dimanche 15 janvier 2012

A côté

A côté, c'est là qu'il faut être. Ainsi, au lycée, au lieu de paraphraser lamentablement les vers de Racine, me plaisais-je à interpréter les silences de Pyrrhus face à Andromaque. Cela eut l'heur de plaire à mon professeur, le vieux sage à cheveux blancs dont les cornes en bataille rappelaient vaguement le Moïse de Michel-Ange. Un homme savant à l'humour caustique dont l'autorité n'admettait pas d'être un instant contestée.

Le plaisir de la lecture est-il dans l'analyse? Lagarde et Michard en semblaient convaincus, je reste sceptique. Apprend-on à aimer à l'école? J'ai toujours un peu de vergogne à m'attaquer à des œuvres que j'ai appréciées enfant pour les faire découvrir à mes élèves. Cela me rappelle une amie pianiste qui m'enviait mon inculture musicale puisqu'elle me permettait de percevoir autre chose dans une mélodie qu'une suite de doubles croches et de bémols.

Il en va ainsi de la littérature et de l'écriture. Apprendre, oui, et se débarrasser de tout ce que l'on a appris pour revenir au plaisir, plaisir des mots tracés ou imprimés, sans guide, à la découverte. Les enseignants ne sont que des médecins légistes.

6 commentaires:

P. P. Lemoqeur a dit…

Ce que tu dis là tombe à pic.Car tu t'en doutes, c'est une question qui m'intéresse.
Je suis convaincu des vertus de l'analyse. Elle tend à expliquer les raisons pour lesquelles "on aime" autant que celles pour lesquelles "on n'aime pas". C'est donc obligatoirement une opération a posteriori... C'est ce que je faisais hier ici en tentant de comprendre ce que je n'aimais pas dans les sketches de "Chez Maman".
Je suis incapable de dire j'aime ou j'aime pas sans me justifier. C'est parfois très chiant pour mon entourage...
Cela dit l'analyse ne doit jamais, comme on peut le subir encore en matière de musique d'aujourd'hui, émaner de l'auteur, on est bien assez grand pour piger, si tant est qu'il y ait quelque chose à piger...
En revanche une fugue de Bach, non seulement c'est super à entendre mais en plus c'est beau à voir sur le papier et très amusant à analyser parce que c'est aussi un jeu de l'esprit.
On ne perd jamais rien à analyser i.e. à comprendre. On peut même y gagner un truc bizarre qui s'appelle "admiration".Même si ce glissement peut s'avérer dangereux.
Ca me rappelle Poulenc disant à propos de Van Gogh dont il savait analyser l'œuvre avec finesse "plus je l'admire et moins je l'aime"...
Voilà, sujet de bac, en fait...

laplumequivole a dit…

Moi ce qui me gêne un peu, beaucoup, dans cette affaire d'analyse, c'est qu'on la met trop souvent au premier plan et que du coup beaucoup de gens, faute d'en avoir les moyens en connaissance, s'interdisent d'aimer, ou de détester, s'interdisent même d'essayer. Comme si on refusait de goûter à un plat sous prétexte qu'on en a pas la recette. L'ignorance technique servant finalement d'alibi au manque de curiosité. Et servant aussi à d'autres pour se gargariser de leur culture.

Cornus a dit…

L'analyse n'empêche pas la synthèse. Mieux, je pense qu'elle est indispensable. Rien de pire qu'un scientifique qui décortique tout et ne conclut rien, n'arrive à aucune "loi" générale. Il ne reste qu'un magma infâme de données plus ou moins déconnectées.

Un phyto*écologue, un phyto*sociologue (en principe aussi botaniste à la base) voit les notes (= les plantes, les communautés végétales) et échafaude des tas de choses sur les habitats naturels, les biotopes, le climat... Comme un musicien qui entend des notes de musique (sauf qu'il y a de nouvelles notes de musique quand on change de territoire phyto*géographique). Mais est-ce que le détail des plantes, des milieux empêche un botaniste de profiter, d'être ému par un paysage, par les coeuleurs et les formes végétales ou minérales ? La réponse est définitivement NON, même si son émotion peut être un peu différente.

Caly a dit…

Sourires...

Je ne vais pas entrer dans le débat ci-dessus, il m'apparait étrange et étranger...

Je sais, par contre, que j'ai eu la chance de rencontrer des profs qui m'ont appris ou ré-appris le plaisir de la découverte, d'aller là où je n'aurais jamais osé m'aventurer avant, d'aller plus loin, encore et encore plus loin suivant les chemins de traverses.

Je me souviens en particulier d'un prof de français qui m'a appris que dans un texte, il ne fallait jamais s'arrêter à la première lecture, qui m'a appris à chercher l'histoire, le sens caché, les mots secrets ou discrets qui racontent vraiment ce que l'auteur à voulu dire...

Médecins légistes ? Je ne crois pas... non vraiment ! cette dénomination ne convient pas...

ipsa a dit…

En art de quel côté de la barrière que l'on soit on rêve de l'état de grâce.Après,quel que soit le résultat,on se plaint.On veut rendre ou vendre son contraire,échanger sa théorie,ne jamais se condamner à avoir raison pour s'apaiser dans ses torts.Moi aussi je veux réfléchir de la paume de mes mains de quelle couleur est le livre que je lis.

Calyste a dit…

P.P: Je pense comme toi que l'émotion doit précéder l'analyse. Bach en est effectivement le meilleur exemple. Ce que je crains, en écrivant ce billet, c'est que l'on face trop souvent l'économie de l'émotion dans l'enseignement d'aujourd'hui, en privilégiant une analyse pseudo-scientifique qui n'apporte pas grand chose aux enfants de cet âge.

La plume: je pense qu'on peut aimer ou détester sans avoir les connaissances techniques appropriées. Mais, comme PP, je demande toujours à ce que l'on m'explique pourquoi le plaisir ou le rejet. Quoiqu'il en soit, on n'échappera jamais à la paresse intellectuel de certains ou à la suffisance d'autres.

Cornus: je ne parle pas des sciences auxquelles je ne connais pas grand chose. Et effectivement, j'ai vu des gens qui, bien que spécialistes, sont encore capables de vibrer. Moi, j'admire par exemple les gens qui sont capables de reconnaître tous les arbres ou toutes les étoiles et qui te font rêver en en parlant.

Caly: je crains que cette race-là de profs ne soient en voie d'extinction. J'en ai connu aussi, qui m'ont fait ce que je suis et qui m'ont appris à aimer tout ce que j'aime encore aujourd'hui.

Ipsa: ne serais(tu pas "impressionniste" toi aussi? Belle formule finale que la dernière phrase de ton commentaire. Qui d'ailleurs va bien au-delà d'une formule.