dimanche 30 mars 2008

Si près, si loin.


En relisant rapidement ce que j'ai écrit hier, je me suis arrêté plus longuement sur la dernière photo, que je repropose aujourd'hui. Cette photo me trouble. Je l'ai prise en rentrant avec J. par les quais de Saône, côté Presqu'île. Les bas-ports étaient saturés de jeunes en groupes assis en rond ou alignés le long de l'eau. On mangeait, on buvait, on fumait, on bronzait, on riait, on parlait haut et fort. Tout ce que je préfère contempler de loin plutôt que de me joindre à l'effervescence parfois hystérique de ces regroupements.

Eux étaient un peu à l'écart, quelques mètres seulement, mais qui les isolaient du monde. Volontairement? A eux deux, ils semblaient être le monde, avoir gommé tout ce qui les entourait, n'exister que par le regard, les paroles, les gestes peut-être de l'autre. Je n'ai pas vu leur visage, à aucun moment. J'étais au-dessus d'eux sur la partie du quai bordant la chaussée.

Ils ont tout de suite attiré mon attention. Le blanc et le noir. Le blanc, dos lacéré par la bandoulière et le Y de ses bretelles, le sac reposant à terre, une casquette à visière enfoncée sur la tête, jambes repliées dans un début de lotus. Le noir, chevelure au soleil, coudes appuyés aux genoux, polo noir accentuant la blancheur des avant-bras, le profil dévoilé un peu, fixant l'eau devant lui alors que l'autre le regarde.

Ils ne se touchent pas, leurs ombres non plus, mais elles esquissant déjà des ponts, des mailles par où le lien pourrait se tisser. Ils ont peu à peu franchi la ligne blanche, ils sont tout près du trouble de l'eau, du gris des profondeurs qu'ils ne connaissent pas. Se parlent-ils? Je ne sais. Je crois qu'ils se taisent. Comme l'Annonciation, dernier instant avant que l'indicible ne soit prononcé.

C'est ce qui me fascine: la dernière vision d'un univers qui disparaîtra avec la confidence, qui éclatera ou qui fondra les deux silhouettes en un seul corps d'amour et de désir. L'alliance est déjà là, entre les deux, scellée à la pierre, dans le solide. Elle les repêchera s'ils se perdent dans les eaux troubles. Moment d'attente du plus grand bonheur ou de la terrible peine pour eux. Moment de nostalgie pour moi.

Comme le soleil était doux, hier après-midi.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pour vous Calyste : "Et voici que le soir se referme une fois de plus, replie son aile rose et dorée pour le sommeil.Je me sens le devoir de le noter. Comme le scribe faisait les comptes de la journée du commerçant : soir inscrit au livre des soirs, mais qui n'est rien pourtant que l'on puisse amasser ou négocier. On ne consigne pas un poids, un métrage, un prix : rien qui se chiffre. Plutôt quelque chose comme le croisement de deux clairs regards, d'où s'élève ce qui semble échapper à leur caducité". "Ce peu de bruits" Philippe Jaccottet - Ed. Gallimard.