jeudi 26 avril 2012

Souffle

Je l'ai retrouvée à six heures moins quart, à la sortie de la bouche de métro, assaillie par les rafales d'un vent violent qui n'a pas cessé de la journée. Nous avons fait ensemble le peu de chemin qui restait jusqu'au lieu des réjouissances. Pour la distraire de la tension que je sentais en elle, je lui ai montré cette plaque contre un immeuble bourgeois, quelques mots commérant le séjour de quatre ans de Baudelaire ici. Elle ne l'avait jamais vue. Moi, j'ai mis longtemps à la repérer.

Le coin de la rue. Nous y sommes. Déjà des têtes connues sur le trottoir. Plus encore à l'intérieur, qui se pressent dans l'atrium où un semblant d'exposition historique est affichée. Bien piètre hommage à ces quarante d'existence. Au début, je la précède, les gens la découvrent derrière moi lorsque je m'écarte. Tous sont heureux de la revoir. Pas seulement de la politesse (peut-être pour certains), de la vraie joie, comme celle d'Isabelle qu'elle étreint longuement dans ses bras. Bien vite, elle navigue seule. Je me laisse happé par tous ces visages, vieillis pour la plupart mais qui s'éclairent encore d'un large sourire, ceux des trois établissements que j'ai fréquentés en tant qu'enseignant, ceux que j'ai côtoyés au Conseil d'Administration ou dans les réunions de l'Association, ceux des anciens parents responsables de la chorale ou de la catéchèse, ceux des anciennes secrétaires. Comme une réunion de famille.

Je craignais du béni-oui-oui. La messe fut simple et sincère dans cette chapelle néo-gothique qu'une restauration réussie rend presque belle. Dans le chœur, l'alpha et l'oméga. Au dernier rang, tout près de moi, un très jeune surveillant du collège, nouveau de cette année. Comme en écho, un autre début et une autre fin. Quand nous ressortons, le vent souffle encore plus fort. Marie-Claire m'invite au restaurant et ne choisit pas le moindre: la Tassée où Sagan avait ses habitudes. Un dîner parfait et plein de saveurs délicates. La conversation durera encore longtemps devant le métro où elle disparaîtra pour ce soir.

J'ai envie de rester seul, de "me parler à moi-même" comme elle l'a dit. Sur le pont du Rhône, je marche difficilement. Une jeune fille toute fluette me dépasse et progresse d'un bon pas. Comment fait-elle pour marcher aussi vite? Les rafales violents me font du bien, comme si l'esprit avait décidé de souffler plus fort ce soir.

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