Ça ferait un beau titre de film, je trouve: un film sans prétention, familial, tendre, drôle et nostalgique, un film que l'on se laisse tenter de regarder un dimanche pluvieux d'automne finissant. Se sont-ils jamais rencontrés, ces deux là qui meurent presque en même temps?
Un peu comme un couple d'amis que l'on a beaucoup aimés et que l'on a depuis longtemps perdus de vue. On apprend leur mort et l'annonce vous touche, tout de même. On n'en souffre pas, non. C'est quelque part un peu de votre histoire qui s'en va aussi. Mais il faut bien, n'est-ce pas.
Bernard Clavel, pour moi, c'est avant tout Malataverne, ce roman des Monts du Lyonnais où j'ai, pour la première fois de ma vie, réellement rencontré en littérature la violence et la culpabilisation. Ces trois adolescents, ni pires ni meilleurs que tous les autres, qui allaient, à partir du simple projet d'un vol de fromage, assassiner une fermière, la mère Vintard, me marquèrent durablement, même si, aujourd'hui, au milieu de la violence sociale urbaine, ils feraient pâle figure. C'est sans doute, avec La Cicatrice, de Bruce Lowery, lue à peu près à la même époque, le livre qui m'a le plus fait réfléchir sur la responsabilité de chacun face à son comportement quotidien.
Colette Renard, il me semble que c'est encore plus loin. Chansons appréciées de ma mère, fredonnées par mon père, gouaille et petit minois. Je ne revois d'elle qu'un visage de jeune femme, celle qu'elle était dans mon enfance. Je savais qu'elle jouait un rôle de grand-mère dans une série télévisée. Pourquoi pas? Mais j'ai voulu garder pour moi l'image de la jeune chanteuse, celle qui, ne boudant pas la grivoiserie, s'amusait à chanter:
Que c'est bon d'être demoiselle
Car le soir dans mon petit lit
Quand l'étoile Vénus étincelle
Quand doucement tombe la nuit,
Je me fais sucer la friandise
Je me fais caresser le gardon
Je me fais empeser la chemise
Je me fais picorer le bonbon
(....)
(Les nuits d'une demoiselle.)
Et encore davantage celle qui me faisait rêver par ces mots simples:
Y avait une fois une rose
Une rose et un marin
Le marin était à Formose
La rose était à Dublin.
Jamais au monde ils n'se virent
Ils étaient beaucoup trop loin
Lui n'quittait pas son navire
Elle quittait pas son jardin.
Au-dessus de la rose sage
Les oiseaux partaient tout le temps
Et puis aussi des nuages
Des soleils et des printemps.
Au-dessus du marin volage
Des rêves étaient tout pareils
Aux oiseaux et aux nuages
Au printemps et au soleil.
Le marin périt en septembre
Et la rose le même jour
Vint se flétrir dans la chambre
D'une fille en mal d'amour
Jamais personne ne suppose
Qu'il y ait le moindre lien
Entre le marin de Formose
Et la rose de Dublin
Et seul un doigt sur la bouche
Un ange beau comme un éclair
Jette quand le soleil se couche
Des pétales sur la mer.
(Le marin et la rose)
Une pensée douce au passage pour un temps révolu.
mercredi 6 octobre 2010
mardi 5 octobre 2010
Le Fusil de chasse
Trois lettres à Josuke Misugi: une de Shoko,la fille de sa maîtresse, une de Midori, son épouse et une dernière de sa maîtresse, Saïko, peu avant sa mort. A peine 90 pages en livre de poche. Un bijou. Rien de trop. Pas un mot à enlever. Une délicatesse extraordinaire dans l'analyse des sentiments et de la confusion des sens. Monsieur Inoué (Yasushi) était décidément un grand monsieur
Assez étrangement, je me sentais calme, comme si je m'étais trouvée au bord de la mer, le soir, à regarder la marée monter vers moi, depuis le large. Je vis presque le moment où j'allais lui prendre la main, lui exprimer ma sympathie, et dire: "Ah! vous savez donc. Vous savez tout."
