samedi 17 décembre 2011

Un trou dans le mur



La mort aujourd'hui de Césaria Evora, voix chaude du Cap-vert, me remet en tête un souvenir déjà lointain mais qui aurait pu constituer un excellent point final aux billets sur mon père.

Pierre et moi, nous habitions encore dans notre ancien appartement et, après y avoir passé une dizaine d'années sans y engager de travaux de rénovation, par superstition sans doute d'y voir un engagement affectif définitif, nous avions enfin décidé que les vieux murs avaient bigrement besoin d'un rafraîchissement. Les travaux furent donc entrepris, par nos soins, mais Pierre, de par son travail, effectuait de fréquents voyages à l'étranger. Il dut, à ce moment-là, partir quelques jours pour cet archipel atlantique.

Sa chambre restait à faire. Je décidai d'abord de l'attendre pour poursuivre la rénovation. Qu'aurais-je fait, seul, moi qui, selon une légende familiale bien ancrée, ne savais rien réaliser de mes dix doigts? Mais cette verrue dans l'appartement me chagrinait un peu. Le reste étant propre et coquet, cette pièce n'en paraissait que plus dégradée. Un jour, je pris mon courage à deux mains: et si je lui faisais la surprise d'un retour agréable dans une chambre digne de ce nom!

Peinture, papier peint, colle, j'achetai tout cela sans grande difficulté. Vider les meubles ne me parut pas non plus au-dessus de mes forces. Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence; il était temps de commencer le travail véritable. L'arrachage de l'ancien papier peint ne s'avéra pas des plus simples. Combien d'anciens locataires s'étaient contentés de les coller les uns par dessus les autres sans décoller les précédents? J'en comptai au moins trois couches et lorsque la dernière rendit l'âme, un papier épais recouvert d'une sorte de pellicule plastifiée, elle emporta avec elle un petit pan de mur.

Je connus alors un moment de découragement: serais-je capable de boucher convenablement ce trou? Et puis l'amour-propre eut le dessus, et, bientôt, à l'endroit dégradé, le mur redevint aussi lisse que partout ailleurs dans la pièce. Ce ne fut pas pour moi un mince bonheur. Mes doigts m'avaient obéi mieux que je n'aurais espéré. La suite ne fut qu'un jeu d'enfant et, lorsque Pierre rentra, il n'eut plus qu'à poser ses valises sur un lit remis en place dans un décor flambant neuf.

Personne, sauf lui, ne sut que, sous la nouvelle tapisserie, hermétiquement enfoui sous une couche de plâtre, j'avais emprisonné un de mes plus vieux complexes enfantins.

4 commentaires:

Cornus a dit…

Tiens tiens, les 3 épaisseurs de papier pient à arracher, cela me rappelle des souvenirs dans notre maison actuelle. Et si nous n'avions que ça comme difficulté, ce ne serait rien.

J'ai eu la chance avec mon père de bricoler à de multiples reprises. Je ne suis pas adroit, loin s'en faut, mais disons que quand je m'y mets, je me débrouille dans différents domaines. Parfois, j'ai quand même besoin de l'appeler pour lui demander conseil (et sinon, il participe à beaucoup de travaux).

Calyste a dit…

Cornus: chose que je ne peux plus faire, hélas.

Lancelot a dit…

J'avais commencé la lecture en me disant que tu allais découvrir quelque chose sous les couches de vieux papier peint : une inscription mystérieuse, un secret, une carte au trésor.

Mais, finalement, ça revient au même. :)

Calyste a dit…

Lancelot: c'est même cent fois mieux. Pas besoin de carte pour ce trésor là!