lundi 3 avril 2023

Georges et Jeanne

Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide,
J'en ai deux ; George et Jeanne ; et je prends l'un pour guide
Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix,
Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois.
Leurs essais d'exister sont divinement gauches ;
On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit ;
Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,
Moi dont le destin pâle et froid se décolore,
J'ai l'attendrissement de dire : Ils sont l'aurore.  (....)

Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes,
Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes
Et comme une clarté d'étoile à son lever,
Et je me dis : À quoi peuvent-ils donc rêver ?
Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges,
Au chien, au coq, au chat ; et Jeanne pense aux anges.
Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de rayons. (...)

Victor Hugo, L'Art d'être grand-père. 

Victor Hugo avec Georges et Jeanne, cliché par Mélandri (1881) - Maison de Victor Hugo, © Photo d'Achille Mélandri, 1881 / Roger-Viollet

2 commentaires:

Cornus a dit…

Il me semble que c'est la première fois que je lis un poème de L'Art d'être grand-père.

Calyste a dit…

Cornus : si tu avais eu comme instit une de chez nous, tu aurais sans aucun doute appris : "Jeanne était au pain sec".