La catastrophe que j'avais tant redoutée était arrivée, mais je n'en étais pas effrayée. On eût dit que les bruits assourdis de la plage remplissaient l'espace entre nous deux. Un instant avait suffi pour que le voile du secret, que toi et moi avions jalousement gardé pendant treize ans, fût brutalement arraché, mais ce que je trouvais était bien différent de la mort à laquelle je m'étais attendue. Cela ressemblait -comment dire?- à de la sérénité, à de l'apaisement. En vérité, c'était une paix bien étrange. Je me sentais délivrée. Le triste et lourd fardeau qui avait pesé sur mes épaules n'était plus. A sa place, il ne restait qu'un vide qui me mettait bizarrement au bord des larmes. Je sentis qu'il me fallait penser à un tas de choses. Non point à des choses sombres, tristes, effrayantes, mais plutôt immenses, vagues, sereines et paisibles. Je fus comme soulevée par un sentiment de ravissement ou, mieux encore, par le sentiment de ma libération.
(Le Fusil de chasse, Yasushi Inoué, Stock. Trad. de Sadamichi Yokoo, Sanford Goldstein et Gisèle Bernier.)
Assez étrangement, je me sentais calme, comme si je m'étais trouvée au bord de la mer, le soir, à regarder la marée monter vers moi, depuis le large. Je vis presque le moment où j'allais lui prendre la main, lui exprimer ma sympathie, et dire: "Ah! vous savez donc. Vous savez tout."
La catastrophe que j'avais tant redoutée était arrivée, mais je n'en étais pas effrayée. On eût dit que les bruits assourdis de la plage remplissaient l'espace entre nous deux. Un instant avait suffi pour que le voile du secret, que toi et moi avions jalousement gardé pendant treize ans, fût brutalement arraché, mais ce que je trouvais était bien différent de la mort à laquelle je m'étais attendue. Cela ressemblait -comment dire?- à de la sérénité, à de l'apaisement. En vérité, c'était une paix bien étrange. Je me sentais délivrée. Le triste et lourd fardeau qui avait pesé sur mes épaules n'était plus. A sa place, il ne restait qu'un vide qui me mettait bizarrement au bord des larmes. Je sentis qu'il me fallait penser à un tas de choses. Non point à des choses sombres, tristes, effrayantes, mais plutôt immenses, vagues, sereines et paisibles. Je fus comme soulevée par un sentiment de ravissement ou, mieux encore, par le sentiment de ma libération.
(Le Fusil de chasse, Yasushi Inoué, Stock. Trad. de Sadamichi Yokoo, Sanford Goldstein et Gisèle Bernier.)
lundi 4 octobre 2010
Ça peut s'améliorer sur le soir!
Quand on imagine par avance un anniversaire, on voit de la bonne humeur et du soleil. Il a plu presque tout la journée sur Lyon et j'ai été avec tout le monde, élèves, amis, famille, tout ceux que j'ai rencontrés, aussi gracieux qu'un pitbull. Voilà!
Mais ça ne fait rien. Il y a bien trois ans aujourd'hui que je navigue sur les eaux du Potomac. Et ça, ça me fait bigrement plaisir. Tiens, de quoi me coucher moins en rogne.
Un jour, t'en souvient-il....
Samedi, un petit monsieur légèrement grassouillet, les cheveux courts et grisonnants, se tenait devant la porte d'un bâtiment annexe du Musée du chapeau à Chazelle-sur-Lyon alors que nous sortions de visiter la partie principale de ce musée. Je crus que l'heure des visites était passée et qu'il s'apprêtait à fermer. Il me rassura bien vite et se proposa même pour nous guider dans les quatre salles consacrées à la thématique de l'animal et du chapeau (matières ou formes).
