jeudi 13 mai 2010

Une petite musique d'ennuis

La soirée se termine. On va annoncer le nom de celui qui "ne poursuivra pas l'aventure", celui qui jamais ne sera La Nouvelle Étoile. Les candidats se pressent sur le plateau surilluminé, se tenant par la main comme des collégiens qu'ils ne sont pas loin d'être pour certains.

Maître Dutruc apporte l'enveloppe cachetée d'où sortira la décision prise par les spectateurs qui se sont donné la peine de téléphoner pour voter (j'aimerais bien connaître leur âge, à ceux-là aussi!). L'animatrice s'en saisit comme si elle venait de prendre en main le Saint Graal ou quelque chose d'approchant. Elle regarde droit dans les yeux la caméra en face d'elle pendant que commence la musique lancinante qui ne cessera qu'à la révélation finale.

En général, c'est là que se glisse un petit accroc dans la mise en scène parfaite de cette tragédie moderne: l'enveloppe refuse de s'ouvrir gentiment comme elle est censée le faire. Quelqu'un, Maître Dutruc, lui vient obligeamment en aide, ou bien, s'il est déjà reparti chez lui (et on peut le comprendre), elle est obligée de lâcher un instant son micro pour se servir de ses deux mains. La musique continue, imperturbablement.

Un à un, les candidats repêchés, ceux qui seront encore là la semaine suivante, s'effondrent à l'annonce de leur nom: l'émotion est trop intense, sans doute. Les autres soutiennent l'heureux élu, l'entourent, l'embrassent, le félicitent. On est entre amis, entre frères, du moins pour l'instant. Quand il n'en reste plus que trois à attendre le verdict, les visages se tendent, les mains se tordent, les jambes s'agitent. Deux, et la musique est toujours là. On a même l'impression qu'on en a augmenté le volume, pour bien faire sentir l'extrême gravité du moment: qui des deux derniers sera sauvé, qui sera éliminé: sera-ce Berthe-Éva, d'habitude si bonne mais qui, elle le dit elle-même, a réalisé une contre-performance ce soir en chantant une chanson de Jacques Brel, ce qui, visiblement n'est pas son répertoire? Sera-ce Jean-Ludovic, qui, à chaque émission, fait se pâmer les filles du public de Talbart et sans doute les minettes devant leur téléviseur, lui à qui l'on ne demande pas vraiment de chanter, puisque visiblement il n'en est pas capable, mais simplement d'apparaître dans ses jeans tombants, ses chemisettes trop courtes qui laissent entrevoir son nombril et son ventre plat chaque fois qu'il lève les bras (et il ne s'en prive pas!) et ses joues mal rasées au sombre duvet?

Insoutenable, vous dis-je! La musique? Toujours là bien sûr, omniprésente, fortissimo puisque plus personne ne parle, ni les candidats bien sûr ni la présentatrice trop heureuse de faire durer le suspens en prenant en outre des airs de Phèdre venant avouer sa passion coupable à Thésée. Enfin là, c'est moi qui imagine, parce que Phèdre, je ne suis pas sûr que la présentatrice la connaisse. Phèdre du Liban, peut-être?

Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la suite: vous la trouverez dans n'importe quel magazine de télévision dans les prochains jours ( même Télérama?). Mais tout de même: un dernier mot. Cette musique qui, pendant près de dix minutes, vous casse les oreilles ou vous fait battre plus vite le cœur, c'est selon, ce martèlement de sons quasi primitifs qui me rappelle un peu les rythmes d'un tamtam, on ne la trouve pas que dans ce genre d'émissions grand public de fin de semaine.

Ce matin, en me réveillant tard (oui, hier soir, c'était l'anniversaire d'une de mes amies), je l'ai entendue, presque identique, en fond sonore moins audible mais tout aussi obsédant (je l'ai davantage remarquée aujourd'hui parce que j'avais un peu mal à la tête) aux informations de dix heures de France Inter. Là aussi, on racole, on dramatise, on excite les nerfs des auditeurs pour sembler plus sérieux, plus profonds, plus professionnels. Et c'est la même chose sur toutes les radios: musique et timbre de voix, intonations et flexions, modulations et rythme, sont devenus plus importants que les nouvelles annoncées proprement dites. On se moque de ce que l'on dit pourvu qu'on le dise bien. C'est à se tordre quand le journaliste de service, emporté par son élan, oublie de changer de ton et nous annonce une catastrophe aérienne très meurtrière de la même façon qu'il vient de présenter la victoire d'une équipe de football française sur ces enfoirés (transcription de l'auteur) d'étrangers!

Allez, roulez, tambours!

6 commentaires:

KarregWenn a dit…

"Phèdre du Liban" ha ha ha ! Il est tout juste 7 h du matin et je me gondole. Merci Calyste !

christophe a dit…

Ah les Phèdres du Liban !
Panem et circances et... cedrus !

Lancelot a dit…

Moi c'est de l'illustration que je raffole : GENIAL ! On ne pouvait pas trouver mieux ! Bravo bravissimo ! :-)

Calyste a dit…

Ben oui, quoi, je suis très drôle, très perspicace et très bon photographe! Vous en doutiez?....

Cornus a dit…

Ne pas compter sur toi pour raconter la suite ? Pourtant on attendait que ça.
Tu as raison, les journalistes de France inter sont de plus en plus nombreux à m'énerver, avec les trucs insignifiants qu'ils montent en épingle. Quand je serai prédident, je ferai interdire le foot !

Calyste a dit…

Alors là, je vote pour toi, Cornus!