dimanche 23 mars 2008

Je l'ai vu.

Je l'ai vu. Ce matin. Je m'apprêtais comme chaque dimanche, en me rendant au marché, à lire l'ardoise de l'ébéniste, faisant même des pronostics sur le thème des vers qu'il allait offrir aux passants, et je l'ai vu: il était là, lui-même, en train de recopier, un livre dans une main, une craie dans l'autre, un poème de Jacques Prévert.

Il était courbé vers le bas de l'ardoise et je le distinguais mal. Sa silhouette n'avait pas l'air abîmée par l'âge, ni trop jeune pourtant. Cheveux grisonnants, apparemment. L'habit simple, du velours pour le pantalon, me semble-t-il, une chemise en haut. En m'approchant, je lui donnais autour de quarante-cinq ans. J'ai failli passer mon chemin, timidité naturelle ou plutôt désir de ne pas m'imposer oblige, puis je me suis ravisé: si je ne lui adressais pas la parole aujourd'hui, quand le ferais-je? Voilà des mois que je passe dans sa rue pour lire son ardoise, et je ne le vois qu'aujourd'hui!

A mon bonjour, il répond par un bonjour clair et pas surpris. Je lui explique que je lis régulièrement ce qu'il écrit et je le remercie pour le plaisir qu'il offre ainsi gratuitement. La conversation s'installe. Il me dit qu'il n'est pas seul, que les textes signés "Gé" sont ceux d'une amie à lui, poète, elle, que les voisins, au début, ne respectaient pas son ardoise, puis qu'ils s'y sont faits, que l'on peut écrire en dessous de ces textes: les craies à disposition dans la boîte accrochée au mur sont là pour ça, que ce côté interactif lui plaît au contraire.

Comment choisit-il ces textes? Quels sont ces goûts personnels? Ecrit-il lui-même? Pourquoi fait-il ça? Je n'ai pas osé le lui demander, ou je n'ai pas voulu, car je désire garder une part de mystère sur cet homme (et cette femme). L'avoir vu m'a fait plaisir, et perturbé en même temps: il a maintenant pour moi un visage, il s'est donc définitivement figé dans cette image. Je tenais à ce que, pour le reste, mes rêves continuent à vagabonder.

1 commentaire:

Nicolas Raviere a dit…

M'est d'avis qu'il faut laisser parfois un peu de mystères :)