lundi 28 septembre 2009

Matin

Ce matin-là, la radio le réveilla au milieu d'un rêve. Il n'entendit qu'à peine la voix du journaliste qui devait, comme chaque jour, égrener les nouvelles d'ici et de plus loin, qu'à peine aussi la chanson que l'on intercale avant la revue de presse. De cette dernière, rien. Le rêve s'était enfui, il n'en retrouvait pas la moindre trace, même en s'efforçant de garder la même position pour tenter de le faire revenir. Mais la tiédeur de son lit le retenait. La veille au soir, il avait rangé la couverture d'été, trop légère maintenant, et sorti du placard celle de l'hiver, la jaune qui couvre tout le lit et s'en va fondre par terre, des deux côtés. Quand il dormait dans son ancien lit, le petit, elle aurait pu en faire deux fois le tour. Il ne la doublait jamais: elle était trop chaude.

La chaleur de son corps lui faisait du bien et estompait peu à peu des restes de fatigue. Quel jour aujourd'hui? Lundi? Déjà! Il fallait bien se lever mais quelque chose en lui murmurait que la journée serait rude, à cause de lui, parce qu'il n'avait pas envie. Il estima mal la quantité d'eau dans le réservoir de la cafetière, il n'eut qu'un demi bol mais bien serré, ce qu'il aimait. Dehors, il faisait encore nuit, mais quelque chose dans la texture du sombre disait qu'il ferait beau. la météo à la radio le lui confirma.

Il alluma l'ordinateur. Il avait une réponse à donner, à une question qui n'en était pas une, mais il ne la connaissait pas. Il savait simplement qu'il était d'accord avec ce qu'on lui avait écrit. Il rédigea rapidement trois mots. L'autre comprendrait, il le savait.

La douche finit de le réveiller et il se félicita encore une fois de s'être laissé pousser la barbe quelques mois en arrière, ce qui lui évitait chaque matin la corvée détestable du rasoir à passer sur les joues. Il jugea que la tondeuse attendrait bien un autre jour et enfila des vêtements propres, sans trop s'attarder sur le fait que, décidément, depuis qu'il ne pouvait plus faire de sport, il avait passablement grossi.

Lorsqu'il partit à la recherche de sa voiture (chaque matin, il devait se remémorer ses derniers gestes de la veille pour enfin se souvenir de l'endroit où il l'avait garée), il savait pour une fois où elle se trouvait. En arrivant plus tard que de coutume, le soir précédent, il n'avait pu trouver de place dans les rues proches de chez lui. Il avait dû élargir le cercle de ses recherches jusqu'à cette place où il ne se garait jamais: sombre, isolée, refuge des clochards pour la nuit, elle ne lui paraissait pas très sûre. Pourtant sa voiture était toujours là, intacte. Peut-être la présence des SDF dissuadait-elle d'autres individus mal intentionnés de s'adonner à leurs méfaits pendant que le quartier dormait. Les pies, elles, n'avaient pas eu cette délicatesse et le toit, le pare-brise ainsi que la portière côté conducteur avaient largement profité de leurs dons indésirables.

Le jour peu à peu se levait. La promesse de soleil semblait prendre corps. La radio de sa voiture (pas la même que chez lui, plus légère, plus "musique") passait un vieux tube de la fin des années soixante: Venus, des Shocking Blue. De quoi le mettre de bonne humeur. Il monta le son, juste un peu trop fort, tout en souriant au souvenir qui lui revenait: ce 45 tours, un homme le lui avait offert. Ils venaient de faire l'amour sur ce rythme entraînant. Il devait avoir dix-huit ans, l'autre à peine plus. Où était-il, maintenant, ce disque?

Mais la belle matinée qui s'annonçait et la circulation de plus en plus intense pour cause de grèves des transports en commun l'empêchèrent de s'attarder trop longtemps sur les rivages de la nostalgie. Il y eut le flash d'infos et alors qu'on allait annoncer les températures au sud de la Loire, son téléphone portable sonna.

Il n'aimait pas que l'instrument se manifeste alors qu'il était en train de conduire. Il n'aimait pas que l'instrument se manifeste tout court. Surtout de bon matin, comme ça. Qui pouvait avoir quelque chose de si important à lui dire pour l'appeler à 7h30? Il se contorsionna pour tenter de passer une main sous la ceinture jusqu'au fond de sa poche gauche où logeait habituellement le téléphone. Il parvint à s'en emparer probablement très peu de temps avant que la sonnerie (des chants d'oiseaux un peu bizarres. Quels oiseaux?) ne cesse et que celui qui appelait ne soit dirigé sur la messagerie: "Vous êtes bien au...... Je ne peux vous répondre pour l'instant. Laissez-moi un message et je vous rappellerai. Sans doute avec plaisir."

