Je l'ai rencontré dans une petite rue près de chez moi. Il était arrêté, intrigué par la porte ouverte d'un restaurant. Le patron devait sans doute faire un peu de ménage. Je ne l'avais pas vu depuis le début du confinement mais je savais qu'il était chez lui : en passant par le square, désert et fermé maintenant, je jette toujours un coup d’œil à gauche sur le banc de Claude, qui n'est jamais réapparu, à droite sur sa fenêtre à lui qui le domine. De petits détails, un linge mis à sécher, un volet baissé ou relevé, les plantes toujours vertes, me rassuraient sur ce qu'il devenait.
Il n'est maintenant pas loin des quatre-vingt dix ans. Je l'ai connu il avait une quarantaine d'années. A l'époque, je ne lui ai jamais adressé la parole : il m'impressionnait trop, moi le petit campagnard débarquant dans ces boîtes de nuit lyonnaises dont il faisait, si j'ose dire, les beaux jours. Il était très beau, avec un côté dandy indéniable qu'il a quelque peu gardé malgré les années. Aujourd'hui, il portait une chemise bleue pâle, un peu tendue sur le ventre (mais le confinement a eu la même conséquence sur le mien ...) et un masque qui ne m'a pas empêché de reconnaître sa chevelure d'argent toujours abondante et soignée. Nous avons échangé quelques mots, comme nous avons pris l'habitude de le faire depuis que je l'ai reconnu au supermarché où nous faisions nos courses. Ce jour-là, il y a trois ou quatre ans, j'avais osé lui parler. Quand il m'a demandé d'où je le connaissais, je lui ai dit : "Du Milord" et il a souri : nous étions du même monde. Il s'est trouvé ensuite que nous nous nous sommes découvert des amis communs. De plus, je connaissais le restaurant, un bouchon fameux de Lyon qui n'existe plus aujourd'hui, tenu par sa cousine, une ex miss France des années cinquante ou soixante.
Dans les soirées du Milord, qui se terminaient toujours vers trois ou quatre heures du matin par la célèbre chanson d’Édith Piaf, il était souriant et très l'aise. Il l'était encore quand je l'ai retrouvé. Mais, peu à peu, je l'ai vu changé : la rupture avec l'un de ses bons amis, la mort de pas mal d'autres, quelques ennuis (légers) de santé lui ont détruit le morale et, maintenant, pas une de nos rencontres ne se passent sans qu'il m'avoue en avoir assez. Tout à l'heure encore, il m'a dit regretté de ne pas être parti avant tout ça (le virus). J'ai cru qu'il avait eu l'intention de visiter une autre de ses cousines dans le Jura où il va parfois. Il m'a détrompé partir pour lui, ça voulait dire mourir.
Rentré chez moi, j'ai repensé à lui et, tout à coup, j'ai eu le pressentiment que c'était notre dernière rencontre. J'espère me tromper. Il me manquera, le milord de mes jeunes années ....
lundi 4 mai 2020
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4 commentaires:
C'est grâce à ce fameux Milord que j'ai découvert Piaf, alors que cette chanson passait continuellement à la radio. J'étais chez ma grand-tante Thérèse dont le jugement fut sévère : "Elle est bien vulgaire cette chanteuse !". Je trouvais que cette chanson avait beaucoup de gueule.
Je me demandais si tu avais connu Laurent Darcueil à Lyon ?
C'était un gars qui organisait des spectacles musique/chansons pour le compte d'une salle ou d'un organisme culturel assez officiel dont j'ai oublié le nom. Mais ça me reviendra.
Cela me fascine, ce "sentiment" que "maintenant ça suffit"... ma grand-mère etait partagée entre ce sentiment et son caractère "on ne lâche pas
Pippo : une gueule d'amour.
Chroum : c'est dandy qui te fais penser à lui ? Oui, je l'ai connu un temps (je crois que nous en avions déjà parlé). Je te répondrai plus longuement par un autre canal.
Jérôme : si je comprends bien, elle a fini par lâcher ?
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