dimanche 17 août 2008

Lettres à Pierre: sixième lettre.

Mon Pierre, viendras-tu à chacun de nos rendez-vous, le soir? Parfois, j'ai peur que tu ne sois pas là. Les mots te feront-ils toujours apparaître? Comme autrefois la bonne nuit souhaitée d'une chambre à l'autre, toutes portes ouvertes, était un gage de sérénité. Je sombrais. Le rite était accompli. Toi, tu veillais encore, longtemps. Quand je m'endormais sur le livre, tu venais. Je t'apercevais à peine, déposant le volume sur la tablette et recouvrant mon bras. Et la lumière s'éteignait.

Les nuits. D'amour d'abord, que la tendresse vint assagir. Notre fête n'était pas charnelle. Ma peau, j'allais la satisfaire ailleurs, jamais exultante. Frottée mais pas rassasiée. Avec toi, je gardais mes racines, ma force: le dernier bavardage, assis sur ton lit, le chien lové en rond près du chevet, le baiser effleuré, même tendresse quotidienne, jamais usée, et je regagnais ma chambre. Personne n'aurait pu m'enlever ces certitudes.

Au détour d'une page, nous échangions les phrases lues. Le chien hésitait. Il finit par dormir dans le petit hall, entre les deux. Et puis l'incantation ou ton apparition nocturne quand mes yeux se fermaient plus vite que le livre. Le matin, c'est toi qui dormais après moi. Le chien me léchait la main. La journée commençait.

Certains soirs, l'un manquait. Alors nous fermions les portes. Quand je rentrais, un rai de lumière sous la tienne, toujours. Tu m'attendais. Je te racontais ou bien je ne voulais pas te raconter et je blottissais ma fatigue un instant contre toi. Comment faisais-tu pour la faire s'alléger?

Moi, il m'arrivait de m'endormir en te guettant mais j'entendais toujours la clé dans la serrure et la fête silencieuse que le chien te donnait. Tu entrebâillais ma porte: tu dors? Et tu me racontais ton travail.

Une nuit, tu n'es pas rentré. Sommeil en pointillés avant de m'effondrer sur le matin. Quand je t'ai vu revenir, aux petites heures, j'ai découvert ta détresse. Ce matin-là, je suis devenu l'adulte. Je te rendais. C'est toi qui avais besoin de moi. J'ai essayé de porter avec toi tes angoisses, tes insomnies. Tu n'as pas voulu alourdir le bagage. Tes mots me protégeaient. Tu en as trop emprisonné en toi. Je n'ai pu te garder de la maladie.

La nuit s'est déchirée. Tu souffrais. Je t'entendais, au moindre souffle. Le chien n'était plus là. C'est moi qui voyageais d'un lit à l'autre. Je guettais le rythme de ton souffle. Heureux quand pour un instant il devenait régulier. Je t'avais encore auprès de moi.

Les quatre dernières. A la clinique. Chaleur suffocante de cet été. Etais-tu encore là? Je ne veux pas les évoquer. Toi et moi les avons partagées. Simplement la rose, blanche, avalanche, que je mettais toujours sur la table, en face de ton lit et sous laquelle tu disparus en terre.

Aujourd'hui, je dors dans ta chambre, dans ton lit. J'ai connu l'insomnie, la peau moite et froide des terreurs nocturnes. J'ai libéré mes mots. Je réapprends. Je veux vivre, pour deux. Vivre en te gardant tout près mais partir chaque jour dans le soleil pour te rapporter le soir des fruits et des branchages et des fleurs par brassées. Et tu souris, mon Pierre. Et je souris aussi.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Douleur et douceur se tiennent l'une par l'autre.

Anonyme a dit…

"Je veux vivre, pour deux"
Mais ton témoignage ici permet de démultiplier ta force, ta vie, et de nous en faire bénéficier, nous aussi.
Merci, encore et toujours