Il était assez content de son enregistrement: totalement classique pour les trois-quarts et puis la petite surprise de la dernière formule, dont beaucoup lui avaient parlé, réagissant au "sans doute" dont certains n'étaient pas sûrs (et avaient raison de l'être). Il aimait insécuriser les gens en face de lui. Pas longtemps, il n'était ni méchant ni sadique. Juste le temps de voir leur regard vaciller, d'entendre leurs mots s'interrompre ou leur voix dérailler imperceptiblement. Rendre les choses moins sûres pour les autres, comme souvent elles l'étaient pour lui. Ensuite, bien sûr, il reprenait son beau masque de clown et offrait son plus beau sourire charmeur. Pour le téléphone, faute de sourire charmeur, il ne laissait jamais trop attendre la réponse.

Il reconnut tout de suite la voix à l'autre bout, malgré les résonances du trafic, d'un côté comme de l'autre. C'était Aurélien, le surveillant qui demandait de l'aide. Il se trouvait près de la gare et n'avait pas de bus pour grimper sur la colline. Rendez-vous fut pris sur le chemin. Ils faillirent se manquer mais, après une manœuvre hasardeuse pour récupérer le jeune homme qui se trouvait trop loin de la voiture, tout rentra dans l'ordre.

Aurélien, il l'aimait bien. Un garçon sérieux, qui n'économisait pas ses efforts, presque toujours souriant et prêt à rendre service. Aimé des élèves aussi, bien qu'il ne leur laisse rien passer. Parfois, comme il faisait ses cours la porte ouverte sur le couloir, il le voyait apparaître un instant dans l'encadrement et, si les élèves étaient penchés sur leur travail, ils échangeaient un sourire ou quelques grimaces destinées à déstabiliser l'autre. Lui adoptait la même tactique aux moments où le surveillant devait avoir l'œil sur l'immense salle d'étude remplie de collégiens de tous âges.

Ils pénétrèrent dans le parc largement avant l'heure de sonnerie. Aurélien devait s'occuper du portail et des arrivées dans le calme, lui avait à photocopier une nouvelle leçon de latin pour les quatrièmes. Alors qu'il traversait la cours, plusieurs élèves qu'il croisa successivement et qui avaient été aussi matinaux que lui le saluèrent et lui souhaitèrent le bonjour.

Il en éprouva une belle joie. Rien ne les y forçait, ils étaient suffisamment nombreux pour ne pas se sentir obligés et pour que leur silence passe inaperçu. Et puis, en aurait-il voulu à l'un quelconque d'entre eux de l'ignorer par timidité ou parce que cet instant leur appartenait encore, qu'ils n'avaient pas totalement endossé leur statut d'écoliers? Non, ils le faisaient gratuitement, par politesse certes, mais aussi parce qu'ils étaient bien dans cette cour, à profiter de l'air encore pur du petit matin et des premiers rayons qui venaient illuminer le vieux cloître, en projetant les arches sur le mur de pierre du grand réfectoire.

Alors il décida que cette journée valait bien un rêve interrompu, que son métier était le plus beau du monde et que ce monde aussi était beau, et il s'élança allégrement dans l'escalier principal, grimpant les marches quatre à quatre, en oubliant totalement son mal au dos chronique.

4 commentaires:

Lancelot a dit…

Il m'arrive, pour jouer, de me dire que c'est la vie qui est un rêve, et que la vérité du réel se situe de l'autre côté du sommeil.

Si on ne s'en rappelle pas au réveil, c'est parce qu'on dort trop profondément en étant éveillé.

Tu as vu comme je dors bien, moi, à l'heure qu'il est ?

Calyste a dit…

Ce billet me tenait à cœur et personne ne l'avait commenté. Je suis heureux que tu sois le premier (et sans doute l'unique)!

Lancelot a dit…

Merci. Pour en revenir à cette "salve de commentaires nocturnes" : c'est la 2° fois que je le fais. L'autre fois, c'était en août. Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois, c'est pour moi un moment de calme très doux. Un peu comme si on se retrouvait toi et moi dans un restaurant, ou un bar, désert, mais à la fois très intime, à discuter, refaire la vie, parler de nos expériences mutuelles, autour d'un verre, ou d'un café, peu importe. J'aime cette sensation. La pratique du 'blog-nocturne'. Juste un battement de vie, comme l'aile d'un oiseau. Et le matin est déjà là, la nuit s'est envolée.

Calyste a dit…

La nuit, tous les chats (prononcer tchat) sont grisants! Je plaisante, mais ce que tu me dis, Lancelot, me touche beaucoup. Merci à toi aussi.