mercredi 13 août 2008

Lettres à Pierre: deuxième lettre.

La première lettre, la lettre A, oui Amour. La deuxième s'écrit B. Bonjour, le bon jour, la rencontre. Je ne t'avais pas vu, toi non plus. Jamais nous n'aurions dû nous connaître. Il était beau, très beau, il s'appelait Karim. Je sais encore son prénom, de celui à qui tu souriais ce soir-là. Moi, je ne souriais pas. Je ne souriais jamais dans ces clubs de nuit. Je ne sais toujours pas sourire. Rire oui, mais pas sourire. Tu n'as pas pu m'apprendre. Seuls mes yeux, disais-tu souvent. Toi, le pli de tes lèvres, chaud et pudique, conquérant.

Quelle alchimie nous a assemblés? Dire les mots justes surtout. Ne rien avancer lorsque je ne les trouve pas.

J'avais presque vingt ans. Toi, tu m'en dis trente, un de plus ensuite pour rétablir le vrai. Les mots nous ont unis, plus que le désir. Tu parlais, je me taisais. Et tu as entendu les mots de mon silence. Déjà. Au fil des années, il ne fut plus utile de les employer, les sonores, ou alors le début de la phrase, une simple évocation de la pensée complète. Le reste silencieux mais compris de l'autre, du deuxième soi. Nos amis nous le reprochaient. Nous ne pouvions faire autrement que nos ondes se croisent et se reconnaissent.

Le lendemain, tu es reparti. Un de tes frères venait de s'ouvrir les veines. C'est toi qu'on appelait. Toi le plus fragile, le fort. Tu avais été prêtre, tu raccommodais tout, les âmes et les poignets. Tu as toujours été prêtre, même loin du tabernacle. Je n'ai pas eu peur de ton ancien état, un futur possible à moi, dont la mort de ma soeur Christine m'avait éloigné, de l'autel comme de Dieu.

Les mots dont nous nous abreuvions dans ta chambre, lorsque je t'eus rejoint, en Bourgogne, entre deux baisers. Ta peau rougie par ma barbe trop rude. Je n'avais pas le temps du rasoir. Parler et faire l'amour. Inlassablement. Toute cette semaine-là. Les mots pour dire l'angoisse de ne pas te voir arriver le premier soir, à la gare. Tu avais été retenu, tu étais en retard. Tu as toujours été en retard. Petit accroc de notre histoire, comme un point sur le pare-brise, qui jamais ne le fit voler en éclats.

Les mots pour me dire ton passé, dont tu venais à peine de soulever le couvercle. Les mots, les tiens et ceux des autres. Kierkiegard. le Journal d'un Séducteur. Comme tu m'ébahis avec ce titre, même si j'y devinais la tristesse! Eluard aussi. Et la musique. Tu me dédiais Shumann. Toi, tu gardais Bach. Je te le pris, bien vite. J'entrais dans ton jardin. Nous avions assez de place pour tous les deux. Les cantates. "Mets de l'ordre dans ta maison". Le cor de la première. Nous pouvions construire. Le flot de nos mots, des notes nous aiderait.

Les mots ont été le ciment, le silence les assemblait. Première rencontre avec Cluny, les brumes humides de la campagne bourguignonne. Je t'attendais toute la journée, enfermé dans ta chambre, comme un chien je respirais ton univers d'exilé, je le marquais de mon odeur. Tout m'intéressait dans ce qui t'intéressait. Je me glissais dans ta peau, dans ta vie.

Retour à Lyon. J'étais heureux. Trente-trois ans. La maladie a tenté de refermer le livre, de tarir les mots. Elle y est parvenue sur ta bouche. Je parlerai pour deux et partagerai mes silences.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pierre, fleur de lumière...

Anonyme a dit…

Ouah!!! c'est beau, Pierre t'écoute et te lit c'est sûr!Il est loin très loin, mais aussi tout près! mille bises Dominique