jeudi 20 mars 2008

Mars, qui rit malgré les averses.

Le mois de mars est un mois singulier


D'abord son nom, l'un des plus courts des noms de mois de l'année. Quatre lettres dont trois consonnes, sonorité un peu sèche, presque claquante,bien en harmonie avec le dieu romain de la guerre qui lui donne son nom.

Longtemps premier mois de l'année, rétrogradé à la troisième place, célèbre pour ses Ides fatales à César et pour ses giboulées, qui toujours m'évoquent les poésies apprises en primaire et recopiées sur un cahier spécial, où, si je me souviens bien, se trouvaient aussi les phrases retranscrites en diverses écritures, dont le script, après la leçon de morale. Je parle bien entendu de l'école primaire laïque! Le cahier était un cahier Héraklès avec, sur la couverture, ce héros de profil, le pied appuyé sur un rocher, bandant son arc pour frapper un invisible ennemi.

Mois du printemps, mois de la poésie, associé au beau temps, au désir de se découvrir, de montrer sa peau, de l'exposer aux premiers rayons chauds du soleil, alors qu'il traîne encore avec lui le long manteau de l'hiver. Les jours grandissent mais s'obscurcissent d'averses, les fleurs s'ouvrent mais un vent glacial les fripent parfois. L'année scolaire entre (déjà!) dans la dernière ligne droite, on s'aperçoit que certains élèves ont pris dix centimètres, que d'autres ont la voix qui se brise, que quelques-uns, dans les plus grands, sont plus souvent ailleurs, dans des absences langoureuses.

Février, chez les Romains, était le mois des purifications. Mars est le mois de l'attente, celui où la jeune épousée est prête à accueillir son viril compagnon, toute frémissante et apeurée à la fois, voulant percer le mystère et effrayée de ce qu'elle va découvrir. Un peu de fièvre mais un désir immense. L'année nouvelle commençait, la vie nouvelle commence aussi.

D'où cet énervement sensible de tous, ces mélancolies, ce désir d'autre chose, ces brusques changements d'humeur comme de ciels, ce besoin d'aimer et d'être aimé.

Vénus avait, contrainte et forcée, épousé Vulcain, le dieu boîteux. Elle ne mit pas longtemps à se trouver un amant plus enthousiasmant. Mars avait pour lui sa vigueur de mâle. Or Mercure, afin de révéler aux yeux de tous l'inconduite des deux amants, leur tendit un bien méchant piège. Pendant qu'une nuit, ils dormaient tendrement enlacés après leurs ébats divins, il jeta sur eux un filet de pêcheur dans lequel, en se débattant, ils ne firent que s'engluer davantage. Puis, impatient de faire connaître l'adultère, il demanda au Soleil de se lever plus tôt. Ainsi les autres dieux de l'Olympe n'eurent pas à attendre longtemps pour, si j'ose dire, se rincer l'oeil.

Cette histoire de la mythologie me semble parlante, hurlante même. Vulcain, c'est le vieux mari, l'année ancienne, l'hiver qui tente de se réchauffer au feu de sa forge. Vénus, c'est le frémissement du désir, les sens en attente du renouveau, du nouveau, de l'inconnu. Mars, c'est le bouillonnement du sang, la violence des pulsions, le delta impétueux du fleuve trop longtemps contenu entre ses rives. Souhaitons que Mercure soit celui, quel qu'il soit, qui nous permet de ne pas prendre des vessies pour des lanternes.


Poésie de mon enfance:

Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose;
Lui descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème au pré les perce-neige
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril, tournant la tête,
Il dit:" Printemps, tu peux venir>


Théophile Gautier (1811-1872)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est trop savant, je décroche...

Alexandra Minconi

Gonzo a dit…

Le mois de mai ne comporte que trois lettres, non ?

Anonyme a dit…

J'aime ! la mythologie, c'est comme les contes (ou même les religions mais là je vais me faire jeter des cailloux...), des vérités sur le monde, enrobées dans un beau nappage "fictionnel".

Gonzo : Lol, très bien vu :)

Gonzo a dit…

J'en remets une couche... Hermès c'est dans la mythologie grecque et il devient Mercure chez les Romains, non ?

Calyste a dit…

Eh bien, je vois que j'ai des lecteurs attentifs!
Alors je reprends: j'ai dit, au début du billet que Mars était un mois "singulier", et, au singulier, qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qu'on fait au singulier? On en-lè-ve le "S". Non mais! C'est qui le prof ici? Donc égalité avec Mai. Mais si on met mai au pluriel, ça fait mais, non mais! C'est clair? Tout le monde suit?
Mercure, ça me fait penser à un objet effilé et froid que l'on m'introduisait dans le derrière quand, enfant, j'avais de la température. Et l'on s'étonne que je lui préfère Hermès, un non effilé, lui, un "carré"!
Bon d'accord, je vais tout de même corriger.
Bienvenue à toi, Sire Gonzo, qui passais depuis si longtemps sans faire entendre ta voix. Continue: elle me plaît.
Et toi, Querelle, si tu es sage, je te raconterai plein d'histoires de dieux resplendissants et de déesses sages ou folles.

Anonyme a dit…

Proposition alléchante : j'opte pour les déesses folles !!! et en second, les dieux resplendissants :)


PS : héhé pour le singulier, je mérite un coup de règle sur les doigts !!!
C'est difficile je trouve d'être concentré devant un écran, par rapport au support papier :)