vendredi 12 avril 2024

La pudeur encombrante

Comme il est difficile de parler de son père ! Cette vieille pudeur qu'il a toujours observé dans la manifestation des sentiments et qu'i m'a refilée. J'avais tendu la perche à Bleck qui l'a saisie. Je ne peux faire moins que de lui rendre la pareille. 

Mon père était toujours absent et, quand il était là, il dormait. Gros boulot : mineur et déchargeur de camions au halles de Saint-Etienne. En plus, nous avions la ferme et il était aussi le tueur de cochons de tout le village (et alentours). Quand il était là, j'avais du mal à supporter son autorité, ce qui, longtemps, me le fit mal comprendre. Il aimait le grand air, j'aimais lire. Il aimait bricoler, j'avais deux mains gauches. Il voulait qu'on se bouge, je rêvassais. 

Pourtant, c'est lui qui m'a poussé à continuer mes études, contre vents et marées. Pas question que j'arrête même s'il devait pour assurer ça se saigner aux quatre veines. Quand je suis parti à Lyon, je me suis éloigné de lui, avant de me rapprocher de lui. A la mort de mon copain d'enfance, Yvon, il m'a bouleversé : pas un mot, juste une petite tape sur l'épaule. Une infinie tendresse. Lorsque ils sont venus s'installer à Lyon, j'ai eu très peur. Pas pour moi : j'étais déjà indépendant. Mais pour eux qui n'avait jamais vécu dans une grande ville. Un coup de veine : il a dégoté un poste de jardinier dans une clinique avec un grand parc. J'aimais allé avec lui dans la vieille serre. Il m'a appris, mine de rien, à aimer la nature, les plantes, la vie dehors. Lui a commencé à lire. deuxième immense émotion : il m'a un jour demandé mon avis sur l'achat d'une maison de campagne. J'existais.

A sa mort, j'étais près de lui. Quelques jours avant, je l'avais remercié, brisant ainsi la dernière barrière de cette pudeur des sentiments, origine de mon incompréhension. J'ai longtemps été con avec lui. Maintenant je sais que je lui ressemble, immensément.

8 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

Pour ma part, j'espère ne pas trop ressembler à mon père !
Même s'il m'a permis d'être marginal !

plume a dit…

Avec le mien je n'ai eu que des désaccords et de très rudes oppositions pendant des années et puis chacun a reconnu ses erreurs de jugement et c'était plus que bien.
Ah on a quand même toujours eu un point de rencontre : son humour noir féroce, hérité de ma grand-mère. Un héritage auquel je tiens !

Cornus a dit…

Une évocation émouvante.

Petrus a dit…

Je me retrouve dans ce que tu dis...

Bleck a dit…

Ça a peut être été difficile d'écrire pour toi sur le sujet mais en effet, tu as bien fait de l'aborder, ton texte est beau et profond.

Bleck

Jérôme a dit…

Quel bel hommage !

Calyste a dit…

Chroum : sans le faire exprès ?

Plume : et tu as bien raison d'y tenir.

Cornus : j'ai essayé d'être le plus sincère possible.

Petrus : je ne te connais pas suffisamment pour en juger.

Bleck : Moins difficile que je ne l'aurais cru. Le temps rabote les moments douloureux.

Calyste a dit…

Jérôme : je tenais à le faire.