mardi 8 septembre 2009

Un vieil ami

Je n'avais pas vu André depuis une douzaine d'années. A cette époque-là, il était venu assisté à un concert que la chorale d'enfants que j'accompagnais donnait dans une église de Québec. Il devait arriver hier à quatorze heures. A deux heures pile, alors que je descendais ma poubelle, je l'ai vu sur le trottoir chercher mon nom sur l'interphone. Il n'avait pas changé et a été plutôt surpris de mon apparition en chair et en os face à lui alors qu'il venait à peine d'appuyer sur le bouton:
" C'est comme ça ici, tu vois, c'est encore mieux qu'en Amérique!"

Et la conversation s'est ainsi renouée, après douze ans de silence, naturelle, facile, amicale, comme si l'on s'était quitté hier. Après un café, je l'ai emmené à pied d'abord puis en voiture revoir des lieux de Lyon que nous avions fréquentés ou qui avaient particulièrement changé: les berges du Rhône, dans le secteur de la Guillotière, le quartier de la Préfecture où nous habitions, à peine à deux cents mètres l'un de l'autre, la Cité Internationale en prenant le temps de goûter la fraîcheur du parc de la Tête d'Or.

Nous avions beaucoup à nous raconter, à remettre les annales de l'autre à jour sur les événements des familles, des amis, sur la mort de Pierre, sur ses difficultés à lui dans son couple, sur la façon dont nous envisagions l'avenir. J'ai retrouvé André comme je l'ai toujours connu: discret, délicat et plein d'humour. Peut-être cette fois-ci s'est-il confié davantage. J'aime ces vieilles amitiés qui n'ont pas besoin du paraître pour exister, qui persistent et progressent encore malgré les années, malgré l'éloignement.

Rentrés à la maison, nous avons préparé en commun le repas: une salade de tomates, champignons, céleri branche avec huile d'olive, vinaigre balsamique et levure de bière; une quiche lorraine, ma première, où André m'a conseillé de faire revenir les lardons à la poêle auparavant, un peu de fromage et une salade de fruits, le tout arrosé d'un bon Côte du Rhône qu'il avait apporté. Simple mais suffisant pour le soir et prétexte à de nombreux autres sujets de conversation. Je l'ai ensuite reconduit en voiture chez sa sœur après avoir trinqué avec lui d'une bonne gnôle de prune de Haute-Savoie, bouteille rescapée d'une autre époque.

Je l'ai connu au LEP où j'enseignais avant de rejoindre mon collège actuel. Il n'y a fait qu'une courte apparition, deux ans tout au plus, avant de changer de voie, de quitter l'enseignement puis de s'expatrier au Canada. Mais ce court laps de temps a suffi pour établir les bases d'une relation qui dure encore près de trente ans plus tard. Sans pleurer sur les saisons qui passent, nous avons évoqué hier l'atmosphère des années soixante-dix,une vie sociale plus généreuse et ouverte sur l'autre, où l'autre, les autres étaient même indispensables à un véritable épanouissement personnel.

La tendance actuelle à l'individualisme nous attriste tous deux et nous nous sentons souvent en décalage par rapport aux normes d'échange actuelles. En gros, nous sommes toujours très près de ces jeunes adultes qui découvraient le monde, voyaient des frères en leurs prochains, votaient socialistes quand Mitterand nous faisaient rêver et avaient envie, avec ces prochains, de façonner un monde humain et intelligent, un monde où le message chrétien, converti en engagement politique et social, renié parfois mais toujours en arrière-plan inconscient, devenait simplement un message d'humanité.

Je sais qu'André, tôt ou tard, dans les jours qui suivent ou après son retour au Québec, va lire ses lignes. Je veux que tu saches, cher André, que rien n'est factice dans les mots que tu viens de lire, que, si tu n'avais pas l'adresse de ce blog, j'aurais écrit exactement la même chose, que te revoir, et en plus ici, à Lyon, m'a fait un plaisir immense (d'ailleurs tu m'as dit avoir perçu ce plaisir dans ma voix lorsque je t'ai reconnu au téléphone) et que j'espère bien, comme se dessine l'avenir, que nous pourrons continuer à faire quelques pas ensemble. Alors peut-être qu'un jour prochain, sans doute qu'un jour prochain, je verrai, en descendant ma poubelle, une silhouette dans la lumière de la rue que je reconnaîtrai comme étant un peu celle d'un frère. Merci, André, de la joie que tu m'as faite hier.

3 commentaires:

kranzler a dit…

Ben, ca fait déjà pas mal de temps que rien d'inoubliable ne m'est arrivé en sortant les poubelles, veinard que tu es..

Lancelot a dit…

Oui, "veinard" est le mot juste. C'est celui que je voulais employer, Kranzler me l'a piqué au vol.

Sauf que moi je l'aurais mis au pluriel... souvenir brumeux....

Bon, en sortant les poubelles, les choses inoubliables, ça ne marche que pour Calyste. Mais l'autre option, en cherchant des noms sur des sonnettes d'immeuble...? Peut-être que ça peut faire des miracles...? Je vais essayer de sonner partout... Peut-être que....

Calyste a dit…

En même temps, ce n'était pas un hasard: la venue d'André était prévue. Ce qui m'a touché, c'est de le voir par surprise, moi ne m'y attendant pas, lui ne me voyant pas. J'ai ainsi eu le temps du naturel, le sien et le mien, sans la pudeur des retrouvailles face à face qui fait que bien souvent on ne peut se regarder longtemps dans les yeux.