Y a-t-il des sourds au paradis ?

Je l'ai connue dès mon arrivée au collège, une grande femme mince et souriante. Elle devint peu après directrice adjointe, un rôle qui,  sans vouloir être désagréable, était peut-être un peu lourd pour elle. Heureusement, le directeur, lui, était à la hauteur. Sans doute le meilleur que j'aie connu dans ma carrière. 

Alors, elle présidait quelques conseils de classe où sa surdité naissante l'empêchait parfois de tout comprendre. D'ailleurs il lui arrivait de piquer un petit somme en cours de route .... Elle quitta un jour son poste pour prendre en main la catéchèse du primaire. Puis partit pour une maison de retraite des Ursulines. Je ne la vis alors plus que pour les fêtes de fin d'année et, hélas, aux enterrements de plus en plus fréquents au fil des années. 

Et, demain, c'est le sien, à l'orée de sa centième année. Je l'aimais bien. J'ai d'elle une photo, au début de ma carrière, où, au cours d'un pique-nique, elle souriait en me tenant par l'épaule. Elle s'appelait Anne-Elisabeth.