mercredi 9 janvier 2008

Préjugés

Simone de Beauvoir aurait cent ans. J'ai appris la nouvelle par la radio ce matin.

Occasion de faire un petit bilan. Qu'ai-je lu d'elle? Rien. Absolument rien. Je suis professeur de français et je n'ai pas lu Beauvoir? Honte à moi, bien sûr, mais j'ai presque aussi peu lu Sartre, ou Camus, ou d'autres du XX° siècle.

Je viens de me rendre compte que je suis passé du XIX° à la littérature extrêmement contemporaine en sautant cette étape, plus ou moins volontairement d'ailleurs. De culture littéraire très classique (latin/grec), j'ai été formé (déformé?) à n'apprécier que les "grands" textes de l'Antiquité ou des siècles passés. Le jour où j'ai lu mon premier roman policier, j'avais le sentiment de commettre un péché, de me compromettre dans de la "sous-littérature".

Je suis extrêmement reconnaissant à mes Maîtres (car c'est bien là le nom que je donne à ces vieillards pétris de culture qui m'initièrent à l'amour de la littérature) de m'avoir ouvert les portes du savoir livresque, mais je leur en veux tout autant de m'avoir placé sur les yeux quelques oeillères dont j'ai eu du mal à me débarrasser.

Ainsi, à de rares exceptions près (Gide ou Greeen par exemple, pour des raisons que l'on comprendra), le roman s'arrêtait pour moi à Zola, la poésie à Verlaine et le théâtre à Racine. Après, le néant. Les auteurs engagés dans un quelconque combat de leur époque ne m'intéressaient pas: il fallait regarder le monde de sa tour d'ivoire pour espérer grâce de ma part, ne parler que littérature, n'écrire que littérature.

Il a fallu la saine révolte d'une de mes élèves de seconde qui aimait Camus pour me faire découvrir cet auteur. A ma décharge, le seul ouvrage que je connaissais de lui était bien entendu L'Etranger, étudié en classe de terminale sous la férule d'un jeune professeur femme. Jeune et femme: deux circonstances agravantes pour moi qui n'avais connu dans ce rôle que des vieillards chenus. Je dois d'ailleurs dire que je n'aime toujours pas ce roman.

Aujourd'hui, je trouve cela stupide, bien évidemment, mais il est trop tard: ces auteurs que j'ai méconnus sont morts pour la plupart, leurs combats ont pris fin, par la réussite ou l'oubli, et d'autres revendications sont à ce jour soutenues par d'autres plumes. Je ne ferai pas la même erreur en revenant en arrière. Je lis l'actuel, la plupart du temps. Mais jamais ce manque en moi ne sera comblé. Pas plus que celui, parallèle et se nourrissant aux mêmes racines, qui fait que je suis pratiquement incapable de tenir correctement un marteau ou d'ouvrir une boîte de conserves sans me blesser.

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