jeudi 14 décembre 2023

Sur l'eau

Cependant, la rivière s'était peu à peu couverte d'un brouillard blanc très épais qui rampait sur l'eau fort bas, de sorte que, en me dressant debout, je ne voyais plus le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau, mais j'apercevais seulement les pointes des roseaux, puis, plus loin, la plaine toute pâle de la lumière de la lune, avec de grandes taches noires qui montaient dans le ciel, formées par des groupes de peupliers d'Italie. J'étais comme enseveli jusqu'à la ceinture dans une nappe de coton d'une blancheur singulière, et il me venait des imaginations fantastiques. Je me figurais qu'on essayait de monter dans ma barque que je ne pouvais plus distinguer, et que la rivière, cachée par ce brouillard opaque, devait être pleine d'êtres étranges qui nageaient autour de moi. J'éprouvais un malaise horrible, j'avais les tempes serrées, mon cœur battait à m'étouffer ; et, perdant la tête, je pensai à me sauver à la nage ; puis aussitôt cette idée me fit frissonner d'épouvante. Je me vis, perdu, allant à l'aventure dans cette brume épaisse, me débattant au milieu des herbes et des roseaux que je ne pourrais éviter, râlant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tiré par les pieds tout au fond de cette eau noire.

Sur l'eau, Maupassant.

4 commentaires:

Cornus a dit…

Sauf confusion avec une autre proche, nouvelle lue au collège.

Calyste a dit…

Cornus : plus étonnant. elle n'est pas très connue.

Cornus a dit…

Calyste> J'avais lu plus d'un recueil de nouvelles de Maupassant dont un en classe. J'aimais bien Maupassant et encore de nos jours. Fromfrom, beaucoup moins.

Calyste a dit…

Cornus : c'est un de mes auteurs préférés. Au début de ma carrière, j'avais même, une année, conseillé à mes élèves de lire Les Contes de la Bécasse, avant de me rendre compte que c'était parfois un peu "osé" !