore, de poursuivre pour que lui puisse s'enivrer de ces sons qu'il n'a plus entendus depuis si longtemps: la musique d'une voix humaine) et admirable de détermination nourrie de sa haine des grecs.

Laurent Terzieff, dans le rôle de Philoctète, est fantastique. Squelettique, le teint cireux, presque vert, il traîne sa vieillesse comme un poids et soudain se redresse et se tient droit, hiératique, face à son destin et à ceux qui veulent le contraindre. L'acteur est totalement habité par son personnage et s'élève à cent coudées des autres comédiens, très jeunes pour la plupart, tous bons mais à qui il manque encore la patine du temps pour qu'on oublie en les écoutant qu'ils sont des rôles de fiction et que l'on voit en eux l'homme qu'ils interprètent.

Je me suis surpris plusieurs fois, dans la soirée, à me demander comment l'on pouvait à ce point faire croire que l'on était un autre, sans efforts, sans effets apparents, comme si l'on était bien sur une île grecque dont le seul paysage est un rocher brûlé de soleil et le seul habitant un vieillard fatigué mais digne, détruit par sa douleur physique et les réactions de répulsion que produit l'odeur de sa blessure. J'ai même pardonné à Terzieff quelques défauts d'articulation, parfois, qui rendaient encore plus crédibles, finalement, les élancements de sa souffrance.

La mise en scène très dépouillée de Christian Schiaretti fut une autre source de plaisir dans cette soirée partagée avec Frédéric qui s'était chargé de prendre les places et est ressorti aussi charmé que moi de ce qu'il venait de voir. Un grand rideau métallique barre la scène et la réduit à un espace restreint inondé de lumière: de ce côté-ci, les pentes arides du rocher perdu en mer, de l'autre, dans l'ombre, l'antre de Philoctète, la tanière de la bête puante, son voile et sa sécurité. Parfois, le rideau se soulève un peu, pour laisser passer le vieillard, pour permettre qu'apparaisse, auréolé d'un léger halo de lumière, le casque de guerrier du héros, à jamais posé sur le sol, inutile.

Alors, pourquoi, à la fin, briser le poids de la tragédie, du fatum antique, en modifiant la conclusion de la pièce? Chez Sophocle, il me semble me souvenir qu'une fois Ulysse parvenu à ses fins, il repart pour Troie, abandonnant cette fois-ci définitivement Philoctète sur son rocher, le condamnant à une mort solitaire, dépouille déchiquetée par les rapaces puis séchée au soleil implacable.

Siméon, lui, a recours, au stratagème éculé du "deus ex machina", (le dieu qui sort de la machine théâtrale pour dénouer une intrigue trop embrouillée): les protagonistes ne parvenant pas à se mettre d'accord, Héraclès en personne apparait pour indiquer clairement les intentions de l'Olympe. Philoctète doit se rendre à Troie sur les bateaux d'Ulysse, celui qui l'a trompé autrefois, et, en compagnie de Néoptolème, participer à la bataille qui verra la ruine de l'opulente cité. Tous se plient à ses ordres et Philoctète, en guise d'adieu à Lemnos, salue une dernière fois la source claire qui fut sa seule compagne de solitude. Le procédé, un peu grossier à mon avis et surtout contraire au mouvement de la pièce, est rendu cependant acceptable par une astuce de mise en scène que, personnellement, j'ai trouvée très belle.



Place Lazare Goujon, quand nous sommes sortis du théâtre, il faisait très froid, insolite contraste avec l'évocation de l'île déserte, mais j'ai bien vite retrouvé mes esprits pour quelques photos nocturnes enneigées. Pendant que je les prenais, Frédéric, lui, semblait encore rêver, bercé par le chant de la mer sur un rivage méditerranéen.

lundi 4 janvier 2010

Neige

On nous avait bien prévenus à la radio: alerte orange. Il faisait froid, j'ai fermé mes volets tôt et je n'ai rien vu. Ce matin, même avis de neige sur Rhône-Alpes. Mais Rhône-Alpes, c'est grand et puis, il y a les Alpes dedans et il est plutôt normal qu'il neige dans les Alpes en ce moment. Pour nous, ce sera comme d'habitude: rien!


Eh bien, je me trompais et j'ai réalisé mon erreur ce matin en ouvrant les volets: dix bons centimètres, à mon avis, et qui tient bien. Elle est encore là à l'heure où j'écris et il en tombe toujours. Mais pas de panique: direction métro. Ensuite je prendrai la ficelle. Sauf que j'avais complètement oublié que le funiculaire de Saint-Just est arrêté pour quatre à cinq mois pour révision et entretien, comme tous les dix ans. Je le savais pourtant. Alors téléphone: "Allo, Agnès, toi qui as l'habitude, quel bus faut-il prendre? Aller jusqu'à Perrache? Il n'y a rien sur Bellecour? Le 29 ou le 30! Merci Agnès, à tout à l'heure (le plus tôt possible).

