samedi 10 juillet 2010

Lyon et son âme, version Calyste

Cornus, dans un commentaire, m'a demandé de lui définir ce que je pensais être l'âme de Lyon dont je disais que la ville l'avait perdue depuis quelques années. Question difficile, mais je vais essayer tout de même d'y répondre.

D'abord, il est bien évident qu'il s'agira de mon avis, totalement personnel et qui ne vise en rien l'objectivité. L'an prochain, cela fera quarante ans que j'habite cette ville. Cela donne le droit d'en parler, sans doute, mais pas d'affirmer. D'autre part, Lyon, pour moi, eut plusieurs âmes successives, selon l'angle sous laquelle je l'envisageais.

Mes premiers souvenirs, lors de voyages scolaires d'une journée depuis Saint-Étienne, la trop voisine, me montrent le Parc de la Tête d'Or, son lac, ses animaux et ses faux ponts japonais en béton moulé. Je trouvais ça splendide de même, avec un goût un peu plus assuré, que la Place des Terreaux qu'entre nous nous appelions la place des pigeons tant ces volatiles l'avaient, pour quelques années encore, colonisée. Une âme animale avant tout, donc.

Puis je connus la nuit lyonnaise, d'abord épisodiquement en venant de la Loire le samedi soir m'encanailler dans les rares boîtes homos de l'époque, puis plus régulièrement lorsque je décidai de quitter la famille pour immigrer ici. Période facile, drôle et malheureuse à la fois, pleine de rencontres et d'expériences, stérile en fin de compte, mais n'est-ce pas ainsi que l'on se forge? La deuxième âme était donc lascive et nocturne à la fois.

Ensuite, lorsque je me sentis chez moi à Lyon, ce qui mit bien trois ou quatre ans, tant les lyonnais au premier abord semblent ne pas être accueillants, la cité devint mon lieu définitif de vie, mon lieu de travail, le lieu où, avec Pierre, je formais pour la première (et unique) fois un projet de vie avec un autre homme. Peut-être est-ce là que j'ai approché au mieux ce qui me semble être l'âme de la ville. Débarrassé des enthousiasmes enfantins et des démangeaisons de l'adolescence, je pouvais mieux la voir et l'apprécier.

D'abord, elle me parut belle, extrêmement belle, et sur ce point je n'ai pas changé d'avis. Son site, ses fleuves, ses collines, ses ciels, ses monuments, son atmosphère italienne, florentine, ou alors praguoise, n'ont cessé depuis de me séduire et même de me surprendre, au détour d'une rue, par une échappée sur quelque chose de beau, expérience que, jusqu'à ce jour, je n'ai connu ailleurs qu'à Rome, Paris étant à mes yeux trop cartésienne.

Ces lyonnais qui, au début de mon implantation ici, me semblaient si froids, si lointains, si bourgeois m'ont petit à petit entièrement séduit. Ils ne sont pas froids, ils sont réservés et respectueux de l'intimité de l'autre. mais si vous vous adressez à eux et qu'ils vous connaissent un peu, ils se mettront en quatre pour vous aider, pour vous faciliter la tache. Est-ce l'influence de la mentalité franc-maçonne si présente à Lyon?

De plus, Lyon n'est pas une ville uniquement bourgeoise, même si certains quartiers pourraient le laisser croire. Lyon est aussi et parallèlement une ville populaire, une ville ouvrière, avec ses révoltes sanglantes et la mise en place de certaines réformes sociales bien avant le reste de la France. Car ce qui, à l'époque, faisait le ciment entre bourgeoisie et couches populaires, c'était une profonde conviction religieuse. A Lyon, on était avant tout croyant et le Christianisme y a pris souvent, et naturellement, des nuances humanitaires et, comme l'on dirait aujourd'hui, solidaires. A Lyon, on vivait un catholicisme social, ce qui en surprend plus d'un encore de nos jours, bien sûr.

