vendredi 29 mars 2019

Rendez-vous littéraire

Pipo m'a demandé de lui parler de Julien Green, que j'avais rencontré à Paris, en 1976, je pense.

A la fin de mes études universitaires, j'avais choisi son œuvre comme sujet de Maîtrise, son Journal en particulier. D'après le peu que j'en avais lu, je comptais être très négatif envers cet auteur que j'accusais de ne pas assumer son homosexualité. Pour rédiger mon mémoire, je me suis plongé plus avant dans ses écrits au point de lire tout ce qui était publié à cette époque et cette lecture m'a totalement fait changer d'avis. J'aimais la délicatesse de cet américain qui maniait si bien la langue française.

Un ami prêtre connaissait son adresse parisienne et ses coordonnées téléphoniques. Rendez-vous fut donc pris un soir dans son appartement de la rue de Varenne, ou peut-être rue Vaneau, je ne me souviens pas. Pierre m'accompagnait. A l'heure dite, nous avons sonné à sa porte. Bruit de pas feutré à l'intérieur. je pensais qu'une domestique allait nous ouvrir. Ce fut lui.

Il avait choisi la fin d'après-midi parce que c'était son moment préféré, celui où les choses s'estompent, où l'obscurité s'installe (jamais il n'alluma) et où la douceur de la vie est la plus palpable.
Ce fut ma première impression : la douceur de son visage, puis celle de sa voix. Il nous conduisit à travers cet appartement bourgeois jusqu'à son salon empli de meubles rassurants et nous fit asseoir dans deux fauteuils pendant qu'il s'installait dans un troisième, face à nous.

Je n'avais qu'à peine plus de vingt ans et n'avait jamais rencontré d'écrivain, surtout pas de cette stature. J'étais très impressionné et eut du mal à m'exprimer. Pierre prit le relais et ensemble, il parlèrent de religion, plus que moi de littérature. Lorsque l'obscurité se fit plus grande, nous prîmes congé. J'étais à la fois fasciné par l'homme et déçu par l'attitude de retrait que je n'avais pas quittée.

Lorsque mon mémoire fut écrit, je comptais remonter à Paris pour le lui remettre. Au téléphone, j'eus son ami Robert de Saint-Jean qui m'apprit que Julien Green n'était pas à Paris pour quelque temps. Ce fut la seule fois que je le vis. Quant à mon directeur de mémoire, il me fit plus de remarques sur des erreurs de mise en page que sur le fond de mon étude.

J'avais gardé un exemplaire de ce Mémoire chez moi. Je le prêtai un jour à un ami qui prétendit me l'avoir rendu. Je ne le retrouvai jamais. Alors, quelques années plus tard, j'empruntai à la bibliothèque universitaire celui qui était déposé. Ils ne l'ont jamais revu. Il se trouve quelque part dans mes bibliothèques. Il y a très longtemps que je ne l'ai pas rouvert.

Une phrase de Julien Green qui confirme ce que j'avais découvert :

- Je trompe la violence qui forme le fond de ma vie en écrivant des livres(....)  Tous mes romans contiennent sous-entendue une histoire secrète qui transparaît aux yeux de qui sait voir.

4 commentaires:

Cornus a dit…

Impressionnant de rencontrer un auteur que l'on apprécie particulièrement, j'imagine. Et donc potentiellement décevant...

Pippo a dit…

Un très grand merci, cher Calyste, d'avoir ainsi répondu à mon attente. J'ai toujours été sensible à l'étrangeté qui surgit dans de nombreux romans de Green. Comme beaucoup, le soir, j'aime contempler l'obscurité prendre peu à peu possession des choses et apaiser le monde.
"C'est au crépuscule que la chouette de Minerve prend son vol." Faux ? Vrai ? Peu importe, la phrase de Hegel m'enchante. Même si "l'esprit est inquiétude", comme il disait aussi. Retour vers l'atmosphère inquiétante de certains pages de Green.
Pipo.

Calyste a dit…

Cornus : c'est moins lui qui m'a déçu que moi-même.

Pipo : moi aussi, cette heure entre chien et loup (magnifique expression, je trouve)est ma préférée même si, pendant très longtemps, je ne pouvais la vivre enfermé chez moi. Il me fallait sortir et ne rentrer qu'une fois la nuit tombée.
Magnifique citation de Hegel. Je la retiendrai.

Jérôme a dit…

Il me semble que tu nous avais déjà, il y a fort longtemps, régalé de cette rencontre. J'ai un peu de "problème" avec Dixie que je trouvais un peu trop maniériste. Et pourtant, J'ai gardé de très forts souvenirs de cette trilogie. Au point que je ne saurais dire si j'aime ou pas cet auteur...