mardi 4 mars 2008

Les retrouvailles.

Voilà: depuis ce matin, c'est reparti jusqu'aux vacances de printemps (je n'ose pas dire vacances de Pâques, tant, cette année, elles sont loin de la fête chrétienne).

Première heure de la matinée: avec mes sixièmes. Je devrais écrire "les" sixièmes, mais ce possessif se veut avant tout affectueux: ils sont bien un peu à moi, après tout.
Vingt cinq petits monstres, autant de "bonjour" quand ils passent devant moi pour entrer dans leur salle de classe. Moi, je triche un peu: je réponds par lot de trois ou quatre. Je sais pourtant que ce sera la seule fois de la journée que j'assisterai à une telle avalanche de saluts. Déjà les cinquièmes sont plus laconiques: quatre ou cinq bonjours par classe. Mais les sixièmes sont toujours contents de revenir à l'école. En tout cas, c'est l'impression qu'ils donnent.


Quelques visages légèrement hâlés, un ou deux au bronzage prononcé, avec la marque des lunettes, plus pâle, autour des yeux, ce qui les fait ressembler à une race de chiens asiatiques, ressemblance accentuée pour certains par les traces résiduelles sur les lèvres de pommade anti-dessèchement. La plupart sont aussi blancs qu'avant les vacances. Le ski n'a plus l'air de faire recette, ou alors notre collège s'est démocratisé, ou les deux, ce qui, je pense, est plus exact.

On dirait que certains ont grandi pendant ces quinze jours. Je suis toujours émerveillé de la vitesse à laquelle ils se transforment à cet âge-là, et de la différence croissante entre eux: les uns conserveront encore quelques mois leur frêle stature et leur minois de petits enfants, prêts, dirait-on, à trouver refuge dans le giron maternel au moindre bobo. D'autres s'étirent, de corps comme de visage, il ne reste en eux que quelques vestiges de la prime enfance. Ce sont les plus émouvants, car on assiste en direct à leur mue. D'autres enfin ont définitivement largué les amarres: le front et le nez deviennent peu à peu boutonneux, le cheveu se graisse, l'odeur tourne à l'aigre, la voix joue au yoyo sans prévenir.

La "promotion" de cette année se compose majoritairement de petits modèles, à l'exception d'une fille ou deux qui tutoient déjà la pré-adolescence. Début du cours: il faut raccrocher les wagons avec ce qui a été vu avant les vacances. Surprise: tout n'a pas disparu, loin de là. Ils sont capables de se remettre rapidement au travail, ils sont toujours aussi impatients de lever la main (quand je dis la main, c'est le bras, les doigts, les fesses, tout) pour répondre aux questions que je leur pose. Quelques cascadeurs sont déjà couchés sur la table, afin que je les repère mieux, prêts à l'escalader si je ne leur donne pas la parole. Pour un prof, c'est toujours un moment de grand bonheur, même si, la plupart du temps, nous ne sommes pour rien dans cet enthousiasme.

Je distribue les photocopies sur lesquelles nous allons travailler les jours qui viennent. Et j'aperçois, du coin de l'œil, un drôle de cinéma. Je n'interviens pas, j'attends de comprendre. Un garçon, parmi les bons éléments de la classe, a l'air de se livrer à un étrange rituel. Quelques regards furtifs plus tard, je finis par décrypter son manège. Rien de clownesque, rien de provocateur. Il sent simplement chacune des feuilles que je lui tends, en les agitant devant son nez. Je parie qu'il fait la même chose avec les livres qu'il achète. Il m'arrive encore, à moi aussi, d'effectuer le même geste, rarement avec bonheur, tant les livres aujourd'hui ont une odeur désagréable, au mieux inintéressante. Le voir agir ainsi me rassure: en voilà un pour qui autre chose existe que l'écran d'un ordinateur ou d'une télévision, un qui respectera l'objet livre, un fou comme je les aime.

A la fin de l'heure, les vacances sont oubliées, la "famille scolaire" s'est recomposée, et le train est reparti. Il y aura des côtes difficiles à gravir, des accélérations à bien négocier, des gares où il faudra s'arrêter pour refaire le plein de carburant. Certains seront montés dans le TGV, d'autres prendront le temps de muser en route, de musarder, le nez au vent (et peut-on leur en vouloir, à une époque où savoir "perdre son temps", ou accepter de le faire, devient un luxe, y compris pour des enfants?). Mon souhait serait que tous arrivent au terminus en fin d'année heureux du périple, avec, à la main, un bagage un peu plus fourni et pourtant moins lourd à porter.

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