Quand je passai devant lui pour pénétrer dans la première pièce, j'eus soudain l'impression d'avoir déjà vu ce visage ailleurs, il y a très longtemps. mais où? C'était la première fois que je mettais les pieds à Chazelle, la première aussi au musée du chapeau. Un autre coup d'œil discret dans sa direction pendant qu'il commençait sa présentation me confirma mon impression. Lui aussi, d'ailleurs, semblait réfléchir tout en me regardant. La situation risquant de devenir délicate (était-ce un ancien amant, un parent d'élève, un ami de Pierre?), je me jetai à l'eau et posai la question. J'avais vu juste, mais notre rencontre remontait à beaucoup plus longtemps que cela.
Jean-Pierre avait été l'amant d'Yvon, mon ami d'enfance, au début des années soixante-dix. Il était alors comédien de théâtre avec un autre de ses amis et nous avions passé quelques soirées chez eux dans leur appartement du Vieux Lyon. Je me souviens que ce garçon m'agaçait prodigieusement, moi qui étais nettement moins sensible à tout ce qui brille qu'Yvon, et que je trouvais ses enthousiasmes et sa fougue un peu artificiels et forcés. Mais n'est-ce ainsi que l'on devait être lorsque l'on faisait du théâtre dans ces années-là (et à cet âge-là)? Leur relation amoureuse ne dura que peu de temps et nous les perdîmes ensuite de vue. Puis Yvon mourut et j'oubliai quasi totalement ces deux personnages en quête de talent.
L'homme de soixante ans que j'avais samedi en face de moi n'était plus le même. Même si traînait sur son bureau de l'entrée un livre de Thomas Bernhard, il me parut totalement humain et libéré de tout maniérisme, de toute posture faussement intellectuelle. Quand il me reconnut, il me tutoya immédiatement et m'embrassa chaleureusement, comme si nous avions été les meilleurs amis du monde. J'eus droit aussi à la même embrassade quand nous quittâmes les lieux. Entre temps, il me raconta qu'il n'avait jamais réellement percé dans le milieu du théâtre et qu'il avait même fini par perdre son statut d'intermittent du spectacle. Son honnêteté me toucha. Après tout, il pouvait bien me raconter n'importe quoi, je n'allais pas vérifier.
Étrangement, cette rencontre vient en même temps ou presque que d'autres petits riens, anodins ou pas, qui ne cessent en ce moment de me replonger dans un passé plus ou moins lointain que je ne tiens pas à réveiller, non qu'il soit particulièrement pénible, mais parce que je ne veux plus me retourner. Je ne lui ai pas demandé son téléphone.
Quand je passai devant lui pour pénétrer dans la première pièce, j'eus soudain l'impression d'avoir déjà vu ce visage ailleurs, il y a très longtemps. mais où? C'était la première fois que je mettais les pieds à Chazelle, la première aussi au musée du chapeau. Un autre coup d'œil discret dans sa direction pendant qu'il commençait sa présentation me confirma mon impression. Lui aussi, d'ailleurs, semblait réfléchir tout en me regardant. La situation risquant de devenir délicate (était-ce un ancien amant, un parent d'élève, un ami de Pierre?), je me jetai à l'eau et posai la question. J'avais vu juste, mais notre rencontre remontait à beaucoup plus longtemps que cela.
Jean-Pierre avait été l'amant d'Yvon, mon ami d'enfance, au début des années soixante-dix. Il était alors comédien de théâtre avec un autre de ses amis et nous avions passé quelques soirées chez eux dans leur appartement du Vieux Lyon. Je me souviens que ce garçon m'agaçait prodigieusement, moi qui étais nettement moins sensible à tout ce qui brille qu'Yvon, et que je trouvais ses enthousiasmes et sa fougue un peu artificiels et forcés. Mais n'est-ce ainsi que l'on devait être lorsque l'on faisait du théâtre dans ces années-là (et à cet âge-là)? Leur relation amoureuse ne dura que peu de temps et nous les perdîmes ensuite de vue. Puis Yvon mourut et j'oubliai quasi totalement ces deux personnages en quête de talent.
