dimanche 18 janvier 2009

Cinq sens: Sentir

Je ne sais pas par où commencer. Je vais choisir l'entrée la plus abrupte: la mort a-t-elle une odeur? C'est l'idée, ou plutôt la question qui m'est venue hier, au cimetière, devant la tombe de Pierre.

Le redoux des températures avait permis le dégel du sol et la terre de la tombe était toute piquetée de petits creux et de bosses frêles, de petits monticules qui tenaient encore debout mais que l'on sentait fragiles depuis que la glace ne les prenait plus, que l'on pouvait démolir d'un coup de semelle. Une terre de dentelles noires, belle, vivante, ressuscitée. L'odeur des prémices du printemps n'était pas encore là, trop tôt, mais on pouvait repenser à elle pour bientôt. C'est en regardant cette terre qui gardait l'empreinte des frimas derniers que je me suis posé la question. Kikou me dit souvent que je suis imprévisible dans les idées un peu folles qui me passent à un moment par la tête. Pourtant toutes ont toujours un rapport avec la situation où elles éclosent, même si c'est seulement pour moi et même si je ne le connais pas immédiatement.

Quand je parle de l'odeur de la mort, je ne veux pas évoquer les miasmes de putréfaction qui vous assaillent parfois en été, au bord d'un chemin dans le fossé duquel achève de pourrir la charogne d'une proie délaissée. Ce n'est pas l'odeur de la mort, c'est celle de la chair finissante, décomposée, tout près de la momification. Encore quelques heures, quelques jours, quelques rayons de soleil et c'en sera fini du souvenir de ce petit mammifère. Il n'en restera plus que le carton pâte poussiéreux d'une carcasse aplatie.

L'odeur de la mort, si elle existe, n'est pas non plus celle de la chambre confinée où depuis longtemps l'on l'ouvre plus ni les fenêtres ni les rideaux par peur de la lumière, pour protéger le souffrant, pour se protéger aussi de la vision trop nette du profil nouveau de l'être aimé, de son profil d'éternité. Le masque de cire qui s'est imprimé sur sa face n'est plus tourné que vers l'ombre et même le bois des meubles lourds semble retenir ses lueurs pour ne pas l'épouvanter.

Pas davantage les relents des couloirs d'hôpitaux où la petite borne à savon pour les mains ne peut lutter contre ce qui sort des chambres, odeurs fécales, urines ammoniaquées ou doucâtrement sucrées, vague souvenir des poireaux d'une soupe de collectivité ou présence écrasante des désinfectants des corps et des sols. Parfois une infirmière qui passe et laisse derrière une trace de savon frais qui vous rassure: l'extérieur existe encore au-delà de ce couloir surchauffé, au-delà de cette perspective surexposée. L'odeur d'un hôpital est comme celle d'une église ou d'un réfectoire scolaire: on ne peut la confondre.

Je crois que devant la tombe de Pierre, mon esprit m'a menti. Il a trouvé cette question pour me détourner d'une autre pensée, plus rude, plus profonde: Pierre ne peut plus sentir ce que je sens moi, en ce moment, cette douceur de l'air qui me fait encore croire au printemps.

J'ai toujours eu un bon nez. Il faut dire que, comme mes oreilles, il tient bien sa place sur mon visage. Un nez français, presque gaulois, un nez où les lunettes ne risquent pas de trop glisser, un nez quoi, un vrai. J. dit même que parfois il nous gêne pour nous câliner, mais J. exagère toujours. Ce nez détecte et reconnaît assez bien les messages que lui envoie l'extérieur. Un soir de nouvel an chez des amis, j'ai testé avec d'autres le jeu que leur fille venait de recevoir dans ses souliers pour Noël: il s'agissait, à partir de petits godets tous semblables de reconnaître les senteurs qu'ils renfermaient. Sur un total de 25, 23 odeurs reconnues. Seules m'ont échappé celle appelée pompeusement "brise marine" et, là je m'en veux, celle si caractéristique du thym que j'ai confondue en répondant trop vite avec celle de la lavande.

Ainsi les personnes que je côtoie ne sont-elles pas seulement des silhouettes et des couleurs, elles sont aussi et parfois avant tout des odeurs. Odeurs souvent agréables voire excitantes, déclenchant en moi des réflexes pavloviens (non, je n'en dirai pas plus. Une simple odeur de lessive, reconnaissable entre mille!), parfois hélas désagréables et repoussantes, car le nez ne fait pas le tri. Pour moi, les atomes crochus passent par le nez aussi, et quand ils sont accrochés, lui peut alors permettre bien des fantaisies. Mais je m'égare!

Je disais tout à l'heure que certaines odeurs sont uniques, comme celles des églises par exemple. Il m'est arrivé aussi, en entrant quelque part, où que ce soit et sans raison précise, de tout à coup, à cause de l'odeur ou plutôt de l'atmosphère, de la qualité, de l'épaisseur, de l'"assaisonnement" de l'air, être pris d'une sorte de vertige, d'éblouissement passager comme lors d'une chute brusque de tension. A quoi cela tient-il puisque rien, dans l'aspect ni dans l'odeur ne permet de prévoir cet éblouissement?

Sentir, c'est aussi appréhender d'une certaine manière, pressentir. Hier, je n'ai pas écrit de billet. J'ai eu deux courriels, de deux femmes. Étrange comme les femmes sentent mieux, souvent, que les hommes! Je les remercie et les embrasse.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu te poses des questions que tout le monde, un jour où l'autre, on s'est posé. On garde en souvenir les odeurs, comme le reste. Parfois, quand je tombe sur l'une d'elle, le souvenir revient à toute vitesse.
Concernant l'âme, je crois que l'affection reste, je l'espère...

Anonyme a dit…

Pressentiment.
Sentiment. Impression non raisonnée et confuse d'un événement futur mais qui n'apparaît pas clairement.

Anonyme a dit…

Je n'ai rien senti... mea culpa

J'avais remarqué l'absence de billet mais je ne l'avais lié à rien de précis.
Vague à l'âme rétrospectif.

Je t'embrasse mon grand.

Calyste a dit…

Pour certains, Petrus, le sens de l'odorat n'est que secondaire.

Événement est un bien grand mot, Anna, à moins qu'il ne veuille dire que ce qu'il adviendra.

J'accepte ton baiser, Lancelot, mais pas ton inquiétude. Et j'en profite pour t'embrasser en retour.