lundi 18 août 2008

Lettres à Pierre: septième lettre.

Un jour, très tôt, tu m'as fait découvrir l'Italie. Combien de voyages? Quelle image pour quel site? quel souvenir? quelle époque? Rome, Naples, Venise, Florence, Sicile, Sardaigne, et toutes les routes de traverse, les villages à peine indiqués sur la carte, les visages rattachés à un mot, les mots qu'il fallut m'expliquer au début, l'amour qui grandit en moi, qui me fit apprendre la langue, partir seul parfois, ou pâtre pédagogue. Mon pays. Mon autre chez moi.

Premier émoi sous le tunnel. On y est. Curiosité de tout voir, le semblable, le voisin, le différent. Honnir l'anglais, tout de suite. Permission de deux langues: le français et l'italien. Mon dieu, faites qu'ils ne se prostituent pas à ces syllabes nordiques. Leurs gorges sont douces, leurs lèvres sont chaudes. Ne pas les laisser se vendre. Nos deux langues cousines, les plus belles, à tresser la musique de fleurs de jasmin.

Bien sûr, nos lieux communs à tous les autres. Et puis les nôtres, à nous, rien que tous les deux. Des flashes de lumière pour moi. Tu saurais les situer. Je ne sais que les évoquer. La lumière toujours. Récompense d'Ulysse. La mer, rauque chanteuse, avait pris pour nous d'autres accents plus harmonieux.

Une route droite, écrasée de soleil. Il est midi, peut-être plus. Il faut manger. Sommes-nous en Sicile? Au fond, une auberge, un grand parking poussiéreux. Pas d'arbres, ou alors desséchés. La voiture chauffera. J'aime savoir que je suis en été. Chaleur et poudre de la terre ocre. La salle est déserte et fraîche. Le perroquet est dans sa cage. Il dormait. Nous l'avons réveillé. Il a appris l'hospitalité des îles de la Méditerranée. Il ne nous en veut pas. Le pain et le couvert. Eau fraîche et fiasque de vin léger. La clisse protège les carreaux rouges et blancs de la nappe. Pourquoi cet instant et pas un autre?

La mer. L'après-midi. Sicile encore sans doute, ou Sardaigne. Au bout du chemin, l'église paléochrétienne, perdue, isolée, méprisée dans les herbes de paille. En contrebas, plongeant dans le bleu, les colonnes antiques, déjà presque ensevelies dans la vague, lui montrant son futur. Écroulement sublime, morsures de coquillages, jeux de poissons qui, les frôlant, murmurent leur silence. Une seule, debout, semble attendre encore l'improbable trière. Nous étions seuls. Nous avons nagé dans le temps, nus, silencieux.

Capri. Tu t'en souviens? Folie de monter à midi à la Villa Jovis. Je t'entraînais vers mes pierres. Là aussi, nous étions seuls, sous le soleil. La chaleur avait découragé. Elle nous fit ses cadeaux, inattendus. Le long du chemin, jardins aperçus par des grilles entrouvertes. Ai-je rêvé l'eau qui chuchote et la menthe sauvage? Au sommet, le palais de Tibère, anonymat des murs et splendeur de la baie. Un vieillard, sorti de terre et des éboulements, te prit ton appareil et nous photographia, l'un contre l'autre, nous invitant lui-même à la tendresse. Il disparut comme un lézard, quand nous tournâmes les yeux du côté du Vésuve. Le soir, les statues des dieux antiques s'animèrent pour nous.

Petits points de couleur sur la tapisserie: les jardins du bord de mer, un soir, leurs bassins vides où nous nous glissâmes pour échanger des baisers avec de jeunes napolitains, les nuits à la Solfatare sur l'estomac de la terre, le Colysée la nuit où les voyous de Pasolini, furieux que l'on ne s'intéressent pas à eux, nous jetèrent des pierres, les chats du Palatin, la douceur de Syracuse, le mépris de Taormina, les moustiques de Marsala, le vin, le fromage, le geste de la main, la douceur de la nuit.

Il faudrait rajouter une vie, deux, mon Pierre, une pour toi, une pour moi. Deux pour les revivre, ces instants partagés, communiés, où le regard apprit à remplacer la parole. Et deux pour se les raconter, en regardant ensemble "vers un autre océan où la splendeur éclate."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ah.... l'Italie...
Elle nous prend dans ses bras et lorsqu'on en ressort on en est amoureux, à jamais...