dimanche 4 novembre 2012

Et les yeux dans les yeux...

J'étais étudiant à l'époque. Je n'avais pas de voiture, ce qui affine la datation: j'avais probablement entre dix-huit et dix-neuf ans. Je prenais le bus, matin et soir, pour rejoindre la fac ou ma chambre en cité universitaire. Étrangement, je me souviens encore parfaitement du lieu: avenue Berthelot, dans le 7°, entre Jean Macé et les quais du Rhône.

J'étais à l'avant du bus, debout juste derrière le chauffeur. Il y avait pas mal de monde. Près de la porte centrale, une femme d'un certain âge, visiblement aisée, tout près du troisième âge. Derrière elle, un jeune homme, à peine plus âgé que moi et que j'avais remarqué pour la beauté de son visage. Bientôt, ce fut davantage sa façon de se comporter  qui m'intrigua. Il semblait nerveux, ne cessant de regarder autour de lui. Je le vis plus tard plonger délicatement la main dans le sac de la bourgeoise et commencer à en extirper quelque chose. Mais à ce moment-là, ses yeux croisèrent les miens et son geste s'arrêta net.

Je l'avais vu et il avait vu que je l'avais vu.  Nous ne nous quittâmes plus du regard pendant de longues secondes. Pendant ce temps, mon  cerveau  fonctionnait en mode turbo. Que devais-je faire si, malgré moi, il s'emparait de quelque chose appartenant à cette femme? Prévenir le chauffeur, la victime? Dénoncer le pickpocket? Il pouvait devenir violent. Je ne sais pas ce qu'il lut dans mes yeux qui ne le lâchaient pas, un profond mépris, une menace, de la pitié, de l'empathie...

A l'arrêt suivant, il descendit sans avoir rien subtilisé et, du trottoir, m'adressa de la main un baiser. Je n'ai jamais regretté ma façon d'agir ce jour-là. Peut-être est-ce, même, de ma vie, le baiser dont je me souviens le mieux.

Voilà le souvenir qui m'est revenu tout à l'heure, sans raison. Pourquoi? Mais je me pose aussi une autre question: l'aurais-je dénoncé s'il n'avait pas été beau?

13 commentaires:

Petrus a dit…

C'est curieux, j'ai eu un jour ce dilemne (mais il n'était pas si beau que ça !)et, malgré mes principes, je ne savais pas ce que j'aurais fait s'il était passé à l'acte.
Mais c'est vrai que, parfois, certains petits souvenirs reviennent, certainement réveillés par un petit rien de notre existence..

laplumequivole a dit…

"un profond mépris, une menace, de la pitié, de l'empathie..."
Le baiser semble dire qu'il avait fait son choix dans ces lectures possibles de ton regard, non ? À moins qu'il ait été mauvais lecteur, ou très moqueur...

Jérôme a dit…

Il avait vu que tu l'avais remarqué et sans doute te trouvait-il mignon... il n'a pas voulu te décevoir!

Yo a dit…

Qu´on m´amène ce jeune homme,
Ce fils de rien, ce tout et pire,
Cette crapule au doux sourire,
Ce grand gars au cœur tendre,
Qu´on n´a pas su comprendre,
Je sens que je vais le conduire,
Sur le chemin du repentir,
Pour l´avenir de la France,
Contre la délinquance...

P. P. Lemoqeur a dit…

C'est con cette histoire ! Il aurait dû dépouiller la rombière, te payer un petite bouf, et qui sait, une chambre d'hôtel dan s la foulée ! Une histoire à la Genet, un peu...

Jean-Pierre a dit…

Je suppose que c’est le baiser d’adieu ambigu du jeune éphèbe qui tourmente ta mémoire..
Ironie du voyou face à la probité, complicité de la jeunesse, envoi d’un « pardon » pour le vol raté, ou conscience du trouble équivoque qui t’agitait.. ? un geste dénué d’agressivité, mais un geste souverain.
Et je suppose qu’après ce geste tu aurais été prêt à tout lui pardonner, sans doute.. ?
J’ai lu dernièrement le roman de Pasolini « Ragazzi di vita » qui décrit la vie faite d’expédients, de jeunes garçons au charme sulfureux, appartenant au sous-prolétariat urbain de la Rome de l’après guerre. Et dans un épisode justement, un des « garçons » subtilise un portefeuille à une femme dans un autobus..

Kab-Aod a dit…

Le courage n'a pas obligation de nous motiver à tout instant critique. Je me suis vu intervenir, je me suis vu rester couard ou indifférent. J'ai pourtant l'avantage de la corpulence, de la ceinture noire et de l'expérience du conflit ^^ Ce qu'il faut noter, c'est l'interprétation du baiser soufflé. C'est ici qu'à pris racine ton souvenir.

Calyste a dit…

Petrus: je ne sais pas pourquoi celui-ci est revenu ce jour-là, mais sa "résurrection" m'a fait plaisir.

La plume: oui, il avait son choix, et c'était le bon. J'en suis sûr, même des années plus tard.

Jérôme: vil flatteur!...

Christophe: merci pour ces quelques vers. Je suis fan de la longue dame brune, tu le sais.

PP: je me connais, je n'aurais sans doute pas dit non....

Jean-Pierre: tout lui pardonner? Sans doute. Pour m'avoir fait vivre un moment unique.

Kab-Aod: et dans le tremblement qui m'a agité intérieurement pendant tout l'épisode et qui, pour moi, dans ma mémoire, est indissociable de la tendresse du baiser envoyé.

Cornus a dit…

J'aurais bien été du genre à ne rien remarquer, mais si tel avait été le cas, je ne sais pas comment j'aurais réagi exactement : en criant peut-être ?

laplumequivole a dit…

Cornus > Mais t'aurais eu ni bisou ni souvenir, malheureux !

Calyste a dit…

Cornus: écoute ce que dit La Plume!

La Plume: et il n'y aurait rien eu à raconter! Quoique! J'aurais bien trouvé autre chose. Comment dit-on bavard du clavier?

P. P. Lemoqeur a dit…

Calyste,
on dit dactylogorrhéique !

Calyste a dit…

PP: beurk!