Chez nous, il n'y avait pas de parfums ni d'eaux de toilette. Peut-être parfois un grand flacon d'eau de Cologne Saint-Michel. Propres, nous sentions le savon et les draps séchaient dans le pré en été. Il y avait aussi le parfum de l'herbe coupée, des foins engrangés, de la chaleur des moutons et, un temps de quelques vaches, et celui de la tonnelle du jardin croulant sous les roses. L'odeur du cochon aussi, que mon père tuait et préparait aux temps froids. Et celui de notre chien que j'embrassais sur la truffe avant d'enfouir mon nez dans son poil, l'été.
Je crois que le premier parfum que j'ai senti fut celui de mon institutrice, en cours préparatoire ou élémentaire. C'était une vieille dame (ou du moins la percevais-je comme ça alors) stricte et lunatique. Elle s'appelait Madame Brunon. Certains la surnommaient Madame "Très bien" tant, si l'on faisait partie de ses préférés, elle n'hésitait pas dans la surenchère. Mais malheur à ceux qu'elle avait dans le nez ! J'étais un enfant sage, traumatisé par les deux dragons que j'avais connus dans une autre école en maternelle, et, puisque j'étais sage et appliqué, elle m'aimait bien, sans que je fasse partie de ses favoris.
Son parfum était léger mais très sucré et, quand elle s'approchait de mon bureau pour vérifier l'avancée du travail, j'en profitais pour m'en imprégner. C'était pour moi, le summum de la tendresse et du chic, quelque chose qui la rendait très maternelle et à la fois très lointaine, comme une déesse qui protège du haut de on piédestal. Les années suivantes, les enseignants n'avaient pas d'odeur.
Ce parfum, je l'ai retrouvé, adulte, quelques rares fois dans la rue, en effluve évanescente vite dissoute dans l'air urbain. Chaque fois, j'ai sursauté, me suis arrêté, cherchant à savoir qui le portait, revenu aussitôt dans cette école de campagne au milieu des terrils et des prés. Et alors, pour quelques secondes, ressuscitait Madame Brunon et ses kyrielles de Très Bien. Pour quelques secondes seulement.
samedi 1 août 2020
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3 commentaires:
Une sacrée mémoire que ce parfum. Cela me permet de dire qu'il y a bien trop de monde actuellement qui s'inonde de parfums, sans compter ceux qui "tournent" sur certaines personnes.
Bonjour,
Aucun souvenir du parfum de mes professeurs, sauf le tabac des fumeurs.
Cordialement,
Cornus : oui, c'est un souvenir auquel je tiens beaucoup. Pour ce qui est du reste, j'avais un collègue dont tu décelais la présence à deux étages d'écart !
Pippo : il paraît que le souvenir de parfums est un des plus fugaces mais aussi un des plus tenaces dans le temps.
Cordialement.
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