mercredi 9 septembre 2009

Impostures

Lorsque je vois que, chaque jour, une soixantaine de personnes viennent sur mon blog, que sur ce nombre une bonne quarantaine y arrive volontairement, après avoir tapé mon adresse ou l'avoir sélectionnée dans leur marque-page, je suis ébaubi (j'aime bien aussi ce vieux mot peu employé qui, pour moi, crée l'image d'une certaine expression du visage).

J'en éprouve aussi beaucoup de fierté et de satisfaction mais tout cela ne m'empêche pas de me poser de plus en plus souvent une question lancinante: ne suis-je pas un imposteur? Ou, plus justement, l'écriture n'est-elle pas une imposture?

Il y a différentes sortes de blogs. Je pense que l'on peut mettre le mien dans la catégorie approximative des journaux intimes, sans pour autant qu'il ne soit que cela. Cette intimité que je livre ici est-elle ma véritable intimité? Est-ce que, volontairement ou non, je ne trie pas dans les souvenirs, dans les événements, dans les personnes évoquées pour ne présenter qu'un aspect de la réalité, soit parce qu'il y en moi des zones que je préfère laisser dans l'ombre, ou préserver tout à moi, soit parce que je garde en tête, même sans le vouloir, les lecteurs potentiels dont je connais certains, toujours plus nombreux?

En fait la censure ne me pèse pas car je ne la manie jamais à dessein. Je veux dire par là que le fait de savoir que tel ou tel va lire ce que je mets dans le billet ne me gêne absolument pas, puisque je n'y pense jamais en écrivant et que, le billet terminé, les corrections que je fais sont d'ordre uniquement syntaxique, lexical ou orthographique. Peut-être mon tempérament profond est-il suffisamment impudique pour me faire éviter cet écueil.

Quand je parle d'imposture, ce n'est donc pas cela que j'évoque, ce n'est pas de la mise en place du processus de communication mais de la communication elle-même. La première séquence de cours de l'année avec les sixièmes porte justement sur la communication, le schéma à mettre en place pour qu'elle s'établisse et le ou les codes nécessaires à son fonctionnement. Cela est bel et bon mais ce stade pour moi est dépassé quand j'écris. Par imposture, j'évoque plutôt les mots choisis, le balancement des phrases adopté, leur rythme sélectionné, ici aussi consciemment ou pas (mais le plus souvent consciemment), l'atmosphère créée volontairement.

Ne peut-on pas mener le lecteur exactement où l'on veut? Je le pense. Cela ne m'embarrasse pas pour une œuvre de fiction. J'aime même cet aspect des romans et m'y prête volontiers. Mais pour ce qui ne se veut pas de la fiction? Le style, le vocabulaire sont-ils neutres? Et s'ils ne le sont pas, ce que je pense, alors y a-t-il imposture? En même temps, je suis certain que la pensée intime demande, pour être communiquée à autrui, un emballage particulier, qui peut différer selon les jours, l'humeur ou le contenu. Raconter un souvenir, évoquer un état d'esprit ou une émotion ne peut se faire en employant la phrase sèche et cartésienne des comptes rendus d'expériences scientifiques. Il me semble même que, parfois, l'emploi d'un néologisme ou d'une tournure volontairement incorrecte peut aider à la transmission du message.

En fait, je n'aime pas ce mot de "message". Lorsque nous écrivons, y a-t-il message? Ce qui revient à se demander pour qui l'on écrit. Personnellement, je pense que ceux qui disent qu'ils écrivent pour eux-mêmes se leurrent: on écrit forcément pour les autres, même si l'on a besoin de se le cacher à soi-même pour pouvoir écrire. Le cahier intime, bien caché au fond d'un tiroir de commode fermé à clé ne demande qu'à être découvert et son intimité violée. Ce viol, s'il n'est pas à l'origine d'une catastrophe, permet souvent la mise en place d'un autre type de relation entre les deux personnes. Se dire amène l'autre à se dire aussi et à se découvrir proche de l'autre, proches des autres.

Je suis en train de perdre le fil de ce que je voulais dire. L'imposture serait moindre si, en plus des mots, l'on avait les bruits, les sons, la musique, l'environnement, le paysage. Je sais que l'on est en train de travailler à ce genre de livre avec possibilité de musique, par exemple, en interaction avec son téléphone. La radio en a parlé à midi: lorsque, dans le livre, apparaissait l'évocation de l'opéra de Mozart Don Juan, le téléphone vous accordait, via internet, trente secondes extraites de cet opéra. Quel intérêt? Soit l'on ne connaît pas l'œuvre et il est grand temps d'en écouter plus que quelques secondes, et par un autre biais que son téléphone, soit on la connaît et le souvenir de la musique, du moment précis où on l'a découverte, suffit à recréer l'émotion.

Or la musique des mots, c'est un peu la petite phrase de Vinteuil, chez Proust, que chacun fait sienne au gré de sa volonté ou de son humeur. Au lecteur de se l'approprier, ou pas. Y a-t-il imposture? Pour moi, écrire, c'est un peu comme aller au spectacle: on se dévêt des habits du jour et l'on choisit, au fond de ses placards, un habit digne de l'occasion, un habit que l'on ne prend pas souvent mais qui fera honneur à la soirée. Et l'on sait bien, en recentrant son nœud-papillon ou en fermant un bouton de sa veste que l'homme qui est dessous est le même, qu'il n'a pas changé parce qu'il a changé de tenue, que tout le monde le sait, que tout le monde l'admet, et que tout le monde est heureux de rêver, un instant.

( Pardon pour ces lourdes élucubrations!)

7 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Il me semble, mais je ne suis sûr de rien, que l'on ne s'habille plus vraiment pour aller au spectacle.
Et je crois, mais je ne suis sûr de rien, que la censure n'est pas pensée au sens premier du terme. Elle me semble automatique, presque naturelle, comme si de toutes façons tout ne valait pas d'être écrit et livré. Je ne crois pas que ce soit au niveau des corrections qu'elle intervient.

Kab-Aod a dit…

Quand je monte une vidéo, je me dis clairement que je dois scénariser les rushes sélectionnés. Idem pour l'écriture, dont je m'applique à soigner l'angle de vue ou à trier parmi les informations éloquentes ou inutiles. Mais au final, je mets un point d'honneur à ne pas m'éloigner de ce qui a été vécu de mon point de vue. Pour me sentir imposteur, il faudrait que je me laisse aller à ce quelque chose qui serait de nature mensongère ou trompeuse.
Est-ce vraiment ce "quelque chose-là" que tu ressens quand tu rédiges un billet ?

kranzler a dit…

Ne pas tout dire, Faire le tri, laisser des zones dans l'ombre, quoi de plus normal ?

Lorsque je rédige des billets vécus, je sais bien que c'est moi qui parle, et celui que je montre, tout en étant moi, ce n'est pas complètement moi : c'est une marionette de ventriloque, un double. L'imposture, ce serait de truquer les émotions, et là je te dis non, à mon avis ce n'est pas ce que tu fais.

KarregWenn a dit…

N'est-ce pas aussi le plaisir, le travail et l'enrichissement du lecteur de découvrir peu à peu, en croisant les différentes formes d'expression, un peu comme on utiliserait un jeu d'encastrement, et de voir apparaître doucement une silhouette, qui prend corps, qui se dote d'un regard, qui acquiert une personnalité...Je peux me tromper, mais il me semble que mes séries de photos, mes blagues nulles, mes petits bouts de fictions, mes coups de coeur musicaux, mes réflexions personnelles (de haute volée, bien sûr!) en disent autant sur moi les unes que les autres. C'est aussi comme ça que je lis chez les amis blogueurs? A chaque émotion son langage. Parfois on apprête un peu le costume, parfois on oublie un élément du vêtement, parfois on se dit "allez, à poil !", et on rajoute une tite feuille de vigne...Mais l'homme (ou la femme!!!) est là, de toute façon. Imposture, non je ne crois vraiment pas.

Calyste a dit…

J'ai eu beaucoup de mal à clarifier par les mots ma sensation, qui, pour moi, intérieurement, était pourtant très claire. Je crois que Kranzler est le plus proche de ce que je voulais exprimer. Imposture était sans doute un terme mal choisi, trop fort mais je pense qu'il est impossible de se montrer dans une vérité absolue, que nous biaisons toujours en prenant tel angle de vue plutôt que tel autre, en choisissant ce mot-ci plutôt que celui-là. L'analyse de KarregWenn me séduit aussi beaucoup par son approche en kaléidoscope, donc une image vraie, mais éclatée, morcelée, une sorte de jeu de pistes alors?
Rassure-toi, Kab-Aod, ce n'est pas ce "quelque chose-là" du tout que je ressens. Sinon, j'arrêterais immédiatement d'écrire.
Moi, Olivier, quand je sors, j'aime bien de temps en temps me faire beau, changer de peau, pour me faire plaisir et, j'espère, faire plaisir aux autres. Mais il est vrai que je sors assez peu.

Lancelot a dit…

Mais, Calyste, de toute façon, pour ceux qui te connaissent bien, ou plutôt, pour ceux qui te côtoient depuis longtemps en tant que blogueur, il est bien évident que ces "habits dignes de l'ocasion" (costumes qui varient, d'ailleurs, selon les notes, et cela aussi est plaisant) ne te dissimulent pas vraiment. Ce sont "les habits neufs de l'empereur" (je n'avais jamais oublié !) mais nous avons appris, d'une certaine façon, à t'appréhender. Sous un chapeau, derrière une cravate, à l'abri d'un pardessus. Petit à petit. Chaque accessoire constitue un fragment du blogueur, comme un puzzle au fil des notes. A nous de le reconstituer. Disons, à 90%. Pour les 10% restants, il est heureux, là aussi, qu'onpuisse conserver tous une petite part de mystère.

Calyste a dit…

La cravate, plus que rarement, Lancelot!
Oui, un puzzle ou une image de kaléidoscope qui restitue la réalité mais retravaillée au gré des humeurs, des messages, du temps.