Aujourd'hui, Lyon est définitivement ma ville. Je ne la quitterai plus et c'est là que l'on m'enterrera un jour. Je n'ai pas de regrets de mes origines ligériennes: c'est ici que j'ai fait ma vie. En disant que Lyon perdait peu à peu de son âme, j'ai voulu dire que ce qui en faisait la spécificité - un certain quant-à-soi, un art de bien se nourrir, un partage de l'espace sans ségrégation, l'absence de toute ostentation chez ceux qui possèdent la richesse, une atmosphère feutrée et délicate, à l'image de ses brumes matinales sur le Rhône ou de ses crépuscules aux nuances toscanes-, tout cela disparaît ou se masque au profit du manger-n'importe-quoi, du défilé des vanités, de la transformation du plaisir en consommation, du bruit et, certains soirs, de la fureur. Comme Rome, sa grande aînée, Lyon vend ses trésors au plus offrant et n'en conserve qu'une pâle copie destinée au touriste lambda.

Voilà ce que, ce soir, je peux répondre à Cornus. Ce que j'ai écrit là est venu d'un seul jet, je ne le corrigerai pas. sans doute faudrait-il le faire mais je suis désolé: je dois dîner avec des amis. Vous voyez: tout espoir n'est pas perdu!

10 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Et donc, s'ils ne te connaissent pas quand on s'adresse à eux? Ils font quoi? Tu m'expliqueras le lien avec l'intimité ;)
Je n'ai jamais connu de lyonnais à Lyon. Un ami, ancien, lyonnais de son état, aimait à raconter que cette légende décrite était assez vrai. Qu'après un dîner, la première chose à faire pour un lyonnais était de recompter les petits cuillères.
J'ose penser que c'est faux. Mes rares passages ou séjour à Lyon ne m'ont toutefois pas permis de le constater.

D. Hasselmann a dit…

J'ai vécu un an à Lyon, à la Croix-Rousse, je me souviens des traboules et d'un café nommé, sur la pente, "L'Abri côtier".

Ce que j'aimais dans Lyon c'étaient les avantages d'une ville comme Paris (spectacles, animation) sans ses inconvénients (foule, pollution).

Chaque année je retraverse la cité, j'y ai découvert les vélos rouges avant qu'ils ne deviennent plus neutres à Paris. Le tunnel de Fourvière est une ouverture vers le Sud, Uzès, la Provence...

J'aime les villes traversées par des fleuves : Lyon, de ce point de vue-là, possède un atout supplémentaire par rapport à Paris !

Pour ce qui est de la vie dans une grande ville, chaque expérience est sans doute unique.

La Discrète a dit…

Il est amusant de penser que nous nous sommes peut-être croisés lors de ma période lyonnaise (de 1978 à 1986) :-)

J'aime Lyon car ce fut la ville de ma jeunesse même si certains moments n'y furent pas toujours heureux.

Cette ville a l'avantage de la grande ville sans les inconvénients de Paris (où j'ai vécu aussi plus de 10 ans)

Il n'est pas impossible que j'y retourne pour mes vieux jours d'ailleurs, sans chercher la ville que j'ai connue car cela, je sais que ce ne sera plus possible.

Fabrice a dit…

Aujourd'hui, je suis à l'étroit à Lyon. Je vis et travaille en presqu'île et mes horizons sont les quais de la Saône. Tous les jours je contemple le spectacle de Bellecour et du coteau de Fourvière. Je n'éprouve aucun besoin de franchir les fleuves, cantonnant mes week-ends à des va-et-vient entre les pentes de la Croix-Rousse et Bellecour. J'ai l'impression de connaître chaque façade, chaque porte, chaque commerce. Et pourtant, il suffit que l'un d'eux change pour que je sois incapable de savoir quelle activité était exercée auparavant. J'erre dans ma ville maintenant. Je rêve de Paris, moi le lyonnais de Bellecour...

Cornus a dit…

Mon commentaire n'était en effet pas innocent, mais je n'avais bien entendu aucune exigence. Et en fait, je ne suis pas déçu de la réponse très complète.
Commentaire pas innocent, mais relative innoncence sur Lyon qui est une ville que je ne connais que par des demi journées passées là-bas ou d'y avoir transité tous les jours pendant 3 mois lorsque j'étais stagiaire à l'institut Pasteur.
Des nuits lyonnaises, je n'ai aucune idée et cela ne m'intéresse pas.
Lyon est une belle ville, et c'est aussi la raison pour laquelle je ne dédaigne pas m'y rendre (y vivre, c'est autre chose, mais cela n'a rien à voir avec Lyon, mais les grandes villes en général).
Tu donnes quelques explications historiques à ta vision de l'âme de Lyon, et j'y suis sensible. D'ailleurs, j'ignorais notamment que le côté "catho-ouvrier" qui a été assez vivace jusqu'à il y a peu.
Tu dénonces la perte de l'identité lyonnaise : on ne sait plus manger, plus partager... Je suis très sensible à ça car je crois que ces particularités se retrouvent loin dans les "campagnes" de la région lyonnaise. Et j'espère franchement que tout n'est pas mort dans ce domaine. Et je crois malheureusement que cette perte d'âme n'est pas spécifique à Lyon, mais générale, au moins dans les grandes villes.
Mais n'est-ce pas aussi la conséquence du métissage, des crises...

Sur le plan gastronomique par exemple, sans parler des grands restaurants qui du reste je ne connais pas, on est souvent dans la standardisation à outrance. Les bons petits plats pas chers faits maison, c'est en voie de disparition partout, au profit de sophistications outrageuses et parfois uniquement cosmétiques.
Ceci dit, on empêchera jamais la vulgarité et j'ai l'impression

karagar a dit…

Voila bien un exercice auquel j'aurais été incapable de me soumettre. Je crois qu'au fond je n'ai jamais imaginé la ville comme un endroit de vie. 24 ans de banlieue parisienne, Paris fréquenté pour la fac et fui dès l'heure de fin des cours sonnée tant elle me semblait inhospitalière. Après cela je n'ai vécu que dans ce que vous appelez des "hameaux" et qu'on dit "villages" ici si l'on exepte trois ans à Quimper, mais rien de commun avec Lyon en taille bien sûr.J'aime cette ville, c'est sans doute la seule ville que j'aime vraiment, malgré ses habitants dirais-je, mais j'en fait abstraction sans problème, si bien que je je devais me livrer à cet exercice à propos de cette ville, je ne parlerais au fond que de moi.

christophe a dit…

Pour moi, Lyon, c'est les Six compagnons, Vaucanson chassé à coups de pierres, et un we passé avec la classe, en CM2 (on avait vendu quantité de quiches pour financer le voyage) sur la terre de notre institutrice...
Je n'en ai aucun souvenir précis, juste celui d'avoir aimé ces trois jours.

KarregWenn a dit…

Ah les villes et nous, quel sujet !
Moi il y a les villes qui me sourient, mais que je n'habite pas (Nantes, Brest, Prague, Fribourg, Bayonne, Le Mans), les villes que je ne connais absolument pas mais qui me font rêver (Budapest, Salamanque),la ville que je déteste après y avoir vécu 4 ans et l'avoir cotoyée 20 ans, Paris, et un peu comme Karagar la ville que j'aime sans forcément aimer ni même m'intéresser à ses habitants, Quimper. Et puis enfin la ville avec laquelle je me dispute parce qu'on est rarement de bonne humeur au même moment, celle qui fut mon grand désir d'enfant et qui a tout l'air d'être devenu mon ancre définitive, Douarnenez. Et puis toutes les autres, visitées, habitées, aperçues, et qui me laissent de marbre.
À Lyon j'ai passé une demi-journée, venue jadis avec mes parents y récupérer ma grand-mère malade. Rien vu, à part l'hôpital !

Calyste a dit…

Je ne peux pas répondre à tout le monde ce soir mais je vois que, comme le dit KarregWenn, la ville est un sujet qui ne laisse pas indifférent. Personnellement, si je n'habitais pas Lyon, je choisirai probablement de vivre à Strasbourg, qui me plaît ainsi que la possibilité de l'Allemagne proche. Où je ne voudrais surtout pas habiter? A Bordeaux par exemple ou sur la côté méditerranéenne. Moi, il me faut des terres, des vallées, des collines et des montagnes.

Petrus a dit…

Plus je te lis et plus je réalise que tu sais mettre les mots et les émotions sur ce pensent beaucoup de personnes...