L'homme de soixante ans que j'avais samedi en face de moi n'était plus le même. Même si traînait sur son bureau de l'entrée un livre de Thomas Bernhard, il me parut totalement humain et libéré de tout maniérisme, de toute posture faussement intellectuelle. Quand il me reconnut, il me tutoya immédiatement et m'embrassa chaleureusement, comme si nous avions été les meilleurs amis du monde. J'eus droit aussi à la même embrassade quand nous quittâmes les lieux. Entre temps, il me raconta qu'il n'avait jamais réellement percé dans le milieu du théâtre et qu'il avait même fini par perdre son statut d'intermittent du spectacle. Son honnêteté me toucha. Après tout, il pouvait bien me raconter n'importe quoi, je n'allais pas vérifier.
Étrangement, cette rencontre vient en même temps ou presque que d'autres petits riens, anodins ou pas, qui ne cessent en ce moment de me replonger dans un passé plus ou moins lointain que je ne tiens pas à réveiller, non qu'il soit particulièrement pénible, mais parce que je ne veux plus me retourner. Je ne lui ai pas demandé son téléphone.
dimanche 3 octobre 2010
Momentini
- Comme chaque année à la rentrée des classes, les écoles et collèges se transforment en véritables lieux de culture. Vous semblez étonnés: c'est des bouillons de cultures que je parle, où se côtoient, forniquent, croissent et se multiplient virus, microbes et autres cadeaux immédiatement transmissibles même si l'on n'en a pas besoin. Dans mon petit soulier: mal de gorge, toux qui pique et grandes eaux des éternuements. Merci, Petit papa septembre!
- Ce matin, c'était la grande fête sportive de la course à pied à Lyon, avec, entre autres, marathon et semi-marathon. Il y a deux ans, j'y étais. L'an dernier aussi, mais côté public à regarder les autres courir, le moral au plus bas. Cette année, je n'y suis pas allé. Pas envie de me faire mal. Petit tour aux Puces, pour remplacer. Qui se ressemble s'assemble, ne le dit-on pas?
- En ce moment, je suis la cible de toutes les remarques désagréables de ma mère. On dirait qu'elle me les réserve exclusivement: je suis un incapable, je suis un maladroit, je suis à la limite de l'honnêteté, etc, etc. On a beau se dire que la maladie est pour beaucoup dans une telle attitude, ça n'aide pas toujours à faire passer la pilule.
- Un pan des carreaux multicolores de ma cuisine étaient en train de se décoller du mur où ils avaient été mis. Jean-Claude les a enlevés. Résultat: ma cuisine, que j'aime tant, est à nouveau en chantier en ce moment. Je n'aime pas la voir abimée comme ça. Mais il n'y avait rien d'autre à faire! Les nouveaux carreaux sont déjà arrivés.
- Ce matin, c'était la grande fête sportive de la course à pied à Lyon, avec, entre autres, marathon et semi-marathon. Il y a deux ans, j'y étais. L'an dernier aussi, mais côté public à regarder les autres courir, le moral au plus bas. Cette année, je n'y suis pas allé. Pas envie de me faire mal. Petit tour aux Puces, pour remplacer. Qui se ressemble s'assemble, ne le dit-on pas?
- En ce moment, je suis la cible de toutes les remarques désagréables de ma mère. On dirait qu'elle me les réserve exclusivement: je suis un incapable, je suis un maladroit, je suis à la limite de l'honnêteté, etc, etc. On a beau se dire que la maladie est pour beaucoup dans une telle attitude, ça n'aide pas toujours à faire passer la pilule.
- Un pan des carreaux multicolores de ma cuisine étaient en train de se décoller du mur où ils avaient été mis. Jean-Claude les a enlevés. Résultat: ma cuisine, que j'aime tant, est à nouveau en chantier en ce moment. Je n'aime pas la voir abimée comme ça. Mais il n'y avait rien d'autre à faire! Les nouveaux carreaux sont déjà arrivés.
Chambre à New-York
Bien vite, j'ai constaté que le rituel était quasiment invariable soir après soir. Lui entrait d'abord, s'asseyait sur le gros fauteuil vieux rose capitonné, le seul siège confortable de la pièce et dépliait son journal. Il n'en décollait les yeux qu'en toute fin de soirée, lorsqu'il se levait et quittait la pièce, sans doute pour aller dormir. Au début, je faisait attention, en les observant de ma fenêtre, exactement en face, à ne pas être repéré. Je ne voulais pas passer pour un voyeur malsain: ces deux là m'intriguaient, c'est tout. Je n'avais en tête aucune idée tordue, aucune image fantasmatique, au corps aucun désir à assouvir. D'ailleurs, en eussè-je élaboré que le tableau qu'ils offraient chaque soir m'aurait vite découragé.
Elle, me demandait plus d'efforts pour me cacher. Quand elle arrivait dans la pièce, elle tournait tout de suite sur sa gauche, vers le piano noir qui en occupait un mur. Mais elle jouait rarement: elle se contentait d'en relever le couvercle et de frôler les touches d'ivoire, comme si elle interprétait en sourdine un morceau qu'elle était seule à entendre. Parfois une petite réaction nerveuse la faisait appuyer plus intensément sur une touche et un son rapide et fragile en sortait, que j'arrivais quelquefois à entendre en tendant bien l'oreille. Ou peut-être n'ai-je toujours fait que me suggérer que je l'avais entendu.
Lui, alors, relevait imperceptiblement la tête, comme si un insecte l'avait piqué sur la nuque, mais jamais il ne se retournait vers elle. Elle posait alors la main sur sa cuisse et regardait dehors, par la fenêtre ouverte. C'est dans ces moments-là que je craignais qu'elle ne découvre ma présence, si près d'elle, de l'autre côté de la rue, par une silhouette plus sombre découpée sur le fond clair de ma chambre ou par un reflet sur la monture métallique de mes lunettes. Mais son regard restait fixe et vide, et, pendant quelques secondes, elle avait alors l'air égaré des désespérés.
Peu à peu, je pris goût à ces rendez-vous nocturnes. Il ne se passait jamais rien d'autre, la lecture d'un quotidien, le rêve d'un aria dans le silence du clavier, le froissement des pages du journal. Pourtant, pour rien au monde, je n'aurais voulu manquer un soir. Quand il me fallait rentrer plus tard, je me précipitais vers la fenêtre à peine la porte refermée et si, en face, la chambre était plongée dans le noir, j'en éprouvais une frustration intense qui me faisait taper du pied et jurer en crachant. Si au contraire, ils étaient encore là, j'aurais voulu leur dire merci de m'avoir attendu, leur sourire pour ce que je prenais déjà pour de la gentillesse à mon égard, alors que j'oubliais que nous restions, en réalité, de parfaits étrangers les uns pour les autres.
Paradoxalement,le plaisir venait aussi de ma position de supériorité. Eux ne connaissaient même pas mon existence alors que moi, au fil des soirées d'observation, j'apprenais une foule de petits détails sur leur vie, leur habitudes, leur façon d'être et de se tenir, et j'étais sûr d'être dans le vrai puisque, se croyant seuls et anonymes, ils n'avaient nul besoin de jouer une quelconque comédie aux yeux des autres. Ainsi, lui aimait-il les costumes sombres, au gilet ajusté dans le dos recouvert d'un empiècement satiné. La chemise était toujours blanche et la cravate en harmonie avec la rousseur de sa chevelure. Elle, portait souvent du rouge, des robes sans manches au col arrondi qui laissait voir la carnation laiteuse de son teint de brune.
Je ne les ai jamais vus se parler pendant l'heure, ou peu s'en faut, qu'ils passaient ensemble dans la pièce. Lui lisait son journal, de la première à la dernière page. Elle allumait parfois la lampe rouge au-dessus du piano et semblait vouloir se plonger dans la lecture d'un ouvrage, toujours le même, qu'elle apportait avec elle. Mais, chaque fois, très vite, elle le refermait et s'ennuyait à autre chose. Elle remettait en place une de ses mèches brunes qui s'était échappée de la queue de cheval sommaire qui tenait ses cheveux sur sa nuque. Elle s'absorbait dans la contemplation de la tablette vernie de la volumineuse table de bois qui tenait tout le centre de la pièce. Tout doucement, pour ne pas déranger l'homme, elle redressait l'équilibre d'un tableau derrière son fauteuil.
Je l'ai vue une fois s'approcher de la fenêtre, appuyer ses deux coudes sur le rebord et regarder à l'extérieur. Elle regardait en bas, tout en bas des vingt-deux étages qui la séparait du sol. Elle ne bougea plus pendant quelques minutes, puis, soudain, comme si elle avait senti un air froid lui glisser sur la peau, elle se mit à frissonner et, d'un pas d'automate, repartit s'asseoir sur le tabouret du piano.
Elle n'était pas belle. Sa grâce lui venait de sa fragilité et du lait de sa peau que toujours elle masquait, sur ses pommettes par un peu de fard à joues. Ses gestes simples, la façon de pencher le cou sur son épaule, de laisser retomber sa main inutile sur le rebord du clavier, révélaient ses origines modestes et profondément honnêtes. Lui au contraire avait belle allure. Toujours bien mis, même dans son intérieur, toujours bien peigné (pouvait-on, une seule seconde imaginer qu'elle lui passe la main dans les cheveux, dans un geste de tendre abandon, dans un appel à la sensualité?), il gardait, même penché en avant pour la lecture du quotidien, une sorte de froideur aristocratique qu'elle n'avait pas.
J'essayais aussi d'imaginer le reste de l'appartement, derrière la porte toujours refermée que je voyais en face de moi, la cuisine où je ne pouvais concevoir la présence de nourriture, comme si ces deux-là ne mangeaient jamais, la chambre surtout où chaque soir, après avoir quitté le salon, ils devaient se déshabiller l'un près de l'autre et se glisser dans un grand lit glacé. Je ne pouvais me résoudre à leur faire adopter des attitudes de séduction, encore moins des gestes d'amour physique. Tout au plus un baiser sur le front, toujours en silence. Et puis la lumière que l'on éteint, lui qui s'endort vite en repensant aux nouvelles du journal, elle qui reste immobile, à côté de lui qui lui tourne le dos, les yeux grand ouverts, retenant sans toujours y parvenir les soupirs qui encombrent sa gorge.
Alors, j'allais moi aussi me coucher, un peu moins seul.
(Inspiré d'un tableau d'Edward Hopper, Room in New York, 1932, Sheldon Memorial Art Gallery, University of Nebraska-Lincoln)
PS: c'est sans doute un de mes tableaux préférés de ce peintre.
samedi 2 octobre 2010
La Composite
Penser jeudi m'a sans doute fatigué: je n'ai pas l'habitude!! Aussi pas de billet vendredi. Et aujourd'hui beaucoup trop de choses à dire après cette belle journée printanière passée dehors, dans les Monts du Lyonnais. J'aime prendre ainsi une journée, particulièrement en cette période de début d'automne, pour aller visiter la proche région de Lyon, des coins où l'on passe souvent pour aller ailleurs et où l'on s'arrête rarement.
Cette fois-ci, c'est Frédéric qui a eu l'idée de la destination: Saint-Martin-en-haut pour une cueillette de champignons. Partis très habillés, nous avons peu à peu enlevé les épaisseurs devant la chaleur de plus en plus importante qui régnait dans les sous-bois. De champignons, point trop, mais il y avait longtemps que je n'avais pas passé deux heures dans la mousse et les feuilles mortes, le dos penché, les yeux rivés au sol, à poser des questions à mes deux compères, Frédéric et Jean-Claude qui, eux, contrairement à moi, ont quelques lumières en mycologie.
A midi, apéritif à la terrasse d'un café près de l'église de Saint-Martin, un édifice à l'extérieur peu intéressant car construit, j'en suis presque sûr, par l'architecte lyonnais Bossan dont la ville a hérité de la basilique de Fourvière. Cet architecte a connu un tel succès au XIX° siècle dans la région que toutes les paroisses en ayant les moyens ont détruit leurs vieilles églises pour se payer un édifice du maître, édifices qui aujourd'hui paraissent bien peu attirants esthétiquement. C'est en tout cas mon avis.
Nous avons mangé dans ce même bar, à une petite table de bistro. Seuls clients, nous avons eu droit à tous les égards de la patronne et à de la bien bonne cuisine, en particulier un morceau de bavette sauce échalote dont je ne suis pas près d'oublier la tendreté. J'ai alors proposé de passer l'après-midi à visiter le musée du chapeau à Chazelle-sur-Lyon, à quelques kilomètres seulement. A notre retour à la voiture, le soleil s'était définitivement installé sur les monts et le ciel avait l'éclat de ceux du mois d'août.
Si vous passez dans la région, surtout ne partez pas sans avoir vu ce musée. C'est un petit bijou d'intérêt à la fois pour les pièces contenues, les machines exposées et la pédagogie des guides qui assurent une partie de la visite en alternance avec des vidéos et un itinéraire libre. Joie de retrouver, dans les témoignages enregistrés des derniers ouvriers chapeliers de Chazelle (la dernière fabrique a fermé en 1997, c'était la dernière de France), l'accent et le phrasé de Saint-Étienne et de Lyon mélangés; émotion devant les photos de ces ouvriers et ouvrières dont le métier consistait parfois en un travail de force; admiration des dernières machines sauvées, en bois et cuivre très souvent, avec des mécanismes apparents d'une grande beauté; envie de toucher à tout, de caresser des doigts après la caresse du regard, en particulier les formes si belles en bois de tilleul (parce que le tilleul se travaille bien et résiste à la fois à l'eau et à la chaleur).
La partie exposition de chapeaux anciens ou ayant appartenu à des personnalités connues du monde de la politique, du music-hall ou du milieu sportif est également très intéressante et très belle. On peut voir aussi des chapeaux portés lors des défilés de présentation des nouvelles saisons des grands couturiers français ou des grandes marques de la mode, telles Nina Ricci, Hermès ou, dans le style qu'on lui connaissait, Paco Rabanne. Nous avons pu également visiter une exposition temporaire qui devrait fermer ses portes demain soir: Le Chapeau, pas si bête! mais j'en parlerai plus tard car j'y ai eu une grosse surprise et la narration de cette partie de la visite m'entraînerait trop tard pour ce soir!
Bien belle journée, en tout cas. Tout le monde de bonne humeur, tout le monde souriant et plaisantant, de la bonne cuisine, un temps estival, un épisode culturel qui a séduit tout le monde. Fourier, le philosophe utopiste, distingue douze passions : cinq sensuelles (cinq sens), quatre affectueuses (amitié, ambition, amour et familisme c'est-à-dire passion familiale) et trois mécanisantes dont la composite, plaisir dualisé, réunissant bonheur des sens et de l'âme. Nous étions en plein dedans aujourd'hui, non?
A midi, apéritif à la terrasse d'un café près de l'église de Saint-Martin, un édifice à l'extérieur peu intéressant car construit, j'en suis presque sûr, par l'architecte lyonnais Bossan dont la ville a hérité de la basilique de Fourvière. Cet architecte a connu un tel succès au XIX° siècle dans la région que toutes les paroisses en ayant les moyens ont détruit leurs vieilles églises pour se payer un édifice du maître, édifices qui aujourd'hui paraissent bien peu attirants esthétiquement. C'est en tout cas mon avis.
Inscription à :
Articles (Atom)