Raymond

Raymond, c'était notre voisin, à Bons. Un homme carré, costaud malgré son âge, qui avait son franc-parler. Quand nous avons aménagé une douche et des wc dans l'ancienne écurie, il était le maître d’œuvre, nous étions les petites mains. Nous buvions souvent l'apéritif ensemble, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Les trois maisons qui se suivaient sur la route vivaient quasiment ensemble, même si chacun respectait l'intimité des autres. Nous avions même, un soir autour d'un repas en plein air, fondé une république autonome dont, à l'unanimité,  il avait été élu président.

Je l'ai appelé tout à l'heure pour savoir comment il traversait le merdier actuel. Il ne va pas fort, après trois AVC. J'ai senti la fatigue dans sa voix et surtout une lassitude psychologique peu fréquente chez lui. Nous avons longuement bavardé, des voisins, de l'ancienne maison de Pierre. Il m'a parlé de ses copains, morts les uns après les autres, de sa compagne dont il est maintenant séparé, de son ancien travail dans le décolletage et surtout de la Résistance en Haute-Savoie dont il ne reconnait pas l'histoire dans les livres qui sortent sur le sujet. Le seul moment où il a retrouvé un peu d'entrain, c'est lorsqu'il m'a proposé, quand je viendrai lui rendre visite, de me faire découvrir un lieu connu de lui où, à cette époque, se sont passées des "saloperies" dont plus personne ne parle.

Quand retournerai-je à Bons ? La seule fois où j'y suis passé, je n'ai pas reconnu le lieu de nos belles vacances d'autrefois. Ça me fait  mal, comme d'imaginer Raymond dans cet état. En raccrochant, je me suis demandé si ce n'était pas la dernière fois que je l'entendais.