mercredi 11 avril 2012

Pages marquantes (35)

Et ce dialogue, que je prise entre tous (Tartuffe, Acte III, scène 3):

ELMIRE
Que fait là votre main?

TARTUFFE
Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse.

ELMIRE
Ah! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)

TARTUFFE
Mon Dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux!
On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux;
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire.

ELMIRE
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi?

TARTUFFE
Il m'en a dit deux mots; mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE
C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre.

TARTUFFE
Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre.

ELMIRE
Pour moi, je crois qu'au Ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien ici-bas n'arrête vos désirs.

TARTUFFE
L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles;
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles:
Il a sur votre face épanché des beautés
Dont les yeux sont surpris, et les cours transportés,
Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l'auteur de la nature,
Et d'une ardente amour sentir mon cœur atteint,
Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint.
D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite;
Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, Ô beauté toute aimable,
Que cette passion peut n'être point coupable,
Que je puis l'ajuster avecque la pudeur,
Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande
Que d'oser de ce cœur vous adresser l'offrande;
Mais j'attends en mes vœux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité;
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,
De vous dépend ma peine ou ma béatitude,
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,
Heureux, si vous voulez, malheureux, s'il vous plaît.

ELMIRE
La déclaration est tout à fait galante,
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme.

TARTUFFE
Ah! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme;
Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.

Molière, Tartuffe

6 commentaires:

Cornus a dit…

Pas mal en effet. C'est une pièce que je n'ai pas lue, mais seulement vue à la télévision.

Calyste a dit…

Pierre adorait déclamer ça devant les copains, avec forces mimiques.

karagar a dit…

"Pour être dévot..." Je la cite souvent celle là à mes étudiants, tout surpris qu'ils sont du sens parfois concessif de la préposition "pour" en breton, afin de leur rappeler que ce peut être le cas aussi dans la langue... de Molière.

Calyste a dit…

Karagar: cela me rappelle une expression typiquement stéphanoise: "pour selon que"= bien que.

Cornus a dit…

Tiens Calyste, certains membres de ma famille ripagério-monts-du-Lyonnais utilisent "pour selon" avec ou sans le "que" derrière. Ma mère, qui vient pourtant de là n'utilise pas cette expression contrairement à ma tante, mes cousins...

Calyste a dit…

Cornus: oui, on l'utilise aussi dans ma famille sans le que. D'ailleurs, ça me vient de temps en temps parce que ça veut bien dire ce que ça veut dire et qu'il n'y a pas tout à fait l'équivalent en français académique.