Heureusement, je m'y étais pris tôt. A pied, moitié glissant moitié nageant sur les trottoirs presqu'encore vierges. Mais où se nichent les arrêts des 29 et 30? C'est là que je comprends ce que vivent ceux qui prennent les transports en commun tous les jours! Un 30, et qui m'ouvre ses portes! j'ai de la chance. La conductrice, d'un air un peu sévère, me précise que le trajet habituel a été légèrement changé, pour cause d'intempéries (ah bon! je n'avais pas remarqué! Et pourquoi toujours tous ces grands mots aseptisés?). Encore un coup de chance pour moi: le nouvel itinéraire provisoire passe beaucoup plus près du collège. Résultat: à peine cinq minutes de retard! C'est pas beau, ça!



Cet après-midi, je suis revenu à pied du travail. Grand froid et flocons glacés sur le visage mais beauté de la ville emmaillotée comme rarement. Un petit rayon de soleil par dessus et c'aurait été la perfection, autant pour le nez que pour les photos. Mais je crois que j'aime cette ville sous tous les temps.

dimanche 3 janvier 2010

Ça commence bien!

Deux infos entendues ces deux derniers jours. L'une qui me comble de joie, l'autre qui me hérisse. C'est ça, la vie. Ce sera ça, l'année.

1ere information: Pendant la course automobile du Dakar qui, comme son nom l'indique se déroule en Amérique du Sud, une jeune femme de 28 ans a été tuée par le véhicule d'un équipage germano-suisse lors d'une sortie de route de ce véhicule en Argentine. Les organisateurs ont tout de suite précisé que l'accident avait eu lieu en dehors de l'une des cinq zones sécurisées pour les spectateurs. Nous voilà rassurés! En somme, c'est de sa faute si elle est morte. Et que la course continue! Une question que je pose, comme ça: comment vont le pilote et le co pilote? J'espère qu'un excès de mal être et de culpabilité ne les empêche pas de poursuivre la compétition! Ce serait dommage pour eux tout de même!

2eme information: une famille ukrainienne en situation irrégulière (sans papiers) est menacée d'expulsion dans le village de Haute-Loire du Fay-sur-Lignon. Le père est chef de chœur de la chorale du Mazet-Saint-Voy, commune toute proche, et la mère professeur de guitare dans les villages alentours. Des enfants mais pas de papiers. Dehors donc, malgré une intégration parfaite. Alors les habitants se sont mobilisés et ont caché la famille en danger. Désobéissance civique, je crois que ça s'appelle. Et les bougres n'en sont pas à leur coup d'essai: pendant la deuxième guerre mondiale, ils ont caché et ainsi sauvé plusieurs centaines de juifs sans cela destinés à partir en fumée plus loin, vers l'est. Je crois même savoir que le village de Fay-sur-Lignon s'appelle le Village des Justes, ou quelque chose comme ça. Mais bien sûr, cela n'a rien à voir!

Fin de Biennale

Samedi, avec Jean-Claude, visite des deux derniers sites de la Biennale: la Fondation Bullukian, place Bellecour, et l'Entrepôt Bichat, dans la rue du même nom, entre la gare de Perrache et la Patinoire Charlemagne.

J'ai regretté de l'avoir entraîné dans cette galère, sauf pour le bénéfice d'une excellente et longue marche à pieds. En effet, ce que nous avions vu avec J. au MAC et à la Sucrière était d'un niveau cent fois meilleur et j'aurais tout à fait pu m'abstenir de terminer la visite des lieux d'exposition.

La Fondation Bullukian donnait à voir, dans ses locaux, des dessins pris lors des luttes des sans papiers à Paris: pourquoi pas! mais coloris ternes et impression de répétition à l'infini. Nous sommes restés à peu près cinq minutes. Dans le jardin, une construction en bois de deux ou trois étages dans laquelle on peut entrer et qui ne sait si elle est plus inutile que laide ou l'inverse. J'ai cru retrouver une des cabanes que nous construisions quand nous étions enfants, avec mon frère et des voisins, mais sans la magie de cet âge-là.

L'Entrepôt Bichat se mérite: il faut déjà le trouver et la rue qui l'abrite est si insignifiante que nous l'avions zappée, Jean-Claude et moi, au premier passage. Ancien édifice industriel en friche, il m'a, lui, rappelé les vestiges des mines où nous jouions aussi avec mon frère en cachette de ma mère qui nous l'interdisait pour le danger que cela pouvait représenter. Je n'ai pas vraiment décelé quelle était l'intention de l'auteur, quel était le sens qu'il mettait à son œuvre mais je n'ai pas été rebuté par cet espace créé et morcelé à la fois par des néons industriels suspendus ou tombant jusqu'au sol. Intéressant sans doute mais pas vraiment indispensable.

Le temps de montrer à J-C combien ce quartier où il n'était pas revenu depuis longtemps avait changé, de visiter l'église Sainte-Blandine dont je ne connaissais pas l'intérieur, et nous sommes repassés de l'autre côté des voûtes, dans les rues de la Presqu'île où le vent du nord semblait (?) moins glacial. Rentré chez moi, j'ai préparé le repas du soir, au cours duquel J-C, Frédéric et moi, nous avons échangé nos cadeaux respectifs. Maintenant, je le souhaite en tout cas, les agapes de fin d'année sont terminées. D'ailleurs demain, c'est cantine!