mardi 18 mars 2008

Eloge d'un grand homme.

En partant chez le kiné tout à l'heure, j'ai rencontré notre ancien médecin généraliste, celui qui était là au moment de la mort de Pierre.

C'est un homme que j'estime beaucoup. Âgé d'une petite cinquante d'années, il a abandonné son cabinet pour entrer à la sécurité sociale. Motif officiel: se garantir, pour lui et sa famille, une retraite confortable. Il est vrai qu'au cabinet, une sorte de hangar tout en longueur aménagé en salles d'attente et de consultation, il gardait chaque patient une bonne demi-heure et ne manquait jamais de lui donner des explications pédagogiques, schémas et objets médicaux à l'appui. Ce n'est pas ainsi que l'on devient riche, d'autant qu'il préservait une partie de son temps pour s'adonner à ses autres passions: la course à pied et le clavecin.

Autre motif, plus profond et qu'il m'a un jour confié: il ne supportait plus de voir mourir ses patients les plus âgés. Alors, il s'est protégé.

Pour Pierre, il a été extraordinaire. Au-delà du médecin, je crois que l'on peut parler d'un ami: ils aimaient se voir, échanger sur les sujets les plus divers, se prêter des livres, de la poésie. Il est venu plusieurs fois rendre visite à Pierre pendant son hospitalisation, supprimant parfois son repas pour cela. Il a continué ces visites lorsque Pierre, sans doute, ne pouvait plus le reconnaître. Un accompagnement humain gratuit. Combien de médecins sont capables de tels gestes?

C'est lui qui m'a appris un jour que Pierre n'avait au plus qu'une espérance de vie de deux ans. Il ne se trompait pas. Je me souviens de ce moment et de l'endroit. Nous nous étions comme aujourd'hui rencontrés dans la rue. Il croyait que le spécialiste m'avait informé de ce terme et n'a donc pas pris de précaution oratoire. Pour moi, ce fut comme un coup de tonnerre. Mon émotion a dû immédiatement transparaître, je me suis senti blêmir. Il s'est excusé mais je lui ai tout de suite été reconnaissant de son honnêteté.

C'est lui qui m'a donné son téléphone personnel pour que je puisse le joindre si l'épreuve m'était un jour insupportable à surmonter. C'est avec lui que j'ai parlé de course à pied, c'est lui qui m'a donné envie de recommencer. Sans que je le voie, il a tissé une trame de sécurité autour de moi, avec les bons mots et la bonne attitude, sans me faire fuir. Je ne me suis pas méfié. Quand je m'en suis rendu compte, j'étais déjà en partie raccroché à la vie. Son dernier conseil a fait son chemin en moi: j'ai maintenant envie de repeindre mon appartement en couleurs claires.

Je ne dirai jamais assez ce que je lui dois, et ce n'est pas là une simple formule. Cet homme est un être unique, que j'admire profondément. Il fait partie pour moi de la lignée des grands médecins humanistes dont les rues de Lyon portent si souvent les noms.

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