vendredi 25 mars 2022

Vision fugitive

A UNE PASSANTE

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet

Agile et noble avec sa jambe de statue.
Moi je buvais, crispé comme un extravagant
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douleur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair ...puis la nuit !- Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Baudelaire, Les fleurs du mal 1855.

Aucun commentaire: