samedi 8 février 2020

Cicatrice

Pierre savait tout faire. Du moins, il se lançait dans tout, avec plus ou moins de succès mais sans hésitation. Il était meilleur dans certains domaines que dans d'autres. Ses bricolages, par exemple, avaient souvent des résultats aléatoires. J'ai encore, sur ma porte d'entrée, des verrous montés à l'envers. Bon, il suffit de le savoir et ça ne les empêche pas de fonctionner.

Il excellait dans la musique, bien sûr (piano et orgue) mais aussi dans la cuisine, au point que, durant nos décennies de vie commune, j'ai rarement eu à préparer plus qu'une sauce salade. C'est en salivant que je me souviens encore aujourd'hui de ses boeufs-carottes. Pourtant, un jour, même la cuisine, la pâtisserie plutôt,  lui joua des tours. Il voulut napper un gâteau et, en préparant le caramel, se renversa la casserole sur la main.

J'eus le réflexe, du revers de la manche, de décrocher la couche qui durcissait déjà. Mon geste lui arracha un bon bout de peau. Il se soigna avec les moyens du bord et continua sa préparation en m'assurant qu'il ne ressentait aucune douleur. La main n'était pourtant pas belle et je finis par le convaincre de montrer ça à un médecin des urgences de Saint-Luc où je l'emmenai illico presto. Je fis bien : il était gravement brûlé, et il faut savoir que les brûlures profondes peuvent ne pas être très douloureuses. Il revint à la maison avec un énorme pansement qu'il garda longtemps. Lorsqu'on le lui enleva, la peau était en voie de cicatrisation. Mais cette cicatrice, il la garda toute sa vie : une tache plus claire sur le dessus de la main. Ce n'était plus douloureux mais bien visible.

Cette anecdote m'est revenue il y a quelques jours. En réfléchissant au pourquoi de cette remémoration, j'ai cru comprendre que c'était une parabole de notre relation : quelque chose de profond et qui m'a laissé, après sa mort, une cicatrice, pas douloureuse mais toujours présente. Bon, quand ça démange, je me gratte.

4 commentaires:

Cornus a dit…

- Mon père avait monté un verrou à l'envers, mais ce n'est pas qu'il s'était trompé, c'est qu'il ne pouvait pas faire autrement. Pareil, il avait monté à A. le robinet d'eau froide à gauche (alors qu'en principe c'est à droite), pour des raisons pratiques. Bien des années après, j'ai fait pareil (toujours à A., mais pas au même endroit), mais pas pour de bonnes raisons, juste parce que je ne savais plus trop où j'en étais.
Ouille, le caramel, ça monte très haut en température, donc ça fait des dégâts. Je me souviens de m'être renversé, par bêtise une grande quantité d'eau près de 100°C sur le pied (j'étais en pantoufles ouvertes avec chaussettes) et bien que ce fut bien moins grave, ça a mis près d'un mois pour cicatriser.

Calyste a dit…

Cornus : je crois que, dans le cas de Pierre, c'était plutôt de l'inattention. Mais ça me va et je pense souvent à lui en les ouvrant, ces verrous.

Jérôme a dit…

Ce soir, avec quelques amis venusbpournmon anniversaire ce week-end, nous discutions des relations de couples, ce que l'autre représente pour nous. Je pense saisir un peu de ta relation avec Pierre. Mon mari est quasiment littéralement revenu d'entre les morts et notre lien s'est sans doute non pas renforcé, mais nous apparaît plus clairement.

Calyste a dit…

Jérôme : bon anniversaire à toi, donc, et surtout bon rétablissement à ton mari. Oui, une épreuve a ceci de "bon" qu'elle recadre sur les fondamentaux, et tout le reste n'est que littérature. Je t